Après en avoir délibéré le 16 mars 2016,
Emet l'avis suivant :
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel a été saisi par le ministère de la culture et de la communication d'un projet de décret visant à modifier le cahier des charges de Radio France afin de faire évoluer le régime publicitaire et de parrainage qui lui est applicable. Il émet un avis réservé, éclairé par les 10 préconisations suivantes.
En propos liminaire, le Conseil tient à affirmer son souci que les évolutions introduites par le projet de décret n'altèrent pas l'image de la radio publique auprès de ses auditeurs.
En effet, les programmes de Radio France, parce qu'ils poursuivent une finalité de service public, se caractérisent par une exigence forte de qualité. En témoignent la confiance et la fidélité de ses auditeurs. La modération de la durée des messages publicitaires, comme la teneur des messages qui y sont diffusés, constituent une part essentielle de l'identité et de la singularité de la radio publique.
Les nouvelles dispositions du cahier des charges, en ouvrant la publicité à tous les secteurs autorisés - à l'exception notable des opérations commerciales pour le secteur de la distribution - là où auparavant seules la publicité collective, celle en faveur de certaines causes d'intérêt général et celle effectuée par des organismes publics ou parapublics l'étaient, comportent le risque que ces nouvelles publicités mises à l'antenne déconcertent les auditeurs.
Le Conseil estime donc nécessaire de prendre en compte cette spécificité dans la détermination des nouvelles dispositions régissant la diffusion de messages publicitaires sur les antennes de Radio France. A ce titre, il salue le principe d'élaboration par Radio France d'une charte de l'antenne qui vise à offrir des garanties qualitatives.
C'est à la lumière de ces considérations, et en prenant en compte l'objectif de chiffre d'affaires publicitaire d'un montant de 42 M€ inscrit dans le contrat d'objectifs et de moyens de Radio France pour la période 2015-2019, sur lequel le Conseil a rendu un avis favorable le 25 novembre 2015, que le Conseil formule 10 propositions complétant le projet de décret, ainsi que quelques précisions rédactionnelles.
I. - Le contenu des dispositions
En premier lieu, le Conseil constate l'absence de définitions des différentes catégories de messages qui font l'objet d'un encadrement.
Or, faute de définition claire de chaque catégorie - par exemple, les messages dits « de promotion croisée » qui permettent de faire la promotion, sur une ou plusieurs des antennes du groupe, de biens ou de services directement produits par Radio France -, le décret risque de réintroduire une forme d'insécurité juridique et de rendre difficile la capacité à contrôler de manière fiable sa correcte application.
Préconisation n° 1 : définir les catégories juridiques de référence
Le Conseil propose que soient ajoutées au projet de décret les définitions des messages publicitaires, des échanges de services à caractère publicitaire et des messages d'intérêt général à caractère non publicitaire.
S'agissant de la définition du message publicitaire, l'article suivant pourrait être ajouté au projet de décret : « Pour l'application du présent décret, constitue une publicité toute forme de message radiophonique diffusé contre rémunération en vue soit de promouvoir la fourniture de biens ou services, y compris ceux qui sont présentés sous leur appellation générique, dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle, artisanale ou de profession libérale, soit d'assurer la promotion commerciale d'une entreprise publique ou privée. »
S'agissant de la définition de l'échange de services à caractère publicitaire, l'article 3 du projet de décret pourrait être modifié comme suit : « L'article 40 est complété par les mots suivants : “à l'exception de ceux relatifs à des événements culturels ou sportifs”. Pour l'application du présent décret, constitue un échange de services à caractère publicitaire un message promotionnel diffusé sur le service de l'éditeur dont le paiement intervient par compensation dans le cadre d'un échange de biens ou de services. »
S'agissant des messages d'intérêt général à caractère non publicitaire, le Conseil propose d'ajouter au 7e alinéa de l'article 5 du projet de décret, après « messages d'intérêt général à caractère non publicitaire », les mots suivants : « tels que ceux diffusés, contre rémunération ou non, dans le cadre des campagnes des organisations caritatives et des campagnes d'information des administrations ».
En deuxième lieu, le Conseil s'interroge sur les conséquences juridiques des dispositions prévues aux articles 3 et 5 du projet de décret qui modifient les articles 40 et 44 du cahier des missions et des charges de la société Radio France pour créer une catégorie hybride de messages à teneur publicitaire : les échanges de services relatifs à des événements culturels et sportifs.
La notion d'« échange de services à caractère publicitaire » recouvre un ensemble étendu de messages. Le Conseil considère que la modification de l'article 40 vise a priori les « partenariats » culturels ou sportifs qui n'impliquent pas de débours financiers ; c'est dans ce cadre que Radio France s'associe à un événement et assure sa valorisation, notamment par la diffusion de messages à teneur promotionnelle.
Le fait de ne pas soumettre ces échanges à des obligations de limitation quantitative pourrait fragiliser les grands principes de la réglementation. Il apparaît en effet délicat de ne pas inclure dans un temps publicitaire des messages dont le contenu est publicitaire. Cela pourrait sous-entendre que deux discours de nature publicitaire pourraient emporter des obligations différentes selon leur mode de commercialisation, ce qui n'est pas sans risque de confusion. En outre, l'absence d'obligations pour la catégorie des échanges de services à caractère publicitaire pourrait conduire à de potentiels excès et tendrait à créer une inégalité de traitement avec les radios privées qui ne disposent pas d'une telle dérogation.
Par conséquent, le Conseil souhaiterait que soit prévue une limitation quantitative propre aux échanges de services à caractère publicitaire. La détermination du quantum est laissée à l'appréciation du pouvoir réglementaire ; le Conseil souhaiterait toutefois qu'il soit suffisamment important pour que Radio France puisse continuer de mener à bien sa politique en matière de promotion d'événements culturels et sportifs.
Enfin, le Conseil relève que ces échanges de services, en raison de leur caractère publicitaire, sont soumis aux obligations, notamment déontologiques, prévues pour les « messages publicitaires » dans le cahier des missions et des charges de la société Radio France.
Préconisation n° 2 : prévoir une limitation du volume des messages relevant des échanges de services à caractère publicitaire
Le Conseil propose d'ajouter à l'article 5 un nouvel alinéa : « La diffusion des échanges de services à caractère publicitaire autorisés en vertu de l'article 40 ne peut excéder : […]. » Il revient au pouvoir réglementaire de fixer ce volume maximum.
En troisième lieu, le Conseil note que le projet de décret précise à son article 5 que « chacun des programmes de la société » est concerné par les limitations du temps publicitaire sans que soit précisé le périmètre géographique de ces programmes. Dans un souci de parfaite compréhension de cette disposition, le Conseil souhaite que le décret précise explicitement que ces plafonds s'appliquent de manière identique aux programmes nationaux et aux antennes locales de France Bleu.
Préconisation n° 3 : indiquer la nature nationale et locale des programmes concernés par le temps maximal de publicité
Le Conseil propose de modifier le 2e alinéa de l'article 5 du projet de décret comme suit : « […] Pour chacun des programmes tant nationaux que locaux de la société, le temps maximal consacré à la diffusion de messages publicitaires ne peut excéder […]. »
En quatrième lieu, dans un souci de clarification de rédaction et de préservation des équilibres locaux, le Conseil propose de modifier le 4e alinéa de l'article 4 du projet de décret, dont la rédaction actuelle peut paraître ambigüe, concernant l'exclusion de toute publicité en faveur d'opération commerciale de promotion dans le secteur de la distribution.
Préconisation n° 4 : clarifier la rédaction de l'alinéa relatif à l'exclusion du secteur de la distribution pour les opérations commerciales de promotion
Le Conseil propose, au 4e alinéa de l'article 4 du projet de décret, d'ajouter « pour toutes les opérations commerciales de promotion » et de supprimer les mots : « se déroulant entièrement ou principalement sur tout ou partie du territoire national ».
Comme souligné précédemment, le Conseil relève que les nouvelles dispositions juridiquement opposables, notamment celles liées à l'ouverture de la publicité à tous les annonceurs autorisés, sont susceptibles de se traduire par un changement notable des modalités d'insertion des contenus publicitaires sur les antennes et, ce faisant, d'avoir des conséquences en termes de qualité d'écoute pour les auditeurs.
Le Conseil rappelle, qu'actuellement, certaines antennes du groupe public - France Culture, France Musique et FIP - ne diffusent aucun message publicitaire ; il estime nécessaire de préserver cette situation qui est une garantie forte de leur identité. Dès lors, le Conseil propose que ces antennes ne soient pas autorisées à diffuser des messages publicitaires.
Préconisation n° 5 : inscrire dans la réglementation l'exclusion de la diffusion de messages publicitaires sur France Culture, France Musique et FIP
Le Conseil propose d'ajouter, après le 1er alinéa de l'article 4 du projet de décret, l'alinéa : « La société ne diffuse pas de messages publicitaires sur les antennes de France Culture, France musique et FIP. » et d'ajouter au début de l'alinéa suivant les mots : « Sur les autres antennes, ».
L'ouverture de la publicité à l'ensemble des annonceurs pour les antennes concernées doit s'accompagner, dans un souci de transparence vis-à-vis des auditeurs, d'une identification de la publicité notamment par des dispositifs sonores adaptés. Cette obligation devrait également concerner les échanges de services, qui devraient faire l'objet d'une identification particulière.
Cette obligation s'inscrirait pleinement dans le cadre de l'article 43 de la loi du 30 septembre 1986 qui précise que « toute forme de publicité accessible par un service de communication audiovisuelle doit être clairement identifiée comme telle ».
Préconisation n° 6 : assurer une claire identification des contenus à teneur publicitaire
En vue d'assurer une identification claire des contenus à teneur publicitaire, le Conseil propose d'ajouter au projet de décret l'article suivant : « L'article 42 est ainsi rédigé : “Les messages publicitaires et les échanges de services à caractère publicitaire autorisés en vertu de l'article 40 sont clairement annoncés et identifiés comme tels par des génériques reconnaissables par leurs caractéristiques acoustiques. Cette identification doit être distincte selon qu'il s'agit de messages publicitaires ou d'échanges de services à caractère publicitaire autorisés en vertu de l'article 40.” »
Le Conseil salue l'intention de Radio France d'encadrer et compléter, par des engagements volontaires formalisés dans une charte, la mise en œuvre des nouvelles dispositions du décret ; il relève ainsi que le groupe s'engage notamment à « préserver le confort d'écoute du public en favorisant une publicité raisonnée et en limitant les volumes de publicité diffusés » et à « garantir l'adéquation de la publicité qu'elle diffuse avec la qualité éditoriale de ses programmes, avec un respect réaffirmé du respect du public ».
Le Conseil estime cependant nécessaire que certains de ces engagements soient précisés, notamment en ce qui concerne l'engagement d'une « publicité raisonnée ».
Surtout, le Conseil relève que l'absence de caractère contraignant de cette charte prive de portée juridique certains engagements pourtant essentiels.
Ainsi, dans un souci constant de préservation des auditeurs, le Conseil estime indispensable d'intégrer au cahier des charges certains de ces engagements, en particulier celui au terme duquel Radio France entend « limiter à 1 minute et 30 secondes sur la tranche 7 h-9 h la durée maximale de spots de publicité classique consécutifs ». Il considère par ailleurs que cette limitation doit s'appliquer à l'ensemble des tranches horaires.
Préconisation n° 7 : introduire dans le cahier des charges la limitation du temps des séquences de messages publicitaires
Le Conseil propose que soit ajouté à l'article 5 du projet de décret l'alinéa suivant : « Chaque séquence de messages publicitaires est limitée à 1 minute et 30 secondes. »
Enfin, dans un souci de transparence et d'officialisation des engagements volontaires pris par Radio France, le Conseil souhaite également que la charte soit publiée sur le site internet du groupe.
II. - La nécessité d'un contrôle efficace des dispositions
Le Conseil tient à assurer un contrôle plein et effectif des dispositions prévues par le projet de décret afin de protéger les intérêts des auditeurs et des radios concurrentes. Le Conseil pourrait toutefois être confronté à certaines difficultés pratiques pour exercer cette mission.
Tout d'abord, le projet de décret prévoit des obligations quantitatives de durée publicitaire qui portent sur des périodes variées et longues, ce qui tend à complexifier le contrôle et à retarder sa capacité d'intervention.
De plus, il apparaît techniquement délicat de contrôler les temps publicitaires lorsque les écrans publicitaires ne sont pas parfaitement identifiés et lorsqu'il est nécessaire, au préalable, d'en extraire les messages relevant des échanges de services (il faudrait, pour qualifier juridiquement le statut de ces messages, avoir connaissance des modalités de commercialisation et disposer des contrats de vente d'espaces).
A ce jour, l'opérateur de mesure de la durée publicitaire, calcule, par détection automatique, les messages publicitaires, les citations ou les messages de parrainage situés à proximité des écrans publicitaires. Dans la pratique, il peine à distinguer les différentes catégories d'annonces, Radio France ayant pour habitude de ne pas les différencier lors de leur mise à l'antenne. Les piges publicitaires effectuées sur les antennes de Radio France sont donc, à ce jour, parcellaires et mal adaptées à la bonne efficience du contrôle du Conseil. Par ailleurs, les décrochages locaux de France Bleu ne sont pas inclus dans le périmètre actuel de référencement de l'opérateur de mesure.
La préconisation du Conseil relative à la claire identification des messages à teneur publicitaire (préconisation n° 6) tend à résoudre pour partie les interrogations soulevées. Pour autant, elle ne peut garantir à elle seule l'assurance d'un contrôle effectif.
Le Conseil considère par conséquent qu'il est nécessaire que Radio France mette à sa disposition les documents indispensables à l'exercice de sa mission de contrôle, établis selon une méthode incontestable.
Ces documents, transmis à échéance régulière par le groupe public, devraient comporter les relevés de diffusion des messages à teneur publicitaire (distinguant les messages publicitaires classiques des échanges de services), des temps publicitaires, ainsi que toute autre information utile. Ils devraient couvrir l'ensemble des stations du service public, y compris les décrochages locaux du réseau France Bleu.
Afin de garantir la sincérité et la traçabilité des données fournies par Radio France, le Conseil suggère que Radio France confie à un tiers indépendant une mission de certification de ses procédures internes de suivi des limitations des volumes publicitaires.
Ce tiers, qui serait choisi par Radio France avec l'accord de sa tutelle, et dont la mission serait financée sur son budget, devrait pouvoir rendre compte, dans le respect des secrets protégés par la loi, des résultats de sa mission devant la tutelle et le Conseil. L'activité de ce tiers ferait l'objet de rapports réguliers. Il pourrait utilement rendre compte au conseil d'administration de Radio France.
Préconisation n° 8 : imposer à Radio France une certification de ses procédures internes de contrôle des limitations publicitaires et la transmission régulière des données de son activité publicitaire afin d'assurer le contrôle des dispositions quantitatives
Le Conseil propose d'ajouter à l'article 5 du projet de décret l'alinéa suivant : « La société Radio France fait procéder tous les deux ans par un organisme tiers, à une certification des procédures qu'elle met en œuvre pour assurer le suivi, le relevé et la déclaration au Conseil des volumes des messages publicitaires, d'une part, et des échanges de services à caractère publicitaire autorisés en vertu de l'article 40, d'autre part. Une première certification devra être effectuée dans les six mois suivants l'entrée en vigueur du présent décret. »
En outre, le Conseil propose d'ajouter à l'article 5 du projet de décret les alinéas suivants : « La société Radio France transmet tous les mois au Conseil supérieur de l'audiovisuel pour chacune des antennes nationales et locales les documents établis en conformité avec les règles qui ont donné lieu à certification et détaillant le respect des dispositions du présent article, notamment les temps publicitaires et les relevés de diffusion des messages publicitaires, les échanges de services à caractère publicitaire autorisés en vertu de l'article 40 ainsi que les messages d'intérêt général tels que définis à l'article 44. »
En dernier lieu, le Conseil estime que les dispositions relatives à la limitation du montant des recettes publicitaires provenant d'un même annonceur, figurant dans le cahier des missions et des charges de France Télévisions et France Médias Monde, devraient également s'appliquer à Radio France.
Le Conseil relève que l'article 48 de la loi du 30 septembre 1986 prévoit, pour éviter une trop forte homogénéisation des annonceurs dans les séquences publicitaires et pour limiter les risques d'emprise d'un annonceur sur les écrans, que les modalités de programmation des émissions publicitaires des sociétés nationales de programme « prévoient (…) la part maximale de publicité qui peut provenir d'un même annonceur ».
Préconisation n° 9 : limiter la dépendance économique vis-à-vis d'un même annonceur
Le Conseil propose de modifier le projet de décret afin d'ajouter l'article suivant au cahier des missions et des charges de Radio France : « Le montant des recettes à provenir d'un même annonceur, quel que soit le nombre de ses produits ou services, ne peut excéder [X] % des recettes définitives que la société perçoit au titre de la publicité de marques pour une année déterminée pour chaque service qu'elle édite. » Il revient au pouvoir réglementaire de fixer ce montant maximum.
En raison de l'impact possible de ces modifications sur l'économie du secteur et de la difficulté du contrôle de ces nouvelles dispositions, le Conseil estime indispensable qu'une clause de rendez-vous soit mise en place afin de procéder, le cas échéant, aux ajustements nécessaires.
Ainsi, il semble impératif de réexaminer à moyen terme le dispositif mis en place par le projet de décret. Ce réexamen pourrait intervenir au plus tard 24 mois après l'entrée en vigueur du dispositif et porter notamment sur la durée retenue, l'effectivité du contrôle et le niveau du chiffre d'affaires de Radio France.
Cette période permettra également d'observer l'impact concurrentiel sur le secteur, le maintien de l'équilibre entre les acteurs privés et publics de la radio tant au niveau national que local.
Préconisation n° 10 : prévoir une clause de rendez-vous
Le Conseil propose qu'un réexamen de ces dispositions intervienne au plus tard 24 mois après la publication du décret. Ce réexamen devra porter sur le chiffre d'affaires publicitaire de Radio France, l'efficacité des moyens de contrôle, l'impact sur le secteur radiophonique tant au niveau national que local.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.