Le Conseil d'Etat (section du contentieux, 2e et 7e sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 2e sous-section de la section du contentieux,
Vu l'arrêt n° 12LY024542 du 29 août 2013, enregistré le 9 septembre 2013 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, par lequel la cour administrative d'appel de Lyon, avant de statuer sur la requête du préfet de la Haute-Savoie tendant à l'annulation du jugement n° 1205262 du 8 août 2012 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lyon a annulé pour excès de pouvoir, d'une part, l'arrêté du 5 août 2012 obligeant M. A. B. à quitter le territoire français sans délai et fixant le pays à destination vers lequel il sera reconduit, d'autre part, la décision du 5 août 2012 prononçant son placement en rétention administrative, lui a enjoint de délivrer à M. B. une autorisation provisoire de séjour dans un délai de huit jours et de procéder à un nouvel examen de sa situation dans un délai d'un mois, a décidé, par application des dispositions de l'article L. 113-1 du code de justice administrative, de transmettre le dossier au Conseil d'Etat en lui soumettant les questions suivantes :
1° Les décisions d'éloignement d'un étranger mentionnées aux articles L. 511-1 à L. 511-3 et L. 531-1 à L. 531-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile constituent-elles des catégories de décisions distinctes ou une même catégorie mais susceptibles d'être fondées sur des bases légales différentes ?
2° Les champs d'application de ces catégories distinctes de décisions ou de ces différents fondements légaux sont-ils exclusifs les uns des autres ?
3° Si tel n'est pas le cas, existe-t-il une hiérarchie entre ces dispositions ou peuvent-elles être mises en œuvre concurremment ?
4° S'il n'existe pas de hiérarchie et, dans le cas où le préfet engage l'une de ces procédures d'éloignement, est-il tenu de la mener à son terme avant d'en engager une autre ?
5° Dans le cas où les dispositions précitées devraient être regardées comme concurrentes et non hiérarchisées, les différences de catégories ou de fondements légaux influent-elles sur la décision d'éloignement ou seulement sur le choix des pays à destination desquels l'étranger peut être conduit ?
6° De même si elles devraient être regardées comme concurrentes et non hiérarchisées, y a-t-il lieu de réserver le cas de l'étranger dont la demande de reconnaissance de la qualité de réfugié est en cours d'examen dans un autre Etat ?
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;
Vu la convention d'application de l'accord de Schengen, signée le 19 juin 1990 ;
Vu la directive 2003/109/CE du Conseil du 25 novembre 2003 ;
Vu le règlement n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ;
Vu la directive 2009/50/CE du Conseil du 25 mai 2009 ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
― le rapport de Mme Sophie-Caroline de Margerie, conseiller d'Etat ;
― les conclusions de M. Xavier Domino, rapporteur public,
Rend l'avis suivant :
1. En vertu du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse peut faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français dans plusieurs cas, notamment lorsqu'il ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire ou qu'il s'y est irrégulièrement maintenu.
Une telle mesure peut également être décidée, selon l'article L. 511-2 du même code, à l'égard de l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui n'a pas respecté les conditions d'entrée prévues dans le règlement n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006 ou qui, en provenance directe d'un Etat partie à la convention d'application de l'accord de Schengen signée le 19 juin 1990, ne justifie pas être entré sur le territoire français ou s'y être maintenu conformément aux stipulations de cette convention.
2. L'article L. 531-1 du même code dispose que : « Par dérogation aux articles L. 213-2 et L. 213-3, L. 511-1 à L. 511-3, L. 512-2 à L. 512-5, L. 513-1 et L. 513-3, l'étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne qui a pénétré ou séjourné en France sans se conformer aux dispositions des articles L. 212-1, L. 212-2, L. 311-1 et L. 311-2 peut être remis aux autorités compétentes de l'Etat membre qui l'a admis à entrer ou à séjourner sur son territoire, ou dont il provient directement, en application des dispositions des conventions internationales conclues à cet effet avec les Etats membres de l'Union européenne. » L'étranger est informé de cette remise par décision écrite et motivée et est mis à même de présenter des observations et d'avertir ou de faire avertir son consulat, un conseil ou toute personne de son choix avant l'exécution d'office de la remise.
3. L'article L. 531-2 prévoit en ses deuxième, troisième et quatrième alinéas que de telles mesures de réadmission peuvent également être prises à l'encontre de l'étranger qui, en provenance du territoire d'un Etat partie à la convention d'application de l'accord de Schengen, est entré ou a séjourné sur le territoire métropolitain sans se conformer aux stipulations de cette convention que mentionne le deuxième alinéa de l'article L. 531-2, à l'encontre de l'étranger détenteur d'un titre de résident de longue durée-CE en cours de validité accordé par un autre Etat membre et qui n'a pas régularisé sa situation en France, enfin, à l'encontre de l'étranger détenteur d'une carte de séjour temporaire portant la mention « carte bleue européenne » en cours de validité accordée par un autre Etat membre de l'Union européenne lorsque lui est refusée en France la délivrance de la carte de séjour temporaire portant cette mention ou lorsque la « carte bleue européenne » qu'il détient expire ou lui est retirée durant l'examen de sa demande en France.
4. Il ressort de ces dispositions que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre Etat ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre.
Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une « carte bleue européenne » délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat.
5. Il y a lieu, enfin, de réserver le cas de l'étranger demandeur d'asile.
En effet, les stipulations de l'article 31-2 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile impliquent nécessairement que l'étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu'à ce qu'il ait été statué sur sa demande. Dès lors, lorsqu'en application des stipulations des conventions internationales conclues avec les Etats membres de l'Union européenne, l'examen de la demande d'asile d'un étranger ne relève pas de la compétence des autorités françaises mais de celles de l'un de ces Etats, la situation du demandeur d'asile n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais dans celui des dispositions du premier alinéa de l'article L. 531-2 du même code. En vertu de ces dispositions, la mesure d'éloignement en vue de remettre l'intéressé aux autorités étrangères compétentes pour l'examen de sa demande d'asile ne peut être qu'une décision de réadmission prise sur le fondement de l'article L. 531-1.
Le présent avis sera notifié à la cour administrative d'appel de Lyon, à M. A. B. et au ministre de l'intérieur.
Il sera publié au Journal officiel de la République française.