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Article undefined AUTONOME undefined, en vigueur depuis le (Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 septembre 2013 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2013-676 DC)

Article undefined AUTONOME undefined, en vigueur depuis le (Saisine du Conseil constitutionnel en date du 20 septembre 2013 présentée par au moins soixante députés, en application de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution, et visée dans la décision n° 2013-676 DC)




LOI RELATIVE À LA TRANSPARENCE
DE LA VIE PUBLIQUE


Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les conseillers,
Conformément au deuxième alinéa de l'article 61 de la Constitution, nous avons l'honneur de déférer au Conseil constitutionnel la loi relative à la transparence de la vie publique.
Sur la méconnaissance des objectifs de clarté et d'intelligibilité de la loi :
Votre conseil a dégagé de l'article 34 de la Constitution le principe constitutionnel de clarté de la loi (cf. décisions n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, cons. 53 ; n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, cons. 8, 9, 29 et 30 ; n° 2004-494 DC du 29 avril 2004, cons. 10 et 14 ; n° 2005-514 DC du 28 avril 2005, cons. 14).
Des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il a induit l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité et d'accessibilité de la loi, considérant qu'il appartient au législateur « d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques afin de prémunir les sujets de droit contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire, sans reporter sur des autorités administratives ou juridictionnelles le soin de fixer des règles dont la détermination n'a été confiée par la Constitution qu'à la loi. » (cf. les décisions n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, cons. 77 à 89 ; n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, cons. 33 ; n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007, cons. 19 ; n° 2009-584 DC du 16 juillet 2009, cons. 29 et 31 ; n° 2011-639 DC du 28 juillet 2011, cons. 16 ; n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, cons. 82 à 84).
Dans la loi déférée, l'article 2 procède à une définition législative inédite du conflit d'intérêts, aujourd'hui absente de la législation, tandis que l'article 4 définit ensuite les éléments de la déclaration d'intérêts à fournir par les personnes soumises à cette obligation.
Or la définition du conflit d'intérêts retenue par l'article 2 de la loi déférée, à savoir : « Au sens de la présente loi, constitue un conflit d'intérêts toute situation d'interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif d'une fonction », privilégie une définition tenant de la « théorie des apparences », qui laisse place à une subjectivité notoire, et fait reposer, in fine, sur le juge, un devoir d'interprétation excessif. De sorte que, faute de clarté, les personnes soumises à déclaration ne disposeront pas d'une connaissance suffisante des règles applicables, ni le juge d'éléments objectifs pour sanctionner le non-respect de ces règles.
La version retenue par la commission des lois de l'Assemblée nationale, qui a ajouté les termes « ou paraître influencer », préserve non pas la vertu effective des élus et des agents publics, mais l'apparence de leur vertu.
Outre que la définition retenue instaure une forme de présomption dommageable de culpabilité sur les apparences, l'argument du rapporteur de l'Assemblée nationale, Jean-Jacques Urvoas, selon lequel « paraître influencer » reprendrait la définition proposée par le rapport dit « Sauvé » n'est pas tout à fait juste.
En effet, la commission Sauvé avait proposé de retenir la définition suivante : « un conflit d'intérêts est une situation d'interférence entre une mission de service public et l'intérêt privé d'une personne qui concourt à l'exercice de cette mission, lorsque cet intérêt, par sa nature et son intensité, peut raisonnablement être regardé comme étant de nature à influencer ou paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif de ses fonctions ». Elle avait donc retenu une référence à l'« intensité » de l'intérêt en cause, ainsi que l'adverbe « raisonnablement », qui ne sont pas repris par la loi déférée.
La définition retenue rend ainsi quasi impossible l'appréciation des élus et des agents publics qui devront prendre la décision de se déporter ou non.
Cette absence dommageable d'intelligibilité de la loi se trouve de nouveau à l'article 4 de la loi déférée, alinéa 29. En effet, l'article 4 dresse la liste des éléments à fournir dans la déclaration d'intérêts, mais cette liste s'achève par un alinéa d'une imprécision notoire, à savoir : « Les autres liens susceptibles de faire naître un conflit d'intérêts ».
Il est clair que cette indication rend impossible au déclarant de connaître où commence, et surtout où finit la déclaration des intérêts qu'il est censé fournir. S'agit-t-il d'imposer une déclaration extensive, et sans cesse actualisée, de toutes les relations que le déclarant entretient, de fait, avec tous les acteurs de la vie économique et sociale du pays ou du territoire dans lequel il exerce son mandat ? Car il est évident que toute relation, dans l'absolu, est susceptible de faire naître un conflit d'intérêts à un moment donné.
Ce manque de clarté de la loi contraindra au final le déclarant à produire des éléments qui outrepassent la volonté du législateur de prévenir les conflits d'intérêt.
Sur l'atteinte disproportionnée au respect de la vie privée :
Votre conseil a estimé, encore récemment dans sa décision du 22 mars 2012 concernant la loi relative à la protection de l'identité, que « la liberté proclamée par l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 implique le droit au respect de la vie privée » et que, par suite, l'atteinte au respect de la vie privée devra être justifiée par un motif d'intérêt général, et « mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif » (cons. 8).
La loi déférée, aux articles 3 et 10, prévoit que des élus et diverses personnes publiques, dont le nombre a été estimé à plus de 8 000 personnes au cours des débats parlementaires, doivent adresser à la haute autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale ainsi qu'une déclaration d'intérêts. Il est également prévu que la haute autorité rende ces deux déclarations publiques, bien que la nature de cette publicité diffère : la déclaration d'intérêts sera publiée par la haute autorité, vraisemblablement, à terme, via son site internet, tandis que la déclaration patrimoniale sera consultable en préfecture par les électeurs inscrits sur les listes électorales.
S'il est loisible au législateur d'entendre prévenir les conflits d'intérêts et de vérifier que les élus et autres personnes publiques ne s'enrichissent pas illicitement, la publicité des éléments qui permettent de satisfaire ces objectifs n'est justifiée par aucun motif d'intérêt général.
Et si l'article 5 de la loi déférée prévoit la non-publicité de divers éléments de la déclaration, en particulier l'adresse du déclarant, ou le nom de son conjoint, cette précaution est inopérante pour les personnes publiques. Chacun concède que les élus, notamment locaux, tiennent leur mandat de la proximité qu'ils établissent avec les électeurs, et qu'ainsi, ils sont connus de tous : leurs conjoints vivent dans la circonscription ou exercent une activité locale, leurs enfants fréquentent les écoles ou établissements d'enseignements locaux, etc. Dès lors, la publication de tous les autres éléments semble contraire au respect de leur vie privée, et surtout à celle de leurs proches.
Ainsi, à titre d'exemple, l'alinéa 27 de l'article 3 exige du déclarant qu'il fournisse « les activités professionnelles exercées par le conjoint, le partenaire lié par un pacte civil de solidarité, ou le concubin, les enfants et les parents ». Outre la difficulté pratique que rencontrera le déclarant dans certains cas à fournir ces éléments, la loi a pour conséquence de le forcer à porter atteinte à la vie privée de ses parents proches.
Quant à l'alinéa 31 de l'article 3, il exige que soient précisés les montants des rémunérations, indemnités ou gratifications perçues au cours des cinq dernières années. Ainsi, une personne issue du secteur privé, nommée ministre, rendrait donc nécessairement publique la rémunération qu'elle percevait dans une entreprise, au mépris du fonctionnement normal de cette dernière, et de la liberté d'entreprendre.
Sur l'atteinte à la séparation des pouvoirs et au droit au recours effectif :
L'instauration et la définition des missions de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique sont prévues aux articles 19 à 23 de la loi déférée.
L'article 20 de la loi déférée soumet ainsi l'appréciation de la déontologie des élus et autres personnalités nommées en conseil des ministres à des personnes n'ayant pas exercé de mandats, et leur demande de juger si une situation relève ou non du conflit d'intérêts. L'appréciation des déclarations d'intérêts par la haute autorité est constitutionnellement contestable. Car si la haute autorité peut être compétente sur des déclarations de patrimoine qui ne comportent que des données objectives, le fait qu'elle interprète des déclarations d'intérêts méconnaît le principe de séparation des pouvoirs.
Au surplus, le président et le secrétaire général de la haute autorité seront nommés respectivement par décret du président de la République et du Premier ministre, même si la candidature du président sera soumise à une forme de ratification par le Parlement via le droit de veto aux deux tiers de la commission des lois, conformément à la procédure décrite à l'article 13 de la Constitution.
Aucun mécanisme ne garantit véritablement que la haute autorité ne puisse pas faire l'objet de manipulations politiques. D'ailleurs, l'alinéa 9 de l'article 20, qui précise que la haute autorité agrée elle-même les associations anticorruption qui pourront la saisir, et non, comme à l'accoutumée, le pouvoir réglementaire, ne vient en rien contredire ce risque, au contraire.
Au demeurant, force est de constater que par rapport à l'actuelle instance, c'est-à-dire la Commission pour la transparence financière de la vie politique, la haute autorité cesse d'être une simple structure administrative destinée à enregistrer de façon quasi notariale les déclarations patrimoniales des parlementaires et des élus. Elle peut en effet apporter des appréciations, qui sont rendues publiques, sur les déclarations de patrimoine comme sur les déclarations d'intérêt, et s'implique donc au cœur de la vie parlementaire.
De façon plus générale, l'existence même de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et les pouvoirs d'injonction et de sanction à l'égard des personnes énoncées dans la loi soumise au contrôle du Conseil constitutionnel portent atteinte à la séparation des pouvoirs garantie par l'article 16 de la Déclaration de 1789.
Ce principe de séparation des pouvoirs dont la valeur constitutionnelle est reconnue par votre jurisprudence (décisions n° 88-248 DC du 17 janvier 1989, cons. 24 et 27, Rec. p. 18 ; n° 89-258 DC du 8 juillet 1989, cons. 8, Rec. p. 48 ; n° 89-260 DC du 28 juillet 1989, cons. 6, Rec. p. 71 ; n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, cons. 71, Rec. p. 110) conduit à protéger chacun des pouvoirs, exécutif et législatif, contre les intrusions de l'autre.
Or, la création de la haute autorité et les pouvoirs qui lui sont conférés conduisent à ce qu'une autorité de nature administrative exerce un contrôle sur certains éléments relevant du pouvoir législatif, tels que les collaborateurs des présidents des assemblées parlementaires, sur des élus des collectivités territoriales, sur des membres de l'exécutif, sans que des garanties suffisantes soient apportées au regard de la séparation des pouvoirs.
Le Conseil constitutionnel rappelle par exemple que le principe de séparation des pouvoirs interdit qu'un organe d'une des assemblées parlementaires chargé de l'évaluation des politiques publiques puisse, sur le fondement du seul règlement de cette assemblée, bénéficier du concours d'experts placés sous la responsabilité du Gouvernement. Il interdit également que les rapports de cet organe puissent adresser une injonction au Gouvernement (décision n° 2009-581 DC du 25 juin 2009, cons. 59, 61 et 62, Rec. p. 120).
De la même façon un organe extérieur au Gouvernement et au Parlement ne peut adresser d'injonctions qui auraient une incidence sur le fonctionnement des activités gouvernementales ou des assemblées parlementaires (décision n° 2009-581 DC précitée).
Enfin, le fonctionnement de la haute autorité conduit à s'interroger sur le droit au recours effectif garanti également par l'article 16 de la Déclaration de 1789, et qui a valeur constitutionnelle, comme l'énonce le Conseil constitutionnel (décisions n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011, cons. 4, Rec. p. 239 ; n° 2011-129 QPC du 13 mai 2011, cons. 4, Rec. p. 239). Ce droit doit être garanti à toute personne concernée par les pouvoirs et compétence de la haute autorité, ce que ne prévoit pas nettement la loi contestée.


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Souhaitant que ces questions soient tranchées en droit, les députés auteurs de la présente saisine demandent donc au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ces points et tous ceux qu'il estimera pertinents eu égard à la compétence et la fonction que lui confère la Constitution.