Après en avoir délibéré le 14 mai 2024,
1. Contexte de la saisine
L'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) prévoit que l'ARCEP est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques, et participe à leur mise en œuvre.
Par courrier en date du 10 avril 2024, enregistré à l'Autorité le 16 avril 2024, l'avis de l'Autorité a été sollicité sur un projet de décret pris en application du III de l'article L. 34-16 du CPCE visant à déterminer les modalités de compensation des investissements des opérateurs titulaires d'autorisation d'utilisation de fréquences faisant droit aux demandes d'itinérance de l'Etat.
2. Cadre juridique et présentation du projet de décret
L'article 11 de la loi n° 2023-22 du 24 janvier 2023 d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur a créé les articles L. 34-16 et L. 34-17 du CPCE relatifs aux dispositions particulières au réseau de communications électroniques des services de secours et de sécurité. Ce réseau, communément appelé « Réseau Radio du Futur » (RRF), vise à doter d'un réseau de communication très haut débit commun l'ensemble des acteurs de la sécurité et du secours, en leur permettant de communiquer les uns avec les autres tout en bénéficiant de nouvelles fonctionnalités.
L'article L. 34-17 du CPCE prévoit que ce réseau est mis en œuvre et exploité par un établissement public. En application de cet article, l'Agence des communications mobiles opérationnelles de sécurité et de secours (ACMOSS) a été créée par le décret n° 2035-225 en date du 30 mars 2023 pour remplir ces missions et fournir aux utilisateurs de ce réseau un service de communications mobiles critiques à très haut débit sécurisé.
RRF est un réseau hybride avec un cœur de réseau souverain qui s'appuie notamment sur le réseau de deux opérateurs mobiles de référence, Bouygues Telecom et Orange, retenus dans le cadre du marché public lancé par le ministère de l'intérieur pour la couverture radio de ce réseau pour la France métropolitaine.
Compte tenu des missions d'intérêt général poursuivies par l'ACMOSS et afin d'accroitre la disponibilité géographique du service ainsi que son niveau de résilience, l'article L. 34-16 du CPCE prévoit :
- pour les opérateurs retenus dans le cadre du marché public (1), une obligation de faire droit, en cas de congestion, aux demandes d'accès prioritaires à leurs réseaux de l'ACMOSS ;
- pour l'ensemble des opérateurs de réseaux mobiles :
- l'obligation de garantir la continuité et la permanence des communications mobiles critiques à très haut débit destinées à des missions de sécurité et de secours, de protection des populations et de gestion des crises et des catastrophes ;
- l'obligation de faire droit aux demandes de l'ACMOSS d'itinérance (2) sur leurs réseaux. Cette prestation d'itinérance fait l'objet d'une convention qui en détermine les conditions techniques et tarifaires et qui est communiquée à l'ARCEP. Les différends relatifs à ces conditions pourront être soumis à l'ARCEP dans les conditions de l'article L. 36-8 du CPCE ;
- pour les opérateurs de réseaux mobiles qui n'ont pas été retenus dans le cadre du marché public (3), une compensation des investissements identifiables et spécifiques mis en œuvre dans le cadre des demandes d'itinérance de l'ACMOSS sur leurs réseaux.
Le projet de décret en Conseil d'Etat, qui fait l'objet de la présente saisine, détermine ainsi ces modalités de compensation.
L'article 1er du projet de décret introduit un nouvel article R. 20-29-35 dans le code des postes et des communications électroniques :
- le I de cet article rappelle l'obligation prévue par le I de l'article L. 34-16 pour les opérateurs de faire droit aux demandes d'itinérance de l'agence ;
- le II de cet article indique que les investissements identifiables et spécifiques mis en œuvre par les opérateurs à la demande de l'Etat font l'objet d'une compensation, à l'exception des cas où les prestations d'itinérance font l'objet d'un marché public ;
- le III de cet article garantit à l'opérateur une juste rémunération qui correspond à la couverture, d'une part, des coûts spécifiques exposés pour les études, l'ingénierie, la conception et le déploiement des systèmes nécessaires à la mise en œuvre de l'itinérance et, d'autre part, des coûts spécifiques liés au maintien en conditions opérationnelles et, le cas échéant, à la location des moyens permettant le fonctionnement des systèmes nécessaire à la mise en œuvre de l'itinérance ;
- le IV de cet article soumet à validation préalable par le ministère chargé des communications électroniques, après avis de l'ACMOSS, les choix techniques opérés par l'opérateur après échange avec le ministre chargé des communications électroniques. Il précise qu'une convention conclue entre le ministre, l'ACMOSS et l'opérateur détermine les modalités de paiement de la juste rémunération.
3. Observations de l'ARCEP
Le III du projet de nouvel article R. 20-29-35 du CPCE prévoit que les investissements et les coûts d'exploitation des « systèmes nécessaires à la mise en œuvre de l'itinérance » feront l'objet de la compensation financière prévue au III de l'article L. 34-16 du CPCE. Il n'inclut pas dans le périmètre de cette compensation financière la rémunération de l'utilisation des réseaux existants des opérateurs pour la fourniture des prestations d'itinérance.
Or, en fonction des usages qui seront faits de cette itinérance, il pourrait en résulter, pour les opérateurs concernés, des contraintes sur le dimensionnement de leurs réseaux ainsi que des coûts d'exploitation additionnels.
L'Autorité souligne ainsi l'importance que les coûts liés au trafic généré par les utilisateurs du RRF sur le réseau des opérateurs dans le cadre de la fourniture de la prestation d'itinérance soient également pris en compte. A cet égard, le règlement Roaming qui fixe des plafonds de gros pour l'itinérance au sein de l'Union européenne pourrait constituer une référence utile.
Le projet de décret n'appelle pas d'autres observations de la part de l'Autorité.
Le présent avis sera transmis à la directrice des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'intérieur et des outre-mer et sera publié au Journal officiel de la République française.