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Article AUTONOME (Décision n° 2024-073 du 15 octobre 2024 portant règlement du différend opposant Myzee Technology à Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités concernant la délivrance des titres des services de transport en commun du réseau TBM)

Article AUTONOME (Décision n° 2024-073 du 15 octobre 2024 portant règlement du différend opposant Myzee Technology à Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités concernant la délivrance des titres des services de transport en commun du réseau TBM)


SOMMAIRE


1. CADRE JURIDIQUE APPLICABLE AUX SERVICES NUMÉRIQUES MULTIMODAUX
1.1. Le cadre juridique résultant des articles L. 1115-10 à L. 1115-12 du code des transports
1.1.1. La notion de service numérique multimodal
1.1.2. Le droit des fournisseurs de services numériques multimodaux de délivrer les produits tarifaires de certains services de mobilité et l'obligation des gestionnaires de ces services de fournir un accès à leur(s) service(s) numérique(s) de vente
1.1.3. Les obligations incombant aux services numériques multimodaux
1.1.4. Le contrat conclu entre le fournisseur du service numérique multimodal et les gestionnaires des services de mobilité dont il assure la vente
1.2. Le pouvoir de règlement de différend de l'Autorité
2. FAITS ET PROCÉDURE
2.1. Faits
2.1.1. Les parties
2.1.2. Les faits à l'origine du litige
2.2. Procédure
2.2.1. La saisine de l'Autorité
2.2.2. L'instruction
3. DISCUSSION
3.1. Sur la recevabilité de la saisine de Myzee Technology
3.1.1. Sur la qualification de Myzee Technology en tant que « fournisseur de service numérique multimodal »
3.1.2. Sur l'existence « d'un différend portant sur la mise en œuvre des (…) articles L. 1115-10 à L. 1115-12 » du code des transports
3.2. Sur la demande de Myzee Technology tendant à la négociation et à la conclusion d'un contrat lui permettant, en tant que fournisseur de service numérique multimodal, de délivrer les produits tarifaires des services de transport en commun du réseau TBM
3.2.1. Sur les conditions liées au gestionnaire des services de mobilité
3.2.2. Sur la possibilité, pour un fournisseur de service numérique multimodal, de négocier et de conclure le contrat prévu au III de l'article L. 1115-10 du code des transports sans qu'il ait à justifier au préalable du respect des obligations pesant sur les fournisseurs de services numériques multimodaux
3.2.3. Sur les mesures devant être prononcées afin de régler le différend


1. CADRE JURIDIQUE APPLICABLE AUX SERVICES NUMÉRIQUES MULTIMODAUX


1. L'article 28 de la loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d'orientation des mobilités (2) a inséré dans le code des transports une nouvelle section intitulée « Services d'information et de billettique multimodales », constituée notamment des articles L. 1115-10 à L. 1115-12 relatifs aux « services numériques multimodaux ». Les conditions d'application de ces articles ont été codifiées aux articles R. 1115-12 à R. 1115-17 du code des transports.


1.1. Le cadre juridique résultant des articles L. 1115-10 à L. 1115-12 du code des transports
1.1.1. La notion de service numérique multimodal


2. Aux termes du I de l'article L. 1115-10 du code des transports, « [u]n service numérique multimodal est un service numérique qui permet la vente de services de mobilité, de stationnement ou de services fournis par une centrale de réservation ».
3. Un service numérique multimodal peut effectuer deux types de prestations :


- assurer « [l]a délivrance des produits tarifaires (3) » des services de mobilité, de stationnement ou de services fournis par une centrale de réservation (ci-après, ensemble, les « services de mobilité »), « en appliquant leurs conditions d'utilisation, de tarification et de réservation » (1° du I de l'article L. 1115-10 précité) ;
- assurer, « [s]ous réserve de l'accord de l'autorité organisatrice compétente ou du fournisseur du service, la revente desdits services au prix qu'il fixe ainsi que la vente de ses propres produits tarifaires » (2° du I de l'article L. 1115-10 précité).


4. Un service numérique multimodal peut notamment être fourni par les autorités organisatrices de la mobilité (ci-après « AOM ») (article L. 1115-12 du code des transports).


1.1.2. Le droit des fournisseurs de services numériques multimodaux de délivrer les produits tarifaires de certains services de mobilité et l'obligation des gestionnaires de ces services de fournir un accès à leur(s) service(s) numérique(s) de vente


5. Aux termes du I de l'article L. 1115-11 du code des transports, le fournisseur d'un service numérique multimodal peut, de droit, effectuer la délivrance des produits tarifaires de certains services de mobilité, énumérés limitativement aux points 1° à 6°.
6. Sont notamment visés au point 1° les services réguliers de transport public de personnes (4), les services à la demande de transport public de personnes, les services relatifs aux mobilités actives, les services relatifs aux usages partagés de véhicules terrestres à moteur et les services de stationnement que les AOM (5), les collectivités territoriales et leurs groupements organisent (6).
7. Pour pouvoir délivrer aux usagers des produits tarifaires afférents à des services de mobilité, les fournisseurs de services numériques multimodaux doivent, en pratique, accéder aux services numériques de vente de leurs gestionnaires.
8. Le droit de délivrance dont disposent les fournisseurs de services numériques multimodaux se traduit ainsi, corrélativement, par l'obligation imposée aux gestionnaires des services de mobilité de mettre à leur disposition « une interface permettant l'accès de l'usager à leur service numérique de vente » (II de l'article L. 1115-11) (7).
9. Cette obligation s'impose aux gestionnaires de services de mobilité lorsqu'ils remplissent les deux conditions cumulatives suivantes :


- d'une part, ils disposent d'ores et déjà d'un service numérique de vente (II de l'article L. 1115-11) (8) ;
- d'autre part, le chiffre d'affaires et la durée d'existence de la société gestionnaire ou, le cas échéant, de la société qui en assure le contrôle au sens de l'article L.233-3 du code de commerce, sont respectivement supérieurs à 5 000 000 d'euros et à trois ans (III de l'article L. 1115-11 et article R. 1115-12 du code des transports).


1.1.3. Les obligations incombant aux services numériques multimodaux


10. Le II de l'article L. 1115-10 du code des transports prévoit qu'un service numérique multimodal est tenu de respecter trois types d'obligations.


a) Obligations relatives à la sélection des services de mobilité dont un service numérique multimodal assure la vente :


11. D'une part, lorsqu'un service numérique multimodal propose la vente d'un service de mobilité organisé par une AOM, une collectivité territoriale ou leurs groupements, il doit proposer la vente de l'ensemble des services de mobilité, pour chacune des catégories de services dont il assure la vente, que l'autorité compétente organise ou au développement desquels elle contribue (1° du II de l'article L. 1115-10 précité).
12. Ces catégories de services sont celles visées au point 1° du I de l'article L. 1115-11 du code des transports et mentionnées au point 6 de la présente décision.
13. D'autre part, sur le territoire qu'il couvre, pour chacune des catégories de services dont il assure la vente, le service numérique multimodal doit sélectionner de façon non discriminatoire les services de mobilité suivants (2° du II de l'article L. 1115-10 précité) :


(i) les services de transport ferroviaire librement organisés, les services de transport public routier réguliers interurbains librement organisés, ainsi que les services de transport maritime réguliers privés pour la desserte des îles françaises faisant l'objet d'obligations de service public, lorsque le point d'origine et la destination finale sont situés dans le ressort territorial d'une région ou distants de moins de cent kilomètres et situés dans le ressort territorial de deux régions limitrophes ;
(ii) les services de partage de véhicules, cycles et engins permettant le déplacement de personnes, autres que ceux organisés par les AOM, les collectivités territoriales et leurs groupements (c'est-à-dire ceux relevant de l'initiative privée), lorsque le véhicule, le cycle ou l'engin n'est pas fourni par une personne physique.
b) Obligations relatives à la relation avec les gestionnaires des services de mobilité dont il assure la vente :


14. D'une part, le fournisseur de service numérique multimodal a l'obligation de transmettre aux gestionnaires des services de mobilité dont il assure la vente et, le cas échéant, à la collectivité territoriale compétente, les données nécessaires (i) à la connaissance statistique des déplacements effectués, (ii) au service après-vente des produits tarifaires vendus et (iii) à la lutte contre la fraude, y compris les données d'identification du client collectées par le service numérique multimodal (3° du II de l'article L. 1115-10 précité) (9).
15. D'autre part, il doit établir un plan de gestion des informations confidentielles concernant les services dont il assure la vente (4° du II de l'article L. 1115-10 précité). Ce plan garantit que le fournisseur d'un service concurrent ne peut avoir connaissance des informations protégées par le secret des affaires.
16. Enfin, lorsqu'il perçoit le produit des ventes, le service numérique multimodal doit justifier auprès du gestionnaire des services de mobilité dont il assure la vente d'une garantie financière (IV de l'article L. 1115-10 et article R. 1115-13 du code des transports).


c) Obligations relatives à la relation avec les usagers :


17. D'une part, le fournisseur de service numérique multimodal doit mettre en place un processus d'achat assurant l'information sur les services de mobilité dont il assure la vente ainsi que la simplicité d'utilisation et la qualité du service numérique multimodal pour l'usager (5° du II de l'article L. 1115-10 précité).
18. D'autre part, les solutions de déplacement proposées en réponse à la requête de l'usager doivent être présentées de manière claire et insusceptible de l'induire en erreur. Les critères utilisés pour la sélection et le classement de ces solutions, y compris les critères directement ou indirectement liés au profil de l'usager, doivent être explicites et aisément identifiables par l'usager. Ces critères doivent être appliqués de façon non discriminatoire à tous les services dont le service numérique multimodal assure la vente (6° du II de l'article L. 1115-10 précité).


1.1.4. Le contrat conclu entre le fournisseur du service numérique multimodal et les gestionnaires des services de mobilité dont il assure la vente


19. Aux termes du III de l'article L. 1115-10 du code des transports, « (…), la vente des produits tarifaires des services (…) est effectuée selon des modalités techniques et financières définies par un contrat conclu entre le fournisseur du service numérique multimodal et le gestionnaire de chacun des services. Ses conditions sont raisonnables, équitables, transparentes et proportionnées ».
20. Ce contrat doit notamment traiter du plan de gestion des informations couvertes par le secret des affaires mentionné au 4° du II de l'article L. 1115-10 précité, ainsi que des modalités de présentation de la marque du gestionnaire de services par le service numérique multimodal (III de l'article L. 1115-10 du code des transports). Dans le cadre de ce contrat, le gestionnaire des services de mobilité peut demander au fournisseur du service numérique multimodal une compensation financière, raisonnable et proportionnée, des dépenses encourues pour la fourniture d'une interface permettant l'accès de l'usager à son service numérique de vente (II de l'article L. 1115-11 du code des transports).


1.2. Le pouvoir de règlement de différend de l'Autorité


21. L'article L. 1263-5 du code des transports dispose notamment que :


« Les autorités organisatrices de la mobilité, les collectivités territoriales et leurs groupements, les gestionnaires des services de mobilité et de stationnement, les centrales de réservation au sens de l'article L. 3142-1, les services de mise en relation facilitant la pratique du covoiturage et les fournisseurs de services numériques multimodaux mentionnés aux articles L. 1115-10 à L. 1115-12 peuvent saisir l'Autorité de régulation des transports d'un différend portant sur la mise en œuvre des mêmes articles L. 1115-10 à L. 1115-12.
La décision de l'autorité, qui peut être assortie d'astreintes, précise les conditions d'ordre technique et financier de règlement du différend dans le délai qu'elle accorde. Lorsque cela est nécessaire, elle fixe, de manière objective, transparente, non discriminatoire et proportionnée, les modalités d'accès aux services de vente ainsi que les obligations applicables au service numérique multimodal. Cette décision est notifiée aux parties et est publiée au Journal officiel, sous réserve des secrets protégés par la loi. (…).
Lorsque le différend concerne une partie au titre des activités qu'elle exerce en tant que cocontractant d'une autorité organisatrice de la mobilité, d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales, cette autorité, cette collectivité ou ce groupement a la qualité de partie devant l'Autorité de régulation des transports (…) ».


2. FAITS ET PROCÉDURE
2.1. Faits
2.1.1. Les parties


a) Myzee Technology :


22. Le 1er mars 2024, la société Myzee Technology, société par actions simplifiée au capital de 3 696 euros, a saisi l'Autorité d'une demande de règlement du différend l'opposant à Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités concernant la possibilité de distribuer numériquement aux usagers, en tant que « fournisseur de service numérique multimodal », des titres dématérialisés des services de transport en commun du réseau TBM, fondée sur l'article L. 1263-5 du code des transports (10).
23. Myzee Technology indique, dans sa saisine, être « née en 2015 de l'ambition de percer dans le monde de la Tech, en produisant des services numériques innovants de pointe, dont la valeur ajoutée est à la fois sociétale et environnementale ».
24. Elle se présente comme étant « au départ une entreprise spécialisée dans le développement de logiciels applicatifs dédiés à l'achat et à la validation de titres de transport sur smartphone » (11).
25. Myzee Technology a développé « Witick », une application mobile gratuite permettant aux usagers d'acheter et de valider des titres de transport dématérialisés à partir de n'importe quel téléphone mobile disposant d'une connexion internet. Cette application permet à ce jour aux usagers d'acheter des titres des réseaux de transport en commun de l'agglomération du Havre (réseau LiA), ainsi que pour les navettes assurant les trajets vers l'île aux Moines (Izenah croisières). Elle a précédemment assuré la distribution des titres des réseaux de transports en commun pour l'agglomération de Brive-la-Gaillarde et pour Bordeaux Métropole.


b) Bordeaux Métropole :


26. Bordeaux Métropole est, en vertu de l'article L. 1231-1 du code des transports, une autorité organisatrice de la mobilité dans son ressort territorial.
27. Aux termes de l'article L. 1231-1-1 dudit code, elle est ainsi compétente pour organiser, notamment, des services réguliers de transport public de personnes, plus communément désignés par les termes de transports en commun (notamment les services de bus pour les lignes urbaines, d'autocars pour les lignes interurbaines, de tramways et de trolleys, de navettes fluviales et maritimes, de bacs).
28. Par un contrat de concession conclu le 1er août 2022, Bordeaux Métropole a confié l'exploitation du service de transport public urbain de voyageurs et de services de mobilités durables de Bordeaux Métropole à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités.


c) Keolis Bordeaux Métropole Mobilités :


29. Keolis Bordeaux Métropole Mobilités est une filiale du groupe Keolis, dédiée au transport public de voyageurs à Bordeaux.
30. Les missions dévolues à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités au titre du contrat susmentionné incluent l'exploitation du réseau TBM et la gestion des relations avec les usagers, comprenant notamment la délivrance des titres de transports et l'instruction de demandes d'abonnement.


2.1.2. Les faits à l'origine du litige


31. Par un courrier adressé par lettre recommandée avec accusé de réception à Bordeaux Métropole en date du 5 avril 2023, dont l'objet était intitulé « Demande d'autorisation pour revendre les titres de transports en commun de Bordeaux Métropole en tant que fournisseur de service numérique multimodal », Myzee Technology a exprimé son souhait de « vendre les titres de transport en commun numériques de Bordeaux Métropole en tant que fournisseur de service numérique multimodal au sens de l'article 28 de la Loi d'Orientation des Mobilités ». Elle a indiqué se tenir à la disposition de Bordeaux Métropole « pour poursuivre toutes les démarches nécessaires à l'établissement d'une telle autorisation de vente ».
32. Par un courrier adressé à Myzee Technology en date du 21 juillet 2023, Bordeaux Métropole a indiqué son « intention de permettre l'arrivée de nouveaux fournisseurs de services et prestataires permettant la vente de titres multimodaux », et a confirmé « l'accord de la Métropole [pour qu'elle puisse] vendre les titres de transport en commun numérique de Bordeaux Métropole en tant que fournisseur de service numérique multimodal comme le prévoit la loi depuis le 1er juillet 2021 et sous réserve des conditions précisées par les documents réglementaires et législatifs afférents », en précisant que l'objectif était « d'élaborer une convention tripartite, Bordeaux Métropole, Transports Bordeaux Métropole et les entreprises ».
33. Par un courrier adressé à Bordeaux Métropole en date du 3 octobre 2023, Myzee Technology a réaffirmé son positionnement « comme fournisseur de service numérique multimodal au sens du 1° de l'article L. 1115-10.-I. », et a demandé « à distribuer les titres de transports TBM sans percevoir directement les produits des ventes et en étant rémunérés par une commission dégressive sur le volume d'affaires apporté - comme cela est par ailleurs l'usage dans la distribution d'autres titres de transports, afin de préserver un modèle économique sain, dans le respect de l'article L. 1115-10.-III qui prévoit des conditions contractuelles raisonnables, équitables, transparentes et proportionnées ».
34. En l'absence de réponse écrite de Bordeaux Métropole, Myzee Technology a effectué deux relances auprès de Bordeaux Métropole, une par voie d'avocat, par courrier en date du 2 novembre 2023 précisant notamment que « sans réponse de [la part de Bordeaux Métropole] avant le 2 décembre 2023, [l'avocat de Myzee Technology a] pour instruction de saisir l'Autorité de régulation des transports, dans le cadre de la procédure de règlement des litiges prévu à l'article L. 1265-5 du code des transports », et une par courriel en date du 23 novembre 2023.
35. Par un courrier adressé à Myzee Technology en date du 6 décembre 2023, Bordeaux Métropole a proposé à Myzee Technology de solliciter Keolis Bordeaux Métropole Mobilités « en sa qualité de gestionnaire de ces services, pour effectuer la distribution des titres de transport ». Elle indiquait qu'« un accord de commercialisation pourra être passé avec lui, qui est seul en mesure de définir une éventuelle commission à votre crédit ».
36. Par un courrier adressé par lettre recommandée avec accusé de réception à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités en date du 13 novembre 2023, dont l'objet était intitulé « Demande d'établissement d'un contrat de distribution des titres de transports en commun TBM dans le cadre de la Loi d'Orientation des Mobilités », Myzee Technology a également exprimé son souhait d'« effectuer la délivrance des titres de transports en commun dématérialisés sur le périmètre de Bordeaux Métropole, en tant que fournisseur de service numérique multimodal au sens du 1° de l'article L. 1115-10-I du code des transports ».
37. Elle a ajouté : « Nous vous demandons par la présente de bien vouloir nous fournir un contrat dont les conditions techniques et financières soient raisonnables, équitables, transparentes et proportionnées, dans le respect de l'article L. 1115-10.-III. du code des transports.
38. Sur le plan technique, nous sommes prêts à intégrer la solution technique que vous nous indiquerez (NFC, QR code, Bluetooth, etc.).
39. Sur le plan financier, bien qu'ayant un modèle économique fondé sur la commission (comme des dépositaires classiques), nous restons ouverts à d'autres propositions rémunératrices.
40. Nous nous tenons à votre disposition pour échanger sur notre demande de rentrer en négociation contractuelle dès à présent pour pouvoir signer un contrat respectant pleinement l'esprit de la Loi d'Orientation des Mobilités dès que possible.
41. Par un courrier adressé à Myzee Technology en date du 29 novembre 2023, Keolis Bordeaux Métropole Mobilités a répondu qu'elle ne pouvait pas « répondre favorablement à [sa] demande d'établissement d'un contrant de distribution », considérant que « [Myzee Technology ne répond] pas aux critères d'éligibilité du SNM, puisque [sa] solution ne respecte pas toutes les obligations légales, notamment celle concernant la “Proposition de solutions de déplacements en réponse aux requêtes usagers qui doivent permettre à ces derniers d'éviter toute erreur” ».
42. Par un courrier adressé à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités en date du 13 décembre 2023, Myzee Technology a notamment répondu que « l'obligation légale de donner une suite favorable à [sa] demande d'établir un contrat bilatéral de distribution numérique est fixée par l'article L. 1115-11-II du code des transports », et que « sans réponse favorable de [sa] part d'ici le 20 décembre 2023 pour signer un contrat prévoyant des conditions techniques et financières raisonnables, équitables, transparentes et proportionnées (…), [Myzee Techonology n'aurait] plus d'autre choix que de saisir l'Autorité de Régulation des transports, pour le règlement du différend (…) ».
43. Par un courrier adressé à Myzee Technology en date du 18 décembre 2023, Keolis Bordeaux Métropole Mobilités a demandé par ailleurs à Myzee Technology « de bien vouloir [lui] confirmer le respect des obligations prévues au point II de l'article L. 1115-10 du code des transports et [son] intérêt pour devenir FSNM du réseau TBM dans les conditions préétablies », en précisant que « la Loi d'Orientation des Mobilités n'impose pas de rémunération des FSNM » et que « le contrat de délégation de service public signé par KB2M avec Bordeaux Métropole ne le prévoit pas non plus, et ne présente selon [Keolis Bordeaux Métropole Mobilités] pas de pertinence stratégique, le réseau TBM disposant déjà d'un service de paiement dématérialisé proposé sur son application ». Keolis Bordeaux Métropole Mobilités a néanmoins conclu que : « dès votre confirmation, nous lancerons les démarches techniques vous permettant un accès à notre plateforme et procéderons à la conclusion d'un contrat ».
44. Par un courrier adressé par lettre recommandée avec accusé de réception à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités en date du 22 décembre 2023, Myzee Technology a notamment indiqué qu'elle n'avait « plus d'autre choix que de saisir l'Autorité de Régulation des Transports du différend (…) ».


2.2. Procédure
2.2.1. La saisine de l'Autorité


45. Au terme des échanges rappelés ci-dessus, le 1er mars 2024, la saisissante a saisi l'Autorité, sur le fondement de l'article L. 1263-5 du code des transports, d'une demande en règlement de différend.
46. Dans sa saisine, la saisissante a demandé à l'Autorité de « bien vouloir :


A titre principal :
1. Enjoindre à l'Établissement public intercommunal BORDEAUX MÉTROPOLE, à la S.A. KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE et à la S.A. KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE MOBILITÉS, de reconnaître formellement le statut de S.N.M. de la S.A.S. MYZEE TECHNOLOGY, depuis l'entrée en vigueur du Décret n° 2021-1595 du 7 décembre 2021 relatif au service numérique d'information et de billettique multimodal.
2. Enjoindre à la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE et à la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE MOBILITÉS, ou à l'une à défaut de l'autre, de remettre à la Société MYZEE TECHNOLOGY, un contrat de fournisseur de service numérique multimodal conforme à celui conclu avec MYZEE TECHNOLOGY en 2019, prévoyant notamment une rémunération du service de la Société MYZEE TECHNOLOGY d'au minimum 4,5 % HT du montant HT des transactions opérées dans le périmètre via l'application WITICK, et ce pour le reste de la durée de la délégation de service public de transports actuellement consentie par BORDEAUX MÉTROPOLE (soit jusqu'au 31 décembre 2030).
3. Assortir la décision à intervenir du prononcé d'une ou plusieurs astreintes (provisoires ou définitives) à l'encontre de l'Établissement public intercommunal BORDEAUX MÉTROPOLE, de la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE et de la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE MOBILITÉS, pour assurer un caractère effectif de la décision à intervenir ;
4. Fixer le montant de toute astreinte à l'encontre de l'Établissement public intercommunal BORDEAUX MÉTROPOLE, de la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE et de la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE MOBILITÉS, à un montant qui ne saurait être inférieur à 2 000 € par jour, passé un délai de trois semaines après la notification de la décision à intervenir ;
5. Se réserver la liquidation de toute astreinte provisoire prononcée, ou à défaut, désigner le juge de l'exécution territorialement compétent pour procéder à cette liquidation.
Subsidiairement, fixer un calendrier pour rendre effective la décision à intervenir, après avoir statué sur l'éligibilité de MYZEE TECHNOLOGY en tant que SNM au sens de l'article L. 1115-10-I (1°) du code des transports depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2021-1595 du 7 décembre 2021 relatif au service numérique d'information et de billettique multimodal, en ce qu'elle pourrait prévoir de :
1. Mettre en mesure l'Établissement public intercommunal BORDEAUX MÉTROPOLE de délibérer sur l'ordre du jour du prochain Conseil de Métropole incluant une résolution propre à reconnaître formellement le statut de S.N.M. au sens de l'article L 1115-10-I (1°) du code des transports accordé à la SAS MYZEE TECHNOLOGY depuis l'entrée en vigueur du décret n° 2021-1595 du 7 décembre 2021 relatif au service numérique d'information et de billettique multimodal ;
2. Impartir un délai de deux mois à compter du prononcé de la décision à intervenir à la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE et à la SA KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE MOBILITÉS, ou à l'une à défaut de l'autre, pour remettre à la SAS MYZEE TECHNOLOGY un projet de contrat de fournisseur de service numérique multimodal conforme à celui conclu avec MYZEE TECHNOLOGY en 2019, prévoyant notamment une rémunération du service de la société MYZEE TECHNOLOGY d'au minimum 4,5 % HT du montant HT des transactions opérées dans le périmètre via l'application WITICK, et ce pour le reste de la durée de la délégation de service public de transports actuellement consentie par BORDEAUX MÉTROPOLE (soit jusqu'au 31 décembre 2030), et en négocier les termes pour éventuellement l'adapter aux dispositions des articles L. 1115-10 à L. 1115-11 du code des transports ;
3. Fixer une date limite de signature dudit contrat finalisé entre les parties ; Et, dans ce cadre, autoriser les parties à en référer à nouveau à l'Autorité de régulation des transports, en cas de difficulté d'exécution de la décision à intervenir.


2.2.2. L'instruction


47. Par courrier en date du 12 mars 2024, l'Autorité a informé la saisissante de la désignation du rapporteur en charge de l'instruction de sa demande et du calendrier prévisionnel fixant les dates limites de réception de ses écritures et de clôture de l'instruction.


Par courrier daté du même jour, l'Autorité a transmis la demande de la saisissante à Bordeaux Métropole, Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités.


48. Par courriel du service de la procédure de l'Autorité du 19 mars 2024, le rapporteur a adressé une première mesure d'instruction à la saisissante, à laquelle celle-ci a répondu le 2 avril 2024.


Cette réponse a été communiquée par l'Autorité à Bordeaux Métropole, Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités le 23 avril 2024.


49. Par courriel du service de la procédure de l'Autorité du 19 mars 2024, le rapporteur a adressé une première mesure d'instruction à Bordeaux Métropole, à laquelle celle-ci a répondu le 23 avril 2024.


Cette réponse a été communiquée par l'Autorité à la saisissante le 24 avril 2024 et à Keolis Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités le 23 avril 2024.


50. Par courriel du service de la procédure de l'Autorité du 19 mars 2024, le rapporteur a adressé une première mesure d'instruction à Keolis Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, à laquelle celles-ci ont répondu le 11 avril 2024.


Cette réponse a été communiquée par l'Autorité à la saisissante le 17 avril 2024 et à Bordeaux Métropole le 23 avril 2024.


51. Par courriel du 11 avril 2024, Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités ont transmis à l'Autorité leurs observations en réponse n° 1 à la demande formulée par la saisissante.


Ces observations en réponse ont été communiquées par l'Autorité à la saisissante le 17 avril 2024 et à Bordeaux Métropole le 23 avril 2024.


52. Par courriel du 12 avril 2024, Bordeaux Métropole a transmis à l'Autorité ses observations en réponse n° 1 à la demande formulée par la saisissante.


Ces observations en réponse ont été communiquées par l'Autorité à la saisissante le 17 avril 2024 et à Keolis Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités le 23 avril 2024.


53. Par courriel du 13 mai 2024, la saisissante a transmis à l'Autorité ses observations en réplique n° 1, par lesquelles celle-ci entendait faire part de ses remarques sur les observations en réponse n° 1 de Bordeaux Métropole et de Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités.


Ces observations en réplique n° 1 ont été communiquées par l'Autorité à Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités le 17 mai 2024.


54. Par courriel du 7 juin 2024, Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités ont transmis à l'Autorité leurs observations en réponse n° 2 à la demande formulée par la saisissante.


Ces observations en réponse ont été communiquées par l'Autorité à la saisissante le 17 juin 2024 et à Bordeaux Métropole le 27 juin 2024.


55. Par courriel du 13 juin 2024, Bordeaux Métropole a transmis à l'Autorité ses observations en réponse n° 2 à la demande formulée par la saisissante.


Ces observations en réponse ont été communiquées par l'Autorité à la saisissante le 17 juin 2024 et à Keolis Bordeaux Métropole et à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités le 26 juin 2024.


56. Par courriel du service de la procédure de l'Autorité du 19 juin 2024, le rapporteur a adressé une seconde mesure d'instruction à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, à laquelle celle-ci a répondu le 24 juin 2024.


Cette répondu a été communiquée par l'Autorité a la saisissante et à Bordeaux Métropole le 26 juin 2024.


57. Par courriel du service de la procédure du 3 septembre 2024, les parties ont reçu leur convocation à la séance publique devant le collège de l'Autorité du 12 septembre 2024.
58. En application des dispositions de l'article 31 du règlement intérieur de l'Autorité, l'instruction a été close cinq jours ouvrés avant la date de cette séance.
59. Par courriel du 6 septembre 2024, la saisissante a formulé une demande de communication du sens des conclusions du rapporteur.
60. Par courriel du service de la procédure de l'Autorité du 10 septembre 2024, le rapporteur a adressé le sens de ses conclusions à Bordeaux Métropole, Keolis Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités.
61. Par courriel du 17 septembre 2024, Bordeaux Métropole a transmis à l'Autorité une note en délibéré.


3. DISCUSSION


62. Dans la présente partie, l'Autorité se prononcera successivement sur :


- la recevabilité de la demande de règlement de différend dont elle a été saisie par Myzee Technology (3.1) ;
- le bien-fondé de la demande de Myzee Technology tendant à la négociation et à la conclusion d'un contrat lui permettant, en tant que fournisseur de service numérique multimodal, de délivrer les produits tarifaires des services de transport en commun du réseau TBM (3.2).


3.1. Sur la recevabilité de la saisine de Myzee Technology


63. La compétence de l'Autorité dans le cas d'espèce est fondée sur l'article L. 1263-5 du code des transports. Celui-ci dispose que l'Autorité de régulation des transports peut être saisie :


- par une AOM, une collectivité territoriale ou l'un de leurs groupements, un gestionnaire de services de mobilité et de stationnement, une centrale de réservation au sens de l'article L. 3142-1 du code des transports, un service de mise en relation facilitant la pratique du covoiturage ou un « fournisseur de service numérique multimodal » ;
- d'un « différend portant sur la mise en œuvre des (…) articles L. 1115-10 à L. 1115-12 » du code des transports.


3.1.1. Sur la qualification de Myzee Technology en tant que « fournisseur de service numérique multimodal »


64. De la qualification de Myzee Technology en tant que « fournisseur de service numérique multimodal » dépend la recevabilité de la saisine de l'Autorité en règlement de différend fondée sur l'article L. 1263-5 du code des transports, mais également le droit pour l'auteur de la saisine d'accéder au(x) service(s) numérique(s) de vente des gestionnaires des services de transport en commun dont elle souhaite distribuer les titres (12).


a) Arguments des parties :


65. Dans ses observations en défense, Keolis Bordeaux Métropole Mobilités soutient qu'afin de pouvoir qualifier de service numérique multimodal l'offre de Myzee Technology, celle-ci est tenue de justifier, au préalable, du respect des conditions pesant sur les fournisseurs de services numériques multimodaux fixées au II de l'article L. 1115-10 du code des transports (13). Elle soutient en outre qu'en l'absence d'une telle justification, Myzee Technology ne devrait pas pouvoir être qualifiée de fournisseur de service numérique multimodal.
66. Myzee Technology soutient, à l'appui des stipulations du projet de contrat annexé à sa saisine, (i) qu'elle est capable de répondre aux obligations prévues au II de l'article L. 1115-10 du code des transports - et que ce projet de contrat est flexible et adaptable -, (ii) qu'en tout état de cause, il n'est pas nécessaire de justifier en amont de sa négociation du respect desdites obligations pour être qualifiée de service numérique multimodal.


b) Analyse de l'Autorité :


67. Il ressort du I de l'article L. 1115-10 du code des transports que la qualification de « service numérique multimodal » repose sur un seul critère, à savoir que le service numérique « permet[te] la vente » de services de mobilité. Ces dispositions ne conditionnent pas la reconnaissance de cette qualification à la démonstration préalable (i) que le fournisseur du service numérique respecte ou respectera les obligations qui lui incombent en vertu du II de l'article L. 1115-10 du code des transports, (ii) que le service numérique comprend une fonctionnalité de calculateur d'itinéraire proposant différentes solutions de déplacement aux usagers en réponse à une requête formulée pour un itinéraire d'un point A à un point B et/ou (iii) que le service numérique couvre plusieurs modes de transport. A cet égard, il ne saurait être déduit des dispositions du 6° du II de l'article L. 1115-10 du code des transports, imposant aux services numériques multimodaux l'obligation de présenter « les solutions de déplacement proposées en réponse à la requête de l'usager (…) de manière claire et insusceptible de l'induire en erreur » et d'utiliser « pour la sélection et le classement de ces solutions » des critères « explicites et aisément identifiables par l'usager », que la notion de service numérique multimodal, dont la définition se déduit exclusivement du I de cet article, inclut nécessairement la fonctionnalité de calcul d'itinéraire dans sa définition.
68. Ainsi, en ce qu'il permet la vente de services de mobilité, de stationnement ou de services fournis par une centrale de réservation, le service numérique multimodal constitue la brique billettique de « services numériques de mobilité » (14), ces derniers pouvant assurer de plus larges fonctionnalités (15), de nature à permettre à leurs utilisateurs, via une plateforme mobile ou internet, de bénéficier :


- d'une information sur les caractéristiques des transports (individuels ou collectifs, publics ou privés) et services de mobilité (individuels ou combinés) disponibles pour un déplacement (fonctionnalité « service d'information multimodale ») ;
- de propositions de trajets multimodaux et multicritères (prix, temps de parcours, confort, impact environnemental, etc.) (fonctionnalité « calculateur d'itinéraire ») ; et
- des fonctionnalités de réservation et de paiement (du ou des modes de transport individuels ou combinés) pour la solution de déplacement choisie (fonctionnalité « service numérique multimodal »).


69. Quand ces différentes fonctionnalités sont associées au sein d'un même « service numérique de mobilité », celui-ci peut être qualifié de « Mobilité par association de services » (MAS ou Mobility as a Service [MaaS]).
70. En l'espèce, l'application mobile Witick, développée par Myzee Technology, bien que ne pouvant être qualifiée de MAS, constitue un service numérique multimodal au sens des dispositions précitées en ce qu'elle permet la vente numérique de titres de services de transport en commun.
71. Au regard de ces éléments, l'Autorité considère que Myzee Technology est un « fournisseur de service numérique multimodal » au sens de l'article L. 1263-5 du code des transports.


3.1.2. Sur l'existence « d'un différend portant sur la mise en œuvre des (…) articles L. 1115-10 à L. 1115-12 » du code des transports


72. Les éléments suivants ressortent des pièces du dossier.
73. En premier lieu, dans son courrier du 13 novembre 2023 cité au point 36 de la présente décision, Myzee Technology :


- a indiqué à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités qu'elle souhaitait « distribuer » des titres de transport en commun dématérialisés sur le périmètre d'Bordeaux Métropole, « en tant que fournisseur de service numérique multimodal au sens du 1° de l'article L. 1115-10-I du code des transports » ;
- lui a demandé d'établir « un contrat de distribution des titres de transport en commun [pour ce réseau] dans le cadre de la loi d'orientation des mobilités » et d'engager des discussions avec elle afin de finaliser et de signer ce contrat, et
- a précisé que « sans réponse favorable de [sa] part sous 2 mois, [elle] aurait la possibilité de saisir l'Autorité de régulation des transports dans le cadre d'une procédure de règlement des litiges prévue à l'article L. 1263.-5. du code des transports ». Cette demande a été réitérée dans un autre courrier de Myzee Technology adressé à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, en date du 13 décembre 2023, dans lequel elle indiquait que « sans réponse favorable d'ici le 20 décembre 2023 », elle allait saisir l'Autorité.


74. Myzee Technology a ainsi demandé, dans ces courriers, de manière explicite et non équivoque, à bénéficier de la mise en œuvre des articles L. 1115-10 et L. 1115-11 du code des transports, en particulier de la possibilité de délivrer, en tant que fournisseur de service numérique multimodal, des produits tarifaires afférents aux services de transport en commun organisés par Bordeaux Métropole et exploités par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités (16) et, en conséquence, de conclure un contrat à cette fin (17).
75. En second lieu, Keolis Bordeaux Métropole Mobilités a demandé en substance à Myzee Technology, par un courrier du 29 novembre 2023 et du 18 décembre 2023, cités respectivement aux points 41 et 43 de la présente décision, de lui confirmer qu'elle respectait les obligations prévues au point II de l'article L. 1115-10 du code des transports.
76. Cette position de la société délégataire traduit un refus d'accéder à la demande de Myzee Technology dès lors qu'elle conditionne l'entrée en négociation à la démonstration du respect des obligations fixées au II de l'article L. 1115-10 du code des transports, ce que conteste Myzee Technology dans son courrier du 13 décembre 2023 susmentionné.
77. Ces éléments révèlent l'existence d'un désaccord entre Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, « gestionnaire des services de mobilité » du réseau TBM comme exposé aux points 86 à 92 ci-après, d'une part, et Myzee Technology, d'autre part, quant au fait que Myzee Technology puisse bénéficier de la mise en œuvre des articles L. 1115-10 et L. 1115-11 du code des transports.
78. L'Autorité considère que ces éléments suffisent à caractériser l'existence, entre Myzee Technology et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, d'un différend au sens de l'article L. 1263-5 du code des transports.


79. Il résulte des paragraphes 3.1.1 et 3.1.2 que la saisine de Myzee Technology est recevable.


3.2. Sur la demande de Myzee Technology tendant à la négociation et à la conclusion d'un contrat lui permettant, en tant que fournisseur de service numérique multimodal, de délivrer les produits tarifaires des services de transport en commun du réseau TBM


80. Dans sa saisine, Myzee Technology demande à l'Autorité d'« enjoindre à la S.A. KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE et à la S.A. KEOLIS BORDEAUX MÉTROPOLE MOBILITÉS, ou à l'une à défaut de l'autre, de remettre à la Société MYZEE TECHNOLOGY, un contrat de fournisseur de service numérique multimodal (…) » (18).
81. L'appréciation de cette demande implique de déterminer si Myzee Technology est fondée à invoquer le bénéfice des dispositions des I et II de l'article L. 1115-11 du code des transports, prévoyant, respectivement, qu'un fournisseur de service numérique multimodal peut, de droit, effectuer la délivrance des produits tarifaires afférents notamment aux services réguliers de transport public de personnes (mentionnés au 1° du I de l'article L. 1115-11), et que, corrélativement, le gestionnaire de ces services, lorsqu'il dispose d'un service numérique de vente, est tenu de fournir au fournisseur de service numérique multimodal une interface permettant l'accès de l'usager à son service numérique de vente. Si une telle appréciation suppose avant tout de déterminer si Myzee Technology répond à la qualification de « fournisseur de service numérique multimodal » (19), elle suppose également de déterminer si les conditions attachées à l'accès dudit service au service numérique de vente du gestionnaire des services de mobilité visés par la demande sont satisfaites.
82. A cet égard :


- en premier lieu, l'application de l'article L. 1115-11 du code des transports étant subordonnée au respect de deux conditions relatives au gestionnaire des services de mobilité dont le fournisseur de service numérique multimodal souhaite assurer la vente, il y a lieu d'apprécier si ces deux conditions sont remplies en l'espèce (3.2.1.) ;
- en second lieu, cet argument étant soulevé par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, il y a lieu d'apprécier si Myzee Technology aurait dû, pour pouvoir invoquer auprès de cette dernière le bénéfice des dispositions précitées, démontrer au préalable qu'elle satisfait les obligations imposées aux fournisseurs de services numériques multimodaux aux termes du II de l'article L. 1115-10 du code des transports (3.2.2.).


3.2.1. Sur les conditions liées au gestionnaire des services de mobilité


83. D'une part, aux termes du II de l'article L. 1115-11 du code des transports, le I de cet article, accordant au fournisseur d'un service numérique multimodal la possibilité de droit de délivrer les produits tarifaires de certains services de mobilité, « s'applique aux seuls gestionnaires des services mentionnés au même I qui disposent d'un service numérique de vente. Dans ce cas, les gestionnaires des services sont tenus de fournir au service numérique multimodal une interface permettant l'accès de l'usager à leur service numérique de vente. (…) ».
84. D'autre part, aux termes du III de l'article L. 1115-11 du code des transports, « [u]n décret en Conseil d'Etat, pris après avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, précise les conditions d'application du présent article. Le présent article s'applique aux services mentionnés au I, lorsque le chiffre d'affaires et la durée d'existence de la société gestionnaire ou, le cas échéant, de la société qui en assure le contrôle au sens de l'article L. 233-3 du code de commerce sont supérieurs à des seuils fixés par ce même décret ». Aux termes de l'article R. 1115-12 du code des transports, « le chiffre d'affaires et la durée d'existence exigés par le III de l'article L. 1115-11 sont fixés, respectivement, à 5 000 000 euros et trois ans ».
85. L'appréciation du respect des conditions posées par ces dispositions quant au fait que le gestionnaire des services de mobilité « dispose d'un service numérique de vente » (b) et quant à l'atteinte des seuils susmentionnés (c) implique, au préalable, de déterminer quelle(s) personne(s) est(sont), en l'espèce, le(s) « gestionnaire[s] des services » de transport en commun du réseau TBM au sens de ces dispositions (a).


a) Sur la qualification de « gestionnaire des services » :


86. La notion de « gestionnaire des services » n'est pas définie par les articles L. 1115-10 et L. 1115-11 du code des transports.
87. Aux termes de l'article L. 1231-1-1 du code des transports, les AOM désignées au I de l'article L. 1231-1 dudit code sont compétentes, sur leur ressort territorial, pour organiser notamment « des services réguliers de transport public de personnes ». A ce titre, elles définissent la politique tarifaire de ces services (20) et assurent leur planification, leur suivi et leur évaluation (21).
88. Conformément à l'article L. 1121-1 du code de la commande publique, elles peuvent confier la « gestion » (soulignement ajouté) de ces services à un ou plusieurs opérateurs économiques dans le cadre d'un contrat de concession de services. Aux termes des articles L. 1121-3 du code de la commande publique et L. 1411-1 du code général des collectivités territoriales, elles peuvent en particulier conclure à cet effet des conventions de délégation de service public, lesquelles constituent une sous-catégorie des contrats de concession des services, afin de « confier la gestion d'un service public dont elles ont la responsabilité à un ou plusieurs opérateurs économiques » (soulignement ajouté).
89. L'Autorité considère ainsi que, dans le cas où une AOM a conclu un contrat de concession de service ou une convention de délégation de service public avec un ou plusieurs opérateur(s) économique(s) afin de lui(leur) confier la gestion de services réguliers de transport public de personnes qu'elle organise, ce(s) dernier(s) en est(sont) le(s) « gestionnaire(s) » au sens des articles L. 1115-10 et L. 1115-11 du code des transports. La responsabilité qu'une AOM conserve dans un tel cas en matière de tarification, de planification, de suivi et d'évaluation de ces services a en effet trait à ses compétences pour les organiser et non à leur gestion opérationnelle confiée, quant à elle, à son délégataire.
90. Toutefois, dans l'hypothèse où une telle AOM, et non son délégataire, gérerait elle-même le service numérique de vente des services délégués, il y aurait lieu, selon l'Autorité, de la qualifier également de « gestionnaire » desdits services, ne serait-ce que pour donner un effet utile aux dispositions précitées. Dans cette hypothèse en effet, c'est bien l'AOM - et non son délégataire - qui serait débitrice de l'obligation de fournir au service numérique multimodal une interface permettant l'accès de l'usager à ce service numérique de vente.
91. En l'espèce, Bordeaux Métropole a conclu un contrat de concession Keolis Bordeaux Métropole Mobilités pour l'exploitation du service de transport public urbain de voyageurs et de services de mobilités durables de Bordeaux Métropole, dont la durée « est fixée à 8 ans à compter du 1er janvier 2023, à minuit (00 h 00) date de prise à effet de la concession » (22). Par ailleurs, comme cela est exposé aux points 95 à 98 de la présente décision, il ressort des éléments du dossier que c'est Keolis Bordeaux Métropole Mobilités qui « dispose » du service numérique de vente de ces services au sens du II de l'article L. 1115-11 du code des transports, en ce qu'elle en maîtrise le contenu ainsi que les conditions d'accès et d'utilisation.
92. Au regard de ces éléments, l'Autorité considère que Keolis Bordeaux Métropole Mobilités est le « gestionnaire des services » réguliers de transport public de personnes composant le réseau TBM au sens des dispositions précitées du code des transports.
92. b) Sur la condition liée au fait que le gestionnaire des services dispose d'un service numérique de vente :


i. Arguments des parties


93. Dans ses observations en défense, Keolis Bordeaux Métropole Mobilités indique qu'« (…) il n'existe pas de service numérique de vente à Bordeaux, au sens où l'entend la Loi LOM ».
94. Elle souligne qu'elle « ne dispose toujours pas techniquement d'un service de vente numérique incluant à la fois une plateforme de commande, un logiciel et une application permettant la gestion, le contrôle et la validation des titres de transport dématérialisé ainsi qu'une interface (API) ».


ii. Analyse de l'Autorité


95. En premier lieu, il ressort de l'instruction qu'il existe un site internet et une application mobile, dénommés « TBM », permettant d'obtenir des informations sur les services de mobilité proposés sur le territoire de la métropole de Bordeaux et son réseau de transport public « Transports Bordeaux Métropole » et de réaliser l'achat en ligne et sur mobile de titres de transports (ou « M-ticket »). Sur cette application et ce site internet, les usagers peuvent procéder à l'achat en ligne et sur mobile de titres occasionnels et d'abonnements.
96. La possibilité d'acheter en ligne et sur mobile des titres de transports sur le site « TBM » et l'application mobile « TBM » caractérise l'existence d'un service numérique de vente des produits tarifaires afférents aux services de mobilité composant le réseau Transports Bordeaux Métropole.
97. En second lieu, il ressort des mentions légales du site internet TBM que « les sites web et les applications mobiles TBM (ci-après les “Services en ligne”) sont édités par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités ».
98. Au regard de l'ensemble des éléments exposés aux points 91 et 95 à 97, l'Autorité constate que la société Keolis Bordeaux Métropole Mobilités « dispose » d'un service numérique de vente au sens du II de l'article L. 1115-11 du code des transports.


c) Sur la condition liée à l'atteinte de certains seuils :
i. Arguments des parties


99. Keolis Bordeaux Métropole Mobilités soutient dans ses observations que «  les services dont la vente peut être assurée par le SNM sont ceux pour lesquels la société gestionnaire présente un chiffre d'affaires et une durée d'existence supérieurs à des seuils fixés par décret  ». Elle cite une étude (23) qui aurait «  interrogé sur le volume financier à prendre en considération  », qui «  tend[rait] à être celui des services et non le chiffre d'affaires global  » car «  [à] défaut cela n'aurait aucun sens et viserait l'ensemble des réseaux  ». En l'espèce, «  bien que les sociétés gestionnaires de services réalisent effectivement un chiffre d'affaires global dépassant le seuil des 5 000 000 €, tel n'est pas le cas pour les services dont Myzee entend distribuer les titres  ».
100. De son côté, Myzee Technology soutient que les seuils prévus au III de l'article L. 1115-11 du code des transports « s'appliquent à la société gestionnaire, et non à telle ou telle branche de son activité, prise séparément. ». Elle souligne également que l'affirmation de Keolis Bordeaux Métropole Mobilités n'est appuyée par aucune analyse financière des services opérés par cette dernière.


ii. Analyse de l'Autorité


101. En premier lieu, il ressort de la lettre des dispositions précitées du III de l'article L. 1115-11 du code des transports que le chiffre d'affaires à prendre en compte afin d'apprécier si les seuils qui y sont prévus sont ou non atteints est celui de « la société gestionnaire », et non des services énumérés au I dudit article, dont le fournisseur de service numérique multimodal souhaiterait délivrer les produits tarifaires. Accessoirement, Keolis Bordeaux Métropole Mobilités ne fournit aucune donnée chiffrée, précise et étayée, de nature à démontrer que le chiffre d'affaires des services dont Myzee Technology entend distribuer les titres serait inférieur au seuil réglementaire.
102. En second lieu, et au surplus, si le législateur avait entendu que soit pris en compte le chiffre d'affaires réalisé grâce aux seuls services énumérés au I dont le fournisseur de service numérique multimodal souhaite assurer la délivrance des produits tarifaires, il n'aurait pas prévu que soit pris en compte, le cas échéant, le chiffre d'affaires de la société assurant le contrôle de la société gestionnaire.
103. L'argument soulevé par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités ne saurait donc être accueilli.
104. En troisième lieu, le III de l'article L. 1115-11 du code des transports prévoit que, le cas échéant, le chiffre d'affaires et la durée d'existence de la société assurant le contrôle de la société gestionnaire soient pris en compte pour apprécier si les seuils qui y sont prévus sont ou non atteints.
105. L'Autorité considère que ces dispositions doivent être lues comme signifiant que, dans un premier temps, il convient de prendre le compte le chiffre d'affaires total réalisé par la société gestionnaire ainsi que sa durée d'existence, et, le cas échéant, dans un second temps, si ce chiffre d'affaires ou la durée d'existence de la société gestionnaire n'atteignent pas les seuils fixés, il convient de prendre en compte la durée d'existence de la société qui en assure le contrôle ou le chiffre d'affaires total réalisé par cette dernière.
106. Il ressort de la réponse de Keolis Bordeaux Métropole Mobilités à la mesure d'instruction n°  1 que celle-ci a réalisé, sur la dernière période connue, un chiffre d'affaires de 304 259 000 € en 2023, et existe depuis le 12 décembre 2022, soit un chiffre d'affaires supérieur et une durée d'existence inférieure aux seuils fixés à l'article R. 1115-12 du code des transports.
107. Néanmoins, il ressort de la réponse de Keolis Bordeaux Métropole Mobilités à la mesure d'instruction n°  2 que la société en assurant le contrôle, Keolis SA, a réalisé un chiffre d'affaires de 262 761 000 € en 2023 et existe depuis le 13 septembre 1955, soit un chiffre d'affaires et une durée d'existence supérieurs aux seuils fixés à l'article R. 1115-12 du code des transports.


3.2.2. Sur la possibilité, pour un fournisseur de service numérique multimodal, de négocier et de conclure le contrat prévu au III de l'article L. 1115-10 du code des transports sans qu'il ait à justifier au préalable du respect des obligations pesant sur les fournisseurs de services numériques multimodaux


a) Arguments des parties :


108. Keolis Bordeaux Métropole Mobilités soutient en substance, dans ses observations, que Myzee Technology aurait dû justifier, préalablement à l'ouverture d'une négociation d'un contrat avec cette dernière, du respect des obligations prévues au II de l'article L. 1115-10 du code des transports, afin de pouvoir bénéficier du droit de délivrer les produits tarifaires de certains services de mobilité, prévu au I de l'article L. 1115-11 du code des transports.


b) Analyse de l'Autorité :


109. La structure des articles L. 1115-10 et L. 1115-11 du code des transports distingue clairement :


- la définition du « service numérique multimodal » (I de l'article L. 1115-10) ;


Comme cela a été exposé au point 67 de la présente décision, la qualification de « service numérique multimodal » repose sur un seul critère, à savoir que le service numérique « permet[te] la vente » de services de mobilité. Elle n'est donc pas subordonnée au fait qu'un opérateur justifie au préalable du respect des obligations prévues au II de l'article L. 1115-10.


- les obligations qu'un fournisseur d'un service numérique multimodal doit respecter lors de la délivrance ou de la revente de produits tarifaires (II de l'article L. 1115-10) ;
- la définition des conditions techniques et financières de vente dans le cadre d'un contrat devant être conclu entre le fournisseur de service numérique multimodal et le gestionnaire de chacun des services dont il assure la vente.


Les dispositions du III de l'article L. 1115-10 du code des transports, prévoyant la conclusion d'un tel contrat, ne subordonnent ni sa négociation par les parties, ni sa conclusion, au fait qu'un fournisseur de service numérique multimodal justifie au préalable du respect des obligations prévues au II de l'article L. 1115-10.


- enfin, la possibilité, de droit, pour un fournisseur de service numérique multimodal d'effectuer la délivrance des produits tarifaires de certains services (I de l'article L. 1115-11) et, corrélativement, l'obligation, pour les gestionnaires de services disposant d'un service numérique de vente, de lui fournir une interface permettant l'accès de l'usager à leur service numérique de vente (II de l'article L. 1115-11).


Comme cela a été exposé au point 82 de la présente décision, cette dernière obligation est subordonnée au respect de deux conditions cumulatives relatives au gestionnaire des services de mobilité dont un fournisseur de service numérique multimodal souhaite assurer la vente, à savoir (i) qu'il dispose d'un service numérique de vente et (ii) que les seuils précités soient dépassés.
Elle n'est pas subordonnée, en revanche, au fait qu'un fournisseur de service numérique multimodal justifie au préalable du respect des obligations prévues au II de l'article L. 1115-10.


110. Il ressort ainsi de la structure comme de la lettre des dispositions des articles L. 1115-10 et L. 1115-11 du code des transports que la démonstration du respect des obligations prévues au II de l'article L. 1115-10 ne constitue pas un préalable nécessaire pour qu'un fournisseur de service numérique multimodal puisse bénéficier du droit de délivrer les produits tarifaires des services énumérés au I de l'article L. 1115-11. Du reste, la circonstance que le législateur impose le respect, par le service numérique multimodal, des obligations qu'il prévoit ne saurait suffire à rendre les gestionnaires de services de mobilité concernés responsables du respect de ces obligations au-delà de celles qui les intéressent directement. En tout état de cause, l'Autorité est compétente, en vertu des dispositions de l'article L. 1264-7 du code des transports, pour sanctionner, le cas échéant, le non-respect de ces obligations, soit d'office, soit à la demande des AOM ou de leur(s) délégataires.
111. Le respect de ces obligations ne saurait donc constituer une condition préalable à la négociation ou à la conclusion du contrat prévu au III de l'article L. 1115-10 dudit code.


112. Il résulte des points 3.2.1 et 3.2.2 que Myzee Technology est fondée à invoquer le bénéfice des dispositions des I et II de l'article L. 1115-11 du code des transports et, en conséquence, du III de l'article L. 1115-10 dudit code.


3.2.3. Sur les mesures devant être prononcées afin de régler le différend


113. En premier lieu, aux termes du III de l'article L. 1115-10 du code des transports, les conditions du contrat devant être conclu entre le fournisseur de service numérique multimodal et le gestionnaire de chacun des services dont il assure la vente, afin de définir les modalités techniques et financières de vente des produits tarifaires, doivent être raisonnables, équitables, transparentes et proportionnées.
114. Par conséquent, afin de régler le différend dont l'Autorité a été saisie et d'assurer le caractère transparent des modalités techniques et financières proposées par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités à Myzee Technology, il y a lieu d'enjoindre à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités :


- dans un délai de six mois à compter de la notification de la présente décision :
- d'élaborer et de publier les conditions contractuelles générales et particulières (24), conformes aux exigences du III de l'article L. 1115-10 du code des transports, applicables à toute personne privée ou publique fournissant un service numérique multimodal et souhaitant délivrer ou revendre les produits tarifaires afférents aux services organisés par Bordeaux Métropole et exploités par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités ;
- de communiquer ces conditions contractuelles à Myzee Technology en adressant une copie à l'Autorité ;
- de proposer à Myzee Technology d'entrer en négociation avec elle sur la base de ces conditions contractuelles afin de conclure le contrat prévu au III de l'article L. 1115-10 du code des transports ;
- dans un délai de dix mois à compter de la notification de la présente décision :
- de communiquer le résultat de ces négociations à l'Autorité ; et
- de produire, le cas échéant, toute pièce justificative en cas d'échec des négociations.


115. Les conditions contractuelles élaborées par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités pourraient par exemple prendre la forme d'un contrat-type de service numérique multimodal au sens du III de l'article L. 1115-10 du code des transports, comprenant, d'une part, les conditions générales que Keolis Bordeaux Métropole Mobilités entend appliquer à tout fournisseur de service numérique multimodal, d'autre part, les conditions particulières susceptibles de faire l'objet d'une négociation par les parties afin d'adapter le contrat à la nature de la demande du fournisseur de service numérique multimodal et au contexte dans lequel elle s'inscrit.
116. Par ailleurs, dans la mesure où Bordeaux Métropole est responsable de la tarification, de la planification, du suivi et de l'évaluation des services de transport en commun du réseau TBM (25), l'Autorité invite Bordeaux Métropole et Keolis Bordeaux Métropole Mobilités à s'interroger sur l'utilité que Bordeaux Métropole soit partie au contrat visé au point 114 ou que ce contrat soit conclu en sa présence.
117. En deuxième lieu, le fournisseur de service numérique multimodal est tenu de respecter, lors de la délivrance ou de la revente des produits tarifaires, les obligations prévues au II de l'article L. 1115-10 du code des transports.
118. Premièrement, s'agissant de l'obligation de proposer à la vente l'ensemble des services de mobilité, pour chaque catégorie de services dont le fournisseur de service numérique multimodal assure la vente, organisés par l'AOM compétente ou au développement desquels elle contribue (1° du II de l'article L. 1115-10), son respect, par un fournisseur de service numérique multimodal, suppose que le contrat conclu avec le gestionnaire de ces services identifie l'ensemble des services de mobilité appartenant aux différentes catégories de services dont le fournisseur de service numérique multimodal souhaite assurer la vente. Par conséquent, les conditions contractuelles élaborées par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités doivent comprendre une liste précise et exhaustive des services de mobilité appartenant aux différentes catégories de services organisés par Bordeaux Métropole et exploités par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités, que les fournisseurs de services numériques multimodaux pourront, s'agissant des catégories de services, et devront, s'agissant des services appartenant à ces catégories, proposer à la vente afin de se conformer à cette obligation.
119. Deuxièmement, ces conditions contractuelles devront comprendre les éléments exigés par les dispositions législatives et réglementaires du code des transports.
120. D'une part, s'agissant de l'obligation de transmettre au gestionnaire des services dont le service numérique multimodal assure la vente et, le cas échéant, à l'AOM compétente, l'ensemble des données nécessaires à la connaissance statistique des déplacements effectués, au service après-vente des produits tarifaires vendus et à la lutte contre la fraude, y compris les données d'identification du client collectées par le service numérique multimodal (3° du II de l'article L. 1115-10), l'Autorité rappelle que le contrat prévu au III de l'article L. 1115-10 du code des transports doit :


- prévoir « les modalités selon lesquelles le fournisseur du service numérique multimodal transmet au gestionnaire des services les données, mentionnées au 3° du II de l'article L. 1115-10, nécessaires pour assurer le service après-vente des produits tarifaires vendus par le fournisseur du service numérique » et contenir « une description précise de ces données, qui incluent les coordonnées du client, comportant ses nom, prénom, et adresse de messagerie électronique ou numéro de téléphone, le type de titre ou de service acheté et sa description ainsi que, le cas échéant, l'historique du traitement de chaque dossier et les suites qui y ont été données » (article R. 1115-14 du code des transports) ;
- comporter « les dispositions nécessaires à la lutte contre la fraude ainsi que, le cas échéant, au contrôle des pièces justificatives » et définir « les modalités d'émission des titres de transport » ; « [à] défaut, les titres de transport sont émis par le gestionnaire des services » (article R. 1115-15 du code des transports) ;
- déterminer « la nature » des données statistiques devant être transmises par le fournisseur de service numérique multimodal à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités et, le cas échéant, à Bordeaux Métropole, « les modalités de leur présentation, notamment par catégories d'usagers » et « la fréquence » de leur transmission (article R. 1115-16-1 du code des transports).


121. D'autre part, s'agissant de l'obligation d'établir un plan de gestion des informations concernant les services dont le service numérique multimodal assure la vente, qui sont protégées par le secret des affaires (4° du II de l'article L. 1115-10), le contrat prévu au III de l'article L. 1115-10 du code des transports doit, conformément aux dispositions de ce III (26), traiter de ce plan de gestion.
122. Les informations devant être protégées dans le cadre de ce plan sont celles couvertes par le secret des affaires, telles que définies par l'article L. 151-1 du code de commerce (27).
123. Le plan de gestion convenu par les parties doit, selon l'Autorité, a minima porter sur le périmètre des informations protégées par le secret des affaires (28) et les conditions d'utilisation et de diffusion de ces informations. Il pourrait comporter, par ailleurs, un dispositif d'information, de formation et de contrôle.
124. En troisième lieu, ces conditions contractuelles doivent prévoir, conformément au II de l'article L. 1115-11 du code des transports, la fourniture d'une interface au fournisseur de service numérique multimodal permettant l'accès de l'usager à son service numérique de vente, interface par laquelle ce fournisseur, conformément à ces dispositions, doit fournir l'ensemble des données nécessaires à Keolis Bordeaux Métropole Mobilités pour la vente de ses services.
125. En quatrième lieu, les modalités financières proposées par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités aux fournisseurs de services numériques multimodaux dans le cadre de ses conditions contractuelles doivent, conformément au III de l'article L. 1115-10 du code des transports, être raisonnables, équitables, transparentes et proportionnées.
126. En cinquième lieu, dans l'hypothèse où des coûts seraient encourus par Keolis Bordeaux Métropole Mobilités pour la mise à disposition de l'interface permettant l'accès de l'usager à son service numérique de vente, ce qu'elle devra justifier, Keolis Bordeaux Métropole Mobilités pourra demander aux fournisseurs de services numériques multimodaux une compensation financière raisonnable et proportionnée, conformément aux dispositions du II de l'article L. 1115-11 du code des transports. Cette compensation financière devra être transparente et non discriminatoire à l'égard de l'ensemble des fournisseurs de services numériques multimodaux auxquels une telle interface serait fournie.
127. En sixième lieu, le contrat prévu au III de l'article L. 1115-10 du code des transports devra comporter un calendrier d'exécution prenant notamment en compte les délais nécessaires au développement de l'interface devant être fournie à Myzee Technology.
128. En septième et dernier lieu, le IV de l'article L. 1115-10 du code des transports prévoit que des garanties sont exigées du fournisseur de service numérique multimodal lorsqu'il perçoit le produit des ventes, la nature de ces garanties ainsi que les conditions et modalités de leur mise en œuvre ayant été précisées par les articles R. 1115-13 à R. 1115-13-5 susvisés.
129. En l'espèce, dans son courrier adressé à Bordeaux Métropole le 3 octobre 2023, Myzee Technology a indiqué que son modèle économique ne comprenait pas la perception du produit des ventes.
130. Dans l'hypothèse où il se confirmerait, au cours des négociations, que Myzee Technology n'entend pas percevoir le produit des ventes, il n'y aurait pas lieu d'intégrer, dans le contrat visé au point 114, des stipulations prévoyant l'octroi par Myzee Technology des garanties financières mentionnées au IV de l'article L. 1115-10 du code des transports.


Décide :