Participaient à la séance : Emmanuelle WARGON, présidente, Anthony CELLIER et Ivan FAUCHEUX, commissaires.
Le projet SACOI 3 consiste à remplacer l'ensemble des câbles et des stations de conversion de la liaison SACOI (Sardaigne-Corse-Italie). Il est mené conjointement par les sociétés TERNA S.p.A. (ci-après « Terna ») et Electricité de France (ci-après « EDF SEI ») depuis 2015.
Le projet SACOI 3 a été inscrit en 2023 dans la première liste des projets d'intérêt commun et de projets d'intérêt mutuel de l'Union, telle que définie par le règlement (UE) 2022/869 du Parlement européen et du Conseil. A ce titre, le projet SACOI 3 peut bénéficier de mécanismes de financement dédiés. Ce financement est conditionné à une décision conjointe de répartition des coûts d'investissement par les autorités de régulation nationales compétentes, sur la base d'une analyse des coûts et bénéfices pour les pays concernés.
La présente délibération a pour objet l'adoption de la décision conjointe de répartition transfrontalière des coûts du projet SACOI 3.
1. Contexte
1.1. Présentation du projet et contexte réglementaire français
La liaison SACOI (Sardaigne-Corse-Italie) est une ligne à courant continu construite dans les années 1960 pour permettre l'évacuation de la production électrique de la Sardaigne vers le continent, en traversant la Corse. Depuis 1986 et la réalisation d'une station de conversion à Lucciana, la Corse dispose d'une capacité de soutirage de 50 MW à partir de cette liaison, permettant ainsi d'approvisionner le réseau électrique corse. L'ensemble des ouvrages de transport d'électricité sous-marins et aériens sont la propriété du gestionnaire de réseau de transport italien Terna, y compris sur le territoire français, tandis que la station de conversion corse appartient à EDF SEI.
Les éléments constitutifs de la liaison SACOI, et notamment les composants de la station de conversion située en Corse, arrivent à la fin de leur durée de vie technique. C'est pourquoi EDF SEI et Terna se sont associés pour développer le projet SACOI 3, qui consiste à remplacer l'ensemble des câbles et les trois stations de conversion de la liaison actuelle, et d'en augmenter la puissance de 300 à 400 MW. Ainsi, le droit de soutirage de la Corse à la station de Lucciana augmentera de 50 à 100 MW, voire à 150 MW en cas d'indisponibilité de la liaison SARCO, liaison entre la Sardaigne et la Corse. L'énergie sera convertie en courant alternatif grâce à la station de conversion de Lucciana. La capacité nette disponible pour le réseau corse sera de 99 MW.
La liaison SACOI actuelle contribue en moyenne à hauteur de 12 % de l'approvisionnement électrique corse. Le doublement de cette capacité induit par le projet SACOI 3 devrait porter cette part à plus de 20 % à partir de sa mise en service industrielle, prévue en 2029. Ce projet est donc essentiel pour la sécurité d'approvisionnement de la Corse, alors que les projections d'EDF SEI dans son bilan prévisionnel suggèrent une hausse de la consommation importante à l'horizon 2038.
La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a délibéré le 21 décembre 2023 (1) du coût normal et complet du projet SACOI 3 et du niveau de compensation afférent en application de l'article L. 121-7 du code de l'énergie. La CRE s'est assurée à cette occasion que les surcoûts de production évités par ce projet sur la durée du contrat sont supérieurs au coût total de la liaison supporté par les charges de service public de l'énergie (SPE). Par ailleurs, l'arrêté du 11 décembre 2023 portant sur les coûts échoués (2) pris en application des dispositions du f du 2° de l'article L. 121-7 du code de l'énergie désigne le projet SACOI 3 comme un projet d'intérêt public et nécessaire à la sécurité d'approvisionnement de la Corse et fixe un plafond de compensation à hauteur de 327 millions d'euros.
1.2. Cadre européen pour le développement des interconnexions
1.2.1. Le règlement (UE) 2022/869
Le règlement (UE) 2022/869 du Parlement européen et du Conseil du 30 mai 2022 (3) concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes, modifiant les règlements (CE) n° 715/2009, (UE) 2019/942 et (UE) 2019/943 et les directives 2009/73/CE et (UE) 2019/944, et abrogeant le règlement (UE) n° 347/2013 (JO L. 152 du 3.6.2022, p. 45-102) concernant des orientations pour les infrastructures énergétiques transeuropéennes (ci-après « le Règlement ») vise à promouvoir l'interconnexion des réseaux européens. Il introduit notamment la notion de projet d'intérêt commun (PIC) et projet d'intérêt mutuel (PIM) qui, dans le domaine de l'électricité, peut concerner des infrastructures de transport, de stockage ou de réseaux intelligents (ou « smart grids »). Ces projets sont considérés par la Commission européenne comme contribuant à la mise en œuvre des corridors prioritaires pour la construction du marché intérieur de l'énergie. La liste des PIC-PIM est adoptée par la Commission européenne sur proposition des groupes régionaux rattachés à chaque corridor prioritaire (4). Elle est renouvelée tous les deux ans.
Le projet SACOI 3 déjà inclus dans la cinquième liste de projets d'intérêt commun en 2021, a été inclus en 2023 dans la première liste des projets d'intérêt commun et des projets d'intérêt mutuel de l'Union (n° 1.10) (5).
Parmi les mesures destinées à favoriser la réalisation des PIC, le Règlement prévoit des mécanismes de financement visant à pallier les problèmes de viabilité commerciale des projets lorsque ceux-ci font obstacle à la prise de décision d'investissement. L'article 16 du Règlement dispose ainsi que, à la demande des porteurs de projet et sur la base d'une analyse des coûts et bénéfices pour les pays concernés, les autorités de régulation nationales compétentes décident, de manière coordonnée, d'une répartition des coûts d'investissement dans les six mois à compter de la réception de la dernière demande d'investissement. Cette décision ouvre la possibilité de solliciter une aide financière de l'Union européenne (ci-après « UE ») au titre de l'article 18 du Règlement.
Le Règlement dispose également que les porteurs de projet doivent inclure, dans leur demande d'investissement, une analyse coût-bénéfice conforme à la méthodologie développée par le réseau européen des gestionnaires de réseau de transport d'électricité (European Network of Transmission System Operators, ou « ENTSO-E »).
La quatrième version de cette méthodologie (ci-après la « méthodologie CBA 4.0 ») a été approuvée par la Commission européenne en avril 2023 (6).
1.2.2. La recommandation de l'ACER n° 02/2023
L'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER) a publié une recommandation le 22 juin 2023 (7), définissant des bonnes pratiques pour le traitement des demandes d'investissement dans le cadre du Règlement. Elle recommande en particulier de procéder à une répartition des coûts différente de celle qui serait a priori assumée par les porteurs de projet dans le cas où l'impact net de ce projet serait négatif pour l'un des pays hôtes.
1.3. Saisine par EDF et Terna
En octobre 2024, Terna et EDF SEI, promotrices du projet SACOI 3, ont soumis une demande d'investissement aux autorités nationales de régulation. Dans leur demande, les promoteurs ont demandé à la CRE et à l'Autorità di Regolazione per Energia Reti e Ambiente (ARERA) de décider de l'allocation transfrontalière des coûts de SACOI 3 entre la France et l'Italie.
2. Répartition transfrontalière des coûts du projet
La présente délibération détaille uniquement la répartition transfrontalière des coûts d'investissements du projet SACOI 3. Cette décision s'inscrit dans la continuité des accords déjà passés entre la CRE et l'ARERA et ne s'y substitue pas.
Selon les estimations des coûts totaux d'investissements transmises par les opérateurs et évaluées à [SDA] pour EDF SEI et [SDA] pour Terna, la CRE et l'ARERA ont décidé de partager les dépenses en capital encourues par Terna comme suit : [SDA] pour EDF SEI et [SDA] pour Terna. EDF SEI couvre l'intégralité des coûts de ses actifs.
La participation française aux investissements de Terna prendra la forme de deux versements forfaitaires et une rente annuelle. Un premier versement de [SDA] sera transmis durant la construction, pour réduire les coûts financiers supportés par Terna, en 2025, dès que l'ensemble des autorisations administratives requises par la France et l'Italie pour la construction du projet auront été obtenues et purgées de tout recours et de toute réclamation.
Un versement forfaitaire d'ajustement (positif ou négatif) et un loyer annuel de [SDA] seront en outre transmis après la mise en service de l'installation. Le montant du loyer annuel sera indexé sur l'inflation sur 30 ans et sera recalculé chaque année suivant l'index de consommation italien, calculé en utilisant la méthode européenne harmonisée de l'ICPH (8).
La CRE et l'ARERA décident conjointement que les potentiels surcoûts supportés par Terna, dûment justifiés et approuvés par les régulateurs, seront partagés comme suit : [SDA] pour EDF SEI, [SDA] pour Terna.
Lors de la mise en service de SACOI 3, la différence entre la part d'EDF SEI dans les dépenses d'investissement légitimes de Terna et la valeur réelle des paiements d'EDF SEI à Terna effectués et engagés, si elle est positive, sera compensée dans le cadre du deuxième paiement forfaitaire d'EDF SEI dans l'année suivant la mise en service industriel de SACOI 3.
La CRE et l'ARERA conviennent que tous les fonds directement attribués à Terna par les institutions européennes (et, le cas échéant, à EDF SEI en ce qui concerne les investissements de Terna) au titre des investissements réalisés pour SACOI 3 seront partagés entre EDF SEI et Terna au prorata de leur contribution respective à l'assiette des coûts d'investissement travaux couverts par la subvention. De tels fonds seront déduits, tout comme les coûts de financement associés économisés, des dépenses d'investissement réelles supportées par Terna.
3. Analyse coût-bénéfice du projet
Le dossier de demande d'investissement soumis par Terna et EDF SEI respectivement à l'ARERA et à la CRE comporte une présentation détaillée des éléments de l'analyse coût-bénéfice du projet SACOI 3.
3.1. Calcul des bénéfices prévisionnels
3.1.1. Méthodologie employée
Pour l'analyse coûts-bénéfices, Terna a recouru à l'outil de modélisation ANTARES adopté dans le cadre des analyses du plan décennal de développement du réseau (TYNDP) 2022 de l'ENTSOE en s'appuyant sur les scénarios National Trends (NT) 2030, Distributed Energy (DE) 2030 et DE 2040 publiés par l'ENTSOE au mois d'avril 2022 (9).
Cet outil de modélisation ne permet néanmoins pas de déterminer avec un niveau de granularité suffisant les conséquences du raccordement de SACOI 3 sur l'équilibre offre-demande de la Corse, qui constitue une zone non interconnectée. C'est pourquoi des simulations ad hoc ont été conduites pour la Corse à partir de trajectoires de consommation et de développement des moyens d'approvisionnement énergétique cohérentes avec les scénarios du TYNDP 2022 mentionnés ci-dessus. Ces hypothèses ont cependant été adaptées en tenant compte (i) du bilan prévisionnel de Corse, prévu à l'article D141-8 du code de l'énergie, qui constitue la meilleure prévision à date du gestionnaire de réseau corse, et (ii) de la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) de la Corse, du 18 décembre 2015 (10), modifiée par décret du 30 juin 2023 (11). En particulier, les contraintes techniques propres à la taille et à la disposition du réseau corse, en termes de stabilité et d'inertie, limitent la capacité d'intégration instantanée d'électricité d'origine intermittente. Ceci signifie qu'une augmentation des capacités de production d'électricité à partir de sources renouvelables intermittentes ne se traduit pas par l'augmentation de la part d'électricité d'origine renouvelable intermittente dans le mix énergétique corse.
Par ailleurs, les simulations ad hoc démontrent que ce seuil limite est suffisamment élevé pour permettre à SACOI 3 de fonctionner à pleine capacité, quelles que soient les capacités de production d'origine renouvelable installées, sans effet de cannibalisation sur cette production. Ceci est en particulier valable dans les scénarios DE 2030 et DE 2040 du TYNDP 2022.
Par conséquent, le calcul des bénéfices économiques de SACOI 3 pour la France est cohérent avec le TYNDP 2022.
3.1.2. Simulations spécifiques pour la Corse
Pour chaque année cible considérée dans le TYNDP 2022, 2030 et 2040, les bénéfices économiques de l'interconnexion pour la collectivité sont évalués par comparaison de deux configurations du réseau électrique corse :
- un parc de production incluant SACOI 3 ;
- un parc où SACOI 3 est absent et remplacé par des moyens locaux de production.
L'analyse des bénéfices menée par EDF SEI et Terna prend en compte les indicateurs suivants :
- le bien-être socio-économique (« socio-economic welfare » ou SEW) ;
- le bénéfice social additionnel engendré par la variation d'émission de dioxyde de carbone ;
- le taux d'intégration des énergies renouvelables au réseau corse ;
- le coût des pertes électriques ;
- le bénéfice pour la collectivité en termes de sécurité d'approvisionnement.
Le caractère non interconnecté de la Corse et la situation de monopole de la commercialisation d'électricité empêchent l'application, s'agissant de SACOI 3, de la méthodologie CBA 4.0 pour calculer le SEW du projet. En vertu du principe de péréquation à l'échelle nationale, les consommateurs corses paient un niveau de facture d'électricité, hors taxes, identique à celui de la France continentale : les surcoûts structurels entre coûts de production et recettes tarifaires des fournisseurs historiques sont compensés au titre des charges de SPE. Dès lors, le SEW est calculé comme la différence entre l'ensemble des économies de charges de SPE permises par la réalisation du projet SACOI 3 et le surcoût d'achat d'électricité engendré par SACOI 3 et imputable aux charges de SPE.
En supplément du SEW, les simulations ad hoc permettent également de déterminer pour la France le montant de réinvestissements en moyens alternatifs de production locale évités par le projet SACOI 3 ainsi que le bénéfice social additionnel dû à la variation de CO2.
3.1.3. Résultats
Les coûts de fonctionnement du parc de production corse évités constituent l'essentiel des bénéfices apportés par le projet pour la Corse.
Les tableaux suivants détaillent, pour les zones géographiques concernées, le bien-être socio-économique (SEW), l'investissement évité en Corse, le bénéfice social additionnel dû à la variation de CO2 ainsi que le bénéfice en termes d'intégration des énergies renouvelables pour les scénarios NT 2030, DE 2030 et DE 2040.
3.1.3.1. NT 2030
M€/an |
Italie |
France |
Autres |
---|---|---|---|
SEW [M€/an] |
40,3 |
92,9 |
- 3,2 |
Investissement évité [M€/an] |
30 |
||
Bénéfice social additionnel dû à la variation de CO2 [M€/an] |
- 4,3 |
29,9 |
- 0,2 |
Ecrêtement de production renouvelable évité [GWh/an] |
27,3 |
9 |
3.1.3.2. DE 2030
M€/an |
Italie |
France |
Autres |
---|---|---|---|
SEW [M€/an] |
73,7 |
92,9 |
5,5 |
Investissement évité [M€/an] |
30 |
||
Bénéfice social additionne dû à la variation de CO2 [M€/an] |
2,4 |
31,5 |
0,9 |
Ecrêtement de production renouvelable évité [GWh/an] |
847,3 |
1,9 |
3.1.3.3. DE 2040
M€/an |
Italie |
France |
Autres |
---|---|---|---|
SEW [M€/an] |
74,9 |
92,9 |
- 2,9 |
Investissement évité [M€/an] |
30 |
||
Bénéfice social additionnel dû à la variation de CO2 [M€/an] |
6,6 |
83,2 |
- 1,1 |
Ecrêtement de production renouvelable évité [GWh/an] |
1 023,6 |
7 091 |
3.1.3.4. Sécurité d'approvisionnement
Outre les bénéfices mentionnés et quantifiés ci-dessus, SACOI 3 présente également pour le réseau électrique corse un bénéfice en termes de sécurité de l'approvisionnement, qui peut être décrit de manière qualitative.
Les analyses du plan de développement de Terna indiquent que le projet entrainera une réduction des coûts générés sur les marchés par les services de conduite réseau et l'énergie non fournie. En outre, SACOI 3 permettra de réduire significativement la quantité d'énergie non fournie, en particulier dans le scénario NT 2030.
L'augmentation de la capacité de la station de conversion de Lucciana (+ 50 MW) fournira en Corse un moyen d'approvisionnement supplémentaire significatif pour répondre à la demande, particulièrement importante pendant la période estivale, en raison des températures élevées et de l'activité touristique sur l'île (en particulier la climatisation et les voitures électriques de location), alors que la production hydroélectrique locale est restreinte par les contraintes d'étiage et les usages non énergétiques (par exemple les utilisateurs touristiques ou agricoles). La future station de conversion pourra également améliorer significativement la réponse à une défaillance soudaine de la liaison SARCO, et plus généralement améliorer la réserve primaire sur le territoire.
Le projet SACOI 3 procure enfin, grâce aux choix techniques de conception, des bénéfices au réseau corse en termes de stabilité et la résilience du système électrique corse, notamment au travers :
i () du réglage de fréquence primaire ;
ii () de la maîtrise de la tension ;
iii () de la réduction des risques de défaillance ;
iv () et de l'optimisation des redémarrages.
3.2. Calcul de la valeur actuelle nette du projet
3.2.1. Méthodologie
Pour la France et l'Italie, la valeur actuelle nette économique est calculée comme la différence entre les sommes actualisées des bénéfices économiques tels que calculés au paragraphe 3.1 de la présente délibération et des dépenses d'investissement et d'exploitation.
S'agissant des dépenses d'investissement et d'exploitation, celles-ci prennent en compte le partage des coûts détaillés en section 2 de la présente délibération. Ainsi, cette contribution aux coûts d'investissement et d'exploitation a été comptabilisée comme un flux de trésorerie positif pour Terna (bénéficiaire) et comme un flux de trésorerie négatif pour EDF SEI (payeur).
La durée de vie du projet est estimée à 25 ans à partir de l'année suivant la date de mise en service estimée à 2029. Un taux d'actualisation réel de 4 % a été retenu, en conformité avec la méthodologie CBA 4.0.
Les VAN ont été calculées pour deux trajectoires de développement différentes, créées en couplant les deux scénarios NT 2030 et DE 2030 avec le scénario unique DE 2040 :
- trajectoire NT (NT 2030 et DE 2040) ;
- trajectoire DE (DE 2030 et DE 2040).
Le fioul est également progressivement remplacé par des bioliquides en Corse, conformément aux objectifs définis dans la PPE en vigueur ; la conversion des moyens thermiques a été prise en compte dans les hypothèses des simulations ad hoc. C'est pourquoi la variation de CO2 affiche une contribution nulle, en termes de bénéfice social additionnel, au calcul final de la VAN pour la France.
3.2.2. Résultats et conclusion
Trajectoire NT |
Unité monétaire (UM) |
Italie |
France |
Autres pays |
---|---|---|---|---|
A : VAN CAPEX (avec redistribution de la participation française) |
M€ |
685 |
972 |
0 |
B : VAN OPEX (avec redistribution de la participation française) |
M€ |
68 |
102 |
0 |
C : VAN bénéfice total (cf. 3.1) |
M€ |
897 |
1 578 |
<0 |
D : VAN économique (C - A - B) |
M€ |
144 |
504 |
<0 |
Trajectoire DE |
UM |
Italie |
France |
Autres pays |
---|---|---|---|---|
A : VAN CAPEX (avec redistribution de la participation française) |
M€ |
685 |
972 |
0 |
B : VAN OPEX (avec redistribution de la participation française) |
M€ |
68 |
102 |
0 |
C : VAN bénéfice total (cf.. 3.1) |
M€ |
1 045 |
1 578 |
|
D : VAN économique (C - A - B) |
M€ |
292 |
504 |
|
Conformément à la recommandation N° 02/2023 de l'ACER, aucun pays de l'UE autre que l'Italie et la France ne doit être invité à supporter un quelconque coût d'investissement au titre de SACOI 3.
4. Demande de financement européen
L'article 18 (2) du Règlement décrit les conditions que les PIC doivent respecter afin d'être éligibles à une aide financière de l'Union européenne. En plus d'avoir fait l'objet d'une décision coordonnée de partage transfrontalier des coûts, les PIC doivent respecter les deux conditions suivantes :
- l'analyse des coûts et bénéfices doit fournir des preuves concernant « l'existence d'externalités positives significatives, telles que la sécurité de l'approvisionnement, la flexibilité du système, la solidarité ou l'innovation » ;
- l'évaluation du projet doit apporter la preuve que le projet « ne peut pas être financé par le marché ou par le cadre réglementaire conformément au plan d'affaires et aux autres évaluations, en particulier celles effectuées par des investisseurs, des créanciers potentiels ou l'autorité de régulation nationale ».
L'ARERA et la CRE, dans leur décision commune, considèrent que ces conditions sont remplies et que le projet SACOI 3 est éligible à une aide financière de l'Union européenne dans le cadre du Mécanisme pour l'Interconnexion en Europe (MIE).
4.1. Externalités positives générées par le projet SACOI 3
L'article 4 du Règlement (UE) 2022/869 fixe les critères d'éligibilité fixés par le Règlement comme objectifs du MIE lors de l'évaluation des demandes de subventions.
Le projet doit « contribuer de manière significative à la durabilité au moyen de l'intégration des énergies renouvelables dans le réseau, du transport ou de la distribution d'électricité produite à partir de sources renouvelables vers de grands centres de consommation et sites de stockage, ainsi que, le cas échéant, à la limitation du délestage énergétique, et contribue à la réalisation d'au moins l'un des critères spécifiques suivants : i) intégration du marché […] ; ii) sécurité de l'approvisionnement […] ; iii) sécurité flexibilité et qualité de l'approvisionnement du réseau, y compris grâce à un recours accru à l'innovation […] ».
La CRE considère que le projet SACOI 3 génère des externalités positives significatives, en termes de sécurité d'approvisionnement (cf. paragraphe 3.1.2.4), de décarbonation et d'innovation.
Ces externalités ne bénéficient pas seulement aux pays hôtes, mais aussi à l'Union européenne dans son ensemble, grâce à la contribution de SACOI 3 à l'atteinte de ces objectifs, à savoir :
- l'intégration du marché : en augmentant l'intégration du marché du continent italien avec les zones de marché de la Corse et de la Sardaigne, promouvant ainsi l'intégration des îles dans le marché européen de l'électricité ;
- la sécurité de l'approvisionnement : en jouant un rôle important dans le maintien de marges d'adéquation appropriées pour les systèmes électriques sarde et corse, ainsi qu'en permettant une exploitation plus sûre des systèmes énergétiques des îles ;
- la durabilité : en soutenant la transition énergétique vers une plus grande utilisation des énergies renouvelables en Sardaigne en atténuant l'écrêtement des énergies renouvelables ;
- l'innovation : par sa conception technique originale pour son niveau de puissance, liaison bi-pôle en courant continu avec un point de soutirage intermédiaire, SACOI 3 présente des caractéristiques qui ont nécessité un effort particulier de recherche et développement et qui confèrent au projet une valeur réelle en termes d'innovation.
4.2. Viabilité commerciale
La subvention européenne permettrait de limiter le niveau de soutien public au projet dans un contexte d'augmentation substantielle des estimations de coûts d'investissement au cours des deux dernières années, sous l'effet de fortes tensions observées (i) sur les prix des matières premières et des taux d'intérêt et (ii) sur le marché des interconnexions et des stations de conversion d'autre part - porté par une hausse de la demande due à la multiplication des projets éoliens en mer et d'interconnexions, en Europe mais également en Asie, en Amérique du Nord et dans les pays du Golfe. Cette subvention réduirait par ailleurs davantage les complexités de financement de la partie italienne, en complément de la contribution forfaitaire française prévue dès 2025.
Etant donné les bénéfices et les externalités positives de SACOI 3 vis-à-vis des objectifs de l'UE, la CRE estime que la subvention européenne devrait permettre à la fois de refléter la valeur de ces externalités auprès des utilisateurs de réseaux qui financent in fine l'investissement et d'en garantir la viabilité commerciale en réduisant les impacts potentiels mentionnés ci-dessus.
4.3. Conclusion sur le besoin de financement européen
Le résultat des analyses mentionnées au paragraphe 3.1.2 de la présente délibération indique que l'essentiel de la valeur générée par le projet SACOI 3 pour la Corse réside dans l'économie de charges de SPE permise par la substitution d'électricité produite localement à partir de bioliquides par de l'électricité importée depuis le marché italien.
Or l'ensemble des moyens de production d'électricité thermique exploités en Corse fonctionnent aujourd'hui à partir de combustible thermique. L'article 6 de la PPE révisée corse indique : « la construction, avec un objectif de mise en service au plus tard début 2023, de moyens de production d'une puissance de l'ordre de 250 MW dans la région d'Ajaccio, fonctionnant aux bioliquides ou au fioul domestique ».
SACOI 3 est donc un actif stratégique pour l'atteinte des objectifs de décarbonation de la Corse. Bien que la réalisation de SACOI 3 permette une économie pour la collectivité par rapport à une décarbonation atteinte par l'utilisation de bioliquide dans les centrales thermiques corses, il représente un surcoût pour la collectivité évalué à 250 millions d'euros en valeur actualisée nette par rapport à l'utilisation de fioul d'origine fossile.
Le projet est par ailleurs sujet à des risques industriels importants, qui requièrent une prévention financière adéquate. Enfin, le calcul du bien-être socioéconomique du projet repose sur des hypothèses particulièrement incertaines, notamment eu égard aux prix de marché de l'électricité italien ainsi qu'aux coûts d'importation de bioliquide ; une contribution d'origine européenne au projet permettrait de sécuriser la part quantifiée des bénéfices de SACOI 3 pour la Corse.
Etant donné les externalités positives que la mise en œuvre du projet SACOI 3 génèrerait pour le réseau électrique corse et l'ensemble du territoire, ainsi que l'incertitude qui entoure l'estimation de la VAN économique du projet, la CRE considère qu'une demande de subvention par les opérateurs sur l'ensemble du périmètre d'investissement est justifiée et soutient leur candidature conjointe au MIE. Un niveau approprié de subvention permettrait en effet de s'assurer de la viabilité commerciale du projet, de sa contribution positive au territoire et de contribuer au développement de la solidarité énergétique transfrontalière entre deux pays membres de l'Union Européenne.
La CRE invite les opérateurs à évaluer le montant de subventions à demander en cohérence avec les données économiques et financières du projet.
Décision de la CRE
La CRE adopte la décision relative au traitement de la demande de EDF SEI et de Terna de répartition transfrontalière des coûts, qui a été rédigée conjointement par la CRE et l'ARERA et est annexée à la présente délibération.
La CRE et l'ARERA décident que :
- la répartition transfrontalière des coûts conduira à :
- la prise en charge intégrale par la France des coûts d'investissement supportés par EDF SEI au titre du projet SACOI 3 ;
- la participation de la France aux coûts d'investissement supportés par Terna, à hauteur de [SDA] ;
- la participation de la France prendra la forme d'un versement :
- de sommes forfaitaires au cours et au terme de la phase de construction ;
- ainsi que d'un loyer annuel au cours des trente premières années d'exploitation ;
- toute subvention d'origine européenne obtenue par l'un des opérateurs sera répartie entre la France et l'Italie au prorata de la prise en charge par chaque pays des investissements concernés par une telle subvention.
Cette décision s'inscrit dans la continuité des accords déjà passés entre la CRE et l'ARERA et ne s'y substitue pas.
Par ailleurs, la CRE et l'ARERA soutiennent la candidature de Terna et d'EDF SEI à une aide financière européenne au titre du Mécanisme pour l'interconnexion de l'Europe (MIE ou Connecting Europe Facility - CEF), en particulier dans le cadre de l'appel à projets « CEF 2 Energy » portant sur les thèmes « Electricity, Gas, Smart Grids, Hydrogen and CO₂ networks - Works ».
La présente délibération sera transmise à l'ARERA. Elle sera également notifiée à EDF SEI et à l'ACER.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française et transmise à la ministre de la transition écologique, de l'énergie, du climat et de la prévention des risques, ainsi qu'à ministre déléguée chargée de l'énergie.