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Article AUTONOME (Délibération n° 2024-158 du 10 septembre 2024 portant décision relative à la demande de l'autorité administrative d'une nouvelle délibération sur l'évolution des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité)

Article AUTONOME (Délibération n° 2024-158 du 10 septembre 2024 portant décision relative à la demande de l'autorité administrative d'une nouvelle délibération sur l'évolution des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité)


Participaient à la séance : Emmanuelle WARGON, présidente, Anthony CELLIER, Ivan FAUCHEUX et Valérie PLAGNOL, commissaires.


1. Contexte et cadre juridique
1.1. Cadre juridique et compétence de la CRE


En application des dispositions de l'article 59, paragraphe premier, a de la directive 2019/944 du Parlement européen et du Conseil du 5 juin 2019 concernant des règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et modifiant la directive 2012/27/UE, « l'autorité de régulation est investie des missions suivantes :
a) Fixer ou approuver, selon des critères transparents, les tarifs de transport et de distribution ou leurs méthodes de calcul, ou les deux ».
En application des dispositions de l'article L. 134-1 du code de l'énergie, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) « précise, par décision publiée au Journal officiel de la République française, les règles concernant : […] 3° Les conditions d'accès aux réseaux et de leur utilisation, y compris la méthodologie de calcul des tarifs d'utilisation des réseaux et les évolutions de ces tarifs, ainsi que la rémunération des fournisseurs pour les prestations de gestion de clientèle qu'ils réalisent pour le compte des gestionnaires de réseaux de distribution dans le cadre de l'exécution des contrats portant sur l'accès aux réseaux et la fourniture de l'électricité ; […] ».
En application des dispositions du 1er alinéa de l'article L. 341-3 du code de l'énergie, « [l]es méthodes utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité sont fixées par la Commission de régulation de l'énergie. » Le 3e alinéa de ce même article énonce, d'une part, que « [l]a Commission de régulation de l'énergie se prononce […] sur les évolutions des tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité » et, d'autre part, qu'elle « peut prévoir un encadrement pluriannuel d'évolution des tarifs ».
Le 4e alinéa de l'article L. 341-3 du code de l'énergie dispose que « [l]a Commission de régulation de l'énergie prend en compte les orientations de politique énergétique indiquées par l'autorité administrative. […]. »
Ce même article dispose en son 5e alinéa, que la CRE « transmet à l'autorité administrative pour publication au Journal officiel de la République française, ses décisions motivées relatives aux évolutions […] des tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité […] et aux dates d'entrée en vigueur de ces tarifs ».
Enfin, en application du dernier alinéa de l'article L. 341-3 du code de l'énergie, « dans un délai de deux mois à compter de cette transmission, l'autorité administrative peut, si elle estime que la délibération de la Commission de régulation de l'énergie ne tient pas compte des orientations de politique énergétique, demander une nouvelle délibération par décision motivée publiée au Journal officiel de la République française ».
Il découle des textes précités que le législateur français a donné compétence exclusive à la CRE pour fixer les tarifs d'utilisation des réseaux d'électricité, qui prennent en compte les orientations de politique énergétique.
La possibilité pour l'autorité administrative de demander une nouvelle délibération à la CRE vise à lui permettre d'interroger publiquement celle-ci sur la prise en compte des orientations de politique énergétique, et à lui donner la possibilité de reconsidérer sa décision au vu des éléments indiqués.
Cette faculté vise à permettre une meilleure articulation entre la compétence - exclusive - de la CRE dans le domaine des tarifs de réseaux, et la compétence du ministre en charge de l'énergie en matière de définition de la politique énergétique.
Il appartient à la CRE de statuer sur cette demande et de faire le choix de maintenir ses décisions ou de les faire évoluer.


1.2. Contexte


Les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport d'électricité dans le domaine de tension HTB (dit « TURPE 6 HTB ») et de distribution d'électricité dans les domaines de haute tension A (HTA) et basse tension (BT) (dit « TURPE 6 HTA-BT ») et leur cadre tarifaire sont entrés en vigueur le 1er août 2021, en application des délibérations de la CRE du 21 janvier 2021 n° 2021-12 (1) et n° 2021-13 (2), pour une durée de 4 ans environ (ci-après « Délibérations TURPE 6 »).
Dans le cadre de l'élaboration de ces Délibérations TURPE 6, la ministre de la transition écologique et solidaire a, par un courrier en date du 17 juin 2020, adressé au président de la CRE ses orientations de politique énergétique. Ces orientations portaient notamment sur les enjeux liés à la protection du climat et de la biodiversité, à la qualité de l'alimentation, au développement des infrastructures nécessaires pour la transition énergétique, à la flexibilité du système électrique, à la réduction de la consommation en période de pointe et à l'incitation à la maîtrise des coûts pour limiter l'impact sur la facture des consommateurs.
Le cadre tarifaire des Délibérations TURPE 6 prévoit une évolution annuelle mécanique des grilles tarifaires. Par conséquent, en application des formules d'évolution annuelle, la CRE a adopté, le 26 juin 2024, deux délibérations n° 2024-121 (3) et n° 2024-122 (4) relatives respectivement à l'évolution des grilles tarifaires du TURPE 6 HTB et du TURPE 6 HTA-BT (ci-après « Délibérations d'évolution annuelle ») en vue de leur entrée en vigueur au 1er août 2024. La CRE a transmis ses Délibérations d'évolution annuelle aux ministres chargés de l'énergie et de l'économie pour publication au Journal officiel de la République française (JORF) par courrier reçu le 8 juillet 2024.
Le 15 juillet 2024, la CRE a publié sur son site internet ses Délibérations d'évolution annuelle tout en annonçant que le ministre chargé de l'énergie lui avait indiqué « son intention de ne pas procéder à la publication de ces délibérations au Journal officiel de la République française et de recourir à son délai de deux mois lui permettant de demander de nouvelles délibérations sur l'évolution du TURPE 6 en application de l'article L. 341-3 du code de l'énergie. » La CRE a précisé alors que, compte tenu de cette annonce du ministre, « les évolutions prévues ne s'appliquer[aient] pas au 1eraoût 2024 ».
La CRE avait, en application des dispositions de l'article R. 337-22 du code de l'énergie (5), élaboré et examiné le 9 juillet 2024 une proposition relative aux tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE) prenant en compte l'évolution du TURPE au 1er aout 2024, qui n'a pas abouti, dès lors que la CRE a eu connaissance des intentions du ministre.
Par une lettre du 29 août 2024, publiée au Journal officiel de la République française du 31 août 2024, le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie, a demandé à la présidente de la CRE une nouvelle délibération relative à l'évolution du TURPE, prenant mieux en compte les orientations de politique énergétique du gouvernement.


2. Points soulevés dans la demande de l'autorité administrative


Les points soulevés dans la demande du 29 août 2024 du ministre chargé de l'énergie sont :


- « la hausse prévue du TURPE proposée par la CRE au 1er août 2024 conduirait mécaniquement à une hausse du prix payé par de très nombreux consommateurs, aux TRVE comme en offres de marché », alors qu'« une baisse des TRVE est anticipée au 1er février 2025 » ;
- « [i]l apparaît dès lors plus logique de faire évoluer les tarifs de réseau de façon simultanée le 1er février 2025, ce qui conduirait à ne pas avoir de nouvelle évolution des TRVE avant le 1er février 2025 » ;
- « dans son courrier du 17 juin 2020 vous faisant part des orientations de politique énergétique du Gouvernement conformément à l'article L. 341-3 du code de l'énergie, la ministre de la transition écologique et solidaire attirait votre attention sur le fait que, outre le fait de répondre aux différents enjeux relatifs au financement et au développement des réseaux publics d'électricité, la construction du cadre tarifaire du TURPE 6 devait également veiller à limiter l'impact des coûts afférents sur la facture d'électricité des consommateurs. » ;
- « Cet impératif a également été rappelé dans le courrier du 26 octobre 2023 que vous a adressé la ministre de la transition énergétique dans la perspective des travaux que conduira la CRE pour l'élaboration du nouveau tarif d'utilisation des réseaux (TURPE7). » ;
- « votre délibération du 26 juin 2024 ne tient pas suffisamment compte de cette orientation de politique énergétique relative à la maîtrise, la stabilité et la bonne compréhension du prix de l'électricité pour le consommateur. »


3. Analyse de la CRE


A titre liminaire, la CRE rappelle que les dispositions précitées du droit européen et du code de l'énergie confèrent à la CRE une compétence exclusive pour fixer les méthodes d'établissement des tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité. A cet égard, les Délibérations d'évolution annuelle du 26 juin 2024 constituent des décisions tarifaires.
Par ailleurs, la CRE relève que la demande de l'autorité administrative sur le TURPE semble plus motivée par les conséquences de l'évolution du TURPE 6 HTA-BT sur le niveau des TRVE et des offres de marché indexées sur ces tarifs.
S'agissant de la construction du cadre tarifaire du TURPE 6, la CRE estime qu'elle a pleinement tenu compte, dans ses Délibérations TURPE 6 du 21 janvier 2021, des orientations de politique énergétique qui lui avaient été adressées par la ministre. La CRE s'est en effet assurée que ces tarifs couvraient les coûts d'un gestionnaire de réseaux efficace et a mis en place des mécanismes d'incitation permettant des gains de productivité limitant la hausse des coûts des gestionnaires de réseaux et, par conséquent, de la facture des consommateurs.
Les Délibérations TURPE 6 sont entrées en vigueur pour environ 4 ans le 1er août 2021. Conformément à ces délibérations les tarifs ont évolué au 1er août 2022 et au 1er août 2023.
La CRE constate qu'aucune des Délibérations TURPE 6 ou des délibérations relatives aux évolutions annuelles subséquentes n'a fait l'objet d'une demande de nouvelle décision de la part des ministres chargés de l'énergie successifs.
La CRE rappelle que les évolutions annuelles entrant en vigueur au 1er août de chaque année sur la période du TURPE 6 découlent d'une application mécanique de formules et méthodes arrêtées dans les Délibérations TURPE 6.
La formule d'évolution mécanique des tarifs de réseaux prévoit notamment une évolution tarifaire prenant en compte l'inflation minorée ou majorée d'un coefficient « k » variant dans la limite de +/- 2 % en fonction des charges et recettes réellement encourues par les opérateurs. Ainsi les évolutions tarifaires mécaniques annuelles sont le reflet d'une évolution des coûts encourus par les gestionnaires de réseaux tout en intégrant une limitation mécanique de l'évolution de la facture des consommateurs. Toute application différée de cette évolution conduirait nécessairement à des rattrapages ultérieurs.
Décide de la CRE :
En application des dispositions de l'article L. 341-3 du code de l'énergie, la Commission de régulation de l'énergie (CRE) fixe les méthodes utilisées pour établir les tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité. En application des dispositions de ce même article, l'autorité administrative peut demander à la CRE une nouvelle délibération si elle estime que la délibération tarifaire concernée ne tient pas compte des orientations de politique énergétique.
Le 26 juin 2024, la CRE a adopté deux délibérations n° 2024-121 et n° 2024-122 portant décision respectivement sur l'évolution au 1er août 2024 de la grille tarifaire des tarifs d'utilisation des réseaux publics de transport et de distribution d'électricité.
Par une lettre du 29 août 2024, publiée au Journal officiel de la République française du 31 août 2024, le ministre délégué auprès du ministre de l'économie des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé de l'industrie et de l'énergie a fait usage de sa faculté de demander à la CRE une nouvelle délibération.
En réponse à cette demande, prise en application des dispositions de l'article L. 341-3 du code de l'énergie, et après avoir examiné les points soulevés dans cette demande, la CRE considère que ses délibérations relatives aux évolutions annuelles des tarifs d'utilisation des réseaux publics d'électricité ne méconnaissent pas les orientations de politique énergétique formulées par la ministre de la transition écologique et solidaire le 17 juin 2020 et qu'il n'y a pas lieu d'accéder à la demande de l'autorité administrative.
En conséquence, les délibérations du 26 juin 2024 n° 2024-121 et n° 2024-122 doivent faire l'objet d'une publication au Journal officiel de la République française par l'autorité administrative.
Compte tenu du décalage exceptionnel d'entrée en vigueur des évolutions annuelles susmentionnées, qui ne pouvait être anticipé par les acteurs, et afin de permettre à l'ensemble des gestionnaires de réseaux d'électricité d'intégrer dans leurs systèmes d'information les grilles tarifaires actualisées, les délibérations n° 2024-121 et n° 2024-122 entreront en vigueur au 1er novembre 2024. Cette date d'entrée en vigueur se substitue à celle du 1er août 2024 initialement prévue par la CRE.
La présente délibération sera publiée au Journal officiel de la République française et sur le site internet de la CRE. Elle sera transmise au ministre chargé de l'énergie.