Après en avoir délibéré,
Emet l'avis suivant :
La ministre de la culture a saisi l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique d'un projet de décret modifiant le décret du 22 décembre 2004 susvisé relatif aux événements d'importance majeure, visant à moderniser la liste des compétitions sportives dont la retransmission doit être assurée de sorte à ne pas priver une partie importante du public de la possibilité de les suivre sur un service de télévision en accès libre.
Cette modernisation se traduit par l'élargissement de la liste susmentionnée à un nombre plus important de compétitions féminines, aux jeux Paralympiques d'été et d'hiver, ainsi qu'à un ensemble de rencontres décisives (demi-finales et finales) de compétitions internationales individuelles et collectives en cas de participation d'un athlète ou d'une équipe représentant la France. Elle rejoint à ce titre les observations et préconisations formulées par le régulateur dans un avis du 24 juillet 2013 sur un premier projet de modification du décret, puis dans les réponses aux consultations publiques de mai 2019 (1) et de mars 2022 (2), aux termes desquelles il indiquait souscrire à toute initiative visant à améliorer significativement la visibilité du sport féminin, du parasport et des disciplines peu exposées dans les médias audiovisuels.
S'agissant tout d'abord des compétitions féminines, les évolutions proposées apparaissent en cohérence avec la programmation actuelle et l'intérêt croissant que la pratique féminine suscite auprès du public français. L'intégralité des événements sportifs féminins visés à l'article 2 du projet de décret font aujourd'hui - ou ont fait par le passé - l'objet d'une diffusion en télévision gratuite, et fédèrent régulièrement des audiences importantes. A titre d'exemple, la retransmission de la finale du championnat du monde féminin de handball entre la France et la Norvège a réuni en moyenne 3,95 millions de téléspectateurs sur TF1 le 17 décembre 2023. L'Autorité salue la sanctuarisation de ces compétitions au sein de la liste des événements d'importance majeure, qui concrétise les efforts déployés depuis plusieurs années par les pouvoirs publics et les diffuseurs pour améliorer leur visibilité et leur accessibilité.
S'agissant ensuite des jeux Paralympiques, l'intégration des éditions d'été et d'hiver à la liste des événements d'importance majeure apparaît, de même, pertinente et nécessaire. Outre la cohérence avec la programmation actuelle et l'intérêt croissant que ces compétitions suscitent auprès du public français (3), elles constituent en effet les deux principales fenêtres de diffusion de la pratique parasportive, dont la présence en télévision gratuite demeure très marginale. Leur insertion participe ainsi plus largement à l'amélioration de la représentation des personnes en situation de handicap et, au même titre que les compétitions féminines, à la représentation de la diversité de la société française dans les médias audiovisuels.
S'agissant enfin de l'élargissement de la liste à de nouvelles épreuves internationales individuelles (tennis, ski alpin) et collectives (football, basketball, handball, volleyball), le mécanisme conditionnant leur protection à la présence d'athlètes ou d'équipes français lors des phases décisives (demi-finales et finales), ou à l'organisation de l'événement sur le territoire national, répond de manière proportionnée à l'intérêt du public, sans remettre en cause l'équilibre du texte.
L'Autorité tient à souligner qu'une exposition renforcée est de plus de nature à alimenter un cercle vertueux pour l'économie de l'ensemble de ces disciplines, la visibilité d'un sport à la télévision gratuite ayant un impact direct sur son attractivité pour les annonceurs et le développement de la pratique.
Compte tenu de l'ensemble de ces considérations, l'Autorité accueille favorablement le projet dont elle est saisie. Elle entend toutefois formuler les remarques suivantes.
Sur le fond, et comme souligné dans les contributions de l'Autorité aux consultations publiques de mai 2019 et mars 2022 précitées, une réflexion plus large sur les modalités d'attribution des droits sportifs pourrait être engagée compte tenu des évolutions du paysage audiovisuel, et en particulier du développement des plateformes de diffusion autre que TNT (notamment OTT), dont l'implication sur le marché de l'acquisition de contenus sportifs est croissante. Le régime actuel des événements d'importance majeure s'appliquant, conformément à la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA) transposée à l'article 20-2 de la loi du 30 septembre 1986, aux seuls services de télévision, ces plateformes ne sont en l'état pas soumises aux dispositions du texte et peuvent donc, sans condition, proposer des offres exclusives payantes et assécher la disponibilité de programmes pourtant inscrits dans la liste réglementaire. Les autorités françaises pourraient appeler la future Commission à entamer une réflexion sur ce sujet dans le cadre des travaux à venir de révision de la directive SMA.
De même, l'Autorité estime utile de rappeler les observations qu'elle a déjà portées à la connaissance du Gouvernement concernant la portée restrictive de ce décret au regard des dispositions de la directive « Services de médias audiovisuels », telles que transposées à l'article 20-2 de la loi du 30 septembre 1986. Alors que ce dernier dispose, en son premier alinéa, que « Les événements d'importance majeure ne peuvent être retransmis en exclusivité d'une manière qui aboutit à priver une partie importante du public de la possibilité de les suivre en direct ou en différé sur un service de télévision à accès libre », le décret organise la procédure de rétrocession éventuelle aux chaînes hertziennes nationales en clair des droits des événements d'importance majeure lorsque ceux-ci ont été acquis contractuellement par une chaîne payante, sans toutefois garantir la diffusion sur une chaîne de télévision gratuite des compétitions sportives listées à l'article 3.
L'Autorité encourage en conséquence une réflexion sur une évolution du dispositif réglementaire actuel qui permettrait d'assurer une protection effective de l'accès du plus large public aux événements reconnus d'importance majeure pour la société française.
L'Autorité constate par ailleurs que la diffusion d'événements d'importance majeure dans les départements et territoires ultra-marins n'est encadrée par aucun décret et souhaite rappeler la nécessité d'établir un cadre juridique clair à ce sujet, ainsi que le prévoit l'article 10 du décret du 22 décembre 2004 susvisé.
Sur la forme, l'Autorité s'interroge quant au choix opéré de ne modifier qu'à la marge l'article 3 du décret et de privilégier l'insertion d'un nouvel article 3-1 listant les ajouts proposés à la faveur de la présente révision. Celui-ci apparaît en effet de nature à altérer la lisibilité du nouveau texte, en particulier lorsque les ajouts concernent le pendant féminin ou parasportif d'un événement figurant déjà dans l'article 3, ou une nouvelle phase d'une compétition déjà visée par cet article. L'Autorité propose de fusionner les deux listes au sein de l'article 3 du décret, en rédigeant par exemple comme suit : « 1° Les jeux Olympiques et Paralympiques d'été et d'hiver ; […] 20° Les demi-finales et finales masculines et féminines du championnat du monde de handball lorsque l'équipe de France y participe ».
Ce même choix se traduit à l'article 3-1 du projet de décret par la spécification du caractère féminin des compétitions visées (par exemple « 15° La compétition féminine cycliste Paris-Roubaix »), sans que l'article 3 ne précise pour sa part qu'il concerne la déclinaison masculine de l'événement (par exemple « 16° La compétition cycliste Paris-Roubaix »). L'Autorité suggère de remédier à cette asymétrie rédactionnelle, qui maintient l'idée que le sport serait, par défaut, masculin.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.