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Article AUTONOME (Décision n° 2024-265 du 3 avril 2024 mettant en demeure la société BFM TV)

Article AUTONOME (Décision n° 2024-265 du 3 avril 2024 mettant en demeure la société BFM TV)


Considérant ce qui suit :
Sur le cadre juridique :
1. D'une part, en vertu des dispositions de l'article 42 de la loi du 30 septembre 1986 susvisée et des stipulations de l'article 4-2-1 de la convention du 27 novembre 2019 susvisée, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut mettre en demeure la société BFM TV de respecter les obligations qui lui sont imposées.
2. D'autre part, aux termes du troisième alinéa de l'article 3-1 de la loi du 30 septembre 1986 précitée, « l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes qui y concourent, sous réserve de l'article 1er de [cette] loi » affirmant le principe de la liberté de la communication au public par voie électronique. Sur ce fondement, l'article 1er de la délibération du 18 avril 2018 précitée dispose que l'éditeur « doit assurer l'honnêteté de l'information et des programmes qui y concourent./[…]/Il fait preuve de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information ». Par ailleurs, l'article 2-3-7 de la convention du 27 novembre 2019 précitée de l'éditeur stipule que « l'exigence d'honnêteté s'applique à l'ensemble des programmes. L'éditeur respecte la délibération du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent ». Enfin, l'article 2-2-1 de cette convention prévoit que « l'éditeur est responsable du contenu des émissions qu'il diffuse. Il conserve en toutes circonstances la maîtrise de son antenne ».
Sur l'émission « 120 minutes » du 26 novembre 2023 :
3. Il ressort du compte-rendu de visionnage de l'émission « 120 minutes », diffusée sur BFM TV, le 26 novembre 2023, qu'une séquence de cette émission a porté sur des propos tenus par un ancien Premier ministre, le 23 novembre 2023, dans l'émission « Quotidien » diffusée sur TMC. Le présentateur a introduit le sujet en ces termes : « […] il était chez nos confrères de « Quotidien », c'est sur TMC, et voici ce qu'il déclarait. Au départ, il parle des Etats-Unis et il dit, il dénonce, la domination de la finance juive sur les sociétés occidentales, cette domination dit-il empêche les gens d'exprimer leur soutien aux palestiniens, victimes d'un effroyable nettoyage ethnique en direct. Il commente la situation américaine selon lui, c'est son analyse, et il dit, c'est la même chose en France. » Le présentateur de l'émission a alors demandé à son invité de réagir à ces propos. Ce dernier a, notamment, déclaré : « Ce qu'il veut dire c'est qu'il considère visiblement que les juifs, et notamment aux Etats-Unis, tiendraient la finance, et à travers ça, contrôleraient les médias et le monde du spectacle, puisque c'est ça auquel, à laquelle il faisait référence. Vous savez, c'est une rhétorique antisémite classique. Faire des juifs le parti de l'argent, parce que c'est ça que cela dit, c'est évidemment quelque chose que l'on retrouve dans le discours de la gauche radicale mais qu'on retrouve aussi historiquement dans certaines parties de la bourgeoisie française. […] qui a toujours considéré, au fond, qu'on pouvait associer les juifs à l'argent, les juifs au pouvoir, c'est une dynamique qui ne me surprend pas et en faisant cela, […] s'inscrit dans la lignée d'un autre ancien Premier ministre, […], qui lui aussi, d'ambivalences en ambiguïtés, et bien a laissé une trace d'infamie par certaines de ses prises de positions. C'est le chemin vers lequel semble se diriger […]. ». Cette séquence a été accompagnée d'un bandeau indiquant : « « Domination » juive : […] fait polémique ».
En ce qui concerne l'obligation d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information :
4. Il ressort du compte rendu de visionnage de cette séquence que les personnes présentes en plateau ont affirmé qu'un ancien Premier ministre, invité de l'émission « Quotidien » diffusée sur TMC le 23 novembre 2023, avait parlé de domination de la finance juive sur les sociétés occidentales et à travers elle du contrôle des médias et du monde du spectacle. Un bandeau affiché à l'écran de manière continue jusqu'à la fin de la séquence est venu appuyer cette assertion.
5. Or, il ressort du visionnage de la séquence de l'émission « Quotidien » diffusée sur TMC, le 23 novembre 2023, que l'ancien Premier ministre a prononcé les mots suivants : « La troisième chose, c'est qu'on voit en filigrane dans votre reportage, à quel point la domination financière sur les médias et sur le monde de l'art, de la musique pèse lourd, parce qu'ils ne peuvent pas dire ce qu'ils pensent, tout simplement parce que les contrats s'arrêtent immédiatement. Donc on voit bien que la règle financière qui est imposée aujourd'hui aux Etats-Unis dans la vie culturelle elle pèse lourd, malheureusement nous le voyons aussi en France. Et tout ça, c'est profondément regrettable sur le plan de la liberté, sur le plan de la capacité justement à façonner un esprit public, alors il faut le faire évidemment avec le souci de la modération, avec le souci de penser à l'autre […] ».
6. Les propos tenus par le présentateur et son invité dans l'émission « 120 minutes » diffusée sur BFM TV, le 26 novembre 2023, ainsi que le bandeau les accompagnant, traduisent ainsi une présentation factuellement inexacte, imputant à un ancien Premier ministre des propos d'une particulière gravité, dans un contexte de fortes tensions liées au conflit au Proche-Orient.
7. Dès lors, l'éditeur a manqué à son obligation d'honnêteté et de rigueur dans la présentation et le traitement de l'information. Il a ainsi méconnu les stipulations de l'article 2-3-7 de sa convention et les dispositions de l'article 1er de la délibération du 18 avril 2018 précitée, auxquelles il renvoie.
En ce qui concerne l'obligation de maîtrise de l'antenne :
8. Il ressort également du compte rendu de visionnage que, d'une part, le présentateur de l'émission lui-même ainsi que son invité ont tous deux tenus les propos mentionnés aux points 4 à 7 et, d'autre part, que l'information erronée a été reprise dans un bandeau affiché par l'éditeur sur l'écran pendant toute la séquence, ce qui caractérise un défaut de maîtrise de l'antenne, constitutif d'un manquement aux stipulations de l'article 2-2-1 de la convention précitée.
9. Il résulte de ce qui précède qu'il y a lieu de mettre en demeure la société BFM TV de se conformer, à l'avenir, d'une part, aux stipulations précitées de l'article 2-3-7 de la convention du 27 novembre 2019 susvisée ainsi qu'aux dispositions de l'article 1er de la délibération n° 2018-11 du 18 avril 2018 du Conseil supérieur de l'audiovisuel relative à l'honnêteté et à l'indépendance de l'information et des programmes qui y concourent susvisée et, d'autre part, à l'article 2-2-1 de cette même convention.
Après en avoir délibéré,
Décide :