Le scénario potentiel est peu modifié par rapport à celui présenté en première lecture en septembre 2022. La perte pérenne de PIB potentiel en 2020-2022 est revue légèrement à la hausse. Cela reflète une perte de productivité globale des facteurs un peu plus forte qu'estimé en septembre dernier et un rebond un peu plus tardif, en lien avec l'enchaînement de la crise de la covid et des conséquences de l'invasion de l'Ukraine (modification des comportements des ménages et des entreprises en raison de la hausse de l'incertitude et de la hausse des prix de l'énergie). Au total, la perte pérenne liée à la succession des crises sanitaire et énergétique, précédemment estimée à un peu moins d'un point, serait révisée à la hausse à un peu plus d'un point (révision de - 0,5 point, à - 1,25 point de PIB au lieu de - 0,75 point précédemment).
A partir de 2023, la croissance potentielle s'établirait à 1,35 %, la capacité productive de l'économie étant soutenue par les réformes du Gouvernement. Ces dernières contribueraient notamment à accroître l'offre de travail et à parvenir au plein emploi à l'horizon 2027 : il s'agit en particulier de la réforme des retraites, de la réforme de l'assurance chômage, de l'amélioration de l'accompagnement des demandeurs d'emploi (transformation de Pôle emploi en France Travail), de la réforme du revenu de solidarité active, de la réforme du lycée professionnel, du succès de l'apprentissage et de la mise en place d'un service public de la petite enfance. La contribution du capital à la croissance serait également soutenue par les mesures du Gouvernement, passées (baisse de l'impôt sur les sociétés, plan France relance) et futures (France 2030, suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises [CVAE]).
Cette évaluation de la croissance potentielle est en ligne avec celle du Fonds monétaire international et de l'Observatoire français de conjoncture économique (1,3 %). L'estimation de la Commission européenne est proche sur le court terme (1,1 % en moyenne 2022-2024). L'estimation de l'Organisation de coopération et de développement économique est elle aussi proche, à 1,1 % sur la période 2022-2024 (l'OCDE ne publiant pas au-delà). Au delà de différences méthodologiques, les prévisions externes n'intègrent pas la majorité des réformes prévues par le Gouvernement qui viendraient souvenir la croissance potentielle, notamment celle des retraites, ce qui peut expliquer une partie importante des écarts.
La croissance effective sur la période 2025-2027 serait supérieure à son rythme potentiel de 1,35 % et l'écart de production, encore de 1,2 % en 2023, serait refermé en 2027. La croissance s'établirait ainsi à 1,7 % en moyenne sur la période 2024-2027, avec un rythme un peu plus important en 2027 (1,8 %), reflétant la dissipation progressive des contraintes liées à la crise sanitaire et au conflit en Ukraine. Du point de vue de la demande, la croissance serait d'abord tirée par la normalisation progressive du taux d'épargne, qui tendrait vers son niveau d'avant crise en 2027. Elle profiterait aussi du rattrapage d'environ un tiers des pertes de performances à l'export observées entre 2020 et 2022 (contre un peu plus de la moitié dans les deux années ayant suivi la crise de 2009, alors que les pertes constatées étaient sensiblement moins importantes). Du point de vue de l'offre, l'activité bénéficierait des mesures de soutien prises par le Gouvernement (France 2030, baisse de la fiscalité sur la production, réformes du marché du travail), ainsi que de la dissipation des contraintes d'approvisionnement persistantes (notamment dans l'automobile et l'aéronautique). Le taux d'investissement des entreprises, qui continuerait d'être soutenu par la transition numérique et écologique et les mesures du Gouvernement (baisse de la fiscalité, notamment), serait quasi-stable après une décennie de hausse rapide.
L'inflation refluerait progressivement vers son niveau de long terme, estimé à 1,75 %, ce qui refléterait la fin de la transmission aux prix à la consommation des hausses passées de prix de matières premières et le ralentissement des salaires (dans le sillage de celui, déjà entamé, de l'inflation). Elle reviendrait en 2026 à + 1,75 % au sens de l'IPC, un niveau cohérent avec la cible de la Banque centrale européenne (BCE) de 2 % pour la zone euro, au sens de l'indice des prix à la consommation harmonisé.
Comparaison de l'estimation de croissance potentielle du Gouvernement avec celle de la Commission européenne
LPFP 2023 - 2027 |
Commission 2023 - 2027 |
|
---|---|---|
Croissance potentielle (en %) |
1,35 |
0,8 |
- dont contribution du facteur travail (en points) |
0,3/0,4 |
0,3 |
- dont contribution du facteur capital (en points) |
0,5/0,6 |
0,5 |
- dont contribution de la productivité globale des facteurs (en points) |
0,4/0,5 |
0,1 |
Le scénario retenu pour 2023 et 2024 est un peu supérieur à celui de la Commission européenne, qui prévoit une croissance potentielle de + 1,1 % par an en moyenne sur cette période dans ses prévisions de printemps 2023. En moyenne sur l'horizon de prévision, la prévision de croissance potentielle de la Commission est plus nettement inférieure à celle du projet de loi de programmation des finances publiques (PLPFP) pour les années 2023 à 2027, à + 0,8 % par an en moyenne. Les écarts entre ces deux prévisions tiennent principalement à la prévision de productivité globale des facteurs (PGF) potentielle, qui est plus basse pour la Commission (cf. détail par composantes infra). La baisse marquée de la croissance potentielle entre 2023-2024 et 2025-2027 dans la méthodologie de la Commission contraste avec les projections des autres organismes et souligne l'incertitude qui entoure les estimations potentielles, faisant souvent l'objet de révisions ex post (1).
Concernant la contribution du facteur travail, les différences apparaissent limitées en moyenne sur l'horizon mais ceci masque des hypothèses divergentes. De façon générale, la méthodologie de la Commission ne permettait pas encore de capter l'effet des réformes du Gouvernement sur le marché du travail au delà de 2024.
De même, le chômage structurel (estimé comme un NAWRU, c'est-à-dire le taux de chômage au niveau duquel il n'y a pas d'accélération des coûts salariaux unitaires réels) diffère de celui de la Commission : le Gouvernement prend en compte une transmission plus rapide de la nette baisse observée du chômage effectif au chômage structurel, alors que la Commission considère que la baisse du chômage observée ces dernières années est largement conjoncturelle. Ainsi, alors que le taux de chômage effectif en France s'établit au deuxième trimestre 2023 à 7,2 %, plus de 3 points sous le point haut atteint en 2015, le chômage structurel estimé par la Commission ne baisse que de moins d'un point sur la même période et se stabiliserait à partir de 2025. La prévision de chômage structurel sous-jacente au PLPFP intègre une montée en charge progressive des réformes prévues par le Gouvernement pour parvenir au plein emploi à l'horizon 2027 (cf. supra).
Les prévisions relatives au facteur capital des scénarios du Gouvernement et de la Commission sont proches, avec une contribution de + 0,5 point en moyenne à partir de 2023. Le scénario de capital retenu par le Gouvernement repose sur une quasi-stabilisation du taux d'investissement après deux années, 2021 et 2022, particulièrement dynamiques. Sur la période de prévision, la contribution du capital serait soutenue par les mesures du Gouvernement.
La Commission retient une progression de la productivité globale des facteurs (PGF) potentielle bien plus lente que le Gouvernement (à + 0,1 % par an en moyenne contre + 0,4 % à + 0,5 %). Cela s'explique notamment par la façon dont est analysé et évalué le choc économique lié aux conséquences successives de la crise sanitaire et de la guerre en Ukraine. Du fait de la nature exogène et temporaire de ces crises, le Gouvernement a retenu un choc en niveau sur la PGF potentielle, qui se matérialise sur la période 2020-2022. En particulier, il est supposé que ces chocs n'ont pas révélé de déséquilibre préexistant et ne justifient pas de révision de la croissance potentielle sur le passé. Cette absence de déséquilibre et le fort rebond de l'économie dès 2021 suggèrent également de ne pas retenir de baisse de la croissance potentielle en prévision. La Commission a traité la crise de manière différente : elle ne retient pas de choc en niveau, mais un effet lissé sur la productivité tendancielle et donc sur la croissance potentielle sur une période longue. Ainsi, dans ses dernières prévisions pré-crise, la Commission estimait la croissance moyenne de la PGF potentielle à + 0,4 % par an sur la période 2011-2019. Elle estime aujourd'hui la croissance moyenne de la PGF potentielle à + 0,15 % par an sur cette même période et prolonge cet effet de la crise en prévision sur l'horizon 2022-2027. Sur la PGF, le Gouvernement retient une hypothèse légèrement inférieure à celle de la loi de programmation des finances publiques (LPFP) 2018-2022 du fait de l'enrichissement de la croissance en emploi, qui se traduirait par l'entrée sur le marché du travail de personnes moins qualifiées, ce qui réduit mécaniquement la progression de la PGF par un effet de composition.
(1) Voir par exemple le retour d'expérience dans Mc Morrow K. et al., « An assessment of the relative quality of the Output Gap estimates produced by the EU's Production Function Methodology », Commission Européenne, European Economy Discussion Papers, n° 020, déc. 2015.