Articles

Article AUTONOME (Avis n° 15013-D du 19 octobre 2023 (deuxième chambre civile))

Article AUTONOME (Avis n° 15013-D du 19 octobre 2023 (deuxième chambre civile))


La deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu le présent avis sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, et les conclusions de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, entendu en ses observations orales.


Enoncé de la demande d'avis


1. La Cour de cassation a reçu, le 5 juillet 2023, une demande d'avis formée le 2 juin 2023 par le tribunal judiciaire de Strasbourg, en application des articles L. 441-1 et suivants du code de l'organisation judiciaire et 1031-1 et suivants du code de procédure civile, dans une instance opposant la société Grenke location à la société Lamy 3D.
2. La demande est ainsi formulée :
« La chambre de proximité de Strasbourg peut-elle connaître en matière commerciale des actions patrimoniales jusqu'à la valeur de 10 000 euros et des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros, comme le prévoit le tableau VII-III des annexes au code de l'organisation judiciaire (auquel renvoie l'article D. 212-19-1) pour les chambres de proximité de Haguenau, Illkirch-Graffenstaden et Schiltigheim et tel que décidé par l'ordonnance de répartition des services prises par le président du tribunal judiciaire ?
L'article R. 212-8, 12°, du code de l'organisation judiciaire permet-il au président du tribunal judiciaire de désigner les juges des contentieux de la protection du siège de ce tribunal comme juge unique pour connaître des actions patrimoniales en matière commerciale jusqu'à la valeur de 10 000 euros et des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros ?
A défaut, l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'exige-t-il pas que les litiges précités entre commerçants, relevant de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Starsbourg, soient tous jugés par les chambres de proximité, y compris à Strasbourg, où ils relèveraient, à défaut, de la compétence de la chambre commerciale, juridiction commerciale particulière dont la compétence est celle des tribunaux de commerce en vertu de l'article L. 731-2 du code de commerce ? »


Examen de la demande d'avis


Sur la deuxième question :
3. Selon l'article 1031-1 du code de procédure civile, lorsque le juge envisage de solliciter l'avis de la Cour de cassation en application de l'article L. 441-1 du code de l'organisation judiciaire, il en avise les parties et le ministère public, à peine d'irrecevabilité, et il recueille leurs observations écrites éventuelles dans le délai qu'il fixe, à moins qu'ils n'aient déjà conclu sur ce point.
4. Ce texte, qui a pour finalité le respect du principe de la contradiction préalablement à la transmission d'une demande d'avis à la Cour de cassation, vise à obtenir des parties et du ministère public leur avis sur l'utilité de poser une question de droit à la Cour de cassation et sur son contenu.
5. Il en résulte que les parties et le ministère public doivent, préalablement à la décision de transmission, être avisés par le juge de ce qu'il envisage de solliciter l'avis de la Cour de cassation et invités à produire leurs observations, dans un délai fixé par le juge, sur la demande d'avis. A défaut, la demande d'avis est irrecevable.
6. En l'espèce, il ne résulte ni du jugement ni du dossier transmis à la Cour de cassation que le tribunal judiciaire ait, préalablement à sa décision, avisé les parties et le ministère public de ce qu'il envisageait de solliciter l'avis de la Cour de cassation sur le point de savoir si l'article R. 212-8, 12°, du code de l'organisation judiciaire permet au président du tribunal judiciaire de désigner les juges des contentieux de la protection du siège de ce tribunal comme juge unique pour connaître des actions patrimoniales en matière commerciale jusqu'à la valeur de 10 000 euros et des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros.
7. Cette formalité n'ayant pas été accomplie et la notification de la décision de transmission ne pouvant y suppléer, est irrecevable la demande d'avis portant sur la deuxième question.
Sur les première et troisième questions :
8. En application de l'article L. 731-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, des chambres commerciales du tribunal judiciaire sont instituées dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle.
9. Aux termes de l'article L. 731-2 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2019-964 du 18 septembre 2019, la compétence de la chambre commerciale est celle des tribunaux de commerce.
10. Selon l'article L. 721-3, 1°, du même code, les tribunaux de commerce connaissent des contestations relatives aux engagements entre commerçants, entre artisans, entre établissements de crédit, entre sociétés de financement ou entre eux.
11. En application de l'article L. 212-8 du code de l'organisation judiciaire, dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019, le tribunal judiciaire peut comprendre, en dehors de son siège, des chambres de proximité dénommées « tribunaux de proximité », dont le siège et le ressort ainsi que les compétences matérielles sont fixées par décret.
12. En application de l'article R. 212-19-3 du code de l'organisation judiciaire, créé par le décret n° 2019-912 du 30 août 2019, les chambres de proximité connaissent seules, dans leur ressort, des compétences qui leur sont attribuées par décret ou en application du dernier alinéa de l'article L. 212-8.
13. Selon le tableau IV-III, visé à l'article D. 212-19-1 du code de l'organisation judiciaire, créé par le décret n° 2019-914 du 30 août 2019, et annexé audit code, les chambres de proximités situées dans les ressorts des cours d'appel de Colmar et de Metz sont compétentes pour connaître, notamment, en matière civile et commerciale, des actions patrimoniales jusqu'à la valeur de 10 000 euros et des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros.
14. Selon le tableau IV, visé à l'article D. 212-19 du code de l'organisation judiciaire, dans sa rédaction issue du décret n° 2019-914 du 30 août 2019, et annexé audit code, il n'existe, dans le ressort territorial du tribunal judiciaire de Strasbourg, que trois chambres de proximité, situées à Haguenau, Illkirch-Graffenstaden et Schiltigheim, aucune chambre de proximité n'étant instituée, conformément aux dispositions de l'article L. 212-8 précité, au siège du tribunal judiciaire lui-même.
15. Il en découle que lorsque, en matière commerciale, une action patrimoniale jusqu'à la valeur de 10 000 euros ou des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros relèvent de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Strasbourg, seule la chambre commerciale de ce tribunal est compétente pour en connaître.
16. La circonstance qu'en matière commerciale, une action patrimoniale jusqu'à la valeur de 10 000 euros ou une demande indéterminée ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros relève, selon un critère de compétence territoriale, de la chambre commerciale du tribunal judiciaire, composée, en application de l'article L. 731-3 du code de commerce, d'un juge du tribunal judiciaire, président, et de deux assesseurs élus, et non pas de l'une de ses chambres de proximité, statuant, en application de l'article R. 212-8, 19°, du code de l'organisation judiciaire, à juge unique, n'est pas, en soi, contraire au droit à un procès équitable, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par ces motifs, la Cour :
Sur la deuxième question :
déclare irrecevable la demande d'avis ;
Sur les première et troisième questions :
est d'avis que :
Lorsque, en matière commerciale, une action patrimoniale jusqu'à la valeur de 10 000 euros ou des demandes indéterminées qui ont pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros relèvent de la compétence territoriale du tribunal judiciaire de Strasbourg, seule la chambre commerciale de ce tribunal est compétente pour en connaître.
La circonstance qu'en matière commerciale, une action patrimoniale jusqu'à la valeur de 10 000 euros ou une demande indéterminée ayant pour origine l'exécution d'une obligation dont le montant n'excède pas 10 000 euros relève, selon un critère de compétence territoriale, de la chambre commerciale du tribunal judiciaire, composée, en application de l'article L. 731-3 du code de commerce, d'un juge du tribunal judiciaire, président, et de deux assesseurs élus, et non pas de l'une de ses chambres de proximité, statuant, en application de l'article R. 212-8, 19°, du code de l'organisation judiciaire, à juge unique, n'est pas, en soi, contraire au droit à un procès équitable, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Dit que, par application de l'article 1031-6 du code de procédure civile, le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.
Fait à Paris et mis à disposition au greffe de la Cour le 19 octobre 2023, après examen de la demande d'avis lors de la séance du 10 octobre 2023 où étaient présents, conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire : Mme Martinel, président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller doyen, Mmes Vendryes, Caillard, M. Waguette, conseillers, Mmes Jollec, Bohnert, Latreille, Bonnet, Chevet, conseillers référendaires, Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, Mme Thomas, greffier de chambre.
Le présent avis est signé par le conseiller rapporteur, le président et le greffier de chambre.