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Article AUTONOME (Avis n° 2023-1767 du 29 août 2023 sur un projet d'ordonnance relatif à la solution d'accessibilité téléphonique universelle)

Article AUTONOME (Avis n° 2023-1767 du 29 août 2023 sur un projet d'ordonnance relatif à la solution d'accessibilité téléphonique universelle)


Après en avoir délibéré le 29 août 2023,


1. Contexte de la saisine
1.1. Cadre juridique


L'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques (ci-après « CPCE ») prévoit que l'ARCEP est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques, et participe à leur mise en œuvre.
Par courrier en date du 3 août 2023, enregistré à l'Autorité le 7 août 2023, le directeur général des entreprises a sollicité l'avis de l'ARCEP sur un projet d'ordonnance prise en application du 2° du VII de l'article 16 de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne dans les domaines de l'économie, de la santé, du travail, des transports et de l'agriculture (ci-après « loi DDADUE »).


1.2. Cadre actuellement en vigueur : l'article 105 de la loi pour une République numérique


L'article 105 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique (ci-après « LRN ») a introduit un cadre relatif à l'accessibilité des services téléphoniques. Il a renforcé les obligations en la matière en faveur des personnes sourdes, malentendantes, sourdaveugles et aphasiques, qui s'appliquent aux opérateurs de communications électroniques, à certaines entreprises (1) et aux services publics.
Cet article a notamment élargi le périmètre des obligations faites aux opérateurs de communications électroniques inscrites au I de l'article L. 33-1 du CPCE, en introduisant un p qui leur impose de proposer l'« accès des utilisateurs finals sourds, malentendants, sourdaveugles et aphasiques à une offre de services de communications électroniques incluant, pour les appels passés et reçus, la fourniture d'un service de traduction simultanée écrite et visuelle […] ». Cette offre, dont les niveaux de qualité sont définis par l'ARCEP (2), assure, « en mode simultané et à la demande de l'utilisateur, l'interprétariat entre le français et la langue des signes française, la transcription écrite et le codage en langage parlé complété ».
Il prévoit également que la mise en œuvre de cette obligation « s'appuie notamment sur la création d'un groupement interprofessionnel comportant notamment des opérateurs de communications électroniques, dont l'objet est d'assurer l'organisation, le fonctionnement et la gestion de services d'accessibilité téléphonique grâce à une mutualisation des coûts, selon des modalités définies par le décret […] et sous le contrôle de [l'ARCEP] ». Les dispositions de cet article, applicables à l'ensemble des acteurs concernés, sont entrées en vigueur depuis le 7 octobre 2018, à l'exception de certains services publics (3).


1.3. Habilitation du Gouvernement à légiférer par ordonnance


Le 2° du VII de l'article 16 de la loi DDADUE prévoit que le Gouvernement est autorisé à prendre par voie d'ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de cette loi DDADUE, les mesures relevant du domaine de la loi, ainsi que des mesures de coordination et d'adaptation de la législation, visant à « [r]enforcer l'accessibilité des services téléphoniques, en mettant notamment en place un régime de sanctions ainsi qu'une solution d'accessibilité téléphonique universelle répondant aux obligations résultant de l'article 105 » de la LRN.


2. Présentation du projet d'ordonnance


Le projet d'ordonnance soumis à avis de l'ARCEP a ainsi pour objet :


- de modifier l'article 105 de la LRN pour introduire les dispositions législatives nécessaires à la mise en œuvre d'une « solution d'accessibilité téléphonique universelle » (article 1er) ;
- d'amender les dispositions qui s'appliquent aux services publics (article 2) et aux entreprises (article 3) pour leur conférer la possibilité d'avoir recours à cette solution ;
- de définir des sanctions applicables aux entreprises qui ne satisferaient pas à leur obligation d'accessibilité téléphonique - une amende administrative pouvant aller jusqu'à 75 000 euros pour une personne physique et 1 % du chiffre d'affaires pour une personne morale - et d'assigner la compétence de contrôle de l'obligation applicable aux entreprises à l'autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, qui peut avoir recours à l'expertise du ministère chargé de la santé et celui chargé des personnes handicapées (article 3).


Concernant plus particulièrement la solution d'accessibilité téléphonique universelle, le projet d'ordonnance prévoit qu'elle :


- « comprend notamment un service de traduction simultanée écrite et visuelle » ;
- est « mis[e] à la disposition des utilisateurs sourds, malentendants, sourdsaveugles et aphasiques sans surcoût pour eux » ;
- « a pour objet d'offrir un parcours d'appel simple, garantissant le respect de la confidentialité des échanges traduits ou transcrits ».


Il est par ailleurs précisé à l'article 1er que « [l']Etat peut confier à un opérateur la mise en place ou la gestion de cette solution ».


3. Observations de l'ARCEP


A titre liminaire, l'Autorité relève les progrès que ce projet d'ordonnance est susceptible d'apporter à la situation actuelle, en donnant la possibilité à l'ensemble des acteurs assujettis aux obligations d'accessibilité téléphonique de contribuer à une solution « universelle » pour respecter leurs obligations. A cet égard, la définition d'un régime de sanctions applicable aux grandes entreprises qui ne respecteraient pas leurs obligations est également de nature à assurer les équilibres entre acteurs assujettis aux obligations.
L'ARCEP constate toutefois que les fournisseurs de services de communications électroniques non fondés sur la numérotation ne sont pas assujettis aux dispositions de l'article 105 de la LRN, alors que l'adoption de leurs services par les utilisateurs finals est désormais très importante. Elle s'interroge sur cette différence de situation, insatisfaisante en matière d'accessibilité et aussi d'un point de vue concurrentiel.


L'Autorité relève que le projet d'ordonnance du Gouvernement a principalement pour objet de prévoir la mise place d'une solution d'accessibilité téléphonique universelle dont l'Etat peut confier la mise en place et la gestion à un tiers.
Ce projet d'ordonnance prévoit explicitement, à ses articles 2 et 3, que, pour les services publics, d'une part, et les entreprises dans le cadre des appels passés avec le consommateur en vue de l'exécution des contrats les liant ou pour le traitement de leur réclamation, d'autre part, le recours à la solution universelle est une option possible pour assurer l'accessibilité de leurs services d'accueil téléphonique. Tant les services publics que les entreprises conservent la possibilité d'assurer eux-mêmes cette accessibilité ou d'avoir recours à un opérateur spécialisé agisssant sous leur responsabilité.
Une telle possibilité de choix devrait rester également ouverte aux opérateurs de communications électroniques. L'ARCEP invite, dès lors, le Gouvernement à préciser le texte en ce sens.
En outre, puisque l'ARCEP doit veiller au respect par les opérateurs de communications électroniques des obligations qui leur sont applicables, il conviendra, qu'elle ait connaissance des opérateurs qui ont choisi :


- de satisfaire par eux-mêmes à tout ou partie de ces obligations, et, le cas échéant, lesquelles ;
- de recourir à la solution universelle.


Par ailleurs, il pourrait être précisé que l'« opérateur » auquel serait confiée la mise en œuvre de cette solution ne serait pas a priori un opérateur de communications électroniques.
S'agissant des niveaux de qualité du service, l'ARCEP constate que, en l'état actuel des textes, elle sera toujours compétente pour fixer, par décision, les niveaux applicables aux opérateurs de communications électroniques. Il lui appartiendra de rendre ces niveaux cohérents avec ceux que le Gouvernement retiendra pour la solution universelle et, le cas échéant, de modifier sa décision.
Enfin, l'ARCEP s'interroge sur les modalités de financement de la solution universelle, en particulier sur la contribution qui serait susceptible d'être exigée des opérateurs de communications électroniques et les modalités permettant d'en déterminer le montant.


L'Autorité souligne enfin que le plan des métiers prévu par la LRN demeure central pour apporter une réponse à la pénurie d'interprètes, en particulier en langue des signes française. La question de la qualité du service apporté par la solution d'accessibilité téléphonique universelle pourrait ainsi demeurer entière, surtout si celle-ci était amenée à traiter un volume d'appels plus important, du fait de l'augmentation du nombre d'acteurs assujettis aux obligations qui rejoindront le dispositif. L'Autorité suggère par ailleurs au Gouvernement d'effectuer une veille sur les solutions automatisées, notamment d'intelligence artificielle, qui pourraient venir compléter le dispositif envisagé pour la solution universelle.
Le présent avis sera transmis au directeur général des entreprises et sera publié au Journal officiel de la République française.