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Article AUTONOME (Avis n° 2022-12 du 20 juillet 2022 sur le projet de décret pris pour l'application de l'article 20-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant le seuil de déclenchement et le délai d'application des obligations de visibilité appropriée des services d'intérêt général)

Article AUTONOME (Avis n° 2022-12 du 20 juillet 2022 sur le projet de décret pris pour l'application de l'article 20-7 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et fixant le seuil de déclenchement et le délai d'application des obligations de visibilité appropriée des services d'intérêt général)


Après en avoir délibéré,
Emet l'avis suivant :


I. - Rappel des objectifs de l'article 20-7 et portée du décret


L'article 20-7 de la loi du 30 septembre 1986 issu de l'ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 transpose l'article 7 bis de la directive 2018/1808 du Parlement et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE dite « directive Services de médias audiovisuels (SMA) », selon lequel : « Les Etats membres peuvent prendre des mesures afin d'assurer une visibilité appropriée pour les services de médias audiovisuels d'intérêt général ».
L'article 20-7 dispose que :
I. - Pour l'application du présent article, on entend par “interface utilisateur” tout dispositif présentant à l'utilisateur un choix parmi plusieurs services de communication audiovisuelle ou parmi des programmes issus de ces services, qui est :
1° Installé sur un téléviseur ou sur un équipement destiné à être connecté au téléviseur ;
2° Installé sur une enceinte connectée ;
3° Mis à disposition par un distributeur de services ;
4° Mis à disposition au sein d'un magasin d'applications ;
II. - A compter du 1er janvier 2022 les opérateurs qui déterminent les modalités de présentation des services sur les interfaces utilisateurs dont le nombre d'utilisateurs ou d'unités commercialisées sur le territoire français dépasse un seuil fixé par décret assurent dans un délai précisé par le même décret une visibilité appropriée de tout ou partie des services d'intérêt général dans des conditions précisées par l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Cette obligation n'est pas applicable aux interfaces qui proposent exclusivement des services d'un même éditeur, d'un éditeur et de ses filiales, ou d'un éditeur et des filiales de la société qui le contrôle au sens du 2° de l'article 41-3.
Les services d'intérêt général s'entendent comme les services édités par un des organismes mentionnés au titre III de la présente loi et par la chaîne TV5 pour l'exercice de leurs missions de service public. Après consultation publique, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut y inclure, de manière proportionnée et au regard de leur contribution au caractère pluraliste des courants et pensée et d'opinion et à la diversité culturelle, d'autres services de communication audiovisuelle. Elle rend publique la liste de ces services.
En tenant compte des capacités de personnalisation par les utilisateurs, la visibilité appropriée peut notamment être assurée par la mise en avant :
1° Sur la page ou l'écran d'accueil ;
2° Dans les recommandations aux utilisateurs ;
3° Dans les résultats de recherches initiées par l'utilisateur ;
4° Sur les dispositifs de pilotage à distance des équipements donnant accès aux services de communication audiovisuelle.
La présentation retenue doit en outre garantir l'identification de l'éditeur du service mis en avant.
III. - Les opérateurs mentionnés au premier alinéa du II rendent compte à l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, selon des modalités déterminées par cette dernière, des mesures qu'ils mettent en œuvre pour l'application de ce même II.
L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique publie un bilan périodique de l'application de ces mesures et de leur effectivité.
IV. - En cas de manquement à l'obligation mentionnée au premier alinéa du III, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut mettre en demeure l'opérateur de s'y conformer dans un délai qu'elle fixe.
Lorsque l'opérateur faisant l'objet de la mise en demeure ne se conforme pas à celle-ci, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique peut prononcer une sanction pécuniaire dans les conditions prévues aux articles 42-2 et 42-7 de la présente loi.
L'ARCOM a été saisie pour avis le 25 janvier 2022, par la ministre de la culture, d'un projet de décret d'application de l'article 20-7. Par un courriel en date du 17 mai 2022, le ministère de la culture a indiqué que le projet de décret notifié à la Commission européenne différait de celui transmis à l'ARCOM : le seuil figurant au I de l'article 2 était désormais de 150 000 au lieu de 200 000 initialement.
C'est sur ce projet de décret rectifié que porte le présent avis.


A titre liminaire et dans le prolongement de son avis n° 2020-09 du 21 novembre 2020 relatif à l'ordonnance portant transposition de la directive (UE) 2018/1808 du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018, l'ARCOM souhaite attirer l'attention du gouvernement sur un point relatif à ses compétences et qui pourrait restreindre l'efficacité du dispositif de l'article 20-7. En effet, les prérogatives de l'ARCOM à l'égard de certains acteurs visés par cet article, notamment ceux installés en dehors des frontières nationales et ceux qui ne sont pas inclus dans le champ de régulation de la loi du 30 septembre 1986, apparaissent limitées s'agissant spécifiquement des pouvoirs de mise en demeure et de sanction et des pouvoirs d'enquête.
Les remarques formulées dans les parties II à IV ci-dessous doivent donc s'apprécier à cette aune.


II. - Remarques relatives aux équipements et aux niveaux des seuils


Sur le niveau des seuils
Le niveau des seuils fixés aux articles 2 et 3 du projet de décret poursuit l'objectif de prendre en compte les acteurs les plus importants intervenant dans les secteurs listés à l'article 20-7 afin de proportionner cette nouvelle obligation à la taille et au poids économique des acteurs.
On relèvera néanmoins que les marchés en outre-mer peuvent différer significativement de ceux en métropole - eu égard notamment au nombre d'habitants et aux acteurs actifs sur ces marchés : il est donc possible que le niveau des seuils tel que prévu actuellement par le projet de décret conduise, en pratique, à ce que les dispositions de l'article 20-7 ne s'appliquent pas, ou de manière très limitée, dans certains territoires ultramarins.
Sur les équipements visés
Il existe une incertitude quant à la capacité de certains acteurs visés par le décret, en particulier des constructeurs de produits connectés, à répondre aux obligations de mise en avant. En effet, certains d'entre eux ne semblent pas totalement maîtres de leur interface utilisateur en raison du recours à des sous-traitants et fournisseurs qui établissent une relation directe avec l'utilisateur final. Il en est ainsi de certains fabricants de téléviseurs qui installent des systèmes d'exploitation fournis par des tiers. Il pourrait être considéré qu'en l'absence d'éléments détaillés sur le rôle de chacun dans la détermination des modalités de présentation des services, tant le constructeur de produits connectés que ses sous-traitants et fournisseurs sont soumis à l'obligation de visibilité appropriée des SIG.
S'agissant de la mise en conformité des interfaces utilisateurs visés à l'article 2 du projet de décret, l'Autorité relève que le projet de décret ne prévoit pas de disposition sur le parc installé. Il pourrait effectivement être coûteux et complexe d'un point de vue opérationnel de procéder à une mise à jour dans les délais impartis de l'ensemble des équipements préexistants.
Par ailleurs, l'Autorité suggère que le terme de « 200 000 interfaces utilisateurs commercialisées ou mises à disposition dans le cadre d'une offre de services de communication audiovisuelle lors de la dernière année civile sur le territoire français » figurant à l'article 2 du décret soit remplacé par « 200 000 interfaces utilisateurs commercialisées, mises à disposition dans le cadre d'un contrat d'abonnement ou louées, lors de la dernière année civile sur le territoire français ». Cette reformulation permet d'inclure les box des fournisseurs d'accès à internet, visés à cet article, qui peuvent être des équipements non pas commercialisés mais mis à disposition ou loués parfois indépendamment de l'offre de service elle-même.


III. - Remarques relatives au contrôle du dépassement des seuils


Comme l'Autorité l'avait déjà indiqué dans son avis n° 2020-09 du 27 novembre 2020 relatif à l'ordonnance portant transposition de la directive, il est difficile de contrôler de manière fiable le respect de ces seuils et, de fait, de déterminer les opérateurs qui les dépassent.
S'agissant du contrôle du seuil prévu à l'article 2 du projet de décret, il existe plusieurs difficultés à évaluer et suivre le nombre d'unités commercialisées ou celles mises à dispositions ou louées.
Pour certains équipements, notamment ceux commercialisés, les données déclaratives peuvent s'avérer insatisfaisantes. Les fabricants peuvent ne disposer que de leurs chiffres de ventes de gros sans connaître le chiffre des ventes au détail visées par le projet de décret.
Un recueil de chiffres de ventes au détail (effectuées par les distributeurs, et sous marque d'origine et/ou, éventuellement, sous une autre marque lorsqu'une partie des équipements a été vendue en marque blanche par le fabricant) parait, en outre, difficilement réalisable directement par l'Autorité. Il nécessiterait de recourir à des prestataires spécialisés qui, par ailleurs, devraient présenter des garanties d'indépendance par rapport aux acteurs concernés. De tels prestataires ne semblent cependant pas en mesure, en l'état actuel, de couvrir l'ensemble du périmètre défini dans le décret, faute d'existence de mesures exhaustives des ventes au détail des téléviseurs connectés, enceintes connectées et équipements connectés au téléviseur.
Il est en particulier impossible de dénombrer les ventes d'équipements commercialisés sous marque blanche, ainsi que celles effectuées sur certains canaux de distribution (plateformes d'achats et ventes, ventes de produits Amazon sur leur propre place de marché, etc.). Il faudrait donc que l'Autorité recoure à des prestations spécifiques. Or, l'acquisition de ces données, lorsqu'elles existent, ou le recours à de nouvelles prestations lorsque ces données sont inexistantes représenteraient un coût élevé pour l'ARCOM qui nécessiterait l'allocation de nouveaux moyens financiers spécifiques.
Pour certains équipements non couverts par les mesures existantes de prestataires, l'Autorité pourrait s'appuyer sur les déclarations des opérateurs. C'est notamment le cas des décodeurs numériques (« set-top box ») des fournisseurs d'accès à internet. En revanche, il ne semble pas possible de s'appuyer sur des tiers pour vérifier les chiffres communiqués par les acteurs.
Enfin, le dernier alinéa du II de l'article 2 du projet de décret devrait être précisé : la notion de « même système d'exploitation » peut renvoyer à une famille de systèmes d'exploitation (Android, WebOS, Tizen, etc.) ou à une version de ce système d'exploitation. Etant donné la multiplicité des versions existantes pour un même système d'exploitation, l'Autorité préconise que le seuil renvoie au système d'exploitation, indépendamment de sa version. Par ailleurs, à l'avant-dernier alinéa, la notion de « marque commune » pourrait être remplacée par l'expression « même marque » ou « marque identique », afin d'éviter toute confusion sur le sens de l'adjectif « commun », qui peut avoir également l'acception de « répandu ».
S'agissant du contrôle du seuil prévu à l'article 3 du projet de décret, l'Autorité pourra se référer à la mesure des audiences internet des différents services et magasins d'application réalisée par Médiamétrie. Il doit cependant être souligné que cette mesure ne reflète pas l'exhaustivité des usages puisqu'elle ne prend pas en compte la consommation des applications sur le téléviseur.
Par ailleurs, certains sites souffrent d'une mesure irrégulière de leur usage mensuel, du fait notamment d'une forte sécurisation de l'accès à leurs données d'utilisation. L'Autorité ne pourra ainsi pas directement attester du dépassement des seuils en moyenne annuelle les concernant.
Dans le cas où des mesures ponctuelles robustes confirmeraient le dépassement des seuils, il semble toutefois raisonnable de considérer que les acteurs concernés sont réputés soumis aux obligations. Dans le cas contraire, les mesures de ventes d'équipements sur lesquels ces services sont préinstallés (ex. : terminaux mobiles sur lesquels un système d'exploitation est installé) pourraient servir d'alternative.
Par ailleurs, l'Autorité relève que ce seuil s'appliquera à des interfaces utilisateurs donnant accès à des services de radio, notamment dans le cas où l'écran du système de divertissement embarqué dans un véhicule sera le miroir d'un écran de téléphone, alors même que le seuil prévu à l'article 2 ne concerne ni les écrans des autoradios ni ceux des systèmes de divertissement embarqués dans les véhicules en raison de la rédaction du I de l'article 20-7.
Enfin, il convient de relever qu'en outre-mer les données disponibles auprès de tiers peuvent être encore plus réduites que celles disponibles en métropole, voire inexistantes. Le recours à des prestations externes pour fonder le contrôle de l'Autorité des seuils prévus aux articles 2 et 3 pose, à nouveau, la question de la disponibilité, du coût et de la robustesse de ces mesures.


IV. - Remarques relatives à la date de mise en œuvre des obligations


Au regard des contraintes industrielles que représente la mise en œuvre des obligations prévues par le II de l'article 20-7 de la loi, le délai de six mois entre la publication de la liste des interfaces qui dépassent les seuils et le respect par les opérateurs de leurs obligations, prévu au dernier alinéa de l'article 4 et à l'article 5 du projet de décret devrait être allongé, au moins les premières années d'application du décret. Un délai étendu temporairement à douze ou dix-huit mois pourrait ainsi être raisonnablement prévu.
Par ailleurs, le délai de mise en conformité ne s'applique qu'à compter de la publication de la liste des interfaces qui dépassent les seuils. Un délai devrait également être prévu à compter de toute éventuelle modification, par l'Autorité, de la liste des services d'intérêt général prévue au deuxième alinéa du II de l'article 20-7 de la loi.
L'Autorité préconise enfin que la publication de la liste des interfaces utilisateurs, prévue au plus tard au 1er août 2022 à l'article 5 du projet de décret pour la première année d'application, soit reportée au 1er octobre 2022.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.