2.3.2. Deuxième critère : évolution peu probable vers une situation de concurrence effective à l'horizon de la présente analyse
L'analyse du deuxième critère consiste à évaluer dans quelle mesure la structure du marché considérée est susceptible d'évoluer vers une concurrence effective dans un délai déterminé.
Dans la note explicative qui accompagne la recommandation « marchés pertinents » de 2020, la Commission européenne (71) précise que l'appréciation du deuxième critère ne revient pas à déterminer si une situation de concurrence effective sera atteinte durant la période visée par l'analyse de marché mais si la dynamique peut conduire à une situation de concurrence effective dans un avenir prévisible. Dans sa recommandation, la Commission européenne n'exclut pas que la situation concurrentielle puisse être obtenue au-delà de la période d'analyse de marché.
Néanmoins, la Commission européenne souligne que l'atteinte de cette concurrence effective ne peut être admise qu'« à condition que des preuves manifestes d'une dynamique favorable sur le marché soient recueillies au cours de la période de référence ». Dans la note explicative associée à la recommandation de 2020, la Commission européenne précise que « les événements prévus doivent être anticipés dans un horizon temporel précis et sur la base d'éléments concrets (par exemple, des plans d'affaires, des investissements réalisés, des technologies en cours de déploiement) plutôt que quelque chose qui serait seulement théoriquement possible. Le simple fait que les parts de marché aient commencé à baisser au cours des dernières années ou de futurs développements technologiques incertains sont, à eux seuls, insuffisants pour démontrer que le marché tend vers une situation de concurrence effective. […] En général, plus la situation de concurrence effective est attendue dans un futur lointain, plus le deuxième critère est susceptible d'être rempli » (72).
a) Absence de convergence des marchés de gros de diffusion audiovisuelle
Pour étudier la dynamique du marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels, il convient, entre autres, de s'interroger sur l'évolution plus générale de la structure globale du marché, notamment au vu de la progression des modes de diffusion de la télévision alternatifs à la TNT.
A cet égard, la recommandation « marchés pertinents » (73) précise que, « même lorsqu'un marché est caractérisé par des barrières élevées à l'entrée, d'autres facteurs structurels peuvent présager quand même d'une concurrence effective sur le marché dans un délai visé. […] Les évolutions technologiques ou la convergence de produits et de marchés peuvent donner lieu à des pressions concurrentielles entre opérateurs actifs sur des marchés de produits distincts. »
Néanmoins, comme exposé en section 2.1 quant aux marchés de gros de diffusion par voie hertzienne, la plateforme TNT n'est pas, à l'horizon de la présente analyse, substituable par les réseaux filaires ou le satellite. Cette plateforme conservera très probablement, à l'horizon de la présente analyse, un rôle substantiel pour le marché de la diffusion audiovisuelle en France.
Cette conclusion s'est principalement appuyée sur les observations suivantes :
- le réseau hertzien terrestre reste, grâce à sa couverture quasi-totale de la population, un moyen important d'accéder à la télévision pour une part substantielle des foyers ;
- les autres modes de diffusion de la télévision ne peuvent pas être utilisés par les chaînes de télévision pour contribuer au respect des engagements de couverture nationale inscrits dans leurs autorisations d'usage des fréquences délivrées par le CSA, le cadre réglementaire n'autorisant pas de désengagement partiel des chaînes ;
- enfin, le cadre légal actuel applicable aux chaînes de télévision et aux distributeurs de services audiovisuels, notamment les FAI, accorde à la diffusion par voie hertzienne terrestre une place prépondérante en octroyant aux chaînes de la TNT des droits de reprise sur les autres modes de diffusion de la télévision.
En conséquence, à l'horizon de la présente analyse, seule la plateforme hertzienne terrestre apparaît en mesure de garantir à un éditeur de dimension nationale de pouvoir diffuser ses programmes télévisuels au plus grand nombre de téléspectateurs. Les plateformes alternatives n'exercent pas encore une pression concurrentielle suffisante pour faire tendre le marché de gros amont des services de diffusion hertzienne terrestre de programmes télévisuels vers une concurrence effective à l'horizon de la présente analyse.
En tout état de cause, si la situation venait à évoluer de sorte qu'une convergence des marchés de gros s'opère avant la fin du cycle de régulation concerné par cette décision, l'ARCEP pourrait être amenée à revoir son analyse de marché de manière anticipée.
b) Etat de la concurrence sur le marché de la diffusion TNT
Le deuxième critère sert à établir si la structure d'un marché présage, en l'absence de régulation ex ante, d'une évolution vers une concurrence effective et pérenne dans un délai déterminé. Il faut pour cela examiner la situation de la concurrence fondée sur les infrastructures et d'autres facteurs que les barrières à l'entrée. L'analyse du deuxième critère est ainsi réalisée en tenant compte du bilan concurrentiel du 4e cycle et de la prolongation de deux ans associée, des barrières à l'entrée identifiées précédemment et, sur le marché de gros aval, des pratiques d'achat des multiplex observées actuellement.
Même si elle admet qu'il revient aux multiplex de jouer un rôle décisif dans le développement d'une concurrence pérenne entre diffuseurs, l'ARCEP considère que des éléments structurels et conjoncturels tendent à montrer que, en l'absence de régulation ex ante sur le marché de gros amont, il existe un risque de stagnation, voire de recul de la concurrence sur les marchés de gros de la diffusion de la TNT à l'horizon de la présente analyse.
En cas de levée de la régulation ex ante, le diffuseur historique pourrait avoir intérêt à refuser l'accès à ses sites à ses concurrents. Le développement de la concurrence sur le marché de gros aval ne pourrait alors plus s'appuyer sur les offres de gros de TDF utilisées sur 294 zones de diffusion (soit 18 % d'entre elles). Le jeu concurrentiel reposerait uniquement sur la dynamique de construction de nouveaux sites alternatifs (qui ne concernent à fin 2020 que 15 % des zones de diffusion). Or, comme le montre l'analyse des barrières à l'entrée présentée précédemment par l'ARCEP, plusieurs contraintes d'ordre économique, technique, réglementaire ou administratif tendent à limiter le développement, dans un horizon temporel raisonnable au regard du fonctionnement du marché de gros aval, d'un réseau étendu de sites alternatifs.
En outre, l'inertie attendue sur le marché de gros aval, en limitant les opportunités de construction de sites alternatifs, pourrait figer la situation concurrentielle sur le marché de gros amont. En effet, la majorité des contrats de diffusion (57 %) a été renouvelée en 2021 pour une période de cinq ans, ce qui se traduit par un nombre limité de mises en concurrence au cours de la période 2021-2025. Or, comme cela a été observé au cours des précédents cycles de régulation, les infrastructures alternatives sont généralement construites, sur une zone donnée, à l'occasion des appels d'offres organisés par les multiplex.
Aussi, l'ARCEP estime que l'équilibre économique trouvé par les concurrents de TDF n'est pas encore suffisamment robuste pour considérer avec certitude que les perspectives de développement de la concurrence, sur la période 2022-2026, soient suffisantes pour garantir, à long terme, l'exercice d'une concurrence effective entre diffuseurs.
c) Conclusion sur le deuxième critère
Au vu des éléments présentés ci-avant, l'ARCEP considère que le deuxième critère est rempli pour ce qui concerne la période couverte par la présente analyse.
L'Autorité de la Concurrence dans son avis n° 21-A-17 du 17 décembre 2021 confirme l'analyse de l'ARCEP selon laquelle le deuxième critère est rempli.
(71) “A tendency towards effective competition does not necessarily imply that the market will reach the status of effective competition within the period of review. It simply means that there is clear evidence of dynamics in the market within that period, which indicates that the status of effective competition will be reached in the foreseeable future without ex ante regulation in the market concerned.”
Commission européenne, Commission staff working document - Explanatory note accompanying the document “Commission Recommendation on relevant product and service markets within the electronic communications sector susceptible to ex ante regulation in accordance with Directive 2018/1972 of the European Parliament and of the Council of 11 December 2018 establishing the European Electronic Communications Code”.
(72) Traduction libre du passage suivant :
“Therefore, anticipated events must be expected within a precise timeframe and on the basis of concrete elements (e.g. business plans, investments made, new technologies being rolled out) rather than indications that are only theoretically possible. For example, decreasing market shares or uncertain future technological developments are not in themselves sufficient reasons to find that the market tends towards effective competition. […] In general, the later effective competition is expected to materialise in the future, the more likely it is that the second criterion will be fulfilled.”
(73) Cf. Points 14 à 16.