2.1.2. Analyse du marché de détail : une substituabilité croissante de l'IPTV au détriment notamment de la plateforme TNT
Avant d'étudier la délimitation du marché de gros, l'Autorité réalise une analyse de la substituabilité entre les différentes offres sur le marché de détail. Les besoins des utilisateurs finals sont en effet susceptibles d'agir sur le degré de substituabilité entre les produits de gros et comme le relève la Commission européenne dans ses lignes directrices de 2018 :
« Bien que l'utilisation finale d'un produit ou service soit étroitement liée à ses caractéristiques physiques, différents types de produits ou de services peuvent être utilisés à une même fin ». (49).
Dans la suite de cette section, l'Autorité délimite les contours du marché de détail en étudiant la substituabilité entre les différentes plateformes de diffusion des services de télévision pour les téléspectateurs.
Comme relevé en section 1.3.1, la consommation audiovisuelle se fonde en France sur une combinaison de plateformes traditionnelles recouvrant la diffusion hertzienne terrestre, le satellite et, dans une moindre mesure, le service antenne (via le câble). A ces réseaux est venue s'ajouter la distribution par l'ADSL, la fibre et le câble organisée suivant deux modèles. Pour l'un, le flux vidéo est distribué par le FAI via la box TV ; on parle alors de télévision sur IP (ou « IPTV »). Pour l'autre, la diffusion est directement sur internet et dite « over the top » (ou « OTT »).
Comme l'Autorité l'indique dans son bilan et perspectives publié en mai 2021, les téléspectateurs substituent progressivement les plateformes de diffusion traditionnelle dont la TNT, au profit des réseaux haut et très haut débit. Pour rappel, au deuxième trimestre 2021, 61,4 % des foyers disposant d'au moins un téléviseur étaient équipés d'un mode de réception de la télévision en IPTV (via les réseaux haut et très haut débit comprenant les infrastructures cuivre, fibre et câble) selon le CSA (50), soit 10 points supplémentaires en cinq ans (51,1 % des foyers au deuxième trimestre 2016 [51]) et 3 points supplémentaires sur deux ans (58,2 % des foyers au deuxième trimestre 2019).
Dans le même temps, les plateformes de diffusion traditionnelle connaissent une baisse tendancielle depuis plusieurs années. A titre d'exemple, 17,1% des foyers équipés d'au moins un poste de télévision comptait le satellite parmi leur(s) mode(s) de réception au deuxième trimestre 2021, soit 5 points de moins sur cinq ans et 4,8 points de moins sur deux ans. La TNT a perdu quant à elle 9,6 points sur cinq ans et 3 points sur deux ans pour atteindre 46.3 % au deuxième trimestre 2021 (52).
Outre l'accroissement de l'empreinte des réseaux haut et très haut débit, ces évolutions sont dues à une modification des usages des utilisateurs. En effet, comme indiqué précédemment (cf. section 1.3.1), un nombre croissant d'utilisateurs consomment des contenus en mobilité directement sur leur téléphone mobile, ordinateur ou tablette (53). Par ailleurs, de nombreux utilisateurs consomment des contenus délinéarisés, que ce soit directement sur internet, via des plateformes de partages, de vidéo à la demande par abonnement ou directement sur les sites des services de télévision (l'ensemble des chaînes de la TNT proposent par ailleurs des services de rattrapage accessibles sur l'ensemble des terminaux connectés). Seuls les réseaux de communications fixes (cuivre, câble et fibre) et mobiles (4G et 5G) permettent la consommation de ce type de contenus en proposant une voie de retour.
Pour autant, la plateforme TNT conserve une place importante au sein des foyers français puisqu'elle est le mode de réception unique pour 21,2 % des foyers et le mode de réception sur le téléviseur principal pour 37,4 % des foyers (54) au deuxième trimestre 2021 (chiffre eux aussi en décroissance constante sur ces dernières années). De plus, et comme l'indique le CSA, elle est le mode de réception le plus utilisé sur le poste secondaire, « probablement en raison de sa gratuité et de sa simplicité » (55).
Par ailleurs, comme l'Autorité le relevait dès 2019 (56) et comme cela a été rappelé par plusieurs acteurs lors de la consultation publique sur le bilan et perspectives du marché de mai 2021, un débit de 8 Mbit/s semble insuffisant pour supporter la consommation audiovisuelle d'un foyer. Ceci est particulièrement vrai pour les foyers disposant de plus d'un téléviseur et supportant d'autres usages consommateurs de bande passante parfois concomitants à cette consommation audiovisuelle (téléchargements, jeux vidéo, consommation de contenus sur un autre terminal par un autre membre du foyer, etc.). De plus, le projet de modernisation de la TNT, qui pourrait entrainer la bascule d'une partie des chaînes de télévision en Ultra Haute Définition, pourrait exercer une pression sur les débits nécessaires pour supporter cette consommation audiovisuelle. Pour autant, et comme le CSA l'indique dans la synthèse de sa consultation publique sur le sujet (57), la bascule totale vers une TNT modernisée, dont le calendrier n'est à ce jour pas précisé, n'est ni envisagée ni envisageable avant 2024. En tout état de cause, une telle bascule n'interviendra qu'après l'adoption de la présente décision. Concernant le débit nécessaire, les répondants à la consultation publique ne semblent toutefois pas pouvoir s'accorder sur son niveau minimum (compris entre 15 et 30 Mbit/s).
Dans l'hypothèse la plus contraignante (30 Mbit/s), et comme évoqué en section 1.3.1, le territoire national comprend au troisième trimestre 2021 28,3 millions de locaux raccordables à l'infrastructure FttH et près de 32 millions de locaux sont éligibles à une technologie filaire permettant un débit d'au moins 30 Mbit/s. Il reste malgré tout près de 24 % des locaux qui ne disposent pas d'une technologie filaire leur permettant un débit supérieur à 30 Mbit/s.
Concernant le satellite, s'il permet également d'accéder gratuitement à la télévision, ce mode de réception est pénalisé, vis-à-vis de la TNT (58), par un taux d'équipement plus faible et par un coût initial d'installation plus élevé.
En conclusion, au vu de ces éléments, il ressort que la substitution de la diffusion filaire à la diffusion hertzienne est encore imparfaite au niveau national, ce que soulignent d'ailleurs la majorité des répondants. La substitution entre les modes de diffusion devrait néanmoins se développer à mesure que s'accroît le nombre de foyers éligibles à l'internet haut et très haut débits, comme anticipé par l'Autorité depuis 2015 (59). Quant au satellite, et comme confirmé par les répondants à la consultation publique, cette technologie est plutôt perçue comme complémentaire à la diffusion hertzienne et filaire pour les zones les plus difficiles d'accès.
(49) Ibid., point 34.
(50) CSA, Observatoire de l'équipement audiovisuel des foyers de France métropolitaine, résultats des 150 et 250 trimestres 2021 pour la télévision. L'agrégat IPTV présenté ici ne comprend donc pas la consommation OTT.
(51) CSA, Observatoire de l'équipement audiovisuel des foyers aux 1er et 2e trimestres 2019 (TV).
(52) CSA, Observatoire de l'équipement audiovisuel des foyers de France métropolitaine, résultats des 1er et 2e trimestres 2021 pour la télévision.
(53) L'étude 2021 du baromètre du numérique indique que 51 % des personnes interrogées se sont servis de ces terminaux pour consommer des contenus sur réseau mobile.
(54) L'IPTV étant ici aussi, la plateforme la plus plébiscitée pour la réception des services audiovisuels sur le poste principal.
(55) CSA, Observatoire de l'équipement audiovisuel des foyers de France métropolitaine, résultats des 1er et 2e trimestres 2021 pour la télévision.
(56) Décision n° 2019-0555 en date du 16 avril 2019 de prolongation de la décision n° 2015-1583 en date du 15 décembre 2015.
(57) CSA, Synthèse des contributions reçues dans le cadre de la consultation publique pour la modernisation de la plateforme TNT, 2 mai 2020.
(58) Il semble néanmoins plus largement plébiscité en dans les départements, régions et collectivités d'outre-mer.
(59) Cf. Décision n° 2015-1583 p.35 : « Ainsi, même s'il est attendu que l'utilisation de la TNT diminue dans les foyers durant la période 2015-2018, principalement en raison de l'utilisation croissante des modes de réception de la télévision sur réseaux fixes (surtout cuivre et fibre optique), la TNT devrait rester la principale plateforme d'accès des foyers aux chaînes télévisées à l'horizon de la présente analyse de marché. »