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Article AUTONOME (Avis n° 2022-04 de la Commission consultative des trésors nationaux)

Article AUTONOME (Avis n° 2022-04 de la Commission consultative des trésors nationaux)


La Commission régulièrement convoquée et constituée, réunie le 13 avril 2022,
Après en avoir délibéré,
Considérant que le bien pour lequel le certificat d'exportation est demandé constitue un précieux tableau, représentant la perfection des dernières années de Jean Siméon Chardin (1699-1779), un des peintres les plus célèbres du xviiie siècle, alors au sommet de sa carrière et de son art, qui a contribué à préfigurer l'évolution de la hiérarchie des genres picturaux prévalant à son époque par la qualité de ses natures mortes et scènes de genre ; que cette œuvre, présentée au Salon de 1761, passée inaperçue parmi les natures mortes exposées par Chardin, notamment des critiques tels que le philosophe Denis Diderot, pourtant grand admirateur du peintre, est cependant connue par un croquis de Gabriel de Saint-Aubin, figurant dans la marge de son propre livret de l'exposition en face du numéro 46 ; que cette nature morte magistrale et minimaliste, structurée autour d'une pyramide de fraises, associée à un verre rempli d'eau, deux œillets, une pêche et deux cerises, posés sur un entablement, offre, dans un gamme chromatique restreinte et avec une économie de moyens, une scène intemporelle et dépouillée, figée dans un moment d'éternité silencieuse et allant à l'essentiel ; qu'elle traduit le dépassement d'un simple arrangement de formes géométriques dans lequel le peintre s'est surtout attaché aux effets de transparence et de lumière, de matière et d'atmosphère, invitant autant au recueillement que Le bénédicité, selon les mots d'André Gide ; qu'en outre, cette représentation unique dans la production de Chardin, qui avait l'habitude de répéter de manière autographe ses compositions, atteste ainsi de son importance singulière, et forme la seule connue où les fraises constituent le sujet principal, faisant écho à des prédécesseurs du siècle précédent, hollandais, comme Osias Beert ou Jacob von Hulsdonck, ou français, tels que Jacques Linart ou Louise Moillon ; que cette peinture a fait partie, avant de rester dans sa descendance jusqu'à nos jours, de la collection d'Eudoxe Marcille (1814-1890), fils de François-Martial (1790-1856), qui figure parmi les plus importants acteurs de la redécouverte au xixe siècle de la peinture française du xviiie siècle et détenait de nombreux tableaux de Chardin, dont certains ont été hérités par son fils ; que cette œuvre a été aussi louée par les frères Goncourt, qui lui accordait une place prééminente dans leurs écrits sur Chardin ; que ce Panier de fraises, qui, par l'alliance de la simplicité de son ordonnancement et de sa facture virtuose, a atteint aujourd'hui un statut iconique, constitue un jalon essentiel dans l'histoire de la peinture de natures mortes en Europe, représentatif de la modernité d'un artiste dont les natures mortes annoncent celles de Manet et de Fantin-Latour et qui servit de référence explicite à une grande partie des peintres importants du xxe siècle, de Cézanne à Morandi ;
Qu'en conséquence, cette œuvre présente un intérêt majeur pour le patrimoine national du point de vue de l'histoire et de l'art et doit être considéré comme un trésor national ;
Emet un avis favorable au refus du certificat d'exportation demandé.