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Article AUTONOME (Avis n° 2021-0898 du 11 mai 2021 concernant le projet de décret relatif aux modalités de mise en œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l'accès à des sites diffusant un contenu pornographique)

Article AUTONOME (Avis n° 2021-0898 du 11 mai 2021 concernant le projet de décret relatif aux modalités de mise en œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l'accès à des sites diffusant un contenu pornographique)


Après en avoir délibéré le 11 mai 2021,


1. Contexte de la saisine


L'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques prévoit que l'ARCEP est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques, et participe à leur mise en œuvre.
Par un courrier en date du 8 avril 2021, la ministre de la culture a sollicité l'avis de l'Autorité sur certaines dispositions concernant le projet de décret relatif aux modalités de mise en œuvre des mesures visant à protéger les mineurs contre l'accès à des sites diffusant un contenu pornographique.
L'analyse de l'ARCEP sur les dispositions qui lui ont été soumises se concentre exclusivement sur ce qui pourrait avoir un impact, d'une part, sur le bon fonctionnement des réseaux et des services de communications électroniques et sur les acteurs qu'elles régulent et, d'autre part, sur la sécurité juridique dont doivent bénéficier les opérateurs dans la mise en œuvre des dispositifs envisagés.


2. Observations de l'ARCEP


L'objet principal du projet de texte soumis pour avis est de préciser les conditions d'application du dispositif prévu à l'article 23 de la loi n° 2020-936 de blocage judiciaire des services de communication au public en ligne qui permettent, en méconnaissance de l'article 227-24 du code pénal, l'accès des mineurs à un contenu pornographique. Le dispositif permet en effet au président du CSA de saisir le président du tribunal judiciaire de Paris aux fins, notamment, d'ordonner aux fournisseurs d'accès à internet (FAI) de mettre fin à l'accès à un service éditant un contenu pornographique qui demeurerait accessible aux mineurs malgré la mise en demeure adressée par le président du CSA.
En premier lieu, l'ARCEP rappelle que plusieurs dispositions prévoient des obligations de blocage de sites par les FAI, notamment pour bloquer l'accès à une activité d'offre de paris ou de jeux d'argent et de hasard en ligne non autorisée (1) ou aux sites provoquant à des actes de terrorisme ou en faisant l'apologie et les sites diffusant des images et représentations de mineurs à caractère pornographique (2). Par souci de simplification administrative et de cohérence, l'ARCEP rappelle l'importance d'harmoniser les modalités de mise en œuvre de ces différentes dispositions de blocage de sites par les FAI.
Dans le cadre du présent dispositif, le projet de décret (article 5) précise que lorsque le blocage d'un service de communication au public en ligne a été ordonné par décision de justice dans ce cadre, les FAI procèdent à ce blocage « par tout moyen approprié, notamment en utilisant le protocole de blocage par nom de domaine (DNS) ».
L'ARCEP prend acte que la technique de blocage DNS constitue un des moyens techniques appropriés pour la mise en œuvre de l'obligation. Cette technique, relativement simple à mettre en œuvre, est déjà employée par les FAI pour procéder aux blocages de sites dans le cadre d'injonctions de l'autorité judiciaire dans plusieurs contextes.
L'ARCEP estime important de souligner que le fait d'imposer aux FAI d'empêcher l'accès « par tout moyen approprié » ne doit cependant pas conduire à faire peser sur ces acteurs une obligation qui leur impose de mettre en œuvre des dispositifs autres que les moyens de blocage usuels. En particulier, il ne serait ni raisonnable ni proportionné que ce nouveau dispositif revienne à exiger des FAI qu'ils garantissent l'impossibilité pour les internautes de recourir à des méthodes de contournement pour accéder aux services fournis par les adresses électroniques concernées, ce qui pourrait alors venir en contradiction avec les dispositions du 7° de l'article 6 de la LCEN, qui prévoit que les FAI « ne sont pas soumises à une obligation générale de surveiller les informations qu'[ils] transmettent ou stockent [ou] à une obligation générale de rechercher des faits ou des circonstances révélant des activités illicites ».
Par ailleurs, si le règlement sur l'internet ouvert (3) prévoit bien que les FAI peuvent déroger à l'interdiction d'appliquer des mesures de gestion de trafic, dont font partie les mesures de blocage, pour répondre à des obligations issues d'une législation nationale ou de décisions d'une juridiction ou d'une autorité publique investie des pouvoirs nécessaires prises en applications de cette législation, ces mesures de blocage doivent cependant rester proportionnées. Or pour les raisons exposées ci-avant, la proportionnalité de mesures allant au-delà des techniques de blocage usuelles pourrait poser question et devrait être évaluée.
L'ARCEP note par ailleurs que si le projet de décret prévoit une obligation de blocage par les FAI, il ne précise pas la nature des informations transmises aux FAI par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) dans le cadre de la mise en œuvre de l'obligation. Il pourrait ainsi utilement être précisé que sont transmises une liste d'adresses électroniques comprenant notamment les noms de domaine à l'instar du dispositif en vigueur dans le cadre de la lutte contre le terrorisme et la pédopornographie (4).
De même, des précisions sur les modalités de mise en œuvre pourraient être ajoutées afin de s'assurer que la mise en place des blocages soit proportionnée et techniquement faisable (délais dans lesquels les FAI doivent mettre en œuvre le dispositif de blocage, délai de blocage, processus et délai de déblocage éventuel, etc.).
L'Autorité invite le Gouvernement à s'interroger sur la nécessité d'une éventuelle compensation des surcoûts qui pourraient résulter des obligations issues du présent décret mises à la charge des FAI, et d'ajuster les textes en conséquence.
Le présent avis sera transmis à la ministre de la culture.