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Article AUTONOME (Avis n° 2021-23 du 8 décembre 2021 du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le projet de décret pris pour l'application de l'article 6-4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique relatif à la fixation d'un seuil de connexions à partir duquel les opérateurs de plateformes en ligne concourent à la lutte contre la diffusion publique des contenus illicites)

Article AUTONOME (Avis n° 2021-23 du 8 décembre 2021 du Conseil supérieur de l'audiovisuel sur le projet de décret pris pour l'application de l'article 6-4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique relatif à la fixation d'un seuil de connexions à partir duquel les opérateurs de plateformes en ligne concourent à la lutte contre la diffusion publique des contenus illicites)


Après en avoir délibéré,
Emet l'avis suivant :
Saisi par le Gouvernement d'un projet de décret relatif aux modalités de mise en œuvre des obligations pesant sur les opérateurs de plateforme en ligne définis à l'article L. 111-7 du code de la consommation qui proposent un service de communication au public en ligne reposant sur le classement, le référencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, après en avoir délibéré le 8 décembre 2021, émet un avis favorable, assorti des observations suivantes.


I. - Présentation du dispositif


Le projet de décret concerne la mise en œuvre des dispositions prévues à l'article 42 de la loi n° 2021-1109 du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République, qui tend à renforcer les obligations pesant sur les opérateurs de plateformes en ligne dans la lutte contre la diffusion de contenus illicites à caractère haineux en ligne, au sens du 7 du I de l'article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique et des troisième et quatrième alinéas de l'article 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
L'article 42 précité introduit un article 6-4 dans la loi n° 2004-575 pour la confiance dans l'économie numérique, qui établit une liste d'obligations administratives de moyens s'imposant aux opérateurs de plateformes en ligne définis à l'article L. 111-7 du code de la consommation, et dont l'activité repose sur le classement, le référencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers.
Cet article détermine deux niveaux d'obligations s'imposant à ces opérateurs, sous réserve que leur activité sur le territoire français dépasse des seuils exprimés en nombre de visiteurs uniques mensuels, que le présent projet de décret a pour objet de déterminer :


- le premier niveau introduit un socle de base d'obligations administratives, détaillées au I de l'article 6-4 de la loi du 21 juin 2004, qui se déclinent en plusieurs mesures aux fins de renforcer la coopération des opérateurs avec les autorités publiques, garantir le traitement prompt et proportionné des signalements portant sur un contenu litigieux, intégrer des voies de recours équilibrées ainsi qu'une obligation de transparence vis-à-vis du public ;
- le second niveau prévoit des obligations supplémentaires, figurant au II de l'article 6-4, pour imposer aux opérateurs dits « systémiques », à raison de la fréquentation de leurs services, des mesures visant à objectiver les risques de diffusion des contenus à caractère haineux sur ces services et à prendre des mesures proportionnées pour limiter la diffusion de ceux-ci de manière transparente, tout en veillant à la préservation de la liberté d'expression.


II. - Observations générales
1. Economie générale du dispositif issu de la loi du 24 août 2021 pour renforcer la lutte contre la diffusion de contenus haineux en ligne


La lutte contre la diffusion en ligne de contenus illicites à caractère haineux revêt une importance fondamentale pour nos sociétés démocratiques. Le Conseil se réjouit à cet égard du dispositif retenu par le législateur, fondé sur la régulation des obligations de moyens des opérateurs de plateformes en ligne. Ce dispositif s'inspire de la législation en vigueur en matière de lutte contre la manipulation de l'information et fait écho aux travaux en cours dans les instances européennes relatifs au « Digital Services Act » (DSA).
Le Conseil souligne son attachement à ce schéma de régulation, qui conjugue responsabilité des opérateurs de plateforme et supervision par une autorité publique. Il lui semble le mieux à même d'assurer le bon équilibre entre la protection des utilisateurs de ces services et la préservation de la liberté de communication.
Le Conseil rappelle par ailleurs qu'il a fait évoluer son organisation interne pour intégrer et exercer les nombreuses compétences nouvelles qu'il tire de la législation récente sur la régulation des plateformes en ligne. Il souligne que la future Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et du numérique ne sera à même d'exercer pleinement les compétences ainsi confiées par le législateur à l'avenir que si elle voit ses moyens budgétaires et humains significativement accrus.


2. Pouvoirs confiés au CSA pour superviser la mise en œuvre des obligations administratives applicables aux opérateurs de plateforme en ligne concernés


L'article 62 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication confère au Conseil un pouvoir de supervision de la mise en œuvre par les opérateurs des obligations prévues à l'article 6-4 précité, assorti, en cas de manquement constaté, d'un pouvoir de sanction après mise en demeure, dans les conditions prévues à l'article 42-7 de la loi du 30 septembre 1986.
Conformément aux dispositions du I de cet article, le Conseil adoptera des lignes directrices pour l'application des obligations prévues à l'article 6-4 de la loi du 21 juin 2004, sans préjudice de l'application immédiate de ces dernières à compter de l'entrée en vigueur des dispositions du présent projet de décret, et précisera, dans le cadre des dispositions de l'article 6-4 précité, celles des obligations contenues au 4 et 6 du I ainsi qu'au 3 du II de ce même article qui appellent un acte réglementaire du Conseil.


III. - Observations détaillées
1. Seuils de connexions fixés par le projet de décret (articles 1er et 2 du projet de décret)


Les articles 1er et 2 du projet de décret fixent les seuils de connexions au-delà desquels les opérateurs de plateforme en ligne sont tenus de concourir à la lutte contre la diffusion publique de contenus illicites, respectivement à 10 millions de visiteurs uniques mensuels pour les obligations contenues au I de l'article 6-4 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 précitée et 15 millions de visiteurs uniques mensuels pour les obligations renforcées contenues au II de cet article 6-4 visant les opérateurs dits « systémiques ».
Le Conseil prend acte des seuils retenus par le pouvoir réglementaire. Ces derniers permettent de répondre à l'objectif d'intérêt général de lutte contre les contenus à caractère haineux fixé par le législateur, en incluant dans le champ de la régulation les opérateurs de plateforme dont la contribution renforcée à la lutte contre les contenus illicites paraît indispensable.
Il souligne toutefois que l'application de ces seuils conduira à soumettre aux obligations prévues par la loi des services qui semblent présenter un risque mesuré en termes de diffusion des contenus illicites à caractère haineux. A cet égard, le Conseil rappelle, au vu des dispositions du I de l'article 62 de la loi n° 86-1067 relative à la liberté de communication, qu'il est doté d'une faculté d'appréciation à même de garantir le caractère proportionné des obligations pesant sur les opérateurs, en prenant notamment en compte « leurs caractéristiques propres » au regard notamment de « l'ampleur et de la gravité les risques de diffusion de contenus illicites » sur les services opérés par ceux-ci. Il sera particulièrement soucieux d'user de cette faculté.


2. Modalités d'application des articles 1er et 2 du projet de décret (article 3 du projet de décret)


L'article 3 du projet de décret précise le critère d'application des seuils de connexions visés aux articles 1er et 2 précités et dispose que « seules sont prises en compte les connexions à un service, ou à une partie dissociable d'un service, dont l'objet est le classement, le référencement, ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers ».
Le Conseil relève que cette disposition permet de discerner, parmi les opérateurs susceptibles d'être tenus par les obligations énoncées au I et au II de l'article 6-4 à raison de la fréquentation de leurs services en ligne, ceux dont l'activité est à titre principal le classement, le référencement ou le partage de contenus mis en ligne par des tiers, en excluant les services sur lesquels de telles activités ne sont que secondaires. Il lui permet également, le cas échéant, de cibler un opérateur dont le service relève de plusieurs types d'activités, sous réserve que son activité de plateforme en ligne concernée par le dispositif fasse l'objet d'une partie dissociable au sein du service et, dans ce dernier cas, que le seuil de nombre de connexions soit dépassé sur cette seule partie dissociable.
Le Conseil approuve cette précision qui reprend celle de la directive 2010/13/UE du Parlement européen et du Conseil du 10 mars 2010 visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels, dans sa version révisée par la directive 2018/1808 du 14 novembre 2018.
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.