Après en avoir délibéré,
Emet l'avis suivant :
Saisi par le Gouvernement d'un projet de décret fixant les principes applicables aux communications commerciales audiovisuelles fournies sur les plateformes de partage de vidéos, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, après en avoir délibéré le 1er décembre 2021, émet un avis favorable, assorti des observations suivantes.
I. - Observations générales
L'ordonnance n° 2020-1642 du 21 décembre 2020 portant transposition de la directive 2018/1808/UE du Parlement européen et du Conseil du 14 novembre 2018 modifiant la directive 2010/13/UE visant à la coordination de certaines dispositions législatives, réglementaires et administratives des Etats membres relatives à la fourniture de services de médias audiovisuels (dite « SMA ») a introduit à l'article 2 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication une nouvelle catégorie juridique, celle des « services de plateforme de partage de vidéos ».
L'article 60 de la loi du 30 septembre 1986 mentionnée ci-dessus prévoit que le Conseil veille à ce que les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos « réputés être établis en France » ou bien dont le siège social effectif est « établi en France », au sens de l'article 59 de la loi du 30 septembre 1986, respectent certaines obligations, notamment les exigences prévues par la réglementation relatives aux communications commerciales audiovisuelles qu'ils commercialisent, vendent ou organisent eux-mêmes. Le présent projet de décret vise à définir ces exigences.
L'article 61 de la loi du 30 septembre 1986 dispose que le Conseil « encourage l'adoption par les plateformes concernées de codes de bonne conduite destinés, notamment, à l'adoption des mesures mentionnées à l'article 60 » et qu'il publie un rapport annuel relatif à la mise en œuvre de l'article 60 mentionné ci-dessus et des codes de bonne conduite adoptés par les fournisseurs de plateformes de partage de vidéos.
Le projet de décret d'application de l'article 60 fixe, tout d'abord, les règles déontologiques applicables aux communications commerciales audiovisuelles sur les plateformes de partage de vidéos. Il apporte ensuite deux modifications au régime du parrainage télévisé tel qu'il résulte du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de téléachat, par transposition de la directive « SMA ». Enfin, il modifie l'article 3 du décret n° 2020-983 du 5 août 2020 portant modification du régime de publicité télévisée qui a levé pour une période de 18 mois l'interdiction de la publicité télévisée pour le secteur du cinéma prévue à l'article 8 du décret du 27 mars 1992 et qui a prévu au plus tard trois mois avant l'échéance de cette période la publication par le Gouvernement d'un rapport évaluant l'impact de cette autorisation temporaire sur le secteur de l'industrie cinématographique.
Le Conseil note que le projet de décret reprend quasiment à l'identique, à quelques détails près, les termes de la directive « SMA ». Sous réserve des observations détaillées qui suivent, il approuve cette méthode, dont le résultat concourt à la simplicité et à la cohérence du cadre juridique relatif aux communications commerciales audiovisuelles sur les plateformes de partage de vidéos au sein de l'Union européenne. Cette cohérence est d'autant plus importante que, d'une part, certaines plateformes de partage de vidéos entrant dans le champ de compétences de la France sont disponibles dans d'autres Etats membres de l'Union et, que d'autre part, les utilisateurs des services de plateformes de partage de vidéos peuvent publier les mêmes contenus sur plusieurs services, établis dans des Etats membres différents. Le Conseil considère bienvenue la marge de manœuvre que lui laisse cette rédaction, ainsi que l'emploi du terme « notamment » au 1° de l'article 2, dans l'appréciation et l'application des catégories juridiques, permettant de tenir compte de la diversité des situations et des pratiques et de leurs évolutions dans le temps.
Néanmoins, il lui apparaît indispensable de maintenir une cohérence et une unité des définitions des communications commerciales audiovisuelles en droit français quel que soit le média audiovisuel concerné. C'est pourquoi il formule les observations suivantes.
II. - Observations détaillées
1. S'agissant des dispositions applicables aux fournisseurs de plateformes de partage de vidéos (chapitre Ier du projet de décret, articles 1er à 7)
• L'article 2 du projet de décret fournit une définition juridique des communications commerciales audiovisuelles, de la publicité, du parrainage, du télé-achat et du placement de produit en s'inspirant de la directive « SMA » ainsi que des définitions existantes en droit français applicables aux éditeurs de services de télévision, notamment celles fournies par le décret n° 92-280 du 27 mars 1992.
Le Conseil note que la rédaction de la définition du parrainage est plus large que celle prévue par la directive, en ce qu'elle prévoit que le parrainage peut s'exercer dans le but de « promouvoir son nom, sa marque, son image, ses activités ou ses produits » (conformément au 1° k de l'article 1er de la directive) mais aussi « ses services ». Le Conseil approuve cet ajout qui permet de préciser le champ du parrainage et de couvrir la diversité des pratiques en la matière.
Par ailleurs, le Conseil note que la définition de la publicité au 2° de l'article 2 du projet de décret reprend à l'identique celle de la directive. Contrairement à la définition prévue par le décret n° 92-280 du 27 mars 1992, elle ne précise pas que la « profession » exercée par une personne physique et susceptible de donner lieu à un message publicitaire est une profession « libérale ». En outre, elle limite la notion de publicité aux messages assurant la promotion de biens ou de services, à l'exclusion des messages assurant la promotion de l'image d'une entreprise.
Afin de maintenir une définition unique de la publicité en droit national, le Conseil suggère donc de rédiger ainsi le 2° de l'article 2 : « Publicité, toute forme de message, que ce soit moyennant paiement ou autre contrepartie, ou de diffusion à des fins d'autopromotion par une entreprise publique ou privée ou une personne physique dans le cadre d'une activité commerciale, industrielle ou artisanale ou d'une profession libérale dans le but soit de promouvoir la fourniture, moyennant paiement, de biens ou de services, y compris de bien immeubles, de droits et d'obligations, soit d'assurer la promotion d'une entreprise ; ».
• L'article 3 du projet de décret précise que les communications commerciales audiovisuelles sont « facilement reconnaissables comme telles », sans toutefois préciser la manière d'identifier celles-ci, à la différence du décret du 27 mars 1992. Il apparaît nécessaire que le décret donne des indications sur la manière de rendre les communications commerciales audiovisuelles « facilement reconnaissables » pour tous les acteurs, tout en adoptant une rédaction large pour laisser une marge de manœuvre au Conseil et au secteur. La rédaction suivante pourrait ainsi être retenue : « Les communications commerciales audiovisuelles sont facilement reconnaissables comme telles par tout moyen nettement perceptible permettant de rendre d'emblée non équivoque pour le public la nature promotionnelle du message. ».
• L'article 4 du projet de décret interdit les communications commerciales audiovisuelles « clandestines » et définit cette pratique dans des termes identiques à ceux du j du 1° de l'article 1er de la directive « SMA ». Cet article intègre ainsi le caractère intentionnel d'une communication commerciale audiovisuelle clandestine à sa définition, à la différence du régime prévu par le décret du 27 mars 1992 pour la publicité clandestine télévisuelle. Il apparaît important d'harmoniser la définition de la publicité clandestine dans l'objectif de permettre une application cohérente de son interdiction.
En outre, l'article 4 prévoit l'interdiction des communications commerciales audiovisuelles « clandestines » dans les seuls « programmes ». Or, selon la définition d'un service de plateforme de partage de vidéos introduite à l'article 2 de la loi du 30 septembre 1986, les « vidéos créées par l'utilisateur » figurent au nombre des contenus audiovisuels qu'on peut trouver sur ce type de service.
Le Conseil, qui estime que l'interdiction de communication commerciale audiovisuelle clandestine doit porter sans ambiguïté sur l'ensemble des contenus audiovisuels, suggère de rédiger ainsi l'article 4 : « Les communications commerciales audiovisuelles clandestines sont interdites. Constitue une communication commerciale audiovisuelle clandestine la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de services dans des programmes ou vidéos créées par l'utilisateur, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire et risque d'induire le public en erreur sur la nature d'une telle présentation. ».
• L'article 6 du projet de décret prévoit l'interdiction pour les communications commerciales audiovisuelles de porter « atteinte à la dignité humaine », de comporter des « discriminations » ou d'en promouvoir, d'« encourager des comportements préjudiciables à la santé ou à la sécurité » ainsi que des « comportements gravement préjudiciables à la protection de l'environnement ». S'agissant des discriminations interdites dans les communications commerciales, les termes de cet article sont exactement ceux de la directive « SMA », au c du 1° de l'article 9.
Le Conseil relève que la liste de ces motifs de discrimination n'inclut pas celle fondée sur l'identité de genre. Ce critère, énoncé à l'article 225-1 du Code pénal, est pourtant l'un de ceux couverts par le 1° de l'article 15 de la loi du 30 septembre 1986, s'agissant de l'interdiction d'incitation à la haine ou à la violence. Or, les plateformes de partage de vidéos sont également tenues de prendre des mesures afin que « les programmes, vidéos créées par les utilisateurs et communications commerciales audiovisuelles qu'ils fournissent respectent les dispositions de l'article 15 », conformément au 1° du I de l'article 60 précité. Dès lors, par souci de cohérence et de renforcement de la protection des utilisateurs de plateformes de partage de vidéos, le Conseil suggère d'ajouter le motif de discrimination fondée sur l'identité de genre à ceux énoncés par l'article 6 du projet de décret comme étant interdits dans les communications commerciales audiovisuelles.
Le Conseil note, par ailleurs, que la liste de ces motifs n'inclut pas l'interdiction de la violence, à la différence de l'article 4 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 qui prévoit que « La publicité [télévisuelle] doit être exempte de toute (…) scène de violence ». Le Conseil juge opportun de reprendre ce motif pour les communications commerciales audiovisuelles sur les plateformes de partage de vidéos en ajoutant dans la rédaction de l'article 6 du projet de décret « ni ne comportent de scènes de violence », à la suite de « discrimination ».
Enfin, le Conseil suggère que l'article 6 du décret prévoie que les communications commerciales audiovisuelles commercialisées, vendues ou organisées par les fournisseurs de services de plateforme de partage de vidéos, veillenet au respect de l'image des femmes, conformément à l'article 14 de la loi du 30 septembre 1986 qui confie au Conseil la mission de « veiller au respect de la dignité de toutes les personnes et à l'image des femmes » dans les communications commerciales diffusées par les services de communication audiovisuelle.
Les 1° et 2° de l'article 6 pourraient ainsi être rédigés en ces termes : « 1° Respectent la dignité de toutes les personnes et l'image des femmes ; 2° Ne comportent pas de discrimination fondée sur le sexe, l'origine raciale ou ethnique, la nationalité, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge, l'orientation sexuelle ou l'identité de genre, ni ne promeuvent une telle discrimination, ni ne comportent de scènes de violence ; ».
2. S'agissant des dispositions relatives à la publicité et au parrainage télévisés (chapitre II du projet de décret, articles 8 à 10)
S'agissant de l'extension de l'interdiction de parrainer des émissions télévisées aux personnes exerçant des activités de fourniture de plateformes de partage de vidéos, il est proposé d'ajouter à l'article 8 du projet de décret les termes « de services » après « fourniture », à l'instar de ce que prévoit la directive SMA, en retenant la rédaction suivante : « A l'article 17 du décret du 27 mars 1992 susvisé, après les mots : “ou de médias audiovisuels à la demande” sont ajoutés les mots : “ou de fourniture de services de plateformes de partage de vidéos” ».
Le présent avis sera publié au Journal officiel de la République française.