(SYNDICAT NATIONAL DE L'ENCADREMENT DU GROUPE CARREFOUR CFE-CGC)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 16 septembre 2021 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 1178 du 15 septembre 2021), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour le syndicat national de l'encadrement du groupe Carrefour CFE-CGC par la SELARL Mauger Mesbahi associés, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-947 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l'article L. 2314-18 du code du travail.
Au vu des textes suivants :
- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code du travail ;
- l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017 relative à la nouvelle organisation du dialogue social et économique dans l'entreprise et favorisant l'exercice et la valorisation des responsabilités syndicales, ratifiée par l'article 3 de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018 ratifiant diverses ordonnances prises sur le fondement de la loi n° 2017-1340 du 15 septembre 2017 d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ;
- l'arrêt de la Cour de cassation du 31 mars 2021 (chambre sociale, n° 19-25.233) ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Au vu des pièces suivantes :
- les observations présentées pour le syndicat requérant par la SELARL Mauger Mesbahi associés, enregistrées le 29 septembre 2021 ;
- les observations présentées pour la fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par Me Damien Condemine, avocat au barreau de Lyon, enregistrées le 30 septembre 2021 ;
- les observations présentées pour la société CSF Carrefour supermarché France, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, par la SELAFA Chassany Watrelot et associés, avocat au barreau de Paris, enregistrées le même jour ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le même jour ;
- les secondes observations présentées pour l'union des syndicats anti-précarité, partie au litige à l'occasion duquel la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, enregistrées le 4 octobre 2021 ;
- les secondes observations présentées pour le syndicat requérant par la SELARL Mauger Mesbahi associés, enregistrées le 15 octobre 2021 ;
- les secondes observations présentées pour la société CSF Carrefour supermarché France par la SELAFA Chassany Watrelot et associés, enregistrées le même jour ;
- les nouvelles observations présentées pour l'union des syndicats anti-précarité, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;
Après avoir entendu Me Emmanuel Mauger, avocat au barreau de Paris, pour le syndicat requérant, Me Condemine, pour la fédération CGT des personnels du commerce, de la distribution et des services, Me Aymeric d'Alançon, avocat au barreau de Paris, pour la société CSF Carrefour supermarché France, et M. Antoine Pavageau, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 2 novembre 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi de l'article L. 2314-18 du code du travail dans sa rédaction résultant de l'ordonnance du 22 septembre 2017 mentionnée ci-dessus.
2. L'article L. 2314-18 du code du travail, dans cette rédaction, prévoit :
« Sont électeurs les salariés des deux sexes, âgés de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l'entreprise et n'ayant fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à leurs droits civiques ».
3. Le syndicat requérant reproche à ces dispositions de méconnaître le principe de participation des travailleurs dès lors que, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, elles privent les salariés susceptibles d'être assimilés à l'employeur de la qualité d'électeur aux élections professionnelles, et donc de toute représentation au comité social et économique.
- Sur le fond :
4. Le Préambule de la Constitution de 1946 dispose, en son huitième alinéa, que : « Tout travailleur participe, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises ». L'article 34 de la Constitution range dans le domaine de la loi la détermination des principes fondamentaux du droit du travail. Ainsi, c'est au législateur qu'il revient de déterminer, dans le respect du principe énoncé au huitième alinéa du Préambule, les conditions et garanties de sa mise en œuvre et, en particulier, les modalités selon lesquelles la représentation des travailleurs est assurée dans l'entreprise.
5. Les dispositions contestées prévoient que tout salarié âgé de seize ans révolus, travaillant depuis trois mois au moins dans l'entreprise et n'ayant fait l'objet d'aucune interdiction, déchéance ou incapacité relatives à ses droits civiques, peut participer en qualité d'électeur à l'élection du comité social et économique.
6. Sur le fondement de ces dispositions, la Cour de cassation juge de manière constante que doivent néanmoins être exclus du corps électoral les salariés qui soit disposent d'une délégation écrite particulière d'autorité leur permettant d'être assimilés au chef d'entreprise, soit représentent effectivement ce dernier devant les institutions représentatives du personnel.
7. Toutefois, en privant des salariés de toute possibilité de participer en qualité d'électeur à l'élection du comité social et économique, au seul motif qu'ils disposent d'une telle délégation ou d'un tel pouvoir de représentation, ces dispositions portent une atteinte manifestement disproportionnée au principe de participation des travailleurs.
8. Par conséquent, l'article L. 2314-18 du code du travail doit être déclaré contraire à la Constitution.
- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :
9. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
10. En l'espèce, l'abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait pour effet de supprimer toute condition pour être électeur aux élections professionnelles. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Par suite, il y a lieu de reporter au 31 octobre 2022 la date de cette abrogation. Les mesures prises avant cette date en application des dispositions déclarées inconstitutionnelles ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité.
Le Conseil constitutionnel décide :