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Article AUTONOME (Avis n° 2021-0126 du 9 février 2021 sur un projet d'ordonnance portant transposition de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen et relative aux mesures d'adaptation des pouvoirs de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et des projets de décret et d'arrêté portant diverses mesures de transposition de la directive 2018/1972)

Article AUTONOME (Avis n° 2021-0126 du 9 février 2021 sur un projet d'ordonnance portant transposition de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen et relative aux mesures d'adaptation des pouvoirs de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse et des projets de décret et d'arrêté portant diverses mesures de transposition de la directive 2018/1972)


Après en avoir délibéré le 9 février 2021,


1. Contexte de la saisine
1.1. Le code des communications électroniques européen


Le cadre européen des réseaux et services de communications électroniques, constitué par un ensemble de textes désignés sous le nom de « paquet télécoms », a fait l'objet d'une réforme importante avec l'adoption de la directive 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code européen des communications électroniques. Cette directive reprend et adapte - parfois en profondeur - les dispositions de quatre directives adoptées en 2002 et modifiées en 2009, à savoir :


- la directive 2002/19/CE dite « accès » ;
- la directive 2002/20/CE dite « autorisation » ;
- la directive 2002/21/CE dite « cadre » ;
- la directive 2002/22/CE dite « service universel ».


La directive établissant le code des communications électroniques européen vise en particulier les objectifs suivants :


- favoriser le déploiement des réseaux à très haute capacité fixes et mobiles sur le territoire : est notamment ajouté un nouvel objectif de connectivité incombant aux autorités de régulation nationales et aux autres autorités compétentes dans l'exercice de leurs missions ;
- assurer un meilleur suivi de la couverture des territoires en prévoyant la mise en œuvre d'un relevé géographique des réseaux existants et des intentions de déploiement ;
- garantir une gestion plus efficace et coordonnée du spectre ainsi qu'une prévisibilité pour les investisseurs au travers notamment d'autorisations plus longues pour le spectre harmonisé, notamment au bénéfice du déploiement de la 5G sur le territoire de l'Union européenne (UE) ;
- réguler les nouveaux acteurs que sont les fournisseurs « over-the-top » dits « OTT » au travers de la nouvelle définition de service de communications électroniques et de l'inclusion des services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation (tels que WhatsApp, Messenger, etc.) auxquels les utilisateurs recourent de plus en plus ;
- moderniser le service universel des communications électroniques au regard de l'évolution des usages de la population, notamment en intégrant dans son périmètre un service d'accès à internet à haut débit adéquat (avec un niveau de débit minimum pour supporter un ensemble minimal de services au bénéfice des utilisateurs) ;
- harmoniser et renforcer les droits des utilisateurs finals, en tenant compte de l'évolution du marché ;
- renforcer l'indépendance des autorités de régulation, notamment en définissant une liste minimale de compétences devant leur être attribuées.


Un règlement 2018/1971 du Parlement européen et du Conseil 11 décembre 2018, établissant l'Organe des régulateurs européens des communications électroniques (ORECE) et l'Agence de soutien à l'ORECE (Office de l'ORECE), modifiant le règlement (UE) 2015/2120 et abrogeant le règlement (CE) n° 1211/2009, a été adopté le même jour que le code européen. Il vient réformer les règles relatives au fonctionnement de l'ORECE. La principale évolution tient au renforcement du rôle de l'ORECE, notamment en matière de droit souple au travers de l'élaboration de lignes directrices pour la mise en œuvre cohérente du code européen ou encore dans le cadre du processus institutionnel de notification auprès de la Commission européenne, au regard du veto que celle-ci peut opposer à un projet de mesure envisagé par une autorité de régulation nationale (ARN), lorsque l'ORECE partage les doutes sérieux émis par la Commission européenne quant à la compatibilité de ce projet avec le droit de l'Union européenne.
Les dispositions législatives et réglementaires visant à la transposition du code des communications électroniques européen ont fait l'objet d'une consultation publique, organisée par la direction générale des entreprises (DGE), du 17 janvier 2020 au 16 mars 2020 inclus.


1.2. Le projet d'ordonnance et les projets de décrets et d'arrêté soumis pour avis


L'article 38 de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE), publiée le 4 décembre 2020 au Journal officiel de la République française, a autorisé le Gouvernement à adopter, par voie d'ordonnance, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi :
« 1° Les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la transposition de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen ainsi que les mesures d'adaptation de la législation liées à cette transposition, sans porter atteinte aux pouvoirs d'information et de décision du maire en cas d'implantation d'une nouvelle infrastructure de téléphonie mobile ;
2° Toutes mesures relevant du domaine de la loi, autres que celles mentionnées au 1° du présent I, visant à :
a) Permettre la présence d'un officier de police judiciaire au cours des visites et saisies effectuées par les agents habilités de l'Autorité de régulation des communications électroniques, de la poste et de la distribution de la presse ;
b) Prévoir le contrôle par un organisme indépendant des engagements pris par les opérateurs dans le cadre de l'article L. 33-13 du code des postes et des communications électroniques ;
c) Confier à l'Autorité de régulation des communications électroniques, de la poste et de la distribution de la presse la mission d'évaluer le coût net de la mission de service public de transport et de distribution de la presse par voie postale dont est chargé le prestataire de service universel du service postal ;
d) Dématérialiser la procédure d'attribution, par l'Autorité de régulation des communications électroniques, de la poste et de la distribution de la presse, de ressources en numérotation ou d'autorisation d'utilisation de fréquences ;
e) Supprimer le critère de la date de la sanction pour déterminer la composition de la formation restreinte de l'Autorité de régulation des communications électroniques, de la poste et de la distribution de la presse, compétente en matière de sanctions ;
3° Toutes dispositions modifiant la partie législative du code des postes et des communications électroniques afin de remédier aux éventuelles erreurs et de clarifier en tant que de besoin les dispositions du même code. »
En application de l'article L. 36-5 du CPCE, aux termes duquel : « l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques », l'ARCEP a été saisie, par une lettre du directeur général des entreprises enregistrée le 12 janvier 2021, d'un projet d'ordonnance, de deux projets de décret et d'un projet d'arrêté.
Le projet d'ordonnance dont l'ARCEP est saisie contient ainsi des dispositions nécessaires à la transposition du code européen (titre Ier) ainsi que d'autres mesures législatives visant à l'adaptation des pouvoirs de l'ARCEP (titre II) ou tendant à des clarifications rédactionnelles du CPCE (titre III).
Il est accompagné de deux projets de décret et d'un projet d'arrêté :


- un projet de décret en Conseil d'Etat portant diverses mesures de transposition de la directive (UE) 2018/1972 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 établissant le code des communications électroniques européen ;
- un projet de décret simple modifiant les obligations des opérateurs de communications électroniques conformément au code des communications électroniques européen ;
- un projet d'arrêté pris en application de l'article L.43 du code des postes et des communications électroniques modifiant l'arrêté du 17 décembre 2007 pris en application de l'article R. 20-44-11 du code des postes et des communications électroniques et relatif aux conditions d'implantation de certaines installations et stations radioélectriques.


Les principales observations et propositions de l'Autorité figurent dans les développements suivants. Des propositions de modification des textes soumis à l'ARCEP pour avis sont quant à elles précisées en annexe au présent avis.


2. Observations de l'Autorité


A titre liminaire, l'ARCEP se félicite du renforcement de la protection des droits des utilisateurs finals consacré dans le code européen. En particulier, elle salue le choix de transposition fait par le Gouvernement d'étendre, dans le code de la consommation, le bénéfice de certaines dispositions relatives à la protection du consommateur, par exemple en matière contractuelle, aux catégories des micro et petites entreprises, voire pour certaines dispositions, à l'ensemble des utilisateurs finals (1). L'ARCEP considère que le choix d'unifier ces dispositions (2) au sein du code de la consommation est particulièrement pertinent pour assurer une cohérence de la mise en œuvre des obligations correspondantes et du contrôle afférant.


2.1. L'intervention de l'ARCEP adaptée aux nouveaux défis du secteur régulé
2.1.1. De nouveaux acteurs régulés


Le projet d'ordonnance transpose la nouvelle définition des services de communications électroniques résultant du code européen (3) qui distingue désormais trois catégories de services de communications électroniques : l'accès à internet, les services de communication interpersonnels et ceux de transport du signal. Seront ainsi inclus dans le champ de la régulation des communications électroniques de nouveaux acteurs, notamment les services de communications électroniques « non fondés sur la numérotation » que sont certains fournisseurs « over-the-top » dits « OTT », qui, pour certains, peuvent se substituer désormais aux services historiquement proposés par les opérateurs.
Le projet d'ordonnance transpose également les obligations auxquelles ces nouveaux acteurs vont être soumis pour fournir leurs services, notamment en matière d'information et de protection des utilisateurs finals, de sécurité publique et de défense nationale, d'interopérabilité, ou encore de financement du service universel.
L'Autorité se félicite que le cadre juridique applicable ait été adapté pour tenir compte de l'émergence de ces acteurs et de leurs spécificités, et que ses compétences aient été étendues en conséquence.


2.1.2. Une indépendance de l'ARCEP réaffirmée


Le code européen renforce les exigences d'indépendance des ARN dans l'exercice de leurs missions de régulation.
Tout d'abord, avec le code européen, le terme d'« autorité de régulation nationale » (ou ARN) est consacré pour désigner exclusivement les autorités nationales qui satisfont à une exigence d'indépendance totale, à savoir :


- une condition d'indépendance politique impliquant que les autorités de régulation ne sollicitent ni n'acceptent d'instruction d'aucun autre organe en ce qui concerne l'accomplissement des tâches qui leur sont assignées en vertu du droit national transposant le droit européen. Les décisions de l'ARN peuvent toutefois être suspendues ou infirmées par un organisme de recours répondant à certaines conditions (4) ;
- une condition d'indépendance entre les ARN et les opérateurs de communications électroniques ;
- une condition liée à la séparation structurelle effective entre les fonctions de propriété ou de contrôle des opérateurs et la fonction de régulation, lorsque les Etats membres conservent la propriété ou le contrôle d'entreprises fournissant des réseaux ou des services de communications électroniques.


Ensuite, une liste des compétences minimales revenant à ces ARN est explicitement consacrée au niveau européen. Par rapport à la révision du paquet télécom de 2009 (5), la liste minimale des missions nécessitant une totale indépendance est élargie et sont ainsi ajoutées, en plus des missions de régulation ex ante (telles que l'imposition d'obligations d'accès et d'interconnexion) et de règlement des différends visées en 2009, les missions suivantes : (i) la gestion du spectre ou au minimum un rôle consultatif auprès des autres autorités compétentes concernant les aspects de configuration du marché et de concurrence des procédures nationales relatives aux droits d'utilisation du spectre radioélectrique pour les réseaux et services de communications électroniques, (ii) la protection des droits des utilisateurs finals, en coordination, le cas échéant, avec d'autres autorités compétentes, (iii) l'évaluation et le suivi étroit des questions liées à la configuration du marché et à la concurrence en ce qui concerne l'accès à un internet ouvert, (iv) l'évaluation de l'existence d'une charge injustifiée dans la fourniture du service universel et le calcul de son coût net, (v) la portabilité des numéros entre fournisseurs, et enfin (vi) toute autre tâche que le code européen réserve aux ARN.
Si l'organisation institutionnelle prévue en France attribuait déjà ces compétences à l'ARCEP, l'Autorité se félicite de cette avancée supplémentaire visant à garantir toujours plus d'indépendance des ARN. Ce progrès permet d'harmoniser et de sécuriser au niveau européen les tâches minimales incombant aux ARN nécessitant, pour leur bonne exécution, une totale indépendance.
Par ailleurs, le code européen (6) prévoit, à l'instar de ce qui était prévu dans le paquet télécom de 2002, modifié en 2009, que l'Etat membre doit s'assurer que l'ARN dispose d'un budget annuel distinct. Cet article ajoute une précision selon laquelle « les Etats membres veillent à ce que les ARN disposent d'autonomie dans l'exécution de cette enveloppe budgétaire ».
A cet égard, il convient de relever que l'article L. 133 du CPCE, dans sa rédaction actuelle, prévoit notamment que le président de l'ARCEP est ordonnateur des dépenses de l'Autorité (7). Par ailleurs, si les comptes de l'ARCEP demeurent soumis, conformément au code européen, à l'exercice d'un contrôle prévu par le droit constitutionnel national (8), le principe d'autonomie budgétaire implique une autonomie lui permettant de décider de l'utilisation du budget alloué et d'effectuer ses dépenses de manière effective (9). L'Autorité souligne que le principe d'autonomie budgétaire demeure une condition déterminante pour permettre à l'Autorité d'exercer efficacement ses missions de régulation en toute indépendance.
Le code européen confirme ainsi l'importance de garantir l'indépendance du régulateur, condition indispensable pour que ce dernier puisse exercer pleinement sa mission de régulation.


2.1.3. Une boîte à outils consolidée et adaptée pour une régulation plus agile


En même temps qu'il conforte leur indépendance, le nouveau cadre européen des réseaux et services de communications électroniques renforce les pouvoirs des régulateurs nationaux.


a) Des pouvoirs renforcés concernant la régulation par la donnée


Plusieurs articles du code européen s'inscrivent dans une démarche de régulation par la donnée qui doit permettre, d'une part, de jouer un rôle d'aiguilleur dans la conception des politiques publiques et de la régulation du secteur notamment en matière d'aménagement et de couverture du territoire, et, d'autre part, par une plus grande transparence au bénéfice des utilisateurs, de les impliquer dans la conception des décisions impactant le secteur.


- Le relevé géographique.


Les dispositions du code européen prévoyant la réalisation d'un relevé géographique de la couverture du territoire en réseaux à haut débit (10) sont transposées dans la loi DDADUE (11). Elles en confient la réalisation à l'ARCEP dont les prérogatives de collecte d'informations, y compris de prévisions de déploiement, sont renforcées à cette fin. Il est également prévu que l'ARCEP devra mettre ce relevé à la disposition du public au moins tous les trois ans.
La mise en œuvre du relevé géographique s'inscrit ainsi pleinement dans la démarche de régulation par la data engagée par l'Autorité. Elle complète et renforce les outils de collecte d'informations déjà mis en œuvre par l'ARCEP, notamment les sites cartographiques « Mon réseau mobile », « Carte fibre » et « Ma connexion internet », en particulier au travers de la compétence de collecte d'informations prévisionnelles.
Tout d'abord, ce dispositif constituera une base de données utile pour la conception et l'adaptation des politiques publiques d'aménagement et la régulation du secteur (12). Ensuite, sa publication permettra à chaque utilisateur de disposer d'une information fine sur la couverture de son territoire et de valoriser l'investissement des acteurs dans le déploiement des réseaux. Enfin, alors que les collectivités jouent un rôle majeur pour améliorer la connectivité, qu'elles sont « moteurs » dans le déploiement du très haut débit fixe (dans les zones où sont déployés des réseaux d'initiative publique et dans les zones dites « AMEL » [13]), et étroitement associées aux programmes gouvernementaux (New Deal Mobile et 4G fixe) d'amélioration de la couverture mobile, la mise en œuvre de cet outil permettra de mieux outiller les collectivités territoriales dans le diagnostic des zones dont la couverture demeure limitée et dans l'adaptation des politiques publiques destinées à combler la fracture numérique.


- Une collecte d'informations élargie auprès de nouveaux acteurs.


Outre le fait que l'ARCEP est désormais compétente pour demander des informations auprès des fournisseurs de certains services OTT (14), que sont les services de communications interpersonnelles non fondés sur la numérotation, à l'instar de ce qui était jusqu'alors prévu pour les opérateurs traditionnels, les dispositions du code européen (15) confient notamment aux ARN le pouvoir de collecter de l'information auprès « d'autres entreprises actives dans les communications électroniques ou dans des secteurs ayant des liens étroits avec les communications électroniques », lorsque les informations recueillies auprès des fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques sont insuffisantes pour permettre à ces autorités d'exercer leurs tâches de régulation au titre du droit de l'Union.
Le projet d'ordonnance transpose cette faculté en droit national (16) pour permettre à l'ARCEP de recueillir des informations auprès d'autres entreprises actives dans le secteur des communications électroniques que les fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques ou dans des secteurs étroitement liés à celui-ci lorsqu'elles s'avèrent nécessaires à l'exercice de ses missions de régulation. Concrètement cet article facilitera la sollicitation d'acteurs comme par exemple les fournisseurs de contenus numériques, les équipementiers, ou encore des développeurs de système d'exploitation, qui peuvent détenir aujourd'hui des informations dont les seuls fournisseurs de réseaux et de services de communications électroniques ne disposent pas, et qui sont pour autant essentielles à la régulation du secteur des communications électroniques.
Les informations recueillies par l'ARCEP pourront ainsi enrichir en particulier la réalisation des observatoires, qu'elle actualise à échéance régulière, et plus généralement renforceront les capacités de l'autorité en matière de régulation par la donnée.


b) Des modes de régulation plus agiles


Le projet d'ordonnance transpose (17) le nouveau mécanisme prévu par le code européen permettant aux opérateurs désignés comme puissants sur un marché de soumettre au régulateur national des propositions d'engagements relatifs aux conditions d'accès ou de co-investissement. Le régulateur, au terme d'une procédure d'évaluation impliquant une consultation de l'ensemble des parties intéressées par cette proposition, peut décider de rendre lesdits engagements contraignants. L'article projeté étend ce mécanisme aux opérateurs ayant exercé une telle influence dans les cinq dernières années précédant l'acceptation des engagements par l'Autorité.
L'ARCEP prend acte de cette extension aux opérateurs qui, bien que n'exerçant plus d'influence significative sur un marché, continuent à y jouer un rôle déterminant : ces opérateurs pourront ainsi, via des engagements volontaires rendus juridiquement contraignants, contribuer à consolider la dynamique concurrentielle du marché sur lequel ils sont présents.
L'Autorité souligne l'intérêt que pourrait revêtir l'ouverture de ce mécanisme d'engagements à tous les opérateurs de communications électroniques, à l'instar de ce que prévoit notamment l'article L. 33-13 du CPCE s'agissant de la couverture des zones peu denses par ceux déployant des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné. Cette ouverture permettrait en effet de favoriser un mode de régulation plus agile, en ce qu'il pourrait cibler des enjeux spécifiques propres à chaque opérateur à son initiative, en complément de la régulation symétrique s'appliquant à tous les opérateurs, notamment en matière d'aménagement du territoire et de couverture ou encore de non-discrimination.


c) Une intervention de l'ARCEP confirmée en matière de gestion et d'utilisation efficaces du spectre


Le code européen pose plusieurs objectifs, parmi lesquels ceux d'assurer la prévisibilité de la régulation, notamment afin d'encourager les investissements durables dans le développement des nouveaux réseaux à très haute capacité des opérateurs et la nécessité pour les Etats membres d'assurer une utilisation et une gestion efficaces du spectre.
Dans ce cadre, la durée des autorisations d'utilisation de fréquence (ci-après « AUF ») (18) doit s'articuler avec la possibilité pour l'ARCEP d'adapter ces dernières au contexte évolutif des marchés, notamment au regard des objectifs d'aménagement numérique du territoire, d'utilisation et de gestion efficaces du spectre, de développement de l'investissement et de l'innovation pour la fourniture de services de communications électroniques ainsi qu'au maintien d'une concurrence effective et loyale sur ces marchés. La durée initiale de quinze ans pour les autorisations délivrées pour l'utilisation des bandes harmonisées pour du haut débit sans fil après une procédure de sélection, assortie au maintien de la possibilité, pour l'Autorité, de modifier les droits d'utilisation de l'AUF, à l'occasion de sa prorogation pour cinq années supplémentaires (assurant ainsi une prévisibilité sur vingt ans) prévus par le projet d'ordonnance permettent un tel équilibre.
Toujours dans un objectif de gestion et d'utilisation efficaces du spectre, l'ensemble des fréquences sont désormais cessibles ou louables (19) afin d'assurer une meilleure flexibilité du marché secondaire. L'ARCEP se félicite à cet égard du maintien de son pouvoir d'approbation préalable s'agissant des AUF attribuées après procédure de sélection, et de la notification préalable s'agissant des autres AUF pouvant donner lieu, le cas échéant, à opposition par l'ARCEP (20). Dans tous les cas, cela doit lui permettre de veiller notamment à l'absence de distorsion de concurrence des projets de cession ou de location qui lui sont soumis.


2.1.4. Des mécanismes de coopération institutionnelle intensifiés


Dans le cadre des échanges qui se déroulent au niveau européen dans le domaine des communications électroniques, l'ARCEP est régulièrement amenée à intervenir dans le cadre de l'ORECE. Elle continuera à l'être sous ce nouveau cadre, qui prévoit également, de manière plus spécifique (21), un rôle accru du groupe pour la politique en matière de spectre radioélectrique (ci-après le RSPG [22]) dans le cadre de la coordination européenne relative aux conditions d'attribution et d'utilisation du spectre. A cet égard, si le projet d'ordonnance désigne le ministre chargé des communications électroniques comme l'autorité qui informe le RSPG de tout nouveau projet de fixation des conditions d'attribution des autorisations d'utilisation des bandes de fréquences harmonisées après procédure de sélection, et peut demander au groupe la convocation du forum d'évaluation par les pairs (23), l'ARCEP pourra également, à l'instar de ce qu'elle est amenée à faire dans le cadre de l'ORECE, intervenir devant le RSPG, le cas échéant, pour donner des explications sur les sujets la concernant.


2.2. Des mesures venant au soutien de la connectivité et de l'aménagement numérique des territoires
2.2.1. Une régulation de la fibre confortée par les textes de transposition


Le nouveau cadre européen assoit les pouvoirs des régulateurs nationaux en matière de régulation dite « symétrique », c'est-à-dire la régulation applicable de la même manière à l'ensemble des opérateurs.
Le nouveau cadre européen conforte en particulier la possibilité d'imposer des obligations de mutualisation des réseaux FttH à tous les opérateurs et vient préciser explicitement - tout en l'encadrant - la possibilité d'imposer ces obligations à un point plus en amont dans le réseau que le premier point de concentration (24). Ces dispositions s'inscrivent dans l'objectif, visé par le code européen, de promotion de la connectivité aux réseaux à très haute capacité et d'incitation des opérateurs à recourir au co-investissement pour accélérer les déploiements et l'accès aux réseaux. En cela, le code européen partage les objectifs pro-investissement poursuivis de longue date par l'ARCEP dans le cadre de la régulation de la fibre optique et vient conforter le cadre français de cette régulation, dont la pertinence est confirmée par le projet de transposition. Ainsi, la transposition du code n'amène à ne modifier que partiellement les dispositions législatives du CPCE (25) qui fondent la régulation s'appliquant à tous les opérateurs déployant des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné, pour intégrer les dispositions précitées du code européen.
Par ailleurs, le projet de transposition introduit (26) les exemptions prévues par le code européen à l'application d'obligations de mutualisation à un point plus en amont dans le réseau. L'une d'entre elles bénéficie aux opérateurs uniquement de gros. A cet égard, l'ARCEP se félicite de ce que la définition retenue des opérateurs uniquement de gros (II de l'article L. 38 du CPCE) permette de garantir que ces derniers n'ont aucune activité sur le marché de détail ni aucun lien de contrôle ou d'influence avec un opérateur intervenant sur le marché de détail. Il convient en effet que soient écartés du champ des exemptions des sociétés créées par un opérateur pour séparer, au sein de deux entités distinctes mais qui conserveraient un lien entre elles, les activités de gros de déploiement et d'exploitation des réseaux, d'une part, et des activités sur le marché de détail, d'autre part.
Enfin, l'ARCEP relève que la procédure d'adoption des décisions réglementaires dites « symétriques », dont celles de régulation de la fibre optique, remaniée par les textes de transposition (27), ne mentionne plus l'obligation de recueillir en amont l'avis de l'Autorité de la concurrence, sans qu'un autre article ne semble le prévoir par ailleurs. L'Autorité estime souhaitable que soit réintroduite cette consultation préalable de l'Autorité de la concurrence, dont les avis donnent toujours un éclairage utile à l'intervention de l'ARCEP et permettent d'assurer un dialogue entre la régulation sectorielle ex ante et la régulation ex post de droit commun.


2.2.2. Un service universel modernisé qui contribue à l'accès de toutes et tous au numérique


Le nouveau code européen modifie le périmètre du service universel en intégrant à celui-ci l'accès au haut débit via la notion de service d'accès adéquat à internet haut débit. Cette modernisation du service universel contribue à l'accès de toutes et tous au numérique, qui occupe une place grandissante dans la société. L'accès à internet s'est ainsi imposé comme un enjeu primordial pour que les consommateurs et les entreprises puissent participer à la vie économique et sociale de la Nation.
L'essentiel de la transposition des dispositions législatives relatives au service universel a déjà été effectuée par le Parlement dans le cadre de la loi n° 2020-1508 du 3 décembre 2020 dite DDADUE.
La transposition assurée par la loi DDADUE permet de poser les jalons d'un futur service universel haut débit adapté aux nouveaux usages des citoyens. L'ARCEP est aujourd'hui pleinement mobilisée pour accompagner le Gouvernement dans la mise en œuvre du futur service universel, à l'instar de l'avis qu'elle a récemment rendu à la demande du Gouvernement (28). A court terme, la question centrale est celle de la qualité de service de services de base (29), qui se pose en particulier dans les zones rurales, a fortiori lorsque les perspectives de déploiement de la fibre sont lointaines dans ces zones. Une mission a été confiée à la députée Célia de Lavergne par le secrétaire d'Etat chargé de la transition numérique et des communications électroniques pour préciser le diagnostic des dysfonctionnements de la téléphonie fixe dans les territoires ruraux et faire des propositions au Gouvernement.
L'ARCEP appelle le Gouvernement à ajuster le cas échéant les textes de transposition en tirant toutes les conséquences des réflexions en cours et à moderniser les textes réglementaires pour une meilleure adaptation de ces derniers aux spécificités du nouveau service universel.


2.2.3. La consolidation des compétences de l'Autorité en matière de partage de réseaux mobiles


Le partage de réseaux mobiles correspond à la mise en commun entre plusieurs opérateurs de tout ou partie des équipements constituant leurs réseaux mobiles (30). Il peut constituer un moyen d'accélérer et/ou de rationaliser les déploiements de sites mobiles, notamment dans les zones rurales, en participant ainsi à une meilleure couverture du territoire au bénéfice des consommateurs. Dans un contexte de réduction de l'empreinte environnementale du numérique, la mutualisation des réseaux mobiles pourrait également constituer un levier permettant des gains environnementaux, notamment en zones rurales où la charge du réseau est plus faible.
Dans la droite ligne du code européen, le projet d'ordonnance de transposition maintient le pouvoir de l'ARCEP de fixer des obligations de partage de réseaux dès l'attribution des AUF, qu'il s'agisse d'obligations de partage d'installations passives ou actives de tout type, ce dont l'ARCEP se félicite ; ce pouvoir implique notamment la possibilité de fixer dans les AUF des obligations de mettre en commun ou de partager le spectre radioélectrique.
En outre, il encadre la possibilité d'imposer par la suite des obligations de partage de réseaux, qui n'est autorisée qu'à la condition qu'une telle possibilité ait été prévue dans l'AUF et que les zones concernées par le déploiement de réseaux soient soumises à des barrières économiques ou physiques insurmontables entraînant de sévères problèmes de connectivité.


2.3. Pour plus de simplification et d'efficacité administratives


Pour renforcer la proportionnalité et l'efficacité des mesures prévues dans le cadre de la transposition du code européen, l'ARCEP souhaite proposer des adaptations s'agissant du dispositif d'évaluation des coûts nets du service universel et de l'encadrement des informations d'intérêt général.


2.3.1. Un cadre juridique plus flexible pour l'évaluation des coûts nets pour s'adapter aux contours du futur service universel


Dans la mesure où le futur service universel pourrait potentiellement être multi-opérateurs, multi-zones ou encore multi-technologies et que les modalités de désignation idoines ne sont pas à ce jour connues, l'Autorité estime que les marges de manœuvre offertes dans le code européen pour exécuter et suivre les obligations de service universel devraient être reprises dans les textes de transposition, afin de laisser le choix de la méthode d'évaluation des coûts nets la plus adaptée aux caractéristiques du futur service universel et à ses modalités de prise en charge.
Ainsi, s'agissant de la partie législative, qui a déjà été modifiée par la loi DDADUE, il serait utile que soient également reprises dans le projet d'ordonnance les possibilités prévues par le code européen d'utiliser alternativement le coût net issu du mécanisme de désignation ou celui résultant d'une évaluation conduite par l'Autorité. De la même manière, dans le cas où l'ARCEP effectue par ses propres soins cette évaluation, il conviendrait qu'elle dispose d'une certaine souplesse concernant les éléments sur lequel elle se fonde pour procéder à ce calcul, en particulier qu'elle puisse s'appuyer sur d'autres informations que la seule comptabilité auditée (31). Enfin, l'Autorité relève que la rédaction des dispositions de l'article L. 35-5 du CPCE pourrait être ajustée pour permettre, dans le respect du code européen, de ne calculer le coût net du service universel que lorsque la charge supportée par le fournisseur est identifiée comme pouvant être injustifiée.
Enfin, s'agissant de la partie réglementaire, si l'article L. 35-5 du CPCE dans sa rédaction issue de la loi DDADUE renvoie à un décret en Conseil d'Etat le soin de fixer « les méthodes de l'évaluation [du service universel] qui répondent à des exigences de transparence et de publicité, de la compensation et du partage des coûts nets […] », l'Autorité estime que certaines précisions actuellement envisagées dans le projet de décret en Conseil d'Etat pourraient être allégées. Les définitions du calcul qui y figurent pourraient en effet s'avérer trop précises pour répondre à tous les cas rencontrés, tant sur la composante disponibilité que sur les tarifs sociaux ou les modalités de calcul du coût moyen pondéré du capital.
Cet ajustement dans les textes de transposition sur le service universel permettrait à l'ARCEP d'assurer, de façon pleinement efficiente et dans un objectif d'efficacité de la régulation, sa mission d'évaluation des coûts nets, en l'adaptant, dans le cadre prévu par le code européen, aux spécificités du nouveau service universel telles qu'elles seront arrêtées par le Gouvernement (qu'il s'agisse de ses modalités de prise en charge, du champ matériel qu'il recouvre, etc.).


2.3.2. Un encadrement nécessaire du périmètre des informations d'intérêt général


Le Gouvernement a choisi de transposer l'article 103 du code européen qui permet aux Etats membres d'exiger que les fournisseurs de services d'accès à l'internet ou de services de communications interpersonnelles fondés sur la numérotation accessibles au public communiquent gratuitement aux utilisateurs finals des « informations d'intérêt général », si besoin est, en recourant aux mêmes moyens que ceux qu'ils utilisent normalement pour communiquer avec les utilisateurs finals. Ces informations sont fournies par les autorités publiques compétentes sous une forme normalisée et peuvent couvrir « entre autres » les atteintes aux droits en matière de protection des données, aux droits d'auteur, aux droits voisins, ou encore aux moyens de protection contre les risques d'atteinte à la sécurité individuelle ou à la vie privée.
Cette mesure a été transposée, à l'égard des deux catégories d'acteurs précitées, en leur imposant une obligation de transmettre gratuitement à leurs utilisateurs, dès réception de la demande du Premier ministre ou du représentant de l'Etat dans le département, les informations d'intérêt général qui couvrent « notamment » les sujets évoqués ci-dessus.
A cet égard, et sauf si le choix de reprendre cette obligation était finalement remis en question par le Gouvernement, il importe que les demandes de transmission gratuite de telles informations restent dans la pratique proportionnées et limitées (32). L'ARCEP invite ainsi le Gouvernement à modifier en conséquence les dispositions de transposition concernées afin d'en encadrer strictement la portée.


3. Conclusion


La transposition du code européen permet à l'ARCEP de conforter son rôle et son action, notamment au travers d'outils de régulation consolidés et enrichis, que ce soit en matière de collecte d'informations en vue d'une régulation par la data, ou encore s'agissant des conditions pouvant être associées à l'utilisation des fréquences. La transposition donne ainsi les moyens à l'ARCEP de répondre aux nouveaux enjeux qui attendent le secteur : l'accès de tous à des réseaux à très haut débit et la garantie d'une couverture de qualité, le développement de services innovants à travers le déploiement de la 5G ou encore l'extension de certaines obligations aux nouveaux acteurs fournissant des services de communications électroniques.
La transposition conforte également le cadre de régulation symétrique qui établit le socle sur lequel s'appuie la réussite du plan France Très Haut en matière de déploiement de la fibre et permet de concrétiser les objectifs ambitieux de déploiement du très haut débit, y compris dans les zones plus enclavées du territoire. Elle pérennise en outre le cadre de partage des infrastructures mobiles dans lequel s'insère l'action de l'ARCEP et du Gouvernement, venant ainsi pleinement au soutien des objectifs de couverture mobile. La transposition doit enfin garantir qu'aucun citoyen ne sera laissé de côté grâce à un service universel modernisé de nature à satisfaire aux nouveaux usages de la population.
Pour renforcer la proportionnalité et l'efficacité des mesures prévues dans le cadre de la transposition du code européen, l'ARCEP invite néanmoins le Gouvernement à davantage exploiter les marges de manœuvre offertes par le code européen pour une meilleure adaptation des mesures aux contours du futur service universel et à mieux encadrer l'obligation de transmission des informations d'intérêt général afin de ne pas faire peser une charge disproportionnée sur les acteurs concernés.
Sous réserve des observations qui précèdent, et appelant de ses vœux la prise en compte des remarques reportées dans l'annexe ci-jointe, l'Autorité émet un avis favorable sur les projets de textes qui lui ont été soumis.
Le présent avis sera transmis au directeur général des entreprises du ministère de l'économie, des finances et de la relance. Il sera publié au Journal officiel de la République française.