315. Dans le but d'améliorer l'accès des femmes aux offices d'avocats aux Conseils, l'Autorité avait notamment préconisé, dans son avis n° 16-A-18 précité, d'assouplir les modalités de suspension de la formation à l'IFRAC, pour que celle-ci soit davantage compatible avec un projet familial.
316. A la suite de cette recommandation, le règlement intérieur de l'IFRAC a été modifié et prévoit désormais que la formation peut être suspendue « de droit en cas de grossesse pendant toute la durée de celle-ci et pendant une durée d'un an à compter de la naissance ou de l'adoption d'un enfant » (146). En outre, comme indiqué aux paragraphes 23 et 278 du présent avis, la période pendant laquelle la formation pouvait être suspendue sans « motif légitime » a été étendue de trois mois à un an par le décret n° 2020-746 du 17 juin 2020. L'Autorité salue l'adoption de ces mesures, dont l'impact positif sur l'accès des femmes à la profession a également été souligné dans le cadre de la consultation publique (voir en annexe).
317. Par ailleurs, dans son avis n° 18-A-11 précité, l'Autorité avait relevé une plus grande sélectivité du diplôme pour les femmes sur les dix dernières années, qui représentaient en moyenne 42 % des candidats à l'examen et seulement 39 % des titulaires. L'Autorité avait donc recommandé à l'Ordre de conduire une étude pour examiner les raisons de cette plus grande sélectivité.
318. Lors de l'instruction, l'Ordre a indiqué avoir réalisé un sondage auprès des étudiantes candidates au CAPAC pour savoir quels obstacles liés à leur genre elles avaient rencontrés dans leur parcours au sein de l'IFRAC. Selon le résultat de ce sondage, le seul obstacle soulevé par les étudiantes tiendrait à l'ancien régime de suspension de la formation. L'Ordre estime donc que la modification du règlement intérieur de l'IFRAC assouplissant lesdites modalités de suspension, comme indiqué ci-après, a remédié à cette difficulté. A cet égard, l'Ordre a souligné qu'en 2019, 4 des 5 personnes reçues à l'examen étaient des femmes, soit 80 % des diplômés.
319. En outre, l'Autorité avait également recommandé de mettre en place des dispositifs de soutien pendant les absences en cas de maladie, maternité ou paternité des professionnels, et d'améliorer la couverture financière pour ces mêmes cas.
320. Interrogé sur ce point, l'Ordre estime que la difficulté, lorsque ce type d'évènement survient, ne tient pas à la baisse des revenus mais à la gestion de l'office. A cet égard, il a indiqué qu'un mécanisme de solidarité existait déjà au sein de la profession, qui permet au président de l'Ordre de nommer un administrateur provisoire pour gérer, à titre bénévole, la charge des confrères temporairement indisponibles. Lors de l'instruction, il a ainsi précisé que les avocates aux Conseils ayant eu un enfant au cours des deux dernières années avaient indiqué à l'Ordre n'avoir pas rencontré de difficultés dans la gestion de leurs cabinets grâce à l'aide soit de leur associé, soit d'autres confrères, soit des juridictions, qui ont accepté de renvoyer des audiences auxquelles elles devaient assister (147).
321. En outre, l'Autorité avait également relevé que la représentation des femmes dans les instances professionnelles des avocats aux Conseils avait chuté de 42 % en 2016 à 27 % en 2018, avec seulement quatre femmes sur les quinze membres. Si ce taux respectait strictement le minimum imposé par l'article 8 de l'ordonnance du 10 septembre 1817, qui pose le principe d'une représentation du sexe le moins représenté au sein du conseil de l'Ordre au moins proportionnelle à ses effectifs dans la profession (148), l'Autorité avait néanmoins regretté cette régression. Sur ce point, l'Ordre a indiqué que la proportion de femmes dans la profession avait récemment dépassé 27 %. En conséquence, la composition du conseil de l'Ordre a changé au 1er janvier 2021 et comprend désormais cinq femmes, soit 33 % de membres féminins.
322. Enfin, si l'Autorité avait déploré en 2018 qu'aucune femme n'ait été nommée à l'un des cinq postes à responsabilité du conseil (président, premier syndic, second syndic, secrétaire-trésorier et secrétaire), ces postes étaient, jusqu'au 31 décembre 2020, occupés à 40 % par des femmes, les fonctions de premier syndic et de secrétaire étant assurées par deux femmes. Si, depuis le 1er janvier 2021, ces cinq postes sont désormais tous occupés par des hommes, l'Ordre a précisé que cette composition s'expliquait par un facteur conjoncturel, les femmes remplissant le critère d'ancienneté nécessaire pour occuper l'un de ces postes ayant récemment quitté leurs fonctions au sein de l'Ordre. La part des femmes au sein des postes à responsabilité est donc amenée à évoluer dans un futur proche, ce que l'Autorité estime effectivement souhaitable. L'Ordre pourrait toutefois utilement envisager des modalités d'accès aux postes à responsabilité permettant d'éviter que l'application de ce critère d'ancienneté n'aboutisse de nouveau à une représentation inégale des hommes et des femmes à ces fonctions.
C. - Nouvelles recommandations
323. Outre les nombreuses avancées intervenues à la suite des recommandations émises en 2016 et 2018, des mesures complémentaires pourraient être mises en place pour améliorer le dispositif régissant la liberté d'installation des avocats aux Conseils. L'Autorité émet ainsi deux nouvelles recommandations, afin d'introduire davantage de transparence dans l'examen des candidatures (1) et de favoriser un élargissement du vivier de candidats (2).
1. Améliorer la transparence des modalités d'examen des candidatures
324. En vertu de l'article 27 du décret n° 91-1125 précité, les nominations aux offices créés sont faites au choix par le garde des sceaux, ministre de la justice, après avis d'une commission qui classe les demandeurs par ordre de préférence (149).
325. Dans ses avis n° 16-A-18 et n° 18-A-11 précités, l'Autorité avait relevé que les critères d'examen des candidatures par cette commission n'avaient pas été spécifiés et n'avaient pas fait l'objet de publicité ou d'explication. Elle avait souligné que, dès lors que les candidats à l'installation avaient passé avec succès un examen dont la difficulté et la technicité sont unanimement reconnues et avaient acquis un haut niveau d'expertise dans le domaine de la cassation, ils pourraient être classés au regard du seul critère de la date du dépôt de leur demande. Ce critère objectif aurait ainsi simplifié l'établissement du classement, n'aurait plus nécessité de recourir à une commission, et aurait harmonisé le dispositif avec celui applicable aux autres officiers ministériels.
326. A défaut de la suppression de cette commission, l'Autorité avait préconisé que les critères de départage soient spécifiés a priori et que les avis soient motivés et notifiés à chaque candidat concerné.
327. A ce jour, les articles 27 et 28 du décret n° 91-1125 précité n'ont pas été modifiés : la commission chargée du classement des candidats aux offices créés n'a pas été supprimée et les critères de départage n'ont pas été spécifiés. En outre, les avis de cette commission, destinés au garde des sceaux, ne sont ni motivés, ni notifiés aux candidats.
328. A cet égard, la Chancellerie estime qu'un système d'horodatage ne serait pas souhaitable car il impliquerait, selon elle, de compléter le CAPAC par une épreuve de tenue d'office.
329. Pour sa part, l'Autorité estime souhaitable, indépendamment des modalités de sélection des candidats aux offices créés, que la formation à l'IFRAC puisse être complétée par un module relatif à la création et à la gestion d'office, afin que les futurs diplômés soient mieux informés et préparés à cette opportunité professionnelle, sans qu'une épreuve supplémentaire soit pour autant nécessaire.
330. L'Autorité est également d'avis que les motifs conduisant la commission à retenir un ordre de préférence entre les différents candidats devraient, dans un souci de transparence, être portés à leur connaissance.
331. Par conséquent, l'Autorité invite la commission à être plus explicite sur les critères qui la conduisent à classer les différents candidats, par exemple en motivant ses avis et en les notifiant aux candidats concernés, ou en décrivant sa doctrine générale par la diffusion d'un rapport, sur le modèle des rapports de jurys aux concours publics.
Recommandation n° 1 - Introduire davantage de transparence sur les critères de classement des candidats aux offices créés |
- prévoir que l'avis de la commission mentionnée aux articles 27 et 28 du décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991 précité est motivé et notifié à chaque candidat pour ce qui le concerne ; - prévoir que cette commission rende sa doctrine générale publique dans un document élaboré sur le modèle des rapports de jurys de concours. |
2. Elargir l'information sur la profession
332. Hors rares cas de dispense, la profession d'avocat aux Conseils ne peut être exercée que par une personne ayant suivi une formation longue et exigeante à l'IFRAC, sanctionnée par l'obtention du diplôme du CAPAC, qui exige, d'une part, la maîtrise du droit public, du droit civil et du droit pénal et des procédures spécifiques régissant ces matières, et d'autre part, une parfaite connaissance de la procédure de cassation. La réussite à cette formation constitue donc l'une des principales conditions d'accès à la profession.
333. L'Autorité avait, dans son avis n° 16-A-18 précité, relevé un « risque d'assèchement stratégique du vivier de candidats » en raison, notamment, d'un accès à la profession d'avocat aux Conseils relevant en grande partie des représentants des avocats aux Conseils installés (l'IFRAC étant « un service de l'Ordre » et le jury d'admission étant pour moitié composé d'avocats aux Conseils installés). Elle avait relevé en outre un manque de souplesse concernant le déroulé de la formation.
334. Ses recommandations ont été suivies d'effet, puisqu'elles ont conduit à la modification des dispositions du décret n° 91-1125 du 28 octobre 1991, avec l'adoption :
- du décret n° 2019-820 du 2 août 2019 modifiant la composition du jury de l'examen d'aptitude à la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation (voir paragraphes 16 et suivants) ;
- du décret n° 2020-746 du 17 juin 2020 dotant l'IFRAC d'une gouvernance autonome de l'Ordre et assouplissant les modalités de suspension de la formation, qui peut désormais être interrompue pour un an (voir paragraphes 19 et suivants).
335. Relevant un déficit d'information des étudiants et professionnels du droit concernant la profession d'avocat aux Conseils et ses modalités d'exercice, l'Autorité avait également, dans son avis n° 16-A-18, appelé l'Ordre à communiquer davantage à destination des candidats potentiels (notamment les étudiants en droit pendant leurs études), et, dans son avis n° 18-A-11, salué les actions entreprises en ce sens qui semblaient avoir produit des effets significatifs, avec un nombre d'inscrits six fois supérieur en 2018 à celui de l'année précédente. L'Ordre avait ainsi indiqué avoir lancé une campagne d'information sur la conférence du stage des avocats aux Conseils auprès des universités et de l'institut d'études politiques de Paris. Il avait aussi souligné la mise en place de conventions de partenariat avec des universités parisiennes et d'un module de formation à l'EFB.
336. Lors de l'instruction du présent avis, l'Ordre a indiqué que la campagne de communication à destination des étudiants avait été renouvelée. Ainsi, une réunion d'information sur la profession, l'IFRAC et la Conférence du stage a eu lieu le mardi 1er octobre 2019 et 70 personnes s'y sont inscrites. Une information sur cette réunion avait été préalablement diffusée par l'Ordre sur son site internet, sur Twitter et dans des revues juridiques (Dalloz, Semaine juridique, Gazette du Palais, AJDA, Petites affiches et Journal des sociétés). En revanche, l'Ordre a signalé que le module de présentation de la profession d'avocat aux Conseils, qui devait être proposé aux élèves-avocats par l'EFB, n'a pas encore pu être mis en œuvre.
337. Par ailleurs, des avocats aux Conseils ont souligné que, malgré les mesures entreprises ces dernières années, la profession d'avocats aux Conseils restait largement méconnue, la formation s'adressant, dans les faits, avant tout aux collaborateurs d'avocats aux Conseils qui connaissent déjà la profession.
338. L'Autorité salue donc les actions entreprises pour ouvrir l'accès à la formation professionnelle et améliorer l'information sur la profession, et appelle à poursuivre ces efforts de communication mais également à les étendre, dans la mesure du possible, à l'ensemble du territoire, en ciblant par exemple d'abord les universités ayant une forte spécialisation dans les matières juridiques dans d'autres régions, afin que cette information soit accessible au plus grand nombre d'étudiants et professionnels du droit.
339. Par ailleurs, les éléments recueillis lors de l'instruction révèlent une certaine appréhension des titulaires du CAPAC vis-à-vis de l'installation dans un office créé, perçue comme difficile et risquée financièrement. Ainsi, cette appréhension aurait conduit plusieurs candidats potentiels à renoncer à un tel projet et à attendre une possibilité d'association dans un office existant. Or, cette perception ne concorde pas avec les retours des avocats aux Conseils installés dans un office créé, qui sont globalement très positifs, et n'est pas davantage corroborée par les données économiques recueillies auprès de ces mêmes offices (voir paragraphes 157 et suivants).
340. Afin d'informer au mieux les potentiels candidats à l'installation et dissiper leurs inquiétudes sur les réalités de la création d'office, il pourrait être organisé, dans le cadre de la formation à l'IFRAC, un module ou une réunion d'information sur l'installation dans un office créé, qui pourrait notamment proposer des rencontres avec des professionnels installés dans des offices créés.
Recommandation n° 2 - Information sur les modes d'accès à la profession |
- poursuivre et élargir les mesures de communication sur la profession d'avocat aux Conseils et sa formation à destination des étudiants et professionnels du droit, en essayant d'élargir les mesures mises en place dans les universités et l'IEP de Paris à l'ensemble du territoire. - proposer un module ou une réunion d'information, dans le cadre de la formation à l'IFRAC, sur les conditions d'installation en office créé. |
VI. - Conclusion générale
341. S'il existe un potentiel pour accroître à terme le nombre d'offices d'avocats aux Conseils, l'Autorité estime nécessaire d'adopter une approche prudente au cours des deux prochaines années, compte tenu notamment des incertitudes sur l'évolution de la crise sanitaire et de ses conséquences sur l'activité des avocats aux Conseils, ainsi que de la taille réduite du vivier de candidats.
342. En effet, l'Autorité constate que les avocats aux Conseils, du fait de la conjonction de leur petit nombre, d'une situation de monopole et d'une grande liberté en matière de tarification comme de gestion, bénéficient d'un taux de marge et d'une rémunération toujours très favorables.
343. Par ailleurs, les offices créés en 2017 ont pu développer leur activité et ont bénéficié d'une croissance rapide entre 2017 et 2019. Ainsi, l'installation de nouveaux offices depuis 2017 ne semble ni compromettre les performances économiques toujours très satisfaisantes des offices en place, ni mettre en difficulté les nouveaux entrants. Il existe donc un potentiel de développement d'offices supplémentaires, sans que cela porte atteinte à la qualité des prestations rendues devant les juridictions de cassation.
344. Trois facteurs principaux justifient cette approche prudente dans la formulation des recommandations de création de nouveaux offices.
345. Tout d'abord, si la demande de prestations des justiciables devant le Conseil d'Etat jouit d'une certaine croissance depuis 2017, les activités devant la Cour de cassation tendent en revanche à baisser ces dernières années, en partie en raison des réformes engagées afin de désengorger les tribunaux judiciaires.
346. En outre, en dépit des efforts réalisés pour attirer de nouveaux étudiants à l'IFRAC, le vivier de professionnels titulaires du CAPAC susceptibles de se porter candidats à l'installation reste extrêmement réduit, ce qui limite les perspectives d'évolution du nombre d'avocats aux Conseils dans les deux années à venir.
347. Enfin, à ce même horizon de deux ans, l'Autorité constate un impact négatif de la crise sanitaire sur l'activité des avocats aux Conseils, lié à un fort ralentissement des activités devant les hautes juridictions à compter de mars 2020 et une reprise timide au second semestre 2020. Si cette baisse d'activité apparaît, à ce stade, plus limitée que pour d'autres professions, des incertitudes demeurent sur l'évolution de l'épidémie et, par conséquent, sur ses conséquences sur l'activité des avocats aux Conseils.
348. En considération de ces éléments, l'Autorité identifie un besoin de création de 2 offices supplémentaires d'avocats aux Conseils sur la prochaine période biennale (2021-2023), soit un accroissement de 3 %, à comparer avec les 4 offices dont elle avait recommandé la création sur chacune des deux périodes biennales précédentes.
349. Par ailleurs, l'Autorité salue les avancées très significatives réalisées dans la modernisation de la profession et la promotion de l'accès des femmes à la profession d'avocat aux Conseils. Si l'Autorité se félicite de la prise en compte de plusieurs de ses précédentes recommandations « qualitatives », et plus particulièrement de la suppression de certaines barrières identifiées à la mobilité des clients, quelques mesures complémentaires pourraient permettre d'améliorer, de façon incrémentale, l'accès aux offices d'avocats aux Conseils.
350. En particulier, il apparaît essentiel que le vivier de candidats puisse être en adéquation avec le potentiel de développement d'offices supplémentaires. Afin d'ouvrir davantage l'accès à la profession d'avocats aux Conseils, l'information sur cette profession et sa formation, qui restent largement méconnues aujourd'hui, devrait donc être élargie et rendue accessible à un plus grand nombre d'étudiants et de professionnels du droit, à l'instar des conventions de partenariat avec des universités parisiennes et du module de formation à l'EFB que l'Ordre a indiqué vouloir mettre en place. De même, une information sur les avantages et les inconvénients attachés à une installation dans une charge nue - parcours qui suscite toujours de fortes appréhensions malgré les résultats encourageants des offices nouvellement créés -permettrait aux titulaires du CAPAC d'emprunter l'une ou l'autre des voies d'accès à la profession en connaissance de cause. Il serait ainsi souhaitable que la formation à l'IFRAC puisse être complétée par un module sur la création d'office (dans le cadre duquel des professionnels libéraux installés en office créé pourraient d'ailleurs être invités à venir témoigner sur leur expérience), afin que les futurs diplômés soient mieux informés et préparés à cette opportunité professionnelle.
Délibéré sur la rapport oral de Mme Céline Devienne, Mme Anja Kukanjac et M. Hengrui Wan, rapporteurs, et l'intervention de M. Thomas Piquereau, rapporteur général adjoint, par Mme Isabelle de Silva, présidente, Mme Fabienne Siredey-Garnier, Mme Irène Luc et M. Henri Piffaut, vice-présidents et M. Jean-Louis Gallet et M. Frédéric Marty, membres.