167. D'une façon générale, les auditions menées par l'Autorité ont permis de constater que les petites structures, nouvellement créées ont vu leurs finances moins affectées par la crise sanitaire que les grandes structures, en raison, notamment, de leurs faibles coûts salariaux, de l'absence d'emprunts et du montant la plupart du temps peu élevé de leur loyer. Ceux pour qui le loyer représentait une charge plus importante ont parfois réussi à le renégocier à la baisse.
168. Par ailleurs, on constate que les offices ont pu réaménager certaines de leurs dettes en raison de la crise. En plus de l'ajustement des cotisations ordinales mentionné ci-dessus, des offices témoignent d'un rééchelonnement des paiements aux URSAFF ou des prêts consentis par leurs établissements financiers, diminuant ainsi la pression financière qui pèse sur eux.
169. Enfin, l'Autorité a auditionné à l'issue du premier confinement (entre fin juin et début juillet 2020) 8 professionnels nommés entre 2016 et 2020. Certains d'entre eux ont indiqué que leurs activités dépendaient de mesures de lutte contre la pandémie dont l'impact économique restait encore incertain.
170. En effet, ces offices ont déclaré avoir été très impactés par la première vague de la crise sanitaire, pendant laquelle l'activité des juridictions s'est fortement ralentie, notamment celle de la Cour de cassation. Un office a par exemple déclaré avoir reçu 8 dossiers seulement au premier semestre 2020, contre 30 au premier semestre 2019. Un office créé en 2019 indique d'ailleurs que le confinement a marqué un coup d'arrêt de son activité, alors que ses premiers mois de chiffre d'affaires, de janvier à mars 2020, étaient prometteurs. En revanche, comme les chiffres présentés ci-avant le confirment, des offices ont pu maintenir, voire accroître, leurs activités devant le Conseil d'Etat, celui-ci ayant connu une activité plus soutenue en raison notamment du nombre accru des référés enregistrés.
171. Certains offices auditionnés espéraient une reprise d'activité à l'été 2020. Selon ces témoignages, l'arrêt brutal de l'activité s'est terminé avec le premier confinement. Restait à savoir si la reprise espérée des activités juridictionnelles pourrait rattraper le manque d'activité liée à la crise.
172. D'autres professionnels redoutaient en revanche une reprise plus lente et incertaine, et anticipaient en particulier les conséquences d'un possible deuxième confinement, qui s'est de facto matérialisé du 30 octobre au 14 décembre 2020. Les plus prudents déclaraient attendre de constater un redémarrage des juridictions d'appel, pour juger de la reprise. D'une manière générale, à ce jour, il apparaît que, selon les professionnels, l'impact à long terme de la crise sur l'activité des avocats aux Conseils ne peut pas être anticipé avec précision.
C. - Etat des lieux de la demande : des tendances légèrement contrastées devant le Conseil d'Etat et la Cour de cassation
173. Les critères du décret n° 2016-215 susvisé permettant d'évaluer le niveau et les perspectives d'évolution de la demande sont les suivants :
- l'évolution de l'activité de la Cour de cassation et de la section du contentieux du Conseil d'Etat au cours des cinq dernières années telle que résultant des rapports d'activité publiés annuellement par ces deux juridictions (sur le fondement des articles R. 431-9 du code de l'organisation judiciaire et R. 123-5 du code de justice administrative) ;
- l'évolution du nombre de décisions prononcées par les juridictions du fond susceptibles de pourvoi en cassation au cours des cinq dernières années.
174. Compte tenu de la période de révision des recommandations de l'Autorité (2 ans), le présent avis se concentre sur les principales évolutions de la demande entre 2017 et 2019. Pour la période antérieure, l'Autorité renvoie aux analyses détaillées qu'elle a effectuées sur les évolutions de la demande dans ses deux précédents avis, qui restent pleinement pertinentes (avis n° 16-A-18 et n° 18-A-11 précités). Parmi les principaux constats, l'avis n° 16-A-18 avait identifié une diminution du contentieux de 5,4 % entre 2010 et 2015 tandis que l'avis n° 18-A-11 avait relevé une relative stabilité de l'activité des hautes juridictions, avec une hausse globale de 4 % entre 2015 et 2017. Les deux avis avaient mis en avant des perspectives d'évolution incertaines en lien avec la réforme alors envisagée de réformer des pourvois devant la Cour de cassation.
175. Enfin, l'Autorité s'est également attachée à prendre en compte, sur la base des données disponibles qui ont pu être recueillies lors de l'instruction, les effets de la crise sanitaire sur le niveau et l'évolution de la demande.
176. Avant d'examiner les incidences conjoncturelles de la crise sanitaire sur l'activité juridictionnelle des avocats aux Conseils (3), il convient de présenter dans un premier temps les évolutions structurelles affectant les contentieux devant le Conseil d'Etat (1) et la Cour de cassation (2).
1. L'activité contentieuse devant le Conseil d'Etat
177. Dans l'ordre administratif, le volume des affaires portées devant les juridictions du fond (c) comme en cassation - hausses en droit de l'urbanisme, en droit de l'environnement et en droit de la fonction publique (a) et baisse des questions prioritaires de constitutionnalité (b) - rend probable l'hypothèse d'une relative stabilité ou d'une légère croissance de l'activité des avocats aux Conseils devant le Conseil d'Etat dans les années à venir (d).
a) Une très légère hausse du nombre de dossiers enregistrés au Conseil d'Etat entre 2017 et 2019, essentiellement imputable à certains contentieux spécifiques (urbanisme, environnement, fonctionnaires et agents publics)
178. Les avocats aux Conseils interviennent en amont de l'introduction d'un pourvoi ou d'un recours devant le Conseil d'Etat, puis tout au long de la procédure pour les pourvois et recours ayant fait l'objet d'une admission (mémoires en défense, en réplique, audiences, observations orales…). L'indicateur d'activité le plus pertinent est donc le nombre d'affaires enregistrées, car il fournit une indication précise de l'activité des avocats aux Conseils au cours de l'année concernée, mais également au cours des années suivantes, compte tenu du délai de traitement des dossiers.
179. Il ressort du précédent avis de l'Autorité que, lors de son audition du 21 septembre 2018, le président de la section du contentieux avait indiqué prévoir une certaine stabilité du contentieux devant le Conseil d'Etat, avec une hausse possible de certains types de contentieux, comme ceux liés à l'urbanisme et aux étrangers. De fait, le nombre d'affaires enregistrées, nettes des séries (112), n'a que légèrement augmenté entre 2017 et 2019 (- 3 % entre 2017 et 2018 et + 7 % entre 2018 et 2019). S'il est tenu compte des affaires relevant d'une série contentieuse, le Conseil d'Etat souligne, dans son dernier rapport annuel, que leur nombre a considérablement diminué, passant de plus d'un millier en 2016 à 325 en 2019. Cette réduction notable s'expliquerait par l'efficacité du dispositif mis en place afin de gérer ce type de contentieux (113).
180. A l'exclusion des ordonnances du président de la section du contentieux relatives aux recours contre les refus d'aide juridictionnelle et aux questions de répartition de compétence au sein de la juridiction, qui ne font pas intervenir les avocats aux Conseils, on constate ainsi une hausse modérée du nombre d'affaires enregistrées entre 2017 et 2019, de l'ordre de 5 %.
Tableau 9. - Affaires portées devant le Conseil d'Etat selon les différents périmètres
2013 |
2014 (*) |
2015 |
2016 |
2017 |
2018 |
2019 |
Variation 2018 -2017 |
Variation 2019 -2018 |
Variation 2019 - 2015 |
|
---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|---|
Données brutes |
||||||||||
Affaires enregistrées |
9 480 |
12 487 |
8 967 |
10 642 |
10 524 |
9 773 |
10 541 |
- 7 % |
8 % |
18 % |
Décisions rendues |
10 143 |
12 806 |
9 918 |
10 213 |
11 348 |
10 355 |
10 575 |
- 9 % |
2 % |
7 % |
Affaires réglées |
10 019 |
12 625 |
9 757 |
10 043 |
11 017 |
10 014 |
10 402 |
- 9 % |
4 % |
7 % |
Affaires en stock au 31/12 |
6 436 |
6 348 |
5 511 |
6 529 |
5 670 |
5 458 |
5 631 |
- 4 % |
3 % |
2 % |
Données nettes (hors-séries) |
||||||||||
Affaires enregistrées |
9 235 |
12 082 |
8 727 |
9 620 |
9 864 |
9 563 |
10 216 |
- 3 % |
7 % |
17 % |
Décisions rendues |
9 806 |
12 433 |
9 712 |
9 775 |
10 465 |
9 787 |
10 493 |
- 6 % |
7 % |
8 % |
Affaires réglées |
9 685 |
12 252 |
9 553 |
9 607 |
10 139 |
9 583 |
10 320 |
- 5 % |
8 % |
8 % |
Affaires en stock au 31/12 |
6 320 |
6 199 |
5 386 |
5 461 |
4 961 |
5 255 |
5 323 |
6 % |
1 % |
- 1 % |
Données nettes après déduction des ordonnances du président de la section du contentieux |
||||||||||
Affaires enregistrées |
7 922 |
10 633 |
7 315 |
8 209 |
8 219 |
8 084 |
8 598 |
- 2 % |
6 % |
18 % |
Décisions rendues |
8 422 |
11 019 |
8 271 |
8 268 |
8 518 |
8 340 |
8 508 |
- 2 % |
2 % |
3 % |
(*) Le surcroît d'affaires au cours de l'année 2014 s'explique par le contentieux exceptionnel relatif au découpage cantonal (2 626 affaires enregistrées et réglées).
Source : Conseil d'Etat, Rapport public 2020, Activité juridictionnelle et consultative des juridictions administratives en 2019.