151. L'Autorité constate ainsi comme dans son précédent avis que les nouveaux offices semblent avoir réussi leur démarrage. Sur la base des données annuelles 2017-2019 (et donc antérieures au déclenchement de la crise sanitaire en mars 2020), aucun des offices étudiés n'apparaît en difficulté financière.
152. Cependant, indépendamment des conséquences de la crise sanitaire, qui seront étudiées infra, ces nouveaux offices pourraient rencontrer, à moyen terme, des difficultés à développer leur activité. En effet, dans son précédent avis, l'Autorité avait relevé que la concentration des dossiers entre les mains d'un petit nombre d'offices pourrait freiner le développement des nouveaux entrants, certains facteurs structurels limitant la mobilité des clients entre offices. Concrètement, ces freins tenaient essentiellement 1) aux règles déontologiques relatives à la publicité et à la confraternité, qui étaient très restrictives et limitaient fortement l'émulation concurrentielle entre avocats aux Conseils ; 2) à la solidité du réseau d'avocats à la Cour correspondants de certains offices en place ; 3) à la difficulté, pour les offices créés, de démarcher les clients institutionnels et autres grands apporteurs de dossiers, qui privilégiaient une relation de longue durée avec leur avocat aux Conseils. Dans ce contexte, plusieurs titulaires ou associés d'offices créés ont continué à accepter des dossiers de sous-traitance en provenance des cabinets d'avocats aux Conseils pour lesquels ils avaient été collaborateurs précédemment.
153. Les auditions menées dans le cadre de l'instruction du présent avis ont montré que les avocats aux Conseils récemment installés redoutent que ces freins puissent perdurer au profit des offices en place. Plusieurs d'entre eux ont fait part de leur inquiétude vis-à-vis de « la structure oligopolistique du marché et de l'immobilisme de la clientèle ». Concrètement, pour eux :
- il existerait un plafond de développement difficile à briser, les dossiers les plus intéressants restant concentrés dans les cabinets historiques les plus importants ;
- la taille (réduite) des nouveaux offices ne leur permettrait pas d'être perçus comme pouvant répondre aux besoins des clients institutionnels ou de certains avocats à la Cour, qui préfèreraient traiter avec de « grands » offices ;
- malgré les possibilités nouvelles de communication (sites internet et sollicitation personnalisée), le marché resterait, selon les dires de certains professionnels, très verrouillé pour les offices récemment créés, qui seraient confrontés à la difficulté de se faire connaître ; ainsi, leur développement ne s'effectuerait le plus souvent que par le bouche-à-oreille, de sorte que leurs réseaux de correspondants prendraient du temps à s'étoffer.
154. Par ailleurs, un titulaire d'office récemment créé, auditionné dans le cadre de l'instruction, a déploré qu'un certain nombre de jeunes consœurs et confrères préfèrent s'associer à une charge existante, cette solution étant perçue comme moins risquée qu'une création. Sur ce sujet, un autre avocat aux Conseils auditionné par les services d'instruction a témoigné de la baisse de son revenu entre son nouveau statut d'associé d'une charge nue, et son ancien statut de collaborateur d'un office existant.
155. Enfin, plusieurs professionnels auditionnés ont fait part de leur inquiétude vis-à-vis de la gestion des charges collectives de l'Ordre et ont déploré un manque de transparence dans la répartition des dossiers d'aide juridictionnelle, qui constituerait pour eux une part trop importante de leur activité. Lors de son audition par les services d'instruction, un avocat aux Conseils s'est ainsi interrogé sur le fait que, contrairement à lui, certains de ses collègues ne seraient pas sollicités pour participer au bureau d'aide juridictionnelle, ce qui représenterait une lourde charge de travail. Un autre a par ailleurs précisé : « il n'existe aucun moyen de vérifier que l'attribution soit véritablement équitable [alors que] la charge est censée être équitablement répartie entre tous les avocats aux conseils ».
156. En conclusion, l'Autorité constate, comme lors de son précédent avis, qu'en dépit d'un démarrage très encourageant, les nouveaux entrants pourraient faire face, à l'avenir, à des obstacles non négligeables dans le développement de leur activité. Or, la poursuite de leur croissance pour contribuer à renforcer l'émulation concurrentielle du marché et être in fine bénéfique aux justiciables, qui disposeraient ainsi d'un plus grand choix de professionnels pour les accompagner dans l'accès aux juges de cassation.
4. L'impact de la crise sanitaire sur l'offre de prestations
157. Malgré une performance économique très satisfaisante, les avocats aux Conseils ont été comme d'autres professions juridiques, impactés par la crise sanitaire liée à la pandémie de covid-19.
158. Au premier semestre 2020, sur les 35 offices ayant répondu sur ce point au questionnaire des services d'instruction, un total de 9 334 dossiers ont été traités, soit une moyenne de 267 dossiers par office. A périmètre constant, la moyenne était de 685 dossiers par office en 2019. La baisse d'activité serait donc de 22 % par rapport à l'année 2019 (111). Les activités en monopole au premier semestre 2020 représentent une proportion toujours prépondérante de l'ensemble des affaires traitées, soit 92 % en volume et 89 % en valeur, soit sensiblement la même proportion que l'année précédente (93 % en volume et 90 % en valeur).
159. Cependant, l'Autorité constate qu'au premier semestre 2020, en comparaison de l'année 2019, les activités des offices d'avocat aux Conseils sont plus soutenues devant le Conseil d'Etat. A contrario, la part, toujours majoritaire, des dossiers devant les chambres civiles de la Cour de cassation, se réduit. Les éléments qualitatifs recueillis par l'Autorité lors de l'audition des représentants du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation réalisée au cours de l'instruction permettent d'expliquer ces constats quantitatifs.
160. Pendant le premier confinement, les juridictions judiciaires ont été quasiment dans l'impossibilité de télétravailler, entraînant un arrêt total d'activité, à l'exception des procédures pénales d'urgence. Lors du déconfinement, après une baisse importante de pourvois enregistrés devant la Cour de cassation (qui sont passés d'une centaine à seulement 20 par jour environ), la reprise d'activité a tardé à venir.
161. Au Conseil d'Etat, en revanche, dans un contexte de crise sanitaire qui a conduit à de multiples contentieux sur les mesures portant susceptibles de porter atteinte aux libertés publiques, l'activité s'est davantage maintenue. Notamment, les justiciables ont recours plus largement aux procédures de référé, qui ont connu un véritable essor pendant le premier confinement, et le Conseil d'Etat, a de son côté, mis en place des procédures spéciales pour tenir les audiences de référé à très brèves échéances, en dépit des contraintes liées au confinement. Il est à noter enfin que le surcroît d'activité en matière de procédure de référé devant le Conseil d'Etat tend, depuis, à perdurer.
Figure 11. - Evolution de la composition du chiffre d'affaires réalisé
Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page
Source : Ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, retraitement de l'Autorité de la concurrence.