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Article AUTONOME (Décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021)

Article AUTONOME (Décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021)


(ASSOCIATION GÉNÉRATIONS FUTURES ET AUTRES)


Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 janvier 2021 par le Conseil d'Etat (décision n° 439127 du 31 décembre 2020), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité. Cette question a été posée pour l'association Générations futures et autres par Me François Lafforgue, avocat au barreau de Paris. Elle a été enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2021-891 QPC. Elle est relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.
Au vu des textes suivants :


- la Constitution ;
- l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
- le code de l'environnement ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- la loi n° 2018-938 du 30 octobre 2018 pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ;
- le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;


Au vu des pièces suivantes :


- les observations présentées pour les parties requérantes par Me Lafforgue, enregistrées le 13 janvier 2021 ;
- les observations en intervention présentées pour l'association Ragster par Me Jean-Pierre Tofani, avocat au barreau de Versailles, enregistrées le 25 janvier 2021 ;
- les observations présentées par le Premier ministre, enregistrées le 26 janvier 2021 ;
- les secondes observations présentées pour les parties requérantes par Me Lafforgue, enregistrées le 10 février 2021 ;
- les secondes observations présentées par l'association France nature environnement, partie requérante, enregistrées le même jour ;
- les autres pièces produites et jointes au dossier ;


Après avoir entendu Me Lafforgue et Me Hermine Baron, avocate au barreau de Paris, pour les parties requérantes, Me Tofani pour la partie intervenante et M. Philippe Blanc, désigné par le Premier ministre, à l'audience publique du 9 mars 2021 ;
Au vu de la note en délibéré présentée par le Premier ministre, enregistrée le 15 mars 2021 ;
Et après avoir entendu le rapporteur ;
Le Conseil constitutionnel s'est fondé sur ce qui suit :
1. La question prioritaire de constitutionnalité doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l'occasion duquel elle a été posée. Dès lors, le Conseil constitutionnel est saisi du paragraphe III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime dans sa rédaction résultant de la loi du 30 octobre 2018 mentionnée ci-dessus.
2. Le paragraphe III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, dans cette rédaction, prévoit :
« A l'exclusion des produits de biocontrôle mentionnés au deuxième alinéa de l'article L. 253-6, des produits composés uniquement de substances de base ou de substances à faible risque au sens du règlement (CE) n° 1107/2009 du Parlement européen et du Conseil du 21 octobre 2009 concernant la mise sur le marché des produits phytopharmaceutiques et abrogeant les directives 79/117/ CEE et 91/414/ CEE du Conseil, l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones attenantes aux bâtiments habités et aux parties non bâties à usage d'agrément contiguës à ces bâtiments est subordonnée à des mesures de protection des personnes habitant ces lieux. Ces mesures tiennent compte, notamment, des techniques et matériels d'application employés et sont adaptées au contexte topographique, pédoclimatique, environnemental et sanitaire. Les utilisateurs formalisent ces mesures dans une charte d'engagements à l'échelle départementale, après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique.
« Lorsque de telles mesures ne sont pas mises en place, ou dans l'intérêt de la santé publique, l'autorité administrative peut, sans préjudice des missions confiées à l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, restreindre ou interdire l'utilisation des produits phytopharmaceutiques à proximité des zones définies au premier alinéa du présent III.
« Un décret précise les conditions d'application du présent III ».
3. Les parties requérantes reprochent à ces dispositions de méconnaître l'article 7 de la Charte de l'environnement, relatif à la participation du public à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Selon elles, d'une part, le législateur aurait méconnu l'étendue de sa compétence, faute d'avoir suffisamment précisé les conditions de la concertation préalable à l'élaboration des chartes par lesquelles les utilisateurs de produits phytopharmaceutiques s'engagent à respecter certaines mesures de protection des riverains. D'autre part, le législateur aurait permis que cette concertation associe, non pas chacun des riverains en cause, mais seulement leurs représentants. Enfin, il aurait confié l'organisation de cette concertation aux utilisateurs des produits phytopharmaceutiques sans assortir sa mise en œuvre de garanties de neutralité et d'impartialité.
4. Par conséquent, la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « après concertation avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique » figurant à la dernière phrase du premier alinéa du paragraphe III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime.
5. L'association Ragster est fondée à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans la seule mesure où son intervention porte sur ces mêmes mots. Elle soutient également que ces dispositions méconnaîtraient l'article 7 de la Charte de l'environnement.


- Sur le fond :


6. La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit.
7. Selon l'article 7 de la Charte de l'environnement : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ». Depuis l'entrée en vigueur de cette Charte, il incombe au législateur et, dans le cadre défini par la loi, aux autorités administratives de déterminer, dans le respect des principes ainsi énoncés, les modalités de mise en œuvre de ces dispositions.
8. En application du premier alinéa du paragraphe III de l'article L. 253-8 du code rural et de la pêche maritime, à l'exclusion de certains produits à faible risque, l'utilisation de produits phytopharmaceutiques à proximité de bâtiments est subordonnée à des mesures de protection de leurs habitants. Celles-ci sont définies par les utilisateurs de ces produits dans une charte d'engagements à l'échelle départementale. En vertu des dispositions contestées, ces chartes font l'objet d'une concertation préalable avec les personnes, ou leurs représentants, habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées avec un produit phytopharmaceutique.
9. En premier lieu, d'une part, selon le deuxième alinéa du même paragraphe III, à défaut de mise en place de mesures de protection, ou dans l'intérêt de la santé publique, l'autorité administrative peut restreindre ou interdire l'utilisation de ces produits. Il en résulte que, lorsqu'elle constate que les mesures proposées dans le projet de charte sont suffisantes pour protéger les riverains de la zone d'épandage, elle l'approuve. Cette approbation permet alors aux utilisateurs de procéder à des épandages selon les conditions prévues dans la charte. En revanche, lorsque l'autorité administrative considère ces mesures insuffisantes, elle restreint ou interdit ces épandages. Par conséquent, ces chartes doivent nécessairement faire l'objet d'une décision de l'autorité administrative pour produire des effets juridiques.
10. D'autre part, dès lors qu'elles régissent les conditions d'utilisation à proximité des habitations des produits phytopharmaceutiques, lesquels ont des conséquences sur la biodiversité et la santé humaine, ces chartes ont une incidence directe et significative sur l'environnement.
11. Il résulte de ce qui précède que les chartes d'engagements départementales approuvées par l'autorité administrative constituent des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement au sens de l'article 7 de la Charte de l'environnement.
12. En second lieu, par les dispositions contestées, le législateur a prévu une procédure particulière de participation du public. La procédure subsidiaire de participation du public prévue par l'article L. 123-19-1 du code de l'environnement n'est donc pas applicable à l'élaboration des chartes.
13. Or, d'une part, les dispositions contestées se bornent à indiquer que la concertation se déroule à l'échelon départemental, sans définir aucune autre des conditions et limites dans lesquelles s'exerce le droit de participation du public à l'élaboration des chartes d'engagements. D'autre part, le fait de permettre que la concertation ne se tienne qu'avec les seuls représentants des personnes habitant à proximité des zones susceptibles d'être traitées par des produits phytopharmaceutiques, ne satisfait pas les exigences d'une participation de « toute personne » qu'impose l'article 7 de la Charte de l'environnement.
14. Il résulte de tout ce qui précède que les dispositions contestées méconnaissent les exigences constitutionnelles résultant de l'article 7 de la Charte de l'environnement. Par conséquent, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.


- Sur les effets de la déclaration d'inconstitutionnalité :


15. Selon le deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ». En principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel. Cependant, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et de reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration. Ces mêmes dispositions réservent également au Conseil constitutionnel le pouvoir de s'opposer à l'engagement de la responsabilité de l'Etat du fait des dispositions déclarées inconstitutionnelles ou d'en déterminer les conditions ou limites particulières.
16. En premier lieu, les dispositions déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, ne sont plus en vigueur.
17. En second lieu, la déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de la présente décision.
Le Conseil constitutionnel décide :