Après en avoir délibéré en formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (ci-après « RDPI ») le 15 décembre 2020,
1. Cadre juridique
La loi n° 47-585 modifiée par la loi n° 2019-1063 (ci-après : « loi Bichet ») établit que la distribution groupée de la presse est assurée par des sociétés agréées par l'ARCEP sur la base d'un cahier des charges fixé par décret pris au vu d'une proposition de l'ARCEP.
L'article 12 de la loi Bichet précise les éléments devant être contenus dans le cahier des charges :
« […] Ce cahier des charges définit notamment les obligations auxquelles doivent satisfaire les sociétés candidates, dans le respect des principes d'indépendance et de pluralisme de la presse, de transparence, d'efficacité, de non-discrimination et de continuité territoriale de la distribution, ainsi que de protection de l'environnement. Il détermine les types de prestation et les niveaux de service attendus du point de vue logistique et financier en tenant compte de la diversité des titres de presse. Il fixe également les conditions dans lesquelles les sociétés candidates garantissent le droit des éditeurs à la portabilité des données les concernant. Il précise les obligations spécifiques à satisfaire pour la distribution des quotidiens ».
La loi n° 2019-1063 prévoit, au I de son article 13, une période de transition concernant l'agrément des personnes morales assurant la distribution de la presse à la date de la publication de la loi, dans l'attente de la publication du cahier des charges :
« Les personnes morales qui, à la date de la publication de la présente loi, assurent la distribution de la presse conformément aux prescriptions de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution de journaux et publications périodiques dans sa rédaction antérieure à la présente loi peuvent poursuivre, sans être soumises à l'agrément prévu à l'article 12 de la loi n° 47-585 précitée dans sa rédaction résultant de la présente loi, leur activité jusqu'à la date à laquelle prendront effet les agréments délivrés par l'Autorité […] sur la base du cahier des charges prévu au même article 12 ».
Au regard de ces dispositions, en l'absence de cahier des charges permettant à l'ARCEP d'agréer un nouvel acteur qui assurerait la distribution groupée, seule la société Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) est, depuis la liquidation de la société Pressatlis, en mesure d'assurer la distribution groupée de la presse sans agrément.
Par ailleurs, dans le cadre d'une atteinte grave et immédiate à la distribution de la presse d'information politique et générale (ci-après « IPG »), l'ARCEP peut prendre des mesures provisoires au titre de l'article 22 de la loi Bichet, dont peut faire partie la délivrance d'un agrément provisoire :
« En cas d'atteinte ou de menace d'atteinte grave et immédiate à la continuité de la distribution de la presse d'information politique et générale, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut prendre, dans le respect des principes énoncés au titre Ier, des mesures provisoires en vue d'assurer cette continuité.
Ces mesures peuvent notamment comporter la suspension de résiliations de contrats des éditeurs avec les sociétés agréées de distribution de la presse et la délivrance d'agréments provisoires, le cas échéant par dérogation au 1° de l'article 18.
Leur durée ne peut excéder six mois, renouvelable une fois.
Elles doivent rester strictement nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi. Elles sont motivées. Lorsque ces décisions se rattachent à l'exécution d'un contrat, elles sont prises après que les parties au contrat ont été mises en mesure de présenter leurs observations ».
La formation RDPI de l'ARCEP est compétente, même en l'absence de cahier des charges, pour attribuer un agrément provisoire en cas d'atteinte ou de menace d'atteinte grave et immédiate à la continuité de la distribution de la presse IPG.
2. Rappel du contexte
Compte tenu, notamment, de la cessation de paiement de Presstalis, déclarée le 21 avril 2020, et de la procédure de redressement judiciaire ouverte le 15 mai 2020, l'Autorité a estimé que la situation de la société Presstalis devrait la conduire à sa liquidation judiciaire, ce qui constituait une menace grave et immédiate sur la continuité de la distribution de la presse IPG.
A la suite du courrier reçu de la SAS Coopérative des distribution des quotidiens (ci-après « CDQ ») l'informant avoir transmis une offre de reprise d'une partie des actifs de la société Presstalis, l'Autorité a donc octroyé un agrément provisoire à la société France Messagerie jusqu'au 30 septembre 2020, par sa décision n° 2020-0683-RDPI, afin de permettre à celle-ci d'exercer une activité de distributeur de presse assurant notamment la distribution de la presse quotidienne en France.
En effet, la société Presstalis assurant jusqu'alors la totalité de la distribution groupée des quotidiens, sa disparition, en l'absence d'autres distributeurs de presse agréés assurant la distribution des quotidiens, aurait entraîné l'interruption de la distribution de l'ensemble des quotidiens, dont les quotidiens IPG.
Cet agrément a été octroyé jusqu'au 30 septembre 2020, et à compter du 1er juillet 2020, c'est-à-dire au jour où les conditions suivantes ont été réunies :
- la société France Messagerie existe ;
- le tribunal de commerce de Paris a retenu l'offre déposée par la CDQ et désigné la société France Messagerie pour la reprise des activités de Presstalis.
Cet agrément a été prolongé par la décision n° 2020-1043-RDPI en date du 29 septembre 2020, jusqu'au 31 décembre 2020.
Toutefois, au regard des éléments transmis par la société France Messagerie en septembre 2020, il apparaissait :
- qu'en raison de la situation sanitaire liée à la crise sanitaire, le dispositif mis en place par France Messagerie en matière de couverture du territoire national était limité pour les départements d'Outre-mer - en particulier, la distribution n'était pas assurée selon une fréquence permettant aux quotidiens d'y être distribués chaque jour de la semaine ;
- que les informations transmises par France Messagerie relativement à son plan d'affaires pour 2021 ne permettaient pas d'apprécier la structure des revenus et des charges ni leur sensibilité aux hypothèses retenues.
Ainsi, la formation RDPI a demandé à France Messagerie d'établir une analyse détaillée et étayée, dans une optique de gestion de risque, des conséquences que pourraient notamment avoir sur son plan d'affaires 2021 et 2022 la modification des hypothèses structurantes suivantes :
- une baisse structurelle des volumes des titres distribués plus importante que prévue ;
- une évolution de la part de marché sur le segment des magazines ou des encyclopédies ;
- une évolution de certaines aides publiques.
Elle a en outre demandé à France Messagerie de déterminer les actions qui s'imposeraient en pareille circonstance, et de lui transmettre ses éléments d'analyse au plus tard le 27 novembre 2020.
3. Réception d'une demande de la société France Messagerie de renouvellement de son agrément de distributeur de presse
Par un courriel en date du 26 novembre 2020, la société France Messagerie a :
- d'une part, transmis à l'ARCEP un ensemble de documents pour répondre à cette échéance et contenant notamment les éléments demandés par la décision n° 2020-1043-RDPI ;
- d'autre part, sollicité l'ARCEP en vue du renouvellement de son agrément provisoire de distributeur de presse afin notamment de pouvoir continuer à exercer la distribution de la presse quotidienne en France.
Le demandeur indique qu'il estime « que pèse toujours sur la distribution de la presse IPG une menace d'atteinte grave et immédiate, en cas d'absence de prolongement de l'agrément provisoire accordé à France Messagerie ».
4. Analyse de la demande
Depuis la disparition de la société Presstalis, la société France Messagerie assure la totalité de la distribution groupée des quotidiens, et donc de l'ensemble des quotidiens IPG, et une partie de celle des publications non quotidiennes (également appelées magazines).
En l'absence de décret fixant le cahier des charges à respecter pour obtenir l'agrément de distributeur de presse, la prolongation de l'agrément provisoire de la société France Messagerie, en l'autorisant à continuer la distribution groupée de la presse, notamment quotidienne, comme elle le fait depuis le 1er juillet 2020, apparaît nécessaire pour éviter, à court terme, une interruption de la distribution de la presse quotidienne d'information politique et générale sur l'ensemble du territoire national.
Toutefois, la formation RDPI de l'ARCEP souhaite faire part de certaines observations concernant les éléments transmis par la société France Messagerie.
En premier lieu, il apparaît que le dispositif mis en place par France Messagerie en matière de couverture du territoire national n'a pas évolué depuis la prolongation de l'agrément provisoire en septembre 2020 et reste limité pour les départements d'Outre-mer. En particulier, la distribution n'y est toujours pas assurée selon une fréquence permettant aux quotidiens d'y être distribués chaque jour de la semaine. Tout en étant conscient du fait que les conditions de distribution de la presse peuvent être adaptées pour l'Outre-Mer et que la situation sanitaire liée à la crise Covid a un impact sur l'acheminement des journaux entre la métropole et l'outre-mer, la formation RDPI estime nécessaire que France Messagerie soit en capacité de proposer une offre de distribution quotidienne dans ces territoires, à une tarification pouvant refléter des surcoûts associés à une telle prestation, dans l'hypothèse où un éditeur lui en ferait la demande.
En second lieu, bien qu'ayant reçu des plans d'affaires à l'équilibre pour l'année de 2021 pour chacune des activités de distribution de la presse de niveau 1 (magazines et quotidiens), la formation RDPI de l'ARCEP constate que la faible part, de l'ordre de [SDA : …]%, des coûts variables dans la structure de coûts de ces activités menace fortement la capacité de France Messagerie à rétablir l'équilibre économique de ces activités en cas de baisse du marché plus importante que celle prévue dans le plan d'affaires présenté par France Messagerie, c'est-à-dire une baisse de [SDA : …]% des quantités distribuées en 2021.
Dans ces conditions, l'ARCEP demande à France Messagerie de lui transmettre, au plus tard le 15 avril 2021, une actualisation, à l'issue du premier trimestre 2021, de sa prévision budgétaire pour l'année 2021 en expliquant, le cas échéant, de manière précise les raisons des écarts par rapport aux prévisions transmises en novembre 2020. Cette actualisation doit présenter les revenus et les charges de l'activité globale de la société France Messagerie et permettre d'isoler spécifiquement les revenus et charges, d'une part, de l'activité de distribution des quotidiens et, d'autre part, de distribution des publications.
En troisième lieu, la prise en compte dans le plan d'affaires 2021 de [SDA : …] M€ provenant du fonds de modernisation de la presse et de [SDA : …] M€ attendus du mécanisme de péréquation, permet de couvrir une partie significative des coûts de distribution. Toutefois, le revenu de péréquation 2021 prévu par France Messagerie s'appuie sur une hypothèse de maintien du mécanisme et des montants définis par le Conseil supérieur des messageries de presse (CSMP). Or, il convient de préciser que les travaux d'actualisation engagés par l'ARCEP pourraient aboutir en 2021 à un mécanisme et des montants différents.
Enfin, l'ARCEP prend acte que, selon France Messagerie, compte-tenu de ses conditions tarifaires, techniques et contractuelles envisagées par France Messagerie pour 2021, qui ne diffèrent pas en fonction du caractère IPG ou non des titres distribués, son plan d'affaires 2021 n'est pas sensible à une éventuelle évolution des aides à la presse IPG.
5. Renouvellement de l'agrément provisoire jusqu'au 30 juin 2021
L'agrément provisoire octroyé par l'ARCEP le 19 juin 2020 à la société France Messagerie, et les obligations qu'il comprend (1), est renouvelé jusqu'au 30 juin 2021.
Décide :