Après en avoir délibéré en formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction (ci-après « RDPI ») le 19 juin 2020,
1. Cadre juridique
La loi n° 47-585, dite loi Bichet modifiée par la loi n° 2019-1063 (ci-après : « Loi Bichet ») établit que la distribution groupée de la presse est assurée par des sociétés agréées par l'ARCEP sur la base d'un cahier des charges fixé par décret pris au vu d'une proposition de l'ARCEP.
L'article 12 de cette loi précise les éléments devant être contenus dans le cahier des charges précité :
« […] Ce cahier des charges définit notamment les obligations auxquelles doivent satisfaire les sociétés candidates, dans le respect des principes d'indépendance et de pluralisme de la presse, de transparence, d'efficacité, de non-discrimination et de continuité territoriale de la distribution, ainsi que de protection de l'environnement. Il détermine les types de prestation et les niveaux de service attendus du point de vue logistique et financier en tenant compte de la diversité des titres de presse. Il fixe également les conditions dans lesquelles les sociétés candidates garantissent le droit des éditeurs à la portabilité des données les concernant. Il précise les obligations spécifiques à satisfaire pour la distribution des quotidiens ».
La loi n° 2019-1063 susvisée prévoit, au I de de son article 13, une période de transition concernant l'agrément des personnes morales assurant la distribution de la presse à la date de la publication de la loi, dans l'attente de la publication du cahier des charges :
« Les personnes morales qui, à la date de la publication de la présente loi, assurent la distribution de la presse conformément aux prescriptions de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution de journaux et publications périodiques dans sa rédaction antérieure à la présente loi peuvent poursuivre, sans être soumises à l'agrément prévu à l'article 12 de la loi n° 47-585 précitée dans sa rédaction résultant de la présente loi, leur activité jusqu'à la date à laquelle prendront effet les agréments délivrés par l'Autorité […] sur la base du cahier des charges prévu au même article 12 ».
Par ailleurs, dans le cadre d'une atteinte grave et immédiate à la distribution de la presse d'information politique et générale (ci-après « IPG »), l'ARCEP peut prendre des mesures provisoires au titre de l'article 22 de la loi Bichet, dont peut faire partie la délivrance d'un agrément provisoire :
« En cas d'atteinte ou de menace d'atteinte grave et immédiate à la continuité de la distribution de la presse d'information politique et générale, l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse peut prendre, dans le respect des principes énoncés au titre Ier, des mesures provisoires en vue d'assurer cette continuité.
Ces mesures peuvent notamment comporter la suspension de résiliations de contrats des éditeurs avec les sociétés agréées de distribution de la presse et la délivrance d'agréments provisoires, le cas échéant par dérogation au 1° de l'article 18.
Leur durée ne peut excéder six mois, renouvelable une fois.
Elles doivent rester strictement nécessaires et proportionnées à l'objectif poursuivi. Elles sont motivées. Lorsque ces décisions se rattachent à l'exécution d'un contrat, elles sont prises après que les parties au contrat ont été mises en mesure de présenter leurs observations ».
Au regard de ces dispositions, en l'absence de cahier des charges permettant à l'ARCEP d'agréer un nouvel acteur qui assurerait la distribution groupée, seules les sociétés Presstalis et Messageries Lyonnaises de Presse (MLP) sont en mesure de l'assurer. Toutefois, la formation RDPI de l'ARCEP est compétente, même en l'absence de cahier des charges, pour attribuer un agrément provisoire en cas d'atteinte ou de menace d'atteinte grave et immédiate à la continuité de la distribution de la presse IPG.
2. Le marché de la distribution de la presse
Les éditeurs de presse ont deux possibilités en ce qui concerne la distribution de leurs titres de presse, à savoir assurer eux-mêmes la distribution desdits titres, ou avoir recours à une distribution groupée, auquel cas ils doivent adhérer à une société coopérative de groupage.
A ce jour, seules les sociétés Presstalis et MLP assurent la distribution groupée des journaux et publications périodiques.
La société Presstalis assure la totalité de la distribution groupée des quotidiens, et donc de l'ensemble des quotidiens d'information politique générale, et 65 à 75 % de celle des publications non quotidiennes (également appelées magazines) (1).
3. Existence d'une menace grave et immédiate sur la distribution de la presse IPG
Depuis 2010, la société Presstalis a été à plusieurs reprises au bord de la cessation de paiement et a connu plusieurs plans de sauvetage, le dernier datant de 2018.
La société Presstalis a déclaré une cessation de paiement le 21 avril 2020. Une procédure de redressement judiciaire a été ouverte le 15 mai, avec une période d'observation de 2 mois. L'échéance fixée par le tribunal de commerce de Paris pour la transmission d'éventuelles offres de reprise était le mercredi 20 mai à minuit.
A ces difficultés structurelles se sont ajoutées celles liées à la crise sanitaire que connait le pays depuis le mois de mars. Cette dernière n'a pas épargné le secteur de la presse ; en effet, même si les distributeurs de presse et diffuseurs ont maintenu un certain niveau d'activité, les ventes de journaux et magazines ont sensiblement baissé pendant la période de confinement.
Ainsi, compte tenu des éléments qui précèdent, la situation de la société Presstalis qui devrait la conduire à sa liquidation judiciaire à l'issue de la procédure de redressement judiciaire constitue une menace grave et immédiate pesant sur la continuité de la distribution de la presse quotidienne IPG.
4. Réception par l'ARCEP d'une demande d'agrément pour la société France Messagerie en vue d'assurer la distribution de la presse
Par un courrier en date du 9 juin 2020, la société SAS Coopérative de distribution des quotidiens (ci-après « CDQ ») a informé l'ARCEP avoir transmis le 20 mai 2020 au tribunal de commerce de Paris une offre de reprise d'une partie des actifs de la société Presstalis afin de permettre à une future société en cours de création d'exercer une activité de distributeur de presse assurant notamment la distribution de la presse quotidienne en France.
A cette fin, la société CDQ a sollicité l'ARCEP le 18 juin 2020 en vue de l'obtention d'un agrément provisoire pour la société « France Messagerie », dont elle sera actionnaire.
Le demandeur indique que « la reprise des actifs et activités de la société Presstalis serait effectuée à l'effet principal :
- d'assurer la poursuite des activités de groupage et de distribution des quotidiens qui sont essentiels à la vie démocratique du pays ;
- de permettre la poursuite des activités de groupage et de distribution de tout ou partie des magazines d'information politique et générale (les “ IPG ”) ;
- d'élaborer un schéma de retournement permettant la sauvegarde partielle des emplois ; et
- d'éviter la disparition d'un acteur historique et majeur de la distribution de presse et de sa commercialisation en France et à l'étranger ».
5. Agrément provisoire jusqu'au 30 septembre 2020
Compte tenu de la menace d'atteinte grave et immédiate qui pèse sur la distribution de la presse IPG et des éléments du dossier, un agrément provisoire, valable jusqu'au 30 septembre 2020, est octroyé par l'ARCEP à la société France Messagerie afin de permettre la continuité de la distribution des quotidiens IPG.
Cet agrément est octroyé jusqu'au 30 septembre 2020, et à compter du jour où les conditions suivantes sont réunies :
- la société France Messagerie existe ;
- le tribunal de commerce de Paris a retenu l'offre déposée par la CDQ et désigné la société France Messagerie pour la reprise des activités de Presstalis.
Cet agrément pourra, le cas échéant, être prolongé.
Cet agrément provisoire impose à son détenteur le respect des obligations prévues par la loi Bichet pour les sociétés agréées et, en particulier, l'obligation :
- « de faire droit, dans des conditions objectives, transparentes, efficaces et non discriminatoires à la demande de distribution des publications d'une entreprise de presse » conformément aux dispositions de ses articles 3 et 5 ;
- d'assurer, conformément à son article 12, « une desserte non discriminatoire des points de vente » recensés dans le fichier des agents de vente mentionné au 2° du I de son article 26 ;
- pour « une société qui distribue des quotidiens », de « présenter une comptabilité analytique distinguant la distribution de ces titres de la distribution des autres titres de presse » prévue à l'article 19 ;
- de transmettre à l'ARCEP « les résultats des vérifications des commissaires aux comptes » et de faire vérifier, sur une base annuelle, à ses frais, par un organisme désigné par l'ARCEP, la conformité des comptes aux règles établies par l'ARCEP en application de l'article 20.
En outre, la société France Messagerie devra transmettre à l'ARCEP dans les meilleurs délais les éléments précisant les modalités ou conditions de distribution qu'elle envisage et devra en tout état de cause transmettre à l'ARCEP au plus tard le 1er septembre 2020 :
- ses conditions techniques, tarifaires et contractuelles pour application du 2° de l'article 18 de la loi Bichet ;
- le schéma territorial mentionné à l'article 12 de la loi Bichet ;
- les types de prestation et les niveaux de service envisagés du point de vue logistique et financier ;
- un plan d'affaires complet et actualisé permettant de compléter les éléments d'ores et déjà transmis.
Il reviendra à la société France Messagerie de solliciter le plus rapidement possible la prolongation de cet agrément provisoire qui pourra notamment lui rendre opposable les modalités de distribution de la presse sur lesquelles elle s'engage à travers la transmission des informations et documents mentionnés ci-dessus.
Pour rappel, l'article 13 de la loi Bichet prévoit que le présent « agrément n'est pas cessible ».
Par ailleurs, l'article 19 de la loi Bichet dispose que « toute modification apportée aux informations fournies à l'appui de la demande d'agrément, notamment tout changement significatif dans sa situation financière, est communiquée par la société de distribution à l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse dans un délai d'un mois à compter de l'acte ou de la circonstance ayant donné un fondement légal à cette modification ».
Décide :