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Article AUTONOME (Avis n° 2020-0425 du 30 avril 2020 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse sur les adaptations d'organisation de La Poste impactant le service universel postal dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire)

Article AUTONOME (Avis n° 2020-0425 du 30 avril 2020 de l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse sur les adaptations d'organisation de La Poste impactant le service universel postal dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire)


Après en avoir délibéré le 30 avril 2020,


1. - Contexte
1. Cadre juridique


Les articles L. 2 et L. 1 du CPCE prévoient respectivement que « La Poste est le prestataire du service universel postal » et que « [l]es services de levée et de distribution relevant du service universel postal sont assurés tous les jours ouvrables, sauf circonstances exceptionnelles. Le service de distribution est effectué, dans des installations appropriées, au domicile de chaque personne physique ou morale ou, par dérogation, dans des conditions déterminées par décret. »
L'article R. 1 du CPCE précise le périmètre du service universel postal.
L'article R. 1-1-17 de ce même code établit que « [l]es envois de publications périodiques bénéficiant de l'agrément de la commission paritaire des publications et agences de presse sont acheminés dans les conditions du service universel postal. »
L'article L. 3-2 du CPCE dispose quant à lui que « [t]oute prestation de services postaux est soumise aux règles suivantes : a) Garantir la sécurité des usagers, des personnels et des installations du prestataire de service. […] ».
L'article R. 1-1-12 du CPCE précise enfin que : « [l]orsque, en raison de circonstances exceptionnelles indépendantes de la volonté de La Poste, le service universel est interrompu ou perturbé, La Poste prend toutes les dispositions utiles pour rétablir le service dans les meilleurs délais. La Poste informe le ministre chargé des postes et l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes des mesures prises et des délais nécessaires pour rétablir le service. »


2. Organisation mise en place par La Poste dans le contexte de l'état d'urgence sanitaire


La France traverse une crise sanitaire d'une ampleur inédite. Pour faire face à cette situation et afin de garantir la poursuite de son activité tout en assurant la sécurité de ses employés, partenaires et des usagers du service postal, La Poste a dû, dans l'urgence, adapter son organisation. La Poste a dans ce cadre opté pour un recentrage de son activité sur ses missions essentielles au service de la population et a adapté les modalités d'exécution de certaines de ses missions de service public.
La Poste a considéré, en effet, selon son courrier du 2 avril susvisé (1), qu'il était de sa « responsabilité […] en tant qu'employeur » de considérer que « la santé des postiers est la priorité » et que « l'enjeu principal de La Poste [était] en effet de maintenir dans la durée la continuité de ses activités ».
Elle a, dès la première semaine de confinement, mis en place un cadre de communication vers le gouvernement et le régulateur conformément aux dispositions de l'article R. 1-1-12 précité. Ces échanges avec l'Arcep se sont matérialisés par la transmission d'information de manière périodique sur l'évolution de la situation et de l'organisation de La Poste.
La Poste a dans un premier temps, redéfini dans l'urgence ses modalités d'organisation :
La Poste a, dans ce cadre, selon son courrier du 2 avril susvisé, établi une liste de prestations de service prioritaires. « La Poste s'est fixé comme objectif de maintenir un passage quotidien pour ses activités de portage (repas, médicaments…) et de lien social (Veillez Sur Mes Parents, Cohésio, Ardoiz…). »
Par ailleurs, s'agissant des services opérés par la Branche Services-Courrier Colis, La Poste a priorisé les activités suivantes : « activités de portage (repas, médicaments...), services de lien social (Veillez Sur Mes Parents, Cohésio, Ardoiz…), commission d'argent liquide pour les particuliers, distribution des colis et petites marchandises, presse, lettres contre signature, dont valeurs déclarées, courrier et cécogrammes ».
Le réseau de La Poste s'est quant à lui recentré sur les activités suivantes :« retraits d'argent aux guichets et automates, notamment pour le versement des prestations sociales, dépôts d'espèces sur automates, dépôts de chèques sur automates et urnes, remise de fonds commandés par la DGFIP ; instances courrier (lettres Recommandées et prêts payés internationaux), instances colis et Chronopost, affranchissement des lettres sur automates, affranchissement et dépôt de colis et Chronopost, paiement factures Eficash, dépôt d'espèces au guichet, émission & paiement Western Union et mandats internationaux, dépôt d'espèces et de chèques au guichet par les professionnels, vente des kits prépayés La Poste Mobile ; tous les autres services bancaires, postaux, La Poste Mobile. »
Sur le terrain, La Poste indique avoir été rapidement confrontée à des difficultés concernant d'une part la disponibilité de ses effectifs et d'autre part les conditions d'exercice et les règles sanitaires très contraignantes de ses activités.
La Poste a indiqué avoir dans un premier temps maintenu ouverts 1 000 puis 1 600 bureaux de poste en propre. L'ouverture des points partenaires dépendait de l'ouverture des locaux des collectivités, des commerçants, ou encore des Maisons France Services qui assurent les services postaux.
La Poste a par ailleurs adapté, en tenant compte des contraintes évoquées supra, l'organisation de ses tournées sur chaque territoire pour assurer la continuité du service auprès de l'ensemble de la population. En pratique, cela s'est traduit par une réduction du nombre de tournées à trois par semaine (les mercredi, jeudi et vendredi) dès le 30 mars.
La Poste indique par ailleurs que « La levée des boîtes aux lettres de rue est modifiée. Les boîtes aux lettres de rue relevées représentent au minimum la moitié de l'ensemble du total des boîtes aux lettres de rue. Elles sont choisies de manière à obtenir une répartition équilibrée, à raison d'au moins une par commune et d'une pour 1 000 habitants. »
Après cette phase d'urgence, La Poste a dans un second temps procédé à des aménagements significatifs :
La Poste a, dans un second temps, et dans le cadre d'un dialogue avec les différentes parties prenantes, renforcé progressivement son organisation pour faire face à la crise sanitaire. Ce renforcement progressif se poursuit actuellement.
La Poste a ainsi progressivement rétabli la distribution des quotidiens les lundis ou les mardis (en fonction des communes) puis les lundis et les mardis. La distribution des quotidiens est désormais assurée selon La Poste (2) cinq jours par semaine.
Le 21 avril, La Poste a annoncé (3) le rétablissement d'une quatrième tournée pour la distribution du courrier et des colis chaque semaine (4).
La Poste a enfin progressivement augmenté le nombre de points de contact postal. Ainsi au 1er avril, 1 600 bureaux de poste, 600 agences postales et 1 770 relais poste commerçants étaient ouverts, sur un nombre total de 7 741, 6 454 et 2 812 respectivement. Cette présence a été depuis régulièrement renforcée. Au 21 avril, selon La Poste, 3 915 bureaux de poste, 2 985 agences postales communales et 2 113 relais poste commerçants sont ouverts (environ 9 000 points de contact au total).
La Poste a pour objectif d'assurer à la fin du mois d'avril l'ouverture de 10 000 points de contact dont 5 000 bureaux de poste.
Positionnement de La Poste vis-à-vis des obligations du service universel :
Compte tenu de cette situation, La Poste reconnaît dans son courrier du 2 avril susvisé, ne plus être en mesure :


- d'assurer la distribution des envois tous les jours ouvrables sur l'ensemble du territoire, comme le prévoit l'article R. 1-1-1 du CPCE, ni de distribuer les envois prioritaires le jour ouvrable suivant le jour de leur dépôt, comme le prévoit l'article R. 1 du CPCE ;
- de respecter les objectifs de qualité de service qui lui sont fixés par l'article R. 1-1-8 du CPCE et par l'arrêté du 12 septembre 2018 susvisé. Les mesures de qualité de service réalisées par l'IFOP et sur laquelle se basent les revues trimestrielles et annuelles de la qualité de service par l'Arcep ne sont plus assurées, à la demande du prestataire ;
- de respecter son obligation de levée des envois postaux tous les jours ouvrables, qui est prévue par les articles R. 1-1-1 et R. 1-1-2 du CPCE ;
- de respecter ses obligations en termes d'accessibilité des points de contact, à la fois au titre du service universel (article R. 1-1 du CPCE) et au titre de la contribution à l'aménagement du territoire (article 6 de la loi du 2 juillet 1990 susvisée).


La Poste indique en outre que :


« - la réexpédition est maintenue mais la souscription d'une réexpédition temporaire est suspendue ;
« - La Poste n'est plus en mesure d'effectuer la distribution des colis remis contre signature dans les conditions prévues par le catalogue du SU. Elle ne prend plus d'engagement de délai pour la distribution des colis du SU, comme prévu par le catalogue du SU. Il en est de même pour l'ensemble des colis ;
« - les délais d'instance des envois sont également modifiés pendant la période de confinement. »


Demandes de La Poste aux autorités :
La Poste a formulé plusieurs demandes aux autorités, destinées, selon les cas, à renforcer les conditions de sécurité dans lesquelles opèrent ses agents ou à améliorer les conditions dans lesquels la Poste rend ses services. Parmi ces demandes on peut notamment noter :


- celle de pouvoir bénéficier d'une adaptation de la procédure de délivrance des lettres recommandées, fixée par l'arrêté du 7 février 2007 susvisé afin notamment que la délivrance puisse se faire sans nécessiter un contact entre le postier et le destinataire. Suite à cette demande, le gouvernement a adopté le 15 avril 2020 un arrêté pour adapter la procédure de délivrance des lettres recommandées ;
- la prise en compte des besoins de continuité des services offerts par La Poste dans les textes pris par le gouvernement dans le cadre de la crise sanitaire pour garantir par exemple, que les véhicules de La Poste puissent continuer à circuler malgré les mesures prises en matière de restriction des déplacements etc.


2. - Analyse de l'Autorité


Dans un premier temps, La Poste a dû, dans un contexte de crise sanitaire inédit redéfinir son organisation et adapter son offre de service. Des choix ont dû être faits par l'entreprise dans l'urgence et dans des conditions où de nombreux paramètres étaient difficiles à maîtriser ou n'avaient pu être anticipés : taux d'absentéisme significatif, nouvelles règles de distanciation sociale imposant des adaptations inédites des processus et protocoles de La Poste, arrêt de l'activité de partenaires ou fournisseurs - transporteurs, restauration, hygiène, changement des usages engendrant des évolutions difficilement prévisibles, en début de crise, des volumes de courriers et de colis échangés etc.
L'Arcep note que les prestataires de service universel postal d'autres pays européens ont pu faire des choix différents. L'Arcep ne dispose pas de recul suffisant à ce stade pour déterminer les raisons expliquant ces différences, mais note qu'à la fois les prestations réalisées par les opérateurs postaux dans les différents pays, la nature du réseau, les impacts de la crise sanitaire et le contexte social peuvent être très variables en fonction des pays européens.
Par ailleurs, La Poste occupe un rôle important comme acteur de la solidarité nationale. C'est ainsi qu'elle a maintenu en priorité le dispositif de versement des prestations sociales, ou encore ses prestations de livraison de repas ou de médicament et la visite des personnes âgées.
Un rétablissement du service progressif qui doit laisser toute sa place à l'information des élus et à la concertation :
Après la première phase visant à gérer la situation d'urgence, La Poste a progressivement fait évoluer son offre de service. Ces évolutions se sont faites dans le cadre d'un dialogue avec les différentes parties prenantes, dans un esprit de dialogue destiné à trouver une solution optimale pour garantir un service adapté tout en assurant la sécurité des employés de La Poste, de ses partenaires commerciaux et des clients.
Ainsi par exemple, La Poste a engagé un dialogue avec l'Association des maires de France et s'est appuyée sur les commissions départementales de présence postale territoriale (CDPPT) prévues par le décret du 25 mars 2007 susvisé afin de favoriser la réouverture des points de contact hébergés par les collectivités. Elle a également mis en place un dialogue avec les éditeurs de presse pour proposer des aménagements notamment pour ce qui concerne la distribution des quotidiens (mise en place de tournées spécifiques etc.).
L'Arcep invite La Poste à poursuivre et à renforcer les échanges avec les différentes parties prenantes (notamment au niveau local avec les échelons déconcentrés de l'Etat et les collectivités locales) pour continuer à améliorer la qualité du service rendu.
Une qualité de service du service universel postal dégradée et difficile à évaluer :
Ces adaptations d'organisation ont un impact négatif direct sur la qualité de service des prestations mise en place par La Poste qu'il n'est pas possible d'estimer aujourd'hui mais que les adaptations progressives d'organisation mises en place par La Poste devraient contribuer à résorber.
Le passage du fonctionnement normal à l'organisation mise en place dans le cadre de la crise du covid-19 a engendré une rupture dans l'organisation de La Poste. De nombreuses situations ont ainsi pu avoir un impact sur cette qualité de service : traitement des restes à distribuer ou des objets en instance dans les bureaux de poste fermés, courrier déposé dans des boîtes aux lettres de collecte non relevées etc.
Les mesures de qualité de service sur lesquelles s'appuient les revues trimestrielles et annuelles de la qualité de service par l'Arcep ne sont plus assurées par l'IFOP. Dans ce contexte, l'Arcep déterminera, dans le cadre d'un dialogue avec La Poste, les indicateurs secondaires qui devront lui être transmis sur cette période pour qu'elle puisse estimer, à tout le moins, l'évolution de cette qualité de service pendant la crise. Par exemple, des indicateurs tels que le taux de tournée à découvert pourront être exploités dans ce cadre.
La Poste doit renforcer l'information à apporter au public et les dispositifs d'alerte sur les dysfonctionnements :
S'il est compréhensible que La Poste ait adapté son organisation compte tenu de la crise actuelle, il reste en revanche indispensable que les utilisateurs des services opérés par La Poste, quelle que soit leur nature (entreprises, utilisateurs individuels etc.) puissent bénéficier d'une information exacte et actualisée sur les services rendus par La Poste et sur leurs caractéristiques. Ces informations doivent être aisément accessibles et mises en visibilité sur le site de La Poste mais également, sur des supports alternatifs pour permettre aux personnes qui ne disposeraient pas d'un accès internet d'accéder à l'information utile pour eux.
A cet égard, l'Arcep prend note des premières mesures de communication mises en place par La Poste mais estime que celles-ci doivent être renforcées.
Ainsi, par exemple, la Poste devrait rendre plus visibles sur son site internet les informations liées aux mesures mises en place. En particulier, les informations (foire aux questions etc.) devraient être accessibles de manière immédiate et évidente.
La Poste pourrait rendre plus accessible sa communication sur les bureaux de poste ouverts en temps réel sur son site : le moteur de recherche mis en place est bienvenu mais son ergonomie reste, selon l'Arcep, perfectible, notamment pour les personnes les plus éloignées du numérique. On pourrait imaginer que le site propose à l'utilisateur de le géolocaliser et lui donne le bureau de poste ouvert le plus proche de chez lui. Au-delà des informations déjà disponibles (bureaux de poste proches de chez soi, horaires d'ouverture, localisation sur un plan), l'information pourrait être étoffée avec les dates prévisionnelles de réouverture lorsqu'elles sont connues ou encore la liste des services disponibles dans le bureau de poste concerné.
La Poste devrait de plus fournir une information (notamment sur son site et localement) sur les éventuelles boîtes aux lettres de rue non relevées et indiquer ce qu'il advient du courrier posté dans ces boîtes.
Elle devrait également s'assurer que l'information fournie par voie téléphonique est adéquate, actualisée et personnalisée et ne se contente pas de renvoyer à l'information disponible sur son site internet à laquelle les personnes les plus éloignées du numérique pourraient ne pas accéder.
Enfin, il est important que La Poste vérifie que, pour chaque bureau de poste, une information est dispensée physiquement (via un écran ou une affiche) sur les horaires d'ouverture, la date prévisionnelle de réouverture, les services assurés etc.
L'ensemble des informations doit être mis à jour en continu de manière à tenir compte des évolutions fréquentes de l'organisation mise en place par La Poste.
En outre, il apparaît indispensable, pour garantir un pilotage optimal au sein de La Poste, que cette dernière renforce ses dispositifs de détection des dysfonctionnements de son exploitation. L'Arcep encourage vivement La Poste à un tel renforcement et, complémentairement, au développement d'instruments de recueil de signalements de la part de ses utilisateurs, qui permettrait à tous les échelons d'appréhender plus rapidement les difficultés locales, de mettre en place des solutions adaptées dans les meilleurs délais, et de restituer une information adaptée aux utilisateurs. Au-delà des mécanismes internes à La Poste même, un site internet via lequel les clients pourraient faire part de leurs éventuelles doléances est à cet égard une solution qui parait devoir être considérée.


4. - Conclusion


Dans le contexte d'état d'urgence sanitaire, La Poste a dû redéfinir ses modalités d'organisation dans le but de concilier les objectifs de continuité du service et de sécurité de ses agents. L'Arcep est consciente du défi que la gestion d'une telle crise représente pour La Poste et ses agents, dont elle reconnaît l'engagement.
Dans une première phase, La Poste a concentré son action sur certaines de ses activités, notamment ses prestations de nature sociale, tout en réduisant parallèlement sa présence et sa capacité de distribution postales. Dans ce cadre, la qualité du service universel postal a été réduite dans des proportions qui sont aujourd'hui difficile à évaluer, mais qui ont en tout état de cause occasionné des désagréments significatifs pour les utilisateurs. Par la suite, La Poste a entamé une démarche pour optimiser son organisation et permettre de renforcer progressivement son activité.
Dans un contexte où le service fourni ne correspond pas à la situation normale, l'Arcep juge impératif que l'information des utilisateurs et que la qualité de cette information soient significativement renforcées. Il est également nécessaire que les élus locaux puissent être pleinement informés des adaptations d'organisation de La Poste dans le cadre d'un dialogue soutenu. En outre, l'Arcep encourage vivement La Poste à renforcer ses dispositifs d'alerte et de détection des dysfonctionnements.
L'Arcep invite enfin La Poste à tirer pleinement les enseignements de la crise actuelle afin d'améliorer ses capacités de gestion et d'anticipation de crise et ainsi maximiser, dans le cadre de la crise actuelle et pour le futur, la capacité de résilience de ses activités.
Le présent avis sera transmis au ministre chargé des postes. Il sera publié au Journal officiel de la République française.