Rapport spécial
En application des dispositions de l'article 25 de la loi organique n° 2011-333 du 29 mars 2011
I. - Les faits
1. La société Foncia Sogival a reçu le 2 décembre 2015, une facture en date du 24 novembre 2015 du service des eaux de Montluel, faisant apparaître une consommation de 367 m³, pour un montant de 1 556,32 €. Ce montant étant très supérieur à la consommation moyenne enregistrée par le compteur général, la société a procédé à une recherche de fuite le 16 décembre 2015, qui a permis d'identifier la fuite au niveau du clapet anti-pollution après compteur dans le regard. La fuite a été réparée définitivement le 18 décembre 2015.
2. Par courrier en date du 21 décembre 2015, la société Foncia Sogival a sollicité de la commune de Montluel un écrêtement de la facture, en application des dispositions des articles L. 2224-12-4 et R. 2224-20-1 du code général des collectivités territoriales, ainsi que la prise en charge des frais de recherche de fuite, à titre gracieux, le service des eaux n'ayant pas informé la société de l'augmentation anormale de consommation.
3. Par courrier en date du 14 janvier 2016, la commune a contesté l'application des dispositions précitées.
4. La société Foncia Sogival a adressé un nouveau courrier à la mairie, en date du 11 février 2016, réitérant sa demande. Par courrier en date du 15 mars 2016, la commune a maintenu sa position.
5. La société Foncia Sogival a alors sollicité l'intervention du Médiateur de l'eau, par courrier en date du 7 avril 2016. Celui-ci a cependant décliné sa compétence, la mairie de Montluel n'ayant pas établi de convention de partenariat avec la Médiation de l'eau. La société Foncia Sogival a donc sollicité l'intervention du Défenseur des droits.
6. Par courrier en date du 9 mars 2017, le Défenseur des droits a interrogé le service des eaux de la commune de Montluel. Ce courrier est demeuré sans réponse, entraînant ainsi l'envoi d'une relance par courrier en date du 6 juin 2017, puis d'une seconde relance par courrier en date du 29 août 2017. A défaut de réponse à ces courriers, une mise en demeure a été adressée à la commune de Montluel, par courrier en date du 9 novembre 2017.
7. Par courrier en date du 28 novembre 2017, la commune a adressé une réponse au Défenseur des droits, indiquant qu'aucune suite favorable ne pouvait être réservée à la réclamation de la société Foncia Sogival, la fuite s'étant produite sur le compteur général, et donc, du point de vue du service des eaux, n'étant pas associé à un « local d'habitation » au sens des dispositions du code général des collectivités territoriales.
8. Après analyse, le Défenseur des droits a adressé aux services de la mairie de Montluel une note récapitulative, en date du 11 janvier 2018, l'invitant à présenter ses observations. Cette note est demeurée sans réponse.
9. En l'absence d'observations, le Défenseur des droits a adressé à la mairie de Montluel la décision n° 2018-145 du 11 mai 2018, portant recommandation dans un délai de trois mois :
- de procéder à un nouveau calcul, conforme à la réglementation, de l'écrêtement à appliquer aux factures de consommation d'eau potable du 24 octobre 2015 et 27 octobre 2016 ;
- de procéder à un nouveau calcul, conforme à la réglementation, de l'écrêtement à appliquer à la redevance d'assainissement pour la période concernée.
10. A l'issue du délai de trois mois ainsi fixé, le maire n'ayant pas informé le Défenseur des droits des suites réservées à ses recommandations. Il a adressé à la mairie de Montluel une injonction, en date du 4 décembre 2018.
11. La commune n'ayant pas déféré à cette injonction, le Défenseur des droits établit le présent rapport spécial, qui est communiqué à la mairie de Montluel. Ce rapport spécial sera rendu public, conformément aux dispositions précitées de l'article 25 de la loi organique du 29 mars 2011.
II. - Analyse juridique
Sur la qualité d'abonné au service de l'eau potable
12. Aux termes de l'article L. 2224-12-4 du code général des collectivités territoriales (CGCT) :
« […] III bis - Dès que le service d'eau potable constate une augmentation anormale du volume d'eau consommé par l'occupant d'un local d'habitation susceptible d'être causée par la fuite d'une canalisation, il en informe sans délai l'abonné. Une augmentation du volume d'eau consommé est anormale si le volume d'eau consommé depuis le dernier relevé excède le double du volume d'eau moyen consommé par l'abonné ou par un ou plusieurs abonnés ayant occupé le local d'habitation pendant une période équivalente au cours des trois années précédentes ou, à défaut, le volume d'eau moyen consommé dans la zone géographique de l'abonné dans des locaux d'habitation de taille et de caractéristiques comparables. L'abonné n'est pas tenu au paiement de la part de la consommation excédant le double de la consommation moyenne s'il présente au service d'eau potable, dans le délai d'un mois à compter de l'information prévue au premier alinéa du présent III bis, une attestation d'une entreprise de plomberie indiquant qu'il a fait procéder à la réparation d'une fuite sur ses canalisations. L'abonné peut demander, dans le même délai d'un mois, au service d'eau potable de vérifier le bon fonctionnement du compteur.
L'abonné n'est alors tenu au paiement de la part de la consommation excédant le double de la consommation moyenne qu'à compter de la notification par le service d'eau potable, et après enquête, que cette augmentation n'est pas imputable à un défaut de fonctionnement du compteur. A défaut de l'information mentionnée au premier alinéa du présent III bis, l'abonné n'est pas tenu au paiement de la part de la consommation excédant le double de la consommation moyenne. Les redevances et sommes prévues par le premier alinéa de l'article L. 2224-12-2 sont calculées en tenant compte de la consommation facturée. Un décret en Conseil d'Etat précise les modalités d'application du présent III bis […] ».
13. Aux termes de l'article R. 2224-20-1 du même code : « I. - Les dispositions du III bis de l'article L. 2224-12-4 s'appliquent aux augmentations de volume d'eau consommé dues à une fuite sur une canalisation d'eau potable après compteur, à l'exclusion des fuites dues à des appareils ménagers et des équipements sanitaires ou de chauffage. II. - Lorsque le service d'eau potable constate une augmentation anormale de consommation au vu du relevé de compteur enregistrant la consommation d'eau effective de l'abonné, il en informe l'abonné par tout moyen et au plus tard lors de l'envoi de la facture établie d'après ce relevé. Cette information précise les démarches à effectuer pour bénéficier de l'écrêtement de la facture prévu au III bis de l'article L. 2224-12-4. L'attestation d'une entreprise de plomberie à produire par l'abonné indique que la fuite a été réparée en précisant la localisation de la fuite et la date de la réparation […] ».
14. Par ailleurs, aux termes de la délibération du 21 février 2013 du conseil municipal de Montluel : « […] Après en avoir délibéré, le conseil municipal approuve la mise en place des modalités d'application du décret n° 2012-1078 du 24 septembre 2012 concernant les nouvelles dispositions relatives à la facturation en cas de fuite sur les canalisations d'eau potable après compteur […] ».
15. Il est constant que les textes précités se réfèrent à « l'abonné » au service d'eau potable. En l'espèce, la société Foncia Sogival n'a la qualité d'abonné au service qu'au titre du compteur général, les occupants de l'immeuble ayant chacun des compteurs individuels et réglant une facture individuelle au service d'eau potable pour leur consommation personnelle, ainsi que leur abonnement, depuis l'assemblée générale de copropriété du 25 juin 2008. Ainsi, la facture en date du 24 novembre 2015 reflète clairement la consommation facturée à la société Foncia Sogival, en qualité d'abonné au service, soit 367 m³ (une fois déduites les consommations des compteurs divisionnaires : 957 m³ (consommations ayant transité par le compteur général) - 590 m³ (consommations totales des compteurs divisionnaires). La surconsommation constatée sur le compteur général doit donc être dissociée des volumes transitant par ce compteur vers les compteurs individuels, et être calculée sur la seule consommation du compteur général.
Dès lors, le calcul du service des eaux, repris dans le courrier en date du 14 janvier 2016, qui englobe la consommation globale enregistrée par ce compteur (général + divisionnaires) ne répond pas aux exigences du droit en vigueur, car il ne reflète pas la consommation de l'abonné concerné, soit la société Foncia Sogival.
16. La mairie de Montluel n'a pas fourni d'explication au Défenseur des droits sur ce point.
Sur l'obligation d'information de l'abonné :
17. Il ressort par ailleurs des pièces transmises par la société Foncia Sogival que le service des eaux n'a pas rempli l'obligation d'information de l'abonné, en cas d'augmentation anormale de la consommation d'eau, obligation clairement établie par les articles L. 2224-12-4 et R. 2224-20-1 du code précité et qui incombe à la commune en dehors de toute délibération du conseil municipal, ainsi que l'a rappelé la jurisprudence judiciaire (Cass, 1re Civ, 12 mai 2016, « Commune de Bussières-Boffy c./ Mme X… », n° 15-12120 : « Attendu […] qu'ayant relevé que la commune n'avait pas avisé Mme X… de la consommation d'un volume d'eau de 5 610 m³, manifestement sans proportion avec les relevés ou les estimations antérieurs […], la cour d'appel […] a légalement justifié sa décision de limiter au paiement de la part de la consommation n'excédant pas le double de la consommation moyenne de Mme X…, la somme à laquelle celle-ci était tenue [2,90 € pour 2 m³] »).
18. Le Défenseur des droits constate qu'il ressort des termes du courrier du 28 novembre 2017 que la collectivité admet n'avoir pas rempli l'obligation d'information prévue par le droit en vigueur lors de l'intervention de la surconsommation en cause.
19. En application stricte de cette jurisprudence, la société Foncia Sogival est fondée à solliciter un dégrèvement des factures contestées, sur la part excédant le double de sa consommation moyenne annuelle.
Sur le mode de calcul du dégrèvement concernant l'eau potable et la redevance d'assainissement collectif :
20. En application des dispositions précitées, le calcul du dégrèvement en cause doit être effectué en retenant uniquement la part consommée par le seul compteur général au cours des 3 années précédentes, soit, au vu des pièces transmises par la société : 0 m³ pour 2012, 11 m³ pour 2013 et 0 m³ pour 2014. Ce calcul fait apparaître une consommation moyenne du compteur général, pour la période considérée, de 3,6 m³. La société Foncia Sogival aurait donc dû être tenue uniquement, au maximum, au paiement du double de cette consommation moyenne, soit 7,2 m³.
21. La société Foncia Sogival fait également valoir n'avoir reçu aucune facture pour le compteur général, entre novembre 2015 et octobre 2016. A cet égard, la facture en date du 27 octobre 2016, d'un montant de 455,81 €, pour une consommation de 344 m³, répercute une partie de la surconsommation due à la fuite, le compteur général ayant été déposé et remplacé le 11 août 2016 par le service des eaux, le dernier relevé réel de ce compteur ayant eu lieu le 5 novembre 2015. Dès lors, la surconsommation qui s'est produite entre le 5 novembre 2015 et le 18 décembre 2015, date de réparation de la fuite, est reprise dans cette facture du 27 octobre 2016, dont le montant ne fait l'objet d'aucun dégrèvement. En application des principes ci-dessus rappelés, la société Foncia Sogival est pourtant fondée à solliciter un dégrèvement sur cette facture, en prenant en compte le volume potentiellement dégrevé de l'année 2015 (CA Bordeaux, 7 octobre 2015, « Mme Michaudeau c/ SA Lyonnaise des Eaux France », n° 14/01664), soit : 7,2 m³ en 2015, 0 m³ pour 2014, 11 m³ pour 2013.
Ce calcul aboutit à une consommation moyenne annuelle de 6 m³, soit la facturation maximale de 12 m³ pour l'année 2016 (double de la consommation moyenne), et non 344 m³, en application des dispositions précitées de l'article L. 2224-12-4 du code général des collectivités territoriales.
22. Par ailleurs, aux termes de l'article R. 2224-19-2 du code général des collectivités territoriales : « […] Lorsqu'un abonné bénéficie d'un écrêtement de la facture d'eau potable dans les conditions prévues par les articles L. 2224-12-4 et R. 2224-20-1, les volumes d'eau imputables aux fuites d'eau sur la canalisation après compteur n'entrent pas dans le calcul de la redevance d'assainissement. Ces volumes d'eau sont évalués en fonction de la différence entre le volume d'eau dont l'augmentation anormale a justifié l'écrêtement de la facture d'eau potable et le volume d'eau moyen consommé déterminé dans les conditions prévues au premier alinéa du III bis de l'article L. 2224-12-4 ».
23. La collectivité a retenu un dégrèvement pour l'assainissement, dans le courrier du 14 janvier 2016, par rapport au volume d'eau total ayant transité par le compteur général, soit 1 655 m³ - 1 370 m³ (consommation moyenne des 3 dernières années), ce qui aboutit à un dégrèvement de 832,95 €, pour un volume de 285 m³ d'eau. Ce dégrèvement a été accordé par un avoir en date du 20 janvier 2016.
24. Cependant, en application des dispositions de l'article R. 2224-19-2 du CGCT, ce dégrèvement aurait dû être calculé sur le fondement de la seule consommation du compteur général. Ainsi, la consommation s'élevant à 3,6 m³ en moyenne pour la période considérée, le dégrèvement aurait dû être calculé de la façon suivante : 344 m³ (volume d'eau dont l'augmentation anormale justifie l'écrêtement) - 3,6 m³ (volume d'eau moyen consommé), soit un dégrèvement portant sur 340,4 m³ et non 285 m³.
25. Par ailleurs, la société Foncia Sogival fait valoir n'avoir bénéficié d'aucun dégrèvement sur la facture d'assainissement en date du 7 novembre 2016, qui inclut pourtant les volumes imputables à la fuite, car portant sur la consommation du 5 novembre 2015 au 5 octobre 2016, la fuite ayant été réparée le 18 décembre 2015. Cette facture, d'un montant de 815,47 € pour un volume de 367 m³, peut donc faire l'objet d'un dégrèvement suivant les mêmes modalités de calcul, en prenant les années 2015, 2014 et 2013 pour référence, soit 367 m³ (volume d'eau dont l'augmentation anormale justifie l'écrêtement) - 6 m³ (consommation moyenne annuelle), donc un dégrèvement portant sur 361 m³.
26. Le Défenseur des droits relève que le refus opposé à la réclamation présentée par la société Foncia Sogival, concernant l'eau potable comme la redevance d'assainissement collectif se fonde uniquement, selon les termes employés par la mairie de Montluel dans son courrier du 28 novembre 2017, sur le fait que le compteur général ne serait pas associé à un local d'habitation, et que, par conséquent, le dispositif relatif à l'écrêtement de facture prévu par les articles L. 2224-12-4 et R. 2224-20-1 du code général des collectivités territoriales ne lui serait pas applicable.
Cependant, cette position n'est étayée par aucun argument législatif, réglementaire ou jurisprudentiel.
27. En effet, il est constant que ce compteur général est bien « associé à un local d'habitation » dans la mesure où il s'agit d'un compteur implanté à l'intérieur d'une copropriété, elle-même à usage d'habitation. A cet égard, le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie a précisé dans une réponse que le législateur avait entendu cette notion de « local d'habitation » comme distincte des locaux dépendant des collectivités territoriales, ou des locaux à usage professionnel (réponse ministérielle à la question écrite n° 02578 présentée par Monsieur Charles REVET, sénateur de la Seine-Maritime, JO Sénat du 11 avril 2013, p. 1172).
28. Il convient de relever également que l'Institut national de la consommation, établissement public à caractère industriel et commercial régi par les dispositions des articles L. 822-1 et suivants du code de la consommation, dans sa fiche pratique relative à ce sujet et publiée le 21 mars 2016, mentionne : « Le code général des collectivités territoriales ne fait pas de distinctions entre les résidences principales et les résidences secondaires. Il vise en effet “l'occupant d'un local d'habitation”. Bénéficient donc de ces dispositions, les titulaires d'un abonnement pour la consommation d'eau potable d'un local d'habitation situé dans un immeuble individuel ou collectif, destinataire de la facture. Il s'agit notamment du syndicat de copropriété ou du propriétaire. Les personnes habitant dans un immeuble collectif avec compteur général ne reçoivent habituellement pas les factures. Elles devront se renseigner auprès de leur syndic ou encore auprès du gestionnaire d'immeuble qui sera l'interlocuteur du service des eaux. S'il y a une consommation anormale au niveau de l'ensemble de l'immeuble, il appartient alors au gestionnaire de produire au service des eaux, une facture de réparation de la fuite d'eau afin d'obtenir le plafonnement de la facture de l'immeuble. La baisse de la facture sera alors répercutée sur les charges de chacun des occupants ».
29. Dès lors, le motif avancé par la mairie de Montluel pour refuser la demande de dégrèvement présentée par la société Foncia Sogival n'apparaît pas conforme à la réglementation en vigueur. Une telle analyse conduirait en effet à refuser de prendre en compte la consommation d'un compteur général dans toutes les copropriétés à usage d'habitation, y compris celles qui ne sont pas équipées de compteurs divisionnaires et pour lesquelles le syndic est le seul abonné du service d'eau, ce qui est contraire à l'esprit comme à la lettre des dispositions du code général des collectivités territoriales.
30. Par décision n° 2019-43, le Défenseur des droits a établi un rapport spécial notifié au maire de Montluel lui recommandant à nouveau :
- de procéder à un nouveau calcul, conforme à la réglementation, de l'écrêtement à appliquer aux factures de consommation d'eau potable du 24 octobre 2015 et 27 octobre 2016 ;
- de procéder à un nouveau calcul, conforme à la réglementation, de l'écrêtement à appliquer à la redevance d'assainissement pour la période concernée ;
- de l'informer des suites données aux recommandations ci-dessus dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de la présente décision.
31. En l'absence de réponse à cette décision dans le délai imparti et en application de l'article 25 de la loi organique du 29 mars 2011, le Défenseur des droits décide de rendre publique sa position en publiant ce rapport spécial au Journal officiel de la République française.
J. Toubon