Après en avoir délibéré le 9 avril 2019,
1. Contexte
L'article L. 33-13 du CPCE permet au ministre chargé des communications électroniques d'« accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux. » Dans ce cadre, l'Arcep doit ainsi rendre un avis sur la proposition d'engagements d'un opérateur à la suite de la saisine du ministre. Après acceptation des engagements par le ministre, l'Autorité en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 du CPCE. L'Arcep veille ainsi à la bonne application des engagements.
Par ailleurs, l'Autorité a souligné, dans son avis n° 2017-1293 en date du 23 octobre 2017 rendu à la demande du Sénat et portant sur la couverture numérique des territoires, l'utilité d'engagements fondés sur l'article L. 33-13 du CPCE pour le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné, tant en zone d'initiative privée qu'en zone d'initiative publique.
Le Gouvernement a invité les collectivités territoriales à saisir et sécuriser, dans le cadre d'appels à manifestations d'engagements locaux (AMEL), de nouvelles opportunités d'investissement privé, afin d'accélérer la couverture numérique de leur territoire. Ce dispositif prévoit que les collectivités territoriales puissent sélectionner un opérateur privé qui s'engage selon les modalités de l'article L. 33-13 du CPCE. Cet opérateur doit notamment s'engager à déployer un réseau FttH sur tout ou partie du territoire de la collectivité en complémentarité des déploiements des opérateurs tiers, qu'ils relèvent d'initiative privée ou publique.
Le directeur général des entreprises a saisi l'Arcep d'une demande d'avis, datée du 8 avril 2019, sur la proposition d'engagements de la société Orange sur une partie de la zone d'initiative publique du département du Lot-et-Garonne.
Le cadre législatif et réglementaire s'appliquant au déploiement de réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné est rappelé en annexe 4.
Le présent avis de l'Arcep décrit les principales caractéristiques des engagements proposés par Orange (l'étendue de son périmètre et l'échéance ferme proposée) avant de formuler des observations sur quatre points : l'offre d'accès associée à l'engagement, l'absence d'une clause prévoyant les modalités à suivre en cas de cession, la clause de sortie des engagements et le suivi de la réalisation des déploiements.
2. Les engagements proposés par Orange
Le département du Lot-et-Garonne est partagé entre une zone d'initiative privée, constituée de 14 communes (comprenant un total de 67 000 locaux [1]) sur lesquelles Orange est d'ores et déjà engagé au titre de l'article L. 33-13 du CPCE à la suite de l'arrêté du ministre du 26 juillet 2018 (2), et une zone d'initiative publique qui, au sens du plan France Très Haut Débit, en est la zone complémentaire et totalise 126 000 locaux. La zone d'initiative publique se partage ensuite entre la zone sur laquelle porte la proposition d'engagements d'Orange dans le cadre de l'AMEL (ci-après dite « zone AMEL ») et la zone où le déploiement d'un réseau d'initiative publique (RIP) est assuré par le syndicat mixte Lot-et-Garonne Numérique dans le cadre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales (3).
Dans son courrier en date du 4 avril 2019 (ci-après « le courrier d'engagement »), Orange propose un engagement, sur un périmètre géographique défini par une liste de 239 (4) « codes communes » de l'Insee situés en dehors des zones très denses, visant à rendre 100 % des locaux « raccordables » ou « raccordables sur demande » à la fibre jusqu'à l'abonné (FttH - Fibre to the Home) d'ici fin juin 2024 (avec moins de 8 % de « raccordables sur demande »). (5) Le détail des engagements proposés par Orange sont repris en annexe 1 du présent avis.
Par ailleurs, Orange a joint en annexe de son courrier d'engagement une « Convention de déploiements FttH en zone AMEL sur le territoire du Lot-et-Garonne » qui pourrait être signée avec la collectivité pour encadrer localement ses déploiements dans le cas où le Gouvernement accepterait l'engagement. L'Arcep se félicite que les engagements d'Orange, en cas d'acceptation par le Gouvernement, puissent être déclinés au niveau communal dans une convention de déploiements FttH en zone AMEL liant le Département, l'Etat et l'opérateur Orange. Une telle convention permettrait d'informer localement les collectivités et les représentants de l'Etat du déploiement des réseaux FttH.
Les principaux aspects des engagements proposés par Orange sont examinés ci-après.
2.1. Périmètre géographique des engagements
Le périmètre géographique sur lequel Orange propose de s'engager à déployer un réseau à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné est constitué de 239 « codes communes » du code officiel géographique publié par l'Insee (cf. annexe 1 du présent avis).
Sur 72 de ces communes, Orange propose de s'engager sur une partie de la commune, ces communes faisant l'objet du déploiement du RIP sur le restant de leur territoire. Les fichiers géographiques fournis par le syndicat mixte Lot-et-Garonne Numérique et par Orange dans leurs courriels respectifs en date du 5 avril 2019 et 9 avril 2019 montrent par ailleurs qu'une délimitation exacte et cohérente des zones relevant de la proposition d'Orange et de celles relevant du RIP a été effectuée à l'échelle infra-communale.
L'Autorité précise qu'elle a effectué son analyse sur la base de la géographie administrative au 1er janvier 2018, qui permet de disposer de l'ensemble des statistiques à jour produites par l'Insee. A cette aune, il ressort que les 239 communes présentes dans la proposition d'engagements d'Orange et prises dans leur globalité totalisent environ 103 000 locaux ; ce chiffre inclut néanmoins les portions de ces communes qui seront in fine déployées par le RIP, l'Autorité n'ayant pas eu les moyens de mener un décompte des locaux à l'échelle infra-communale dans le temps d'instruction de son avis. Le syndicat mixte Lot-et-Garonne Numérique estime pour sa part en annexe de son courriel en date du 5 avril 2019 à près de 89 000 le nombre de locaux objets de la proposition d'Orange, en tenant compte des parties de communes qui seront déployées par le RIP et en excluant donc du décompte les locaux concernés.
Les locaux objets de la proposition d'engagement d'Orange représentent environ 46 % du nombre de locaux du Lot-et-Garonne et 71 % du nombre de locaux de sa zone d'initiative publique.
2.2. Un engagement à l'échéance fin juin 2024
Orange s'engage, de façon ferme, pour l'ensemble du périmètre géographique de sa proposition d'engagement (cf. section 2.1), à avoir rendu « raccordables » fin juin 2024 au minimum 92 % des logements et locaux à usage professionnel des communes précisées ci-avant, les 8 % restant étant « raccordables sur demande, c'est-à-dire éligibles commercialement à une offre FttH et pouvant bénéficier d'un raccordement sous 6 mois. »
Cet engagement doit permettre à l'ensemble des habitants du périmètre géographique défini par Orange d'être éligibles au FttH fin juin 2024. Pour que cette éligibilité soit effective, il importe que Orange respecte le délai de 6 mois annoncé pour rendre « raccordable » un local « raccordable sur demande » après commande d'un opérateur.
Le taux de 8 % de locaux « raccordables sur demande » s'appréciera à l'échelle du périmètre géographique de la zone AMEL du département. Il paraît acceptable que le taux de « raccordables sur demande » puisse varier d'une commune à l'autre, pour permettre une flexibilité à Orange. Toutefois, il importera qu'Orange veille à ce que des communes ne concentrent pas des taux élevés, autant dans un souci d'équité territoriale que pour des questions opérationnelles, afin de garantir sa capacité à effectivement rendre « raccordables » les locaux « raccordables sur demande » dans un délai qui ne devrait pas excéder 6 mois. De manière similaire, il importe également que les locaux à usage professionnel ne soient pas surreprésentés dans les locaux relevant de la catégorie « raccordables sur demande ».
3. Les observations de l'Arcep sur la proposition d'engagements d'Orange
Comme vu précédemment, Orange propose de prendre des engagements opposables avec pour objectif 100 % des locaux « raccordables » ou « raccordables sur demande » au FttH à fin juin 2024 sur le périmètre « AMEL » du Lot-et-Garonne, engagements qui sont de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture du département par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux.
L'Arcep salue cette proposition d'engagements qui rend juridiquement opposables le périmètre et le calendrier du déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné dans la zone concernée, permettant à l'Autorité de sanctionner les éventuels manquements qui seraient constatés, dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 du CPCE.
La proposition d'engagements d'Orange appelle les observations suivantes de la part de l'Autorité.
3.1. L'offre d'accès associée à l'engagement
Dans le cadre de l'examen des propositions d'engagement de couverture FttH en application de l'article L. 33-13 du CPCE, il est essentiel que l'Autorité puisse apprécier les conditions d'accès aux réseaux dont le déploiement est envisagé.
Lorsque l'Autorité s'est prononcée en juin 2018 sur les engagements d'Orange et SFR en zone AMII, les offres d'accès de ces deux opérateurs étaient connues, publiées de longue date et utilisées par les opérateurs commerciaux, qui y avaient souscrit. Tel n'est pas nécessairement le cas pour les projets d'AMEL.
En l'espèce, Orange a indiqué dans son courrier d'engagement que « l'offre de gros sur l'AMEL du Lot-et-Garonne sera [son] offre de gros d'accès à la partie terminale des lignes FttH en dehors de la zone très dense », dont les principales conditions tarifaires sont rappelées en annexe 2 du présent avis.
Cela conduira donc Orange à proposer dans la zone AMEL du Lot-et-Garonne des conditions d'accès identiques à celles qu'il propose en zone AMII, permettant ainsi aux opérateurs commerciaux de retrouver dans cette zone AMEL les mêmes conditions d'accès que celles qu'ils connaissent ailleurs sur le territoire, tant en zone AMII que sur les réseaux d'initiative publique.
Dans son examen, l'Autorité note toutefois que l'offre d'accès d'Orange en dehors des zones très denses prévoit depuis le 1er janvier 2019, en matière de renouvellement des droits, des tarifs différents selon que la tranche de cofinancement a été souscrite au cours des treize premières années du réseau ou après la quatorzième année. L'Autorité s'interroge sur les conditions tarifaires attachées au renouvellement des droits d'usage, en ce qu'elles pourraient induire une différence de traitement entre les opérateurs cofinanceurs.
L'Autorité a donc demandé à Orange dans quelle mesure l'équilibre du plan d'affaires de son projet reposait sur des revenus attachés au renouvellement de droits d'usage conférés après la quatorzième année. Orange a indiqué à cet égard dans un courrier en date du 9 avril 2019 qu'« en prenant l'hypothèse que les opérateurs commerciaux se comportent de manière rationnelle, […] l'équilibre du projet ne repose donc pas sur les éventuels revenus attachés au renouvellement des droits d'usage dans le cas spécifique d'un cofinancement ex post effectué entre la quatorzième année et la vingtième année ». Ainsi, la modification éventuelle des conditions tarifaires sur ce point ne porterait pas atteinte au plan d'affaires présenté par Orange et donc in fine à la crédibilité du projet d'Orange et de sa proposition d'engagements.
3.2. L'absence d'une clause prévoyant les modalités à suivre en cas de cession de l'engagement
Orange ne prévoit, dans son courrier d'engagement, aucune procédure à suivre dans le cas où elle souhaiterait céder le réseau qu'elle propose de déployer ou bien l'engagement pris au titre de l'article L. 33-13 du CPCE. Aussi, l'Autorité rappelle le caractère intuitu personæ d'un engagement pris au titre de l'article L. 33-13 du CPCE auprès du ministre chargé des communications électroniques. Le transfert d'engagements qui ont été souscrits nominativement par une société n'apparaît ainsi envisageable et juridiquement possible que sous la condition d'un accord du ministre qui a accepté l'engagement initial, et supposera un nouvel avis de l'Autorité.
3.3. La clause de sortie des engagements
Orange propose une clause détaillant les modalités lui permettant de demander à l'Etat de se voir délier de ses engagements, ces derniers étant proposés par Orange « sous la réserve de la pérennité du cadre général (6) […], ou à tout le moins sous la réserve de l'absence d'un impact substantiellement négatif de toute modification de ce cadre général sur l'équilibre financier du secteur et consécutivement d'Orange. »
Orange prévoit également un protocole pour demander une modification de ses engagements. (7)
Il semble naturel que dans le cadre de ses engagements Orange souhaite se prémunir d'aléas imprévisibles, comme c'est le cas pour ses engagements en zone AMII. Dans ces conditions, il appartiendra au Gouvernement et à l'Arcep d'apprécier l'existence de conséquences substantiellement négatives sur l'équilibre financier du secteur, avant toute modification éventuelle des engagements.
En tout état de cause, il est utile de noter que le cadre législatif et réglementaire a vocation à se préciser et pourra donc évoluer, notamment à la suite de la transposition en droit français du cadre européen. Par ailleurs, l'Arcep peut être amenée à préciser l'application du cadre réglementaire en vigueur, notamment par des recommandations ou à se prononcer, lorsqu'elle est saisie, dans le cadre de décisions de règlement de différend au titre de l'article L. 36-8 du CPCE.
3.4. Le suivi de la réalisation des déploiements
Comme détaillé en section 3.2, les engagements proposés par Orange consistent à rendre « raccordables » ou « raccordables sur demande » les locaux de la zone AMEL du Lot-et-Garonne, soit près de 89 000 locaux d'après Orange, d'ici fin juin 2024, c'est-à-dire en l'espace de plus de quatre ans.
Il doit être souligné qu'en l'absence d'un ou plusieurs jalons intermédiaires juridiquement opposables, l'Arcep ne sera en mesure de constater d'éventuels manquements d'Orange à son engagement dans le Lot-et-Garonne qu'à partir du moment où il pourra être constaté un risque caractérisé que l'opérateur ne respecte pas à l'échéance prévue les obligations qui découlent de son engagement.
Ainsi, si l'Arcep restera attentive au rythme des déploiements d'Orange dans le Lot-et-Garonne tout au long de la durée de son engagement, elle ne pourra véritablement apprécier la capacité de l'opérateur à respecter les délais de ses engagements qu'à l'approche de l'échéance.
Conclusion
Orange propose de prendre des engagements juridiquement opposables relatifs à ses ambitions de couverture FttH en dehors des zones très denses, qui le conduiraient à rendre 100 % des locaux de la zone AMEL du Lot-et-Garonne, telle que définie plus haut et inscrite dans un périmètre comprenant 239 communes, « raccordables » ou « raccordables sur demande » en FttH à fin juin 2024, avec moins de 8 % de locaux « raccordables sur demande » (devant être rendus « raccordables » dans un délai de 6 mois après une demande).
A la suite de l'étude des engagements proposés, l'Autorité porte un avis positif sur la proposition d'engagements au titre de l'article L. 33-13 du CPCE de la société Orange.
L'Autorité souligne notamment l'importance de décliner localement ces engagements en cas d'acceptation par le ministre chargé des communications électroniques, permettant ainsi de donner une visibilité nécessaire aux communes concernées. L'Autorité formule en complément plusieurs observations, portant principalement sur :
- les conditions tarifaires d'accès attachées au renouvellement des droits d'usage ;
- la formulation de la clause de sortie ;
- les modalités à suivre en cas de cession.
L'Autorité restera, dans l'hypothèse où le ministre accepterait ces propositions d'engagements, très vigilante quant à leur réalisation.