Après en avoir délibéré le 12 juin 2018,
1. Contexte
L'article 78 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a introduit un article L. 33-13 dans le CPCE permettant au ministre chargé des communications électroniques d'« accepter, après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, les engagements, souscrits auprès de lui par les opérateurs, de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux ». Dans ce cadre, l'Arcep doit ainsi rendre un avis sur la proposition d'engagements d'un opérateur à la suite de la saisine du ministre. Après acceptation des engagements par le ministre, l'Autorité en contrôle le respect et sanctionne les manquements constatés dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 du CPCE. L'Arcep veille ainsi à la bonne application des engagements.
Par ailleurs, l'Autorité a souligné, dans son avis n° 2017-1293 en date du 23 octobre 2017 rendu à la demande du Sénat et portant sur la couverture numérique des territoires, l'utilité d'engagements fondés sur l'article L. 33-13 du CPCE pour le déploiement des réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné, tant en zone d'initiative privée qu'en zone d'initiative publique.
La ministre en charge des communications électroniques a saisi l'Arcep d'une demande d'avis, datée du 4 avril 2018, sur la proposition d'engagements adressée au Gouvernement par la société Orange, via un courrier adressé au Premier Ministre en date du 20 février 2018, relatif à ses déploiements de réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné.
Depuis, Orange et SFR ont fait évoluer leurs propositions respectives d'engagements. Ces évolutions se sont traduites par deux nouveaux courriers en date du 28 mai 2018 (SFR) et du 31 mai 2018 (Orange). C'est donc sur la proposition d'engagement contenue dans le courrier du 20 février 2018, telle qu'amendée par le second courrier d'Orange en date du 31 mai 2018, que l'Autorité est amenée à rendre le présent avis.
Cette saisine étant la première saisine de l'Autorité d'une demande d'avis sur des engagements qui seraient pris sur le fondement de l'article L. 33-13 du CPCE, il sera précisé que l'Autorité se prononce au premier chef sur le caractère matériel et contrôlable des engagements et qu'il appartient au Gouvernement de décider d'accepter les engagements vis-à-vis des objectifs qu'il poursuit.
Ainsi, après un rappel du cadre législatif et réglementaire s'appliquant au déploiement de réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné, le présent avis de l'Arcep décrit les principales caractéristiques des engagements proposés par Orange (l'étendue de leur périmètre, le recouvrement avec les engagements proposés simultanément par SFR, l'articulation avec les déploiements tiers, les échéances fermes proposées, le rythme des déploiements sous-jacents aux engagements) avant de formuler des observations sur quatre points : la clause de sortie des engagements, les conditions opérationnelles des engagements, le suivi de la réalisation des déploiements et enfin la déclinaison locale des engagements.
2. Rappel du cadre juridique pour les réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné
En France, le législateur a décidé d'encadrer les déploiements de réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné. Ils sont ainsi soumis aux dispositions de l'article L. 34-8-3 du CPCE. Ce même article a confié à l'Arcep le soin de préciser les modalités d'accès au réseau et la possibilité de trancher les différends qui s'y rapportent. En application de cet article, l'Autorité a adopté plusieurs décisions, et notamment les décisions n° 2009-1106, n° 2010-1312, n° 2013-1475 et n° 2015-0776 susvisées. Ces décisions imposent notamment une obligation de fournir une offre d'accès passive à la partie terminale des réseaux déployés (offre de « mutualisation »), et pour les zones moins denses une obligation de donner accès plus en amont du réseau (au niveau d'un point regroupant au moins 1 000 lignes), combinée à l'obligation de complétude des déploiements sur chaque zone arrière.
2.1. Obligation d'accès mutualisé
La décision n° 2009-1106 de l'Autorité impose aux opérateurs d'infrastructure d'offrir l'accès au point de mutualisation dans des conditions raisonnables et non discriminatoires. L'accès doit être fourni sous forme passive, dans des conditions raisonnables, objectives, transparentes, et non discriminatoires, dans le cadre d'une offre publiée. La décision n° 2010-1312 précise que l'opérateur d'infrastructure a l'obligation de publier, avant l'installation du point de mutualisation (PM), une offre d'accès comprenant des offres de cofinancement ab initio et a posteriori, ainsi qu'une offre de location passive à la ligne. Ces deux décisions prévoient que les conditions tarifaires doivent être raisonnables et respecter les principes de non-discrimination, d'objectivité, de pertinence et d'efficacité.
2.2. Obligation de complétude des déploiements
La décision n° 2010-1312 de l'Autorité impose aux opérateurs d'infrastructure de déployer un réseau horizontal à proximité immédiate de l'ensemble des logements et locaux à usage professionnel de la zone arrière de chaque PM, permettant de raccorder l'ensemble de ces locaux (1), et ce dans un délai raisonnable à la suite de la déclaration de la zone arrière de son point de mutualisation. Les motifs de la décision indiquent qu'« un délai de déploiement, au plus de deux à cinq ans, en fonction des caractéristiques locales, semble, à cet égard, raisonnable ».
La recommandation de l'Autorité en date du 7 décembre 2015, portant sur la mise en œuvre de l'obligation de complétude des déploiements des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné en dehors des zones très denses, précise que déployer un réseau « à proximité immédiate » d'un local implique d'avoir installé le PM, le point de branchement optique (PBO) et établi la continuité optique entre ces deux éléments.
Néanmoins, elle a introduit la possibilité pour l'opérateur d'infrastructure de différer au-delà du délai de complétude (donc au-delà de l'échéance précitée de deux à cinq ans) la pose du PBO pour certains locaux situés en zones d'habitat dispersé. Cette possibilité doit être exercée de manière ciblée, pour des locaux bien identifiés au moment de la consultation préalable aux déploiements, notamment au regard du coût à la ligne des lignes concernées et d'une attente de commercialisation faible à court et moyen termes. Enfin, la mise en service du PBO devrait dans ce cas être effectuée conformément aux modalités définies par le cadre réglementaire en vigueur, a priori dans un délai de 6 mois après la commande d'un opérateur commercial. Les logements et locaux à usage professionnel identifiés desservis par des lignes dont la pose du PBO a été différée sont dits « raccordables sur demande ».
Cette obligation de complétude s'impose à tout opérateur qui déploie un réseau à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné. Ainsi, les engagements opposables qui seraient souscrits par un opérateur ne sauraient lui permettre de méconnaître le cadre réglementaire, en particulier l'obligation de complétude. De tels engagements ne sont susceptibles que de venir s'y ajouter, le respect cumulé des obligations issues du cadre réglementaire et des obligations issues des engagements devenant alors nécessaire.
3. Les engagements proposés par Orange
Dans son courrier en date du 31 mai 2018, Orange indique le retrait de l'engagement qu'il avait proposé le 20 février 2018 d'un périmètre géographique défini par une liste de communes annexées à son courrier, composée de 236 « codes communes » (2) de l'Insee situés en dehors des zones très denses, qui faisait l'objet de recouvrement avec la proposition d'engagement de SFR. Ainsi, Orange propose de s'engager, sur un périmètre géographique défini par une liste de 3 016 « codes communes » de l'Insee situés en dehors des zones très denses, à rendre 100 % des locaux « raccordables » ou « raccordables à la demande » à la fibre jusqu'à l'abonné (FttH - Fibre to the Home) d'ici fin 2020 (avec moins de 8 % de « raccordables à la demande »), et à rendre 100 % des locaux « raccordables » à fin 2022.
Dans son courrier en date du 28 mai 2018, SFR propose de s'engager sur un périmètre géographique désormais défini par une liste de 642 « codes communes » de l'Insee situés en dehors des zones très denses.
L'Arcep constate que les propositions d'engagements de Orange et de SFR, tels que ressortant de leurs courriers respectifs des 28 mai et 31 mai 2018, se complètent et s'inscrivent désormais dans une logique de cohérence entre réseaux mutualisés. L'Autorité s'en félicite, en notant les progrès réalisés sur ce plan par rapport aux courriers du 20 février et 15 mars 2018.
Les principaux aspects des engagements proposés par Orange sont examinés ci-après.
3.1. Périmètre géographique des engagements
Le périmètre géographique sur lequel Orange propose de s'engager à déployer un réseau à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné est constitué de 3 016 « codes communes » du code officiel géographique publié par l'Insee. Chacun de ces codes ne correspond pas nécessairement à une commune au sens de la géographie administrative française au 1er janvier 2018. En effet, lorsque certaines communes pour lesquelles Orange avait manifesté une intention d'investissement en 2011 ont fusionné avec d'autres communes (3), Orange fournit les « codes communes » de l'Insee correspondant à la géographie administrative au 1er janvier 2011. L'Autorité précise qu'elle a effectué l'essentiel de son analyse sur la base de la géographie administrative au 1er janvier 2017, qui permet de disposer de l'ensemble des statistiques à jour produites par l'Insee. À cette aune, la proposition d'engagements d'Orange concerne 2 978 communes (4) totalisant environ 11,10 millions de locaux (5).
Ces 2 978 communes, situées en-dehors des zones très denses, peuvent être réparties en plusieurs catégories correspondant aux subdivisions de la zone « AMII » explicitées en annexe de l'avis n° 2017-1293 du 23 octobre 2017, rendu par l'Autorité à la demande du Sénat :
- 2 297 communes totalisant environ 8,35 millions de locaux font l'objet d'un contrat d'exclusivité (et de cofinancement) pour Orange vis-à-vis de SFR depuis 2011. À la connaissance de l'Autorité, elles couvrent intégralement les zones moins denses sur lesquelles Orange avait antérieurement indiqué qu'il entendait déployer un réseau en fibre optique jusqu'à l'abonné dans le cadre de l'appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII), à l'exception de huit communes où au moins un autre opérateur d'infrastructure a déjà entrepris de déployer un tel réseau (6) ;
- 487 communes totalisant environ 1,45 millions de locaux ont fait l'objet d'une déclaration d'intérêt d'Orange, sans conclusion d'un accord d'exclusivité avec SFR (7) ;
- 32 communes totalisant environ 0,50 million de locaux faisaient initialement partie des zones très denses mais ont été reclassées en zones moins denses par l'Arcep en 2013 ;
- 161 communes totalisant environ 0,75 million de locaux relevaient initialement de l'exclusivité de SFR vis-à-vis d'Orange, exclusivité levée en 2015 à la suite du rachat de SFR par Numericable.
Sur 8 de ces communes, Orange propose de s'engager sur une partie de la commune ; ces 8 communes font également l'objet d'une proposition d'engagement de SFR toujours sur une partie de la commune. Il convient qu'Orange, de même que SFR, précise au Gouvernement et à l'Arcep dans les meilleurs délais, et si possible avant que celui-ci ne décide d'accepter la proposition d'engagements, les parties desdites communes sur lesquelles porte l'engagement pour en permettre le contrôle.
Les 2 978 communes susvisées représentent environ 30 % de la population, 7 % du territoire et 30 % du nombre de locaux en France.
L'Autorité note que ces communes sont à la fois situées en métropole et pour partie dans des territoires d'outre-mer.
3.2. Articulation avec des déploiements tiers
L'Autorité tient à souligner que le risque de superposition inefficace des déploiements d'Orange, qui existait à l'origine des propositions et qui a été largement réduit, n'est pas complètement épuisé par l'absence de superposition avec la proposition d'engagement de SFR puisqu'il concerne également des déploiements d'autres opérateurs. Ainsi, l'Autorité décompte 15 communes (8) totalisant environ 0,45 million de locaux qui font l'objet de déploiements d'initiative privée d'opérateurs tiers (Free, SRR, Reunicable et Guyacom). Elle décompte également 65 communes totalisant environ 0,48 million de locaux faisant l'objet de déploiements d'initiative publique, notamment en Île-de-France et dans les agglomérations de Vannes, Nancy, Dunkerque, Metz et Angoulême. Il sera important que ces différents opérateurs articulent leurs déploiements entre eux, afin de pouvoir aboutir à une complétude d'ensemble des déploiements tout en évitant l'apparition de zones de superposition inefficace des réseaux, en mettant en œuvre les outils prévus par le cadre juridique. L'ensemble des communes pour lesquelles l'Autorité a identifié des risques locaux de superposition inefficace sont listées en annexe.
Dès lors, la possibilité d'articulation avec des déploiements tiers sans remettre en cause les engagements pris est un besoin indispensable.
A cet effet, la proposition d'engagements d'Orange prévoit une clause permettant l'articulation avec des déploiements tiers sur le périmètre de ses engagements. Ainsi, il écrit :
« Enfin, Orange précise qu'il souhaite éviter autant que faire se peut des déploiements en doublon des réseaux sur les zones AMII non contractualisées (zone de collision). Ainsi, dans l'hypothèse ou un autre opérateur prendrait des engagements de force identique à ceux proposés par Orange, nous pourrions choisir dans le respect des règles de concurrence de ne pas déployer et même cofinancer à terme ces réseaux. Orange pourrait même envisager de céder une partie des raccordements qu'elle a déjà opérés si cela s'avérait nécessaire pour assurer la cohérence sur ces zones. »
Cette disposition apparaît pertinente pour répondre au besoin indispensable de concilier respect des engagements pris et bonne articulation des déploiements. L'Autorité note par ailleurs que cette clause est compatible avec un repartage visant à additionner les capacités industrielles et accélérer les déploiements, dès lors que l'opérateur concerné reprendrait des engagements calendaires au moins aussi ambitieux.
Au-delà de cette clause qui limite à la prise par un autre opérateur d'engagements « de force identique » aux siens les cas où Orange ne déploierait pas lui-même dans des zones qui ne sont pas déployées aujourd'hui, il serait souhaitable qu'Orange évite toute superposition inefficace engendrée par la duplication de réseaux déjà existants ou en cours de déploiement significatif, en particulier compte tenu des obligations de mutualisation et de complétude - rappelées en section 2 - auxquelles ces réseaux sont soumis.
En tout état de cause, il est indispensable qu'Orange tienne l'Arcep informée concernant les territoires où une articulation des déploiements est nécessaire, de l'état de ses discussions locales avec les autres opérateurs présents et in fine de la solution trouvée pour éviter une superposition inefficace des réseaux.
3.3. Deux engagements à deux échéances : fin 2020 et fin 2022
Orange s'engage sur deux échéances fermes pour l'ensemble du périmètre géographique de sa proposition d'engagements :
- premièrement, à fin 2020, avoir rendu « raccordables » (9) ou « raccordables à la demande, c'est-à-dire éligibles commercialement à une offre FttH et pouvant bénéficier d'un raccordement sous 6 mois » tous les locaux (logements et locaux professionnels) des communes précisées ci-avant, avec au plus 8 % de locaux « raccordables à la demande » au global ;
- deuxièmement, à fin 2022, avoir rendu « raccordables » tous les locaux de ces mêmes communes.
L'Arcep note en premier lieu qu'Orange s'engage à avoir complètement terminé ses déploiements sur le périmètre géographique détaillé ci-avant à fin 2022, puisque tous les locaux des communes concernées seront raccordables (sauf le cas échéant du fait du refus des propriétaires ou copropriétés concernés). Cette date est cohérente avec la cible du plan France Très Haut Débit de 100 % très haut débit à fin 2022.
Par ailleurs, l'Autorité constate qu'Orange ajoute un deuxième engagement, qui consiste à rendre tous les locaux « raccordables » ou « raccordables à la demande » à fin 2020, dans la limite de 8 % de locaux « raccordables à la demande ». Un local « raccordable à la demande » peut être rendu « raccordable » sous 6 mois par Orange si un opérateur en fait la demande pour le compte d'un client l'occupant. Ainsi, cet engagement, s'il est respecté, permettra à l'ensemble des habitants du périmètre géographique défini par Orange d'être éligibles au FttH à cette date.
Pour que cette éligibilité soit effective, il importe qu'Orange respecte le délai de 6 mois annoncé pour rendre « raccordable » un local « raccordable à la demande » après commande d'un opérateur. À cet égard, au vu du rythme annuel de déploiements d'Orange, le taux maximal de 8 % de raccordables à la demande sur l'ensemble du périmètre des engagements semble conduire à un nombre de locaux raccordables à la demande globalement compatible avec le délai de 6 mois annoncé pour effectuer la pose des points de branchements optiques.
Ce taux de 8 % de locaux raccordables à la demande s'appréciera à l'échelle du périmètre géographique global des engagements. Apprécié au niveau de la commune, il paraît acceptable que le taux de « raccordables à la demande » puise varier d'une commune à l'autre, pour permettre une certaine flexibilité à Orange. Toutefois, il importera qu'Orange veille à ce que pour chaque commune, il ne s'écarte pas trop de la moyenne de 8 %, autant dans un souci d'équité territoriale que pour des questions opérationnelles, afin de garantir sa capacité à effectivement rendre raccordables les locaux « raccordables à la demande » dans un délai de 6 mois. De manière similaire, il importe également que les locaux à usage professionnel ne soient pas surreprésentés dans les locaux « raccordables à la demande ».
Ces engagements, dès lors qu'ils seraient acceptés et rendus opposables, viendraient s'ajouter à l'obligation de complétude qui s'applique à tout opérateur déployant des lignes à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné et rappelée en section 2.2. Ainsi, en considérant les engagements à fin 2020 et fin 2022 d'Orange :
- pour une zone arrière de point de mutualisation déclarée en 2013, l'obligation de complétude au terme de 2 à 5 ans selon les circonstances locales interviendra et produira ses effets en tout état de cause avant les échéances de 2020 et 2022 ; l'échéance de 2020, moins exigeante que l'obligation de complétude, ne produirait pas d'effet ; l'échéance de 2022 imposerait à Orange de rendre « raccordables » les éventuels locaux « raccordables sur demande » résiduels (10) ;
- pour une zone arrière de point de mutualisation qui ne serait déclarée qu'en 2019, l'échéance de 2020 interviendra et s'imposera avant l'obligation de complétude ; selon les circonstances locales, l'échéance de 2022 pourra également intervenir et s'imposer avant le terme du délai réglementaire de complétude.
3.4. Le rythme des déploiements sous-jacents aux engagements
Orange propose, dans son courrier du 20 février 2018, à titre indicatif, une courbe de déploiement indiquant annuellement le nombre de locaux rendus raccordables et raccordables à la demande par Orange sur un périmètre comprenant les réseaux déployés en propre par Orange, aussi bien en zones très denses et qu'en zones moins denses (sur le périmètre de la proposition d'engagements). D'une part, ces chiffres ne permettent pas d'isoler le rythme de déploiement prévu par Orange sur l'ensemble des communes pour lesquelles elle souhaite s'engager au titre de l'article L. 33-13 du CPCE (la courbe recouvrant l'ensemble de la zone privée y compris les zones très denses) et, d'autre part, cette courbe n'a pas été mise à jour dans le courrier du 31 mai 2018, et ce alors même que le périmètre géographique des engagements et donc le nombre total de locaux à rendre « raccordables » ou « raccordables sur demande » y a été modifié.
Comme elle l'avait souligné dans son avis rendus au Sénat, l'Autorité confirme que le rythme de déploiement indiqué par Orange suppose une accélération très notable par rapport au rythme actuel (1,7 et 1,8 million de locaux rendus raccordables en 2016 et 2017 respectivement) de ses déploiements, à savoir environ 3 millions de locaux [en moyenne] à rendre raccordables chaque année de 2018 à 2020 inclus.
En outre, les estimations d'Orange concernant les lignes FttH rendues « raccordables » et « raccordables sur demande » par année sont établies « sur la base des données logements 2013 de l'Insee ». L'estimation de l'Autorité est que le nombre de locaux à rendre raccordables pour assurer la complétude d'une commune donnée sera généralement plus élevé que le nombre de logements 2013 estimés par l'Insee pour cette même commune.
Dès lors, l'Arcep invite le Gouvernement à demander à Orange la mise à jour de sa courbe de déploiement indicative, avant d'accepter ses engagements, en y distinguant le périmètre des zones très denses et le périmètre géographique de sa proposition d'engagements.
Le graphique ci-après présente les déploiements observés d'Orange en zones très denses et sur le périmètre géographique de sa proposition d'engagements, ainsi que les projections établies par l'Autorité en utilisant le périmètre géographique défini par Orange et une estimation des nombres de locaux cibles établie à partir des données de logements et d'établissements professionnels les plus récents fournis par l'Insee. On observe que l'accélération devra être significative : Orange doit en effet désormais doubler son effort pour atteindre l'objectif fixé.
Vous pouvez consulter l'intégralité du texte avec ses images à partir de l'extrait du Journal officiel électronique authentifié accessible en bas de page
Sur cette base, l'Arcep expose ci-dessous une simulation indicative du rythme annuel à tenir sur les prochaines années :
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4. Les observations de l'Arcep sur la proposition d'engagements d'Orange
Comme vu précédemment, Orange propose de prendre des engagements opposables qui témoignent de ses ambitions de couverture FttH, avec 100 % des locaux raccordables ou raccordables à la demande au FttH à fin 2020 et 100 % des locaux raccordables à fin 2022 pour 2 978 communes des zones moins denses, et qui sont de nature à contribuer à l'aménagement et à la couverture des zones peu denses du territoire par les réseaux de communications électroniques et à favoriser l'accès des opérateurs à ces réseaux.
L'Arcep salue cette proposition d'engagements qui rend juridiquement opposables le périmètre et le calendrier du déploiement de la fibre optique jusqu'à l'abonné dans les zones concernées, permettant à l'Autorité de sanctionner les éventuels manquements qui seraient constatés, dans les conditions prévues à l'article L. 36-11 du CPCE.
La proposition d'engagements d'Orange appelle les observations suivantes de la part de l'Autorité.
4.1. La clause de sortie des engagements
Orange introduit dans son courrier le principe d'une clause, dont il détaille les modalités dans sa proposition d'engagements, lui permettant de se voir délier de ses engagements, en cas de modifications réglementaires, tarifaires ou de son accord avec SFR ayant un impact substantiellement négatif sur son plan d'affaires :
« Nos engagements sont pris en considération du cadre réglementaire en vigueur au 1er janvier 2018 applicable au FttH et en particulier ses décisions n° 2010-1312, n° 2013-1475, n° 2015-0776 et ses recommandations du 22 décembre 2009 et 7 décembre 2015, des conditions tarifaires actuelles des offres de cofinancement hors zones très denses et de l'accord de mise en cohérence des déploiements en dehors des zones très denses conclu avec SFR en novembre 2011, cadre général sur lequel repose le plan d'affaires d'Orange.
« Ces engagements sont ainsi proposés sous la réserve de la pérennité du cadre général ci-dessus précisé, ou à tout le moins sous la réserve de l'absence d'un impact substantiellement négatif de toute modification de ce cadre général sur le plan d'affaires d'Orange. Toute modification de ce cadre général ouvre le droit pour Orange de demander la tenue d'une réunion au cours de laquelle Orange présenterait à des représentants du Gouvernement et de l'Arcep les raisons qui le conduisent à envisager de reconsidérer tout ou partie des engagements ici proposés à l'aune de l'impact sur son plan d'affaires de cette modification. Cette réunion devra se tenir au plus tard 30 jours suivant le jour de la formulation par Orange d'une telle demande. Au plus tard dans les deux mois suivant la demande de convocation de ladite réunion, Orange se réserve le droit de reconsidérer tout ou partie des susdits engagements dès lors qu'elle aura démontré l'impact substantiel sur son plan d'affaires desdites modifications, sans préjudice des pouvoirs de sanctions de l'Arcep, et le cas échéant, sous le contrôle du juge. »
Il semble naturel que dans le cadre de ses engagements Orange souhaite se prémunir d'aléas imprévisibles. Dans ces conditions, il appartiendra au Gouvernement et à l'Arcep d'apprécier l'existence de conséquences substantiellement négatives sur le plan d'affaires d'Orange avant toute modification éventuelle des engagements.
En tout état de cause, il est utile de noter que le cadre législatif et réglementaire a vocation à se préciser et pourra donc évoluer, notamment à la suite de la transposition en droit français du cadre européen dont le réexamen est en cours. Par ailleurs, l'Arcep peut être amenée à préciser l'application du cadre réglementaire en vigueur, notamment par des recommandations ou à se prononcer, lorsqu'elle est saisie, dans le cadre de décisions de règlement de différend au titre de l'article L. 36-8 du CPCE.
4.2. Conditions opérationnelles des engagements
Orange indique dans son courrier que :
« Une rupture d'approvisionnement de fibre optique et/ou de ressources en main d'œuvre qualifiée en quantité finie peut constituer un cas de force majeure ».
Il semble également naturel que dans le cadre de ses engagements, Orange souhaite se prémunir de conditions anormales et imprévues sur le marché de l'approvisionnement en câbles de fibre optique ou sur le marché du travail, l'Autorité constate que de telles tensions existent d'ores et déjà aujourd'hui sur ces marchés. Dans ces conditions, il convient qu'Orange ne se prémunisse que de tensions encore plus fortes, sauf à constater que les conditions des engagements proposés ne sont dès aujourd'hui pas remplies.
En toute hypothèse, il conviendra, avant que le Gouvernement ne décide d'accepter la proposition d'engagements et de les rendre opposables, qu'Orange transmette au Gouvernement et à l'Arcep les éléments de son scénario nominal (11), sur la base desquels un éventuel durcissement supplémentaire des conditions pourra être constaté par la suite. Le Gouvernement pourra également demander à Orange de produire tous les éléments mis en œuvre pour se prémunir de tels aléas ou ceux qu'il entend mettre en œuvre. Enfin, et selon la même logique que précédemment, il appartiendra au Gouvernement et à l'Arcep d'apprécier les conséquences d'une éventuelle rupture d'approvisionnement de fibre optique et/ou de ressources en main d'œuvre qualifiée, avant toute modification des engagements.
4.3. Le suivi de la réalisation des déploiements
Comme détaillé en section 3.4, les engagements proposés par Orange ne pourront être tenus qu'avec une accélération renouvelée et prolongée de son effort industriel.
L'Arcep restera très attentive au rythme des déploiements d'Orange et à leur cohérence avec l'atteinte des engagements proposés à fin 2020 et fin 2022. Comme le précise Orange lui-même, l'Autorité pourra prendre toutes les mesures nécessaires dès lors que les réalisations ne suivraient pas le rythme nécessaire pour atteindre ces échéances : « A cet égard, Orange rappelle que l'ARCEP peut accéder aux informations sur l'état de nos déploiements (fichiers IPE) et dispose des pouvoirs permettant le suivi des présents engagements, y compris de leur trajectoire (enquête administratives et mises en demeure) ».
4.4. La déclinaison locale des engagements
L'Arcep constate que les engagements proposés par Orange ne sont pas détaillés au niveau local.
Or, déployer des réseaux à très haut débit en fibre optique jusqu'à l'abonné représente un chantier de travaux longs et complexes ; ces travaux nécessitent une coordination de l'ensemble des acteurs à une maille fine du territoire afin de prendre en compte les circonstances locales et s'assurer notamment de la mobilisation des services de voirie. À cet effet, le Gouvernement a encouragé, via le plan France Très Haut Débit, la signature de conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) entre opérateurs, collectivités territoriales et l'Etat. En effet, il est primordial que les collectivités puissent maintenir une relation étroite avec l'opérateur assurant le déploiement et bénéficient de sa part d'une information précise sur l'état d'avancement et les projets de déploiements. Ces conventions, et en particulier les comités de suivi qui permettent de s'assurer de leur bonne exécution, demeurent l'outil adéquat pour répondre aux besoins de concertation, de partage d'information et de facilitation des déploiements nécessaires au bon déroulement des travaux.
Il importe ainsi que les engagements proposés soient traduits dans les conventions de programmation et de suivi des déploiements (CPSD) déjà conclues ou restant à conclure localement.
Ainsi qu'Orange l'annonce dans son courrier, il conviendra qu'il propose à toutes les communes concernées une CPSD mise à jour, visant à informer les collectivités concernées de leur calendrier prévisionnel pluriannuel de démarrage des déploiements FttH à la maille de la commune ainsi que des volumes prévisionnels annuels de locaux déployés, à la maille du périmètre de la convention, cohérents avec le rythme de déploiement national indiqué dans les engagements. L'Autorité estime souhaitable que la mise à jour intervienne au plus tard 6 mois à compter de l'acceptation des engagements par le ministre chargé des communications électroniques.
Ces calendriers locaux devront être transmis dans leur détail et sans délai au Gouvernement et à l'Autorité.
Ces conventions de programmation et de suivi des déploiements permettront d'informer localement les collectivités et les représentants de l'Etat du déploiement des réseaux FttH. Le contrôle de l'Arcep, quant à lui, s'effectuera sur le périmètre géographique global des 2 978 communes pour lequel Orange propose des engagements : c'est-à-dire que l'Autorité appréciera l'atteinte des taux de 100 % de raccordables ou raccordables à la demande, d'au plus 8 % de raccordables à la demande et de 100 % de raccordables pour le périmètre géographique de ces engagements dans son ensemble.
5. Conclusion
L'Arcep se félicite qu'Orange propose de prendre des engagements juridiquement opposables relatifs à ses ambitions de couverture FttH, comme l'Autorité y avait invité les opérateurs dans son avis rendu au Sénat. Ces engagements conduiraient Orange, sur un périmètre de 2 978 communes en dehors des zones très denses, à rendre 100 % des locaux raccordables ou raccordables à la demande en FttH à fin 2020, avec moins de 8 % de locaux raccordables à la demande (devant être rendus raccordables dans un délai de 6 mois après une demande), et 100 % des locaux raccordables à fin 2022.
À la suite de l'étude des engagements proposés, l'Autorité porte un avis positif sur la proposition d'engagements au titre de l'article L. 33-13 du CPCE de la société Orange.
L'Autorité formule, dans ce cadre, plusieurs observations, portant sur :
- la formulation de la clause de sortie ;
- la référence aux conditions opérationnelles ;
- le suivi du calendrier de déploiements ;
- la déclinaison locale des engagements.
L'Autorité restera, dans l'hypothèse où le ministre accepterait ces propositions d'engagements, vigilante quant à leur réalisation et en rendra compte régulièrement, y compris dans le cadre de son observatoire trimestriel des déploiements des réseaux à haut et très haut débit fixe.
Concernant la référence aux conditions opérationnelles, il conviendra, avant que le Gouvernement ne décide d'accepter la proposition d'engagements et de les rendre opposables, qu'Orange transmette au Gouvernement et à l'Arcep des données complémentaires concernant les éléments de son scénario nominal.
Concernant les 8 communes où Orange et SFR s'engagent partiellement à déployer, il conviendra que Orange transmette, dans les meilleurs délais et si possible avant que le Gouvernement ne décide d'accepter la proposition d'engagements, au Gouvernement et à l'Arcep le découpage desdites communes présentant les parties de ces communes sur lesquelles porte l'engagement (cf. partie 3).