Après en avoir délibéré le 18 avril 2017,
Formule l'avis suivant :
L'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques (CPCE) prévoit que l'ARCEP est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques, et participe à leur mise en œuvre.
Par un courrier en date du 21 mars 2017, le directeur général des entreprises a saisi l'ARCEP d'une demande d'avis sur le projet de décret relatif au service de recommandé électronique pris en application de l'article L. 100 du CPCE, créé par l'article 93 de la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique.
1. Contexte de la saisine
L'adoption du règlement eIDAS le 23 juillet 2014 par le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne a permis de poser les bases d'une mise en œuvre sécurisée du service de lettre recommandée électronique en Europe, en définissant le service d'envoi recommandé électronique qualifié et en précisant les exigences techniques applicables afin de garantir la sécurité des échanges par voie électronique.
En France, l'ANSSI (Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information) définit les modalités techniques permettant le respect des exigences du règlement eIDAS et assure la qualification des prestataires de confiance établis sur le territoire français.
La loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016 pour une République numérique a créé un nouvel article L. 100 au CPCE qui prévoit notamment que l'envoi électronique qui satisfait aux exigences de l'article 44 du règlement eIDAS est équivalent à l'envoi par lettre recommandée, que le destinataire non professionnel doit avoir exprimé à l'expéditeur son consentement à recevoir des envois recommandés électroniques et que le prestataire peut proposer que le contenu de l'envoi soit imprimé sur papier puis acheminé au destinataire dans les conditions fixées au livre Ier du CPCE sur le service postal. Le II de cet article dispose qu'« un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article, notamment :
« 1° Les exigences requises en matière :
a) D'identification de l'expéditeur et du destinataire ;
b) De preuve du dépôt par l'expéditeur des données et du moment de ce dépôt ;
c) De preuve de la réception par le destinataire ou son mandataire des données transmises et du moment de cette réception ;
d) D'intégrité des données transmises ;
e) De remise, le cas échéant, de l'envoi recommandé électronique imprimé sur papier ;
2° Les informations que le prestataire d'un envoi recommandé électronique doit porter à la connaissance du destinataire ;
3° Le montant de l'indemnité forfaitaire due par le prestataire dont la responsabilité est engagée, en cas de retard dans la réception, de perte, extraction, altération ou modification frauduleuse des données transmises lors de la prestation ».
Le projet de décret dont l'ARCEP est saisie pour avis vise à fixer ces modalités d'application.
2. Sur le projet de décret
Par le présent avis, l'ARCEP vise à apporter des précisions d'ordre technique en ce qui concerne notamment les exigences applicables à la lettre recommandée électronique remise sous format électronique, l'équivalence de la lettre recommandée électronique avec la lettre recommandée papier et la distribution postale de la lettre recommandée électronique imprimée sur papier.
2.1. Sur les exigences applicables à la lettre recommandée électronique remise sous format électronique
Le dernier alinéa de l'article R. 53-4 prévoit que « lorsque le destinataire a désigné un mandataire, son identification s'effectue conformément aux dispositions du présent article ». L'Autorité s'interroge sur la mise en œuvre de cette disposition, en particulier concernant les modalités de désignation du mandataire et l'information fournie dans ce cadre l'expéditeur et au prestataire de services de lettre recommandé électronique.
2.2. Sur l'équivalence de la lettre recommandée électronique avec la lettre recommandée papier
Sur l'information de l'expéditeur en ce qui concerne la distribution de l'envoi :
Le projet de décret transmis à l'Autorité prévoit au 2e alinéa du II de l'article R. 53-7 que « le prestataire conserve une preuve de la réception par le destinataire, ou par son mandataire, des données transmises et du moment de la réception ». Toutefois, aucune information de l'expéditeur n'est prévue en ce qui concerne la bonne distribution de l'envoi.
Dans un souci de similarité avec la lettre recommandée postale qui prévoit le principe d'un avis de réception optionnel, l'Autorité propose que le texte prévoie la possibilité pour l'expéditeur de demander à être informé de la bonne remise de l'envoi. Cela peut prendre éventuellement la forme d'une option payante comme c'est le cas pour l'avis de réception de la lettre recommandée postale dont les caractéristiques sont précisées à l'article 7 de l'arrêté du 7 février 2007 susvisé.
Sur l'anonymat de l'expéditeur :
Le projet de décret prévoit un nouvel article R. 53-7 du CPCE en vertu duquel, avant sa transmission, « le destinataire n'est pas informé de l'identité de l'expéditeur de la lettre recommandée électronique ». L'Autorité souligne que le fait de ne pas révéler l'identité de l'expéditeur d'un envoi recommandé non encore distribué est conforme à l'usage des opérateurs postaux et notamment aux Conditions spécifiques de vente applicables à la Lettre recommandée Nationale et à l'envoi prioritaire recommandé international de La Poste. Toutefois, il ne s'agit pas d'une obligation prévue par les textes.
Dans ce contexte et dans un souci d'harmonisation de la lettre recommandée postale et de la lettre recommandée électronique, l'Autorité recommande que les modalités concernant la divulgation ou non de l'identité de l'expéditeur soient harmonisées pour les deux régimes.
Sur les informations transmises à l'expéditeur en cas de refus ou de non réclamation par le destinataire d'une lettre recommandée électronique :
L'Autorité relève que les informations transmises à l'expéditeur en cas de refus d'une lettre recommandée électronique, prévues au premier alinéa du III de l'article R. 53-7, renvoient aux 1° à 3° de l'article R. 53-5 et ne comprennent pas l'identité de de la personne ayant refusé l'envoi. Or, ce point est important pour la complétude du document, notamment en cas d'action en justice. L'Autorité propose donc que les informations transmises à l'expéditeur en cas de refus de l'envoi comprennent également les informations listées au 2° de l'article R. 53-2.
Par ailleurs, à l'alinéa suivant de l'article R. 53-7 III, il est prévu que « en cas de non-réclamation de la lettre recommandée électronique, le prestataire met à la disposition de l'expéditeur une preuve de non-réclamation, au plus tard le lendemain de l'expiration du délai prévu au I du présent article. Cette preuve comporte les informations prévues aux 1 ° à 3° de l'article R. 53-4 ». Or les dispositions visées de l'article R. 53-4 portent sur les exigences relatives à la vérification initiale de l'identité de l'expéditeur. L'Autorité propose donc que cette disposition soit modifiée pour prévoir que les informations transmises à l'expéditeur en cas de non-réclamation de l'envoi soient identiques à celles transmises en cas de refus de l'envoi
2.3. Sur la distribution postale de la lettre recommandée électronique imprimée sur papier
Sur le choix entre lettre recommandée électronique remise sous format électronique et lettre recommandée électronique imprimée sur papier :
L'article R. 53-8 du projet de décret prévoit que « dans le cas où l'expéditeur ou le destinataire non professionnel ont demandé la distribution de la lettre recommandée électronique imprimée sur papier ; 1° Le prestataire de service de recommandé électronique s'assure du respect des exigences déclinées dans les articles R. 53-1, R. 53-2 et R. 53-4 du présent code ; 2° Le prestataire chargé de l'acheminement procède à l'impression sur papier de la lettre recommandée électronique et à sa mise sous enveloppe ».
L'Autorité souligne le fait qu'une demande d'impression d'une lettre recommandée électronique est susceptible de prolonger le délai avant le moment où le destinataire est réputé notifié. Le destinataire étant supposé avoir donné son accord pour recevoir des envois recommandés électroniques, l'Autorité s'interroge sur la pertinence de ce projet de disposition et propose que seul l'expéditeur soit en mesure de demander une impression d'un envoi recommandé électronique. Si le Gouvernement estime nécessaire de laisser ce choix au destinataire, il conviendrait de veiller à ce que la demande de matérialisation de la part du destinataire ne puisse intervenir que lorsque l'envoi recommandé électronique a été accepté par voie électronique par le destinataire qui est donc réputé notifié. Dans ce cas, et en parallèle de la remise de la lettre recommandée au format électronique, l'envoi au format papier interviendrait sous la forme d'un courrier simple non recommandé.
Par ailleurs, lorsque l'expéditeur demande une matérialisation de l'envoi, l'Autorité estime qu'il est préférable de préciser que la demande doit intervenir au moment de l'achat du service et que les prestations de « lettre recommandée électronique » et « lettre recommandée électronique imprimée sur papier » fassent l'objet de deux offres distinctes dans la gamme des opérateurs.
Sur les modalités de distribution de la lettre recommandée électronique imprimée sur papier :
L'article R. 53-8 du CPCE tel que prévu par le projet de décret prévoit qu'« au moment de la remise de la lettre recommandée électronique imprimée sur papier à son destinataire, le prestataire de services postaux consigne sur la preuve de distribution les informations figurant à l'article R. 53-7, ainsi que : 1° Le nom et le prénom du destinataire ou de son mandataire ayant accepté l'envoi imprimé sur papier ; 2° Une preuve d'identité ; 3° La date de remise ; 4° Le cas échéant, la date de présentation ; 5° Le numéro d'identification unique de l'envoi imprimé sur papier ».
En outre, les modalités de distribution des lettres recommandées électroniques distribuées au format papier telles que prévues par le projet de décret divergent des conditions prévues au livre I du CPCE, notamment en ce qui concerne la vérification de l'identité du destinataire. En effet, l'article 4-1 de l'arrêté du 7 février 2007 ne prévoit pas une vérification systématique de la pièce d'identité « si la personne qui accepte l'envoi a déjà précédemment justifié de son identité à l'adresse », alors que le projet de décret semble prévoir une vérification systématique.
Une divergence des procédures de distribution ne semble pas s'inscrire en cohérence avec les dispositions de l'article L. 100 du CPCE qui dispose que « le prestataire peut proposer que le contenu de l'envoi soit imprimé sur papier puis acheminé au destinataire dans les conditions fixées au livre Ier du [CPCE] ». Il conviendrait donc que le projet de décret prévoie que les lettres recommandées électroniques distribuées au format papier soient distribuées dans les mêmes conditions que celles prévues par les articles 4, 4-1, 5, 6 et 7 de l'arrêté du 7 février 2007 pris en application de l'article R. 2-1 du code des postes et des communications électroniques et fixant les modalités relatives au dépôt et à la distribution des envois postaux.
Sur la preuve de distribution des envois distribués au format papier :
L'Autorité relève que le projet de décret prévoit un nouvel article R. 53-7 du CPCE en vertu duquel le prestataire de service de recommandé électronique conserve une preuve de la réception par le destinataire, ou par son mandataire, des données transmises et du moment de la réception. Le projet de décret ne prévoit en revanche pas de transmission d'information au prestataire de service de recommandé électronique qui a contractualisé avec l'expéditeur dans le cas des envois distribués au format papier de la part de l'opérateur de services postaux effectuant la distribution. Dans ces conditions, l'opérateur de lettre recommandée électronique ne peut matériellement conserver une preuve de distribution.
Le projet de décret devrait ainsi prévoir l'obligation pour le prestataire chargé de la distribution des lettres recommandées au format papier de transmettre une copie de la preuve de distribution à l'opérateur de lettres recommandées électroniques afin que celui-ci puisse à son tour conserver une preuve de la réception de l'envoi tel que prévue par l'article R. 53-7.
Sur les lettres recommandées électroniques imprimées sur papier à destination de l'étranger :
Le projet de décret prévoit d'insérer dans le CPCE un nouvel article R. 53-8 en vertu duquel « la distribution de la lettre électronique imprimée sur papier est assurée par un prestataire de services postaux autorisé dans les conditions fixées à l'article L. 3 du [CPCE] ».
L'Autorité propose au Gouvernement de reformuler cette disposition afin qu'elle puisse s'appliquer autant aux envois intérieurs qu'aux envois transfrontières. Il s'agirait de supprimer cet alinéa et de reformuler le 2° de l'article R. 53-8 de la façon suivante : « le prestataire chargé de l'acheminement procède à l'impression sur papier de la lettre recommandée électronique, à sa mise sous enveloppe et à sa transmission à un prestataire de services postaux autorisé au titre de l'article L. 3 du présent code, en vue de sa distribution. »
3. Observations finales
L'Autorité souligne que les modalités d'application de l'envoi recommandé électronique doivent permettre à de nouveaux opérateurs de proposer des services innovants pouvant différer de ce qu'offre la lettre recommandée postale telle qu'elle existe aujourd'hui. Dans ce contexte, l'Autorité attire l'attention du Gouvernement sur l'importance de ne pas mettre en place un dispositif règlementaire qui créerait des barrières au développement de nouveaux acteurs potentiels.
Le présent avis sera transmis au directeur général des entreprises. Il sera publié au Journal officiel de la République française.