Après en avoir délibéré en formation de règlement des différends, de poursuite et d'instruction le 12 décembre 2017,
1. Introduction
1.1. Contexte et périmètre de la décision de 2012
1.1.1. Rappel des objectifs poursuivis par l'ARCEP
Les prestations d'interconnexion et d'acheminement de données étant au cœur du fonctionnement technique de l'internet, l'ARCEP a conduit depuis 2010 des travaux, qualitatifs et quantitatifs, de nature à améliorer sa connaissance et sa compréhension de ces marchés, notamment :
- la préparation d'un questionnaire informel portant sur les conditions techniques et tarifaires de l'interconnexion et de l'acheminement de données ayant abouti à une première collecte d'informations (début 2011) ;
- l'organisation d'un cycle de réunions bilatérales avec des opérateurs et des FSCPL (3) (mi-2011) ;
- la participation active au groupe de travail de l'ORECE (4) sur l'interconnexion IP et aux ateliers ORECE/OCDE (depuis 2011) ;
- une étude externe portant sur l'élaboration d'une vision prospective des marchés de l'interconnexion et de l'acheminement de données (fin 2011) ;
- une analyse de l'écosystème de l'internet et des marchés de l'interconnexion de données, réalisée dans le cadre de son rapport sur la neutralité de l'internet remis au Parlement et au Gouvernement en septembre 2012.
Ces différents travaux ont conduit l'ARCEP à mettre en œuvre l'une des recommandations de son rapport de septembre 2010 sur la neutralité de l'internet et des réseaux (5), à savoir la création d'un dispositif de collecte périodique d'information lui permettant d'approfondir sa connaissance des marchés de l'interconnexion et de l'acheminement de données. Ainsi l'Autorité a été à même de remplir pleinement les nouvelles missions qui lui ont été confiées par le législateur en matière de régulation de ces marchés et de supervision de la qualité du service d'accès à l'internet.
1.1.2. La décision n° 2012-0366
Le 29 mars 2012, l'ARCEP a adopté la décision n° 2012-0366 instaurant une collecte périodique d'informations sur les conditions techniques et tarifaires de l'interconnexion et de l'acheminement de données. Afin de garantir le caractère raisonnable et proportionné du dispositif, l'ARCEP avait circonscrit le périmètre de collecte aux seules parties impliquées dans des relations d'interconnexion ou d'acheminement de données susceptibles d'influer significativement sur la fourniture aux utilisateurs situés en France de services de communication au public en ligne (FSCPL).
L'ARCEP avait à cet effet distingué deux catégories d'acteurs susceptibles d'être visés par la décision, parmi ceux détenant au moins un système autonome (ci-après AS) (6) interconnecté avec au moins deux autres systèmes autonomes :
Catégorie 1 :
- les opérateurs de communications électroniques soumis à l'obligation de se déclarer auprès de l'ARCEP au titre de l'article L. 33-1 du CPCE ;
Catégorie 2 :
- les opérateurs de communications électroniques n'appartenant pas à la catégorie 1, qui disposent d'une relation d'interconnexion de données avec au moins un opérateur de communications électroniques appartenant à la catégorie 1 ;
- les FSCPL qui disposent, pour l'acheminement de données, d'une relation directe avec au moins un opérateur de communications électroniques appartenant à la catégorie 1 et qui ont engagé une démarche active afin que leurs services ou contenus soient utilisés ou consultés par des utilisateurs finals situés en France.
Prenant en compte les réserves exprimées par plusieurs acteurs à l'occasion de la consultation publique qu'elle a organisée, l'ARCEP a décidé de ne pas soumettre cette seconde catégorie d'acteurs à l'obligation de répondre périodiquement au questionnaire. Néanmoins, elle a estimé qu'il pourrait être nécessaire d'interroger ponctuellement ces acteurs, sur la base des réponses obtenues auprès des acteurs de la catégorie 1, afin de vérifier et de compléter celles-ci.
Par ailleurs, la décision n° 2012-0366 précise que les acteurs visés par la décision ont la possibilité de limiter les informations renseignées dans leurs réponses à un nombre déterminé de relations pertinentes d'interconnexion ou d'acheminement de données. Ainsi, pour un AS donné, seules sont requises les informations portant sur les principales relations d'interconnexion ou d'acheminement de données, à savoir celles impliquant :
- les 20 principaux partenaires en termes de capacité globale d'interconnexion ou d'acheminement de données (tous points / sites confondus) ;
- les partenaires au-delà du 20e partageant une capacité globale d'interconnexion ou d'acheminement de données supérieure ou égale à 1 Gbit/s avec l'AS concerné et détenant des AS marqués « FR » ou « EU » (7) dans la base de données du RIPE (8).
S'agissant des informations collectées, il était demandé aux répondants de fournir les informations sur les caractéristiques des relations (coordonnées de la personne physique ou morale concernée, date d'établissement, localisation des interconnexions ou branchements, conditions tarifaires, capacité, etc.) ainsi que des statistiques sur le trafic (entrant et sortant).
1.1.3. La décision modificatrice n° 2014-0433-RDPI
A l'issue d'un bilan du dispositif de collecte d'informations instauré par la décision n° 2012-0366, l'ARCEP a retenu plusieurs points d'ajustement de cette décision.
a) Précision concernant les indicateurs de capacité demandés :
Trois types de capacités peuvent être mesurés : les capacités contractuellement négociées entre les acteurs (capacités négociées), les capacités installées et les capacités réellement disponibles après paramétrage matériel et logiciel (capacités paramétrées). En effet, en matière d'interconnexion et d'acheminement de données entre acteurs de l'internet, il résulte des usages et des pratiques développés par la communauté d'internet, que les capacités d'interconnexion maximales, qui ont été contractuellement fixées entre les deux acteurs (capacités négociées), ne sont pas nécessairement effectivement installées dans leur totalité dès la conclusion de l'accord. Ces capacités installées sont ensuite susceptibles de faire l'objet de paramétrage matériel ou logiciel permettant ainsi à un acteur donné de gérer de manière dynamique le dimensionnement des interfaces d'interconnexion au cours du temps, notamment pour équilibrer la charge de trafic écoulée par ses différents points d'interconnexion (et donc sur les différents nœuds et liens de son cœur de réseau) ou pour maîtriser le coût des prestations de transit. Ainsi, les capacités paramétrées peuvent être significativement plus faibles que les capacités négociées. Or, l'information la plus importante est celle qui porte sur la capacité réellement disponible à tout moment sur un lien d'interconnexion donné en ce qu'elle traduit, le plus fidèlement, les capacités d'acheminement du trafic pour un acteur. Il a été par conséquent demandé aux acteurs qui mettent en œuvre un paramétrage matériel ou logiciel de renseigner, dans leur réponse au questionnaire, aussi bien les capacités installées que les capacités paramétrées et ce, dans leurs valeurs minimales et maximales atteintes sur la période, ainsi que leurs valeurs moyennes (pondérées sur une base temporelle).
b) Sollicitation ponctuelle d'indicateurs de saturation d'une interconnexion pour le trafic de données :
La qualité de service de l'accès à internet fixe dépend, en partie, de la nature des politiques d'interconnexion adoptées par les différents acteurs en relation dans l'acheminement du trafic de contenu à l'utilisateur final. Ces politiques, qui relèvent des choix de gestion technique et économique d'un réseau et de son dimensionnement, peuvent entraîner d'importantes dégradations de la qualité de service en cas de saturation durable des interfaces d'interconnexion et, plus particulièrement, en ce qui concerne les services ou contenus sensibles à la latence, à la gigue ou à la perte de paquets.
L'ARCEP a estimé nécessaire de disposer d'indicateurs lui permettant de déterminer l'ampleur d'un éventuel sous-dimensionnement des interfaces d'interconnexion. Dans les cas où les informations collectées dans le cadre du questionnaire conduiraient l'Autorité à estimer qu'un lien est saturé (9), il a été décidé qu'elle pourrait recueillir, de manière ponctuelle et sur la base d'une décision prise au titre de l'article L. 32-4 du CPCE, les informations nécessaires pour lui permettre d'apprécier l'ampleur de cette saturation et son étendue dans le temps.
c) Allègements du dispositif de la décision :
L'ARCEP a proposé de réduire le niveau de détail du questionnaire pour ne conserver que les informations strictement nécessaires à l'atteinte de ses objectifs.
Ainsi, afin de limiter l'inflation au cours du temps du nombre de relations renseignées, l'ARCEP a limité les relations concernées à compter de la 20e relation par ordre de capacité globale installée, à celles mobilisant des capacités supérieures ou égales à 2 Gbit/s - soit le double du seuil de 1 Gbit/s fixé initialement.
Pour un AS donné, la décision de 2014 prévoyait ainsi que seules étaient requises les informations portant sur les relations d'interconnexion ou d'acheminement de données impliquant :
- les 20 principaux partenaires en termes de capacité globale installée d'interconnexion ou d'acheminement de données (tous points/sites confondus) ;
- les partenaires au-delà du 20e partageant une capacité globale installée d'interconnexion ou d'acheminement de données supérieure ou égale à 2 Gbit/s avec l'AS concerné et détenant des AS marqués « FR » ou « EU » dans la base de données du RIPE.
Cet ajustement a permis de conserver dans le périmètre du questionnaire les principales relations en termes de capacité mobilisée, tout en allégeant significativement le volume de données fournies par certains opérateurs qui disposent d'un nombre important de relations mobilisant des capacités de 1 Gbit/s.
Par ailleurs, les champs d'informations concernant les noms des AS ainsi que les coordonnées des sociétés partenaires ont été retirés du questionnaire, car publiquement disponibles dans une majorité de cas.
Enfin, la notice explicative a été intégrée au questionnaire pour plus de simplicité et de lisibilité pour les répondants.
1.2. Objet de la présente révision
1.2.1. Enjeux
Les retours d'expérience des dix cycles de collecte d'informations réalisés entre le premier semestre 2012 et le second semestre 2016 ont permis d'identifier plusieurs points susceptibles de faire l'objet d'ajustements.
Dans le cadre de ses activités de surveillance du marché, l'ARCEP a pu confirmer l'importance du dispositif actuel pour l'exercice des pouvoirs de l'ARCEP et déceler certaines tendances de fond sur le marché. Une mise à jour est notamment nécessaire pour prendre en considération la place grandissante des CDN internes dans les réseaux des opérateurs.
Il apparaît par ailleurs que la fréquence de collecte - semestrielle - prévue initialement est adaptée à l'objectif poursuivi par l'Autorité. Elle ne nécessite donc pas d'ajustement.
1.2.2. Cadre juridique applicable
L'objet de la présente décision est d'adapter les catégories d'informations demandées dans le cadre du questionnaire annexé à la décision n° 2012-0366, telle que modifiée par la décision n° 2014-0433-RDPI, ainsi que le nombre de relations renseignées dans ce dernier. Les acteurs concernés par la demande d'informations seront les mêmes que ceux visés dans la décision précitée.
En vertu du III de l'article L. 32-1 du CPCE, l'ARCEP doit notamment prendre, dans des conditions objectives et transparentes, des mesures raisonnables et proportionnées en vue d'atteindre notamment :
« […] 2° La définition de conditions d'accès aux réseaux ouverts au public et d'interconnexion de ces réseaux, qui garantissent la possibilité pour tous les utilisateurs de communiquer librement et l'égalité des conditions de la concurrence ;
3° L'absence de discrimination, dans des circonstances analogues, dans les relations entre opérateurs et fournisseurs de services de communications au public en ligne pour l'acheminement du trafic et l'accès à leurs services ; […]
6° La capacité des utilisateurs finals à accéder à l'information et à la diffuser ainsi qu'à accéder aux applications et aux services de leur choix. »
L'article L. 32-4 du CPCE, tel que modifié par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016 dispose :
« […] l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes [peut], de manière proportionnée aux besoins liés à l'accomplissement de [ses] missions, et sur la base d'une décision motivée :
1° Recueillir auprès des personnes physiques ou morales exploitant des réseaux de communications électroniques ou fournissant des services de communications électroniques les informations ou documents nécessaires pour s'assurer du respect par ces personnes des principes définis aux articles L. 32-1 et L. 32-3, ainsi que des obligations qui leur sont imposées par le présent code ou par les textes pris pour son application ;
2° Recueillir auprès des personnes fournissant des services de communication au public en ligne les informations ou documents concernant les conditions techniques et tarifaires d'acheminement du trafic, y compris de gestion, appliquées à leurs services, notamment en vue d'assurer le respect de la neutralité de l'internet mentionnée au q du I de l'article L. 33-1 ;
[…]
3° Procéder auprès des mêmes personnes à des enquêtes ;
[…] l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes [veille] à ce que ne soient pas divulguées les informations recueillies en application du présent article lorsqu'elles sont protégées par un secret visé aux articles L. 311-5 à L. 311-8 du code des relations entre le public et l'administration. »
Comme l'a confirmé le Conseil d'Etat dans une décision du 10 juillet 2013 (10) dans laquelle il a rejeté des recours dirigés contre la décision n° 2012-0366, l'Autorité dispose du pouvoir de recueillir périodiquement, auprès des opérateurs de communications électroniques et des FSCPL, les informations relatives aux conditions techniques et tarifaires d'interconnexion et d'acheminement de données, de manière proportionnée aux besoins liés à l'accomplissement de ses missions.
2. Principales évolutions de la décision
2.1. Allégement du dispositif de la décision
Au regard des réponses apportées lors de la consultation publique qui s'est déroulée du 16 octobre au 20 novembre 2017, il apparaît proportionné à l'Autorité de viser seulement les relations impliquant :
- les 20 principaux partenaires en termes de capacité globale d'interconnexion ou d'acheminement de données (tous points / sites confondus) ;
- les partenaires au-delà du 20e partageant une capacité globale d'interconnexion ou d'acheminement de données supérieure ou égale à 10 Gbit/s avec l'AS concerné et détenant des AS marqués « FR » ou « EU » (11) dans la base de données du RIPE (12).
2.2. Simplification des indicateurs de capacité
Les réponses aux questionnaires des cycles réalisés entre le second semestre 2014 et le premier semestre 2016 ont permis d'identifier des indicateurs dont le niveau de détail pouvait être ajusté afin de ne conserver que les informations strictement nécessaires à l'atteinte des objectifs de l'Autorité.
Afin de simplifier le questionnaire, l'ARCEP retire les spécifications minimales, maximales et moyennes des capacités (installées et paramétrées) sur le semestre pour ne demander que les capacités (installées et paramétrées) des liens en fin de semestre.
2.3. Demande d'information sur le trafic relatif aux serveurs cache internes (13)
L'ARCEP observe l'augmentation notable du trafic émis depuis des serveurs cache internes, nouveau moyen d'injection de trafic sur le réseau des FAI qui vient s'ajouter aux modes d'interconnexion traditionnels (transit, peering). Ces serveurs qui permettent d'optimiser l'acheminement de données peuvent appartenir aux opérateurs ou aux fournisseurs de contenus tiers. Ils peuvent être localisés dans le réseau de l'opérateur ou en bordure de celui-ci. Les réponses au questionnaire organisé début 2017 ont montré que l'injection interne représente désormais 11% du trafic alimentant les quatre principaux FAI en France.
Ainsi, l'ARCEP estime nécessaire de disposer d'un indicateur lui permettant de déterminer la structure technique et tarifaire du trafic relatif aux serveurs cache internes pour prendre en considération leur place grandissante aux côtés des modes d'interconnexion traditionnels. L'Autorité intègre en conséquence au questionnaire une section dédiée à ce trafic comprenant une question générale sur les conditions techniques et tarifaires proposées aux FCA qui souhaiteraient installer un serveur cache interne dans le réseau du FAI et des indicateurs similaires à ceux collectés par ailleurs sur le transit et le peering (structure tarifaire, capacité, flux échangés, etc. [14]).
Décide :