Après en avoir délibéré le 19 septembre 2017,
1. Cadre juridique
Aux termes des dispositions de l'article 14 1. de la directive postale 97/67/CE modifiée, « Les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour que la comptabilité des prestataires du service universel réponde aux dispositions du présent article. »
En vertu du 2 de ce même article, « Le ou les prestataires du service universel tiennent dans leur comptabilité interne des comptes séparés pour établir une nette distinction entre, d'une part, les services et produits qui font partie du service universel et, d'autre part, les services et produits qui n'en font pas partie. Cette distinction est prise en compte lorsque les Etats membres calculent le coût net du service universel. Cette comptabilité interne se fonde sur l'application cohérente des principes de la comptabilité analytique, qui peuvent être objectivement justifiés. »
Transposant les dispositions de cet article, le 6° de l'article L. 5-2 du CPCE précise que l'ARCEP, « (…) afin de mettre en œuvre les principes de séparation et de transparence des comptes, en particulier pour garantir les conditions de financement du service universel, précise les règles de comptabilisation des coûts permettant la séparation des coûts communs qui relèvent du service universel de ceux qui n'en relèvent pas, établit les spécifications des systèmes de comptabilisation et veille au respect, par le prestataire du service universel, des obligations relatives à la comptabilité analytique fixées dans le décret prévu à l'article L. 2. A ce titre, dans le champ du service universel, l'autorité reçoit communication des résultats des vérifications des commissaires aux comptes, sans que puisse lui être opposé le secret professionnel. Elle fait vérifier annuellement, aux frais du prestataire du service universel, par un organisme qu'elle agrée, compétent et indépendant du prestataire du service universel, la conformité des comptes du prestataire du service universel aux règles qu'elle a établies. Elle publie une déclaration de conformité relative au service universel (…) ».
Aux termes de ces dispositions et du 6° de l'article L. 5-2 du CPCE susvisé, l'ARCEP est donc compétente pour (i) établir les spécifications des systèmes de comptabilisation des coûts et (ii) fixer les règles de comptabilisation des coûts utilisées pour la confection de ces comptes réglementaires.
2. Contexte
En juin 2015, le Gouvernement a demandé à l'ARCEP un avis portant sur la comptabilité réglementaire de La Poste appliquée au compte presse. La demande portait plus précisément sur « les coûts complets relatifs au service public du transport et de la distribution postaux de la presse et de leurs modalités d'imputation ».
A l'occasion de son avis n° 2015-0831 en date du 7 juillet 2015 relatif à la demande du Gouvernement sur les coûts de l'offre de transport et de distribution de la presse de la Poste, l'Autorité a testé, dans le cadre des règles existantes, la sensibilité de l'assiette de coût à certains paramètres de la comptabilité réglementaire. Puis elle a réexaminé les fondements des règles d'allocation de coûts existantes et simulé l'utilisation de règles alternatives, notamment s'agissant de l'allocation des coûts fixes de travaux extérieurs. Elle a conclu que ni ces analyses de sensibilité, ni ces simulations n'ont conduit à une évolution sensible du montant du déficit brut du compte presse, qui resterait très significatif. Elle a toutefois relevé que ces règles ont d'éventuels biais dans les modalités d'allocation des coûts selon la catégorie de poids-format des objets postaux. Les travaux réalisés depuis l'avis au Gouvernement se sont conclus par la mise en consultation le 26 juin 2017 de règles alternatives pour l'allocation des coûts fixes de travaux extérieurs.
La présente décision porte sur les règles d'allocation des coûts fixes de distribution selon la catégorie de poids-format.
3. Modification des règles d'allocation des coûts fixes de distribution selon la catégorie de poids-format de La Poste
3.1. Rappel sur l'allocation actuelle
Les travaux extérieurs correspondent à l'ensemble des tâches de distribution effectuées après les travaux intérieurs, c'est-à-dire à ce qui est couramment désigné par la « tournée du facteur ». Les coûts de la tournée du facteur (hors préparation de la sacoche) représentent une part significative des coûts postaux. L'enjeu de leur allocation, pour les besoin de la comptabilité réglementaire, aux différents produits et services de La Poste est donc important.
Parmi les quatre postes de coûts que l'on dénombre au sein des travaux extérieurs, à savoir le haut-le-pied, le parcours actif, l'arrêt et la remise, seule cette dernière est considérée comme dépendante du volume d'objets distribués. Les trois autres postes sont traditionnellement considérés comme fixes ou, en tous les cas, largement indépendants des volumes distribués. Les coûts fixes de travaux extérieurs correspondent donc au solde entre le total des coûts de travaux extérieurs et les coûts de remise.
Le système d'information de La Poste n'est pas en mesure d'allouer directement les coûts fixes aux produits et service du groupe. La comptabilité réglementaire de l'opérateur utilise par conséquent des inducteurs de coût permettant, sur la base d'une analyse de causalité, d'opérer cette allocation.
Les inducteurs de coûts utilisés s'agissant des coûts des tournées sont :
a) L'urgence : on estime schématiquement qu'un réseau de distribution est principalement dimensionné par la fréquence de distribution qu'il doit assurer. On considère ainsi que six distributions hebdomadaires sont nécessaires pour assurer un service en J + 1, tandis qu'un service en J + 7 pourrait se suffire d'une seule distribution hebdomadaire et, toutes choses étant égales par ailleurs, représenter un coût six fois moindre. La comptabilité réglementaire de La Poste retient trois catégories d'urgence : J + 1, J + 3 et J + 7.
b) Le poids-format : le nombre des objets et leurs caractéristiques influencent les coûts de distribution dans la mesure où le poids total emporté par un facteur rencontre des limites physiques ou légales. Le système de comptabilité réglementaire s'appuie ainsi sur une segmentation en trois catégories de « poids-format » :
- le Petit Format (« PF ») correspondant aux objets d'un poids inférieur à 50 g ;
- le Grand Format (« GF ») correspondant aux objets d'un poids compris entre 50 et 250 g (jusqu'à 350 g pour les objets de presse) ;
- l'Encombrant (« EN ») correspondant aux objets d'un poids supérieur à 250 g (ou à partir de 350 g pour les objets de presse).
La règle d'allocation actuelle utilise un raisonnement de « coût de fourniture isolée » et procède en deux temps :
- dans un premier temps (allocation à l'urgence), le coût commun de distribution est réparti en 60 % - 30 % - 10 % sur les 3 niveaux de service (J + 1, J + 3, J + 7) ; le raisonnement suivi repose sur l'hypothèse que six tournées seraient nécessaires pour distribuer les envois J + 1, trois pour les envois J + 3 et une seule pour les envois J + 7. L'approche en « coût de fourniture isolée » s'appuie sur l'observation que dix tournées seraient nécessaires pour acheminer séparément chacun des niveaux de service alors que leur acheminement conjoint n'en requiert que six. L'économie d'envergure est de 40 %. C'est ce facteur qui est appliqué à chacun des coûts de fourniture isolé ce qui conduit à affecter 3,6 tournées au J + 1, 1,8 au J + 3 et 0,6 au J + 7 ;
- dans un second temps (allocation au poids-format), chacun des trois coûts ainsi déterminés (60 %, 30 % et 10 %) est réparti entre les catégories d'objets PF, GF et EN au prorata du coût de la distribution isolée de chacune de ces catégories. La Poste utilise pour cela un modèle qui simule le coût de la distribution postale.
3.2. Limites de l'allocation au poids-format
Dans son avis n° 2015-0831 en date du 15 décembre 2015 sur la proposition tarifaire de La Poste relative à l'évolution des tarifs postaux des prestations offertes au titre du service public de transport et de distribution de la presse pour l'année 2016 l'ARCEP avait observé qu'« il est incontestable que les coûts fixes de distribution dépendent de la catégorie de poids-format car les moyens à mobiliser pour distribuer des objets encombrants sont plus coûteux que ceux employés pour distribuer des petits objets. Cependant, la hiérarchie des coûts obtenue par cette méthode s'appuie sur la comparaison de coûts de fourniture isolée correspondant à des niveaux de production différents. Elle reflète donc non seulement un coût intrinsèque au poids et à l'encombrement, mais également des différences d'économies d'échelle résultant des différences de volumes entre ces différentes catégories d'objets. Dans un contexte où les volumes de trafic diminuent fortement, il paraît utile de revoir ce mode d'allocation afin d'en réduire la sensibilité aux volumes ».
L'allocation actuelle des coûts fixe de distribution au poids-format présente ainsi deux inconvénients :
- en premier lieu l'effet volume est très important. L'approche en coût de fourniture isolée appliquée sur de faibles volumes (combinaison d'une urgence et d'un format) conduit les coûts unitaires à être majoritairement déterminés par le volume plutôt que le poids-format et ne permet donc pas en soi de mettre en évidence les relations de causalité entre les caractéristiques des objets à distribuer et leur coût de distribution ;
- en second lieu le raisonnement conduit à un effet du poids-format différent selon le niveau d'urgence de l'objet (en d'autres termes, le rapport du coût unitaire d'un objet encombrant à un objet petit format n'est pas le même selon les catégories d'urgence). Or ce résultat est difficilement compréhensible au regard de la réalité opérationnelle de la distribution.
3.3. Nouvelle allocation
Les travaux menés par l'Autorité ont visé à corriger les biais exposés ci-dessus et amender en conséquence les règles d'allocation des coûts fixes de travaux extérieurs utilisées par la comptabilité réglementaire de La Poste.
En premier lieu, il convient que l'effet intrinsèque du poids-format sur les coûts de distribution, c'est-à-dire la façon dont le poids-format impacte opérationnellement la distribution, soit correctement retranscrit dans la comptabilité réglementaire de l'opérateur. Ce surcoût ne peut être mesuré qu'à l'aide d'une modélisation bottom-up comparant deux situations :
1. La situation actuelle où les volumes sont répartis entre les trois catégories de poids-format et ;
2. La situation contrefactuelle où tous ces volumes seraient de petit format.
L'ARCEP a sollicité La Poste pour établir les évaluations propres à chacune de ces situations à partir de son modèle de distribution, qu'elle utilise par ailleurs pour le calcul des clés d'allocation aux poids-formats. Ces simulations sont réalisées sur la base de tournées quotidiennes, indépendamment de toute considération d'urgence.
En second lieu l'ARCEP a choisi de retenir un principe selon lequel le surcoût ainsi calculé est alloué, d'une part, aux seuls objets de grands formats et encombrants et, d'autre part, selon un échelonnement (index) des coûts unitaires qui soit indépendant de l'urgence.
Enfin l'Autorité a retenu une méthode de répartition de ce surcoût entre les grands formats et les encombrants, en fonction du surcoût isolé de chaque catégorie.
La nouvelle règle d'allocation ainsi définie génère moins de dispersion des coûts unitaires et permet un résultat plus cohérent avec la réalité opérationnelle actuelle de la distribution postale.
4. Période transitoire
Ce nouveaux dispositif conduit à déplacer des masses importantes de coût dans la comptabilité réglementaire de La Poste entre les objets grand format et encombrants, d'une part, et les objets petit format, d'autre part.
Il paraît utile, pour permettre à La Poste d'adapter la structure tarifaire de ses offres, de prévoir une mise en œuvre progressive de la nouvelle règle d'allocation. L'Autorité propose que cette adaptation se fasse sur une période de deux ans se traduisant par la mise en place de cette nouvelle allocation de façon complète pour la production des comptes réglementaires 2018, avec un aménagement particulier pour l'année 2017.
Décide :