Après avoir entendu M. Jean-François CARREZ, commissaire, en son rapport, et Mme Nacima BELKACEM, commissaire du Gouvernement, en ses observations,
Emet l'avis suivant :
La commission a été saisie par le ministre de l'intérieur d'une demande d'avis concernant un projet de décret modifiant le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 relatif au fichier des personnes recherchées (FPR).
Le FPR est un traitement qui a pour finalité de faciliter les recherches et les contrôles effectués, dans le cadre de leurs attributions, par les services de la police nationale, les unités de la gendarmerie nationale et les agents des douanes exerçant des missions de police judiciaire ou des missions administratives, ainsi que par les agents de la cellule de renseignement financier nationale Tracfin. Il est divisé en sous-fichiers regroupant les personnes inscrites en fonction du fondement juridique de la recherche et comporte des données à caractère personnel relevant du I de l'article 8 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. Les modifications envisagées par le projet de décret portent notamment sur les finalités du traitement, les catégories de personnes qui y sont inscrites, les données à caractère personnel qui y sont enregistrées et la définition de ses destinataires.
Conformément aux dispositions des articles 26-II et 30 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ces modifications doivent faire l'objet d'un décret en Conseil d'Etat pris après avis motivé et publié de la commission.
Sur la modification des finalités du traitement :
Le projet de décret prévoit plusieurs modifications des finalités du FPR, définies à l'article ler du décret n° 2010-569 susvisé.
Il prévoit tout d'abord de compléter cet article en précisant que le FPR vise à faciliter les surveillances effectuées par les services de la police nationale, les unités de la gendarmerie nationale, les agents des douanes ainsi que les agents de Tracfin, alors que seuls les recherches et contrôles effectués par ces agents sont actuellement mentionnés par le décret précité. Il prévoit également, s'agissant des missions dans le cadre desquelles le traitement a vocation à être utilisé, de remplacer la notion de « missions administratives » par celle de « missions de police administrative ». Ces modifications, qui visent à préciser et clarifier le cadre juridique dans lequel le FPR peut être utilisé, apparaissent justifiées à la commission.
Le projet de décret prévoit que le traitement peut en outre faire l'objet d'une consultation, « par les services mentionnés au I de l'article 5 » du décret, lors de la réalisation des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-1, L. 114-2 et L. 211-11-1 du code de la sécurité intérieure (CSI) ou lors de l'instruction des demandes relatives à l'application de la réglementation relative aux étrangers, aux titres d'identité et de voyage, aux visas, aux armes et munitions et aux permis de conduire.
La mention des « services mentionnés au I de l'article 5 » est justifiée par le souhait du ministère de renvoyer à une liste de destinataires des données enregistrées dans le FPR, par ailleurs définie par le décret n° 2010-569 susvisé, dont ne tient pas compte la rédaction actuelle des finalités du traitement, qui ne mentionne que les agents de la police nationale, de la gendarmerie nationale, des douanes et de Tracfin.
La commission considère toutefois que ce renvoi entretient une certaine confusion entre les finalités poursuivies par la mise en œuvre du FPR et la définition des destinataires des données à caractère personnel qui y sont enregistrées. Elle estime que la clarté du dispositif devrait être renforcée, en mentionnant exclusivement, à l'article ler du décret, les finalités poursuivies par le traitement et en définissant, à l'article 5 dudit décret, la liste des destinataires de ce dernier. Cette liste devrait en outre comporter toutes les précisions utiles pour délimiter le cadre juridique exact dans lequel chaque catégorie de destinataires a accès à certaines catégories de données.
Plus généralement, l'introduction d'un nouvel alinéa à l'article ler du décret n° 2010-569 précité vise à expliciter les finalités du FPR et à tirer les conséquences de l'adoption de plusieurs dispositifs législatifs dont découlent des nouveaux motifs de consultation.
Elle vise, en particulier, à permettre la consultation du FPR dans le cadre des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-1, L. 114-2 et L. 211-11-1 du CSI.
La nécessité de cette modification résulte, d'une part, de l'adoption de nouveaux dispositifs législatifs imposant la réalisation d'enquêtes administratives conditionnant l'accès à certains emplois ou sites sensibles et, d'autre part, de l'évolution des modalités de réalisation des contrôles réalisés à l'occasion de ces enquêtes. Les enquêtes prévues à l'article L. 211-11-1 du CSI, issu de l'article 53 de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 susvisée et relatif à la sécurité des grands évènements, ainsi que celles imposées par l'article L. 114-2 du CSI, dans sa rédaction issue de la loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique et qui concerne la sécurité des transports publics et le transport de marchandises dangereuses, s'ajoutent en effet aux possibilités d'enquêtes administratives déjà prévues par l'article L. 114-1 du CSI.
La commission relève, en outre, qu'est prévu un élargissement des contrôles effectués à l'occasion de ces enquêtes avec la consultation de multiples traitements de données à caractère personnel relevant de l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, sur lequel elle s'est prononcée, s'agissant du dispositif relatif aux grands événements, dans la délibération susvisée du 9 mars 2017.
Elle relève également qu'est envisagée la mise en œuvre d'un outil spécifique, le traitement de données à caractère personnel ACCRED, dont la création est prévue par un acte réglementaire examiné ce même jour par la commission, et qui doit permettre une consultation automatique et simultanée d'une partie des fichiers concernés, parmi lesquels figure le FPR.
Ce dispositif de criblage sera mis en œuvre par deux nouveaux services à compétence nationale : le « Service national des enquêtes administratives de sécurité » (SNEAS), créé par le décret n° 2017-668 du 27 avril 2017 susvisé et rattaché à la Direction générale de la police nationale, et le « Commandement spécialisé pour la sécurité nucléaire » (CoSSeN), créé par le décret n° 2017-588 du 20 avril 2017 susvisé et rattaché à la Direction générale de la gendarmerie nationale, dont l'accès au FPR est par ailleurs prévu par le projet de décret.
Au regard de ces éléments, la modification des finalités du FPR prévue par le projet de décret apparait justifiée à la commission.
Sur les catégories de personnes inscrites dans le FPR :
Le projet de décret prévoit de modifier la liste des catégories de personnes inscrites dans le FPR, définie à l'article 2 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 susvisé.
Il a tout d'abord pour objet d'abroger la disposition autorisant l'inscription des « personnes disparues faisant l'objet de recherches à la demande d'un membre de leur famille », suite à l'abrogation de la circulaire n° 83-52 du 21 février 1983 instituant la procédure de recherche dans l'intérêt des familles et justifiant ce motif d'inscription dans le FPR, ce qui n'appelle pas d'observation de la part de la commission.
N'appelle pas davantage d'observation de la part de la commission la modification envisagée consistant à remplacer, parmi les catégories de personnes pouvant être inscrites dans le fichier à l'initiative des autorités administratives, la mention des « étrangers faisant l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière pris depuis moins de trois ans en application de l'article L. 533-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile » par la mention des « étrangers faisant l'objet d'une interdiction de circulation sur le territoire français en application de l'article L. 511-3-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, pendant sa période de validité ». Cette modification ne vise en effet qu'à tirer les conséquences de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France et, en particulier, de la suppression des arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière.
Enfin, après le 12° du IV de l'article 2 du décret du 28 mai 2010 susvisé, le projet de décret prévoit d'ajouter trois nouvelles catégories de personnes susceptibles d'être inscrites dans le fichier à l'initiative des autorités administratives compétentes :
- les personnes qui font l'objet d'une interdiction de séjour dans tout ou partie d'un département en application du 3° de l'article 5 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée relative à l'état d'urgence ;
- les personnes qui font l'objet d'une assignation à résidence et, le cas échéant, d'une interdiction de se trouver en relation avec certaines personnes, en application de l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 précitée ;
- les personnes qui font l'objet d'un contrôle administratif dès leur retour sur le territoire national et des obligations afférentes à cette mesure, en application des articles L. 225-1 à L. 225-3 du CSI.
Ces modifications, qui visent à prendre en compte les mesures susceptibles d'être adoptées dans le cadre de l'état d'urgence et les nouvelles dispositions du CSI introduites par la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 susvisée, apparaissent justifiées à la commission au regard des finalités du traitement.
Sur la modification des catégories de données à caractère personnel relatives aux personnes inscrites :
Le projet de décret vise à modifier l'article 3 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 susvisé, qui définit les catégories de données à caractère personnel et informations enregistrées pour chaque personne inscrite dans le traitement, afin de permettre l'enregistrement de plusieurs photographies au lieu d'une seule avec, éventuellement, une photographie des personnes « vieillies » artificiellement. Cette modification n'appelle pas de réserve de la part de la commission, qui prend acte que demeure exclu tout dispositif de reconnaissance faciale à partir des photographies enregistrées dans le traitement.
Apparaît également pertinent et non excessif, au regard des finalités pour lesquelles les données sont collectées, l'enregistrement, au titre du motif de la recherche, de la version numérisée des actes administratifs ou judiciaires fondant l'inscription au fichier, étant précisé que l'accès à ces pièces sera limité aux seuls agents dont les missions justifient l'accès aux données relatives aux personnes concernées.
Sur les personnes habilitées à procéder à des inscriptions dans le FPR et les destinataires du traitement :
Le projet de décret prévoit de définir les agents autorisés à inscrire des personnes dans le FPR au titre du IV de l'article 2 du décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 susvisé par un renvoi aux dispositions du 4° du I de l'article 5 du décret, ce qui vise, selon le ministère, à « mettre en cohérence les personnes pouvant accéder au traitement en application de l'article 5 et celles pouvant effectuer des inscriptions ». Si la commission prend acte de l'harmonisation des catégories de personnes concernées ainsi effectuée, elle souligne que l'habilitation individuelle requise pour autoriser l'inscription de personnes dans le FPR doit demeurer spécifique et ne doit pas se confondre avec celle délivrée pour la consultation du traitement. Elle prend acte que la modification envisagée du décret du 28 mai 2010 susvisé ne remettra pas en cause les conditions de délivrance des habilitations individuelles, qui préciseront toujours si les agents concernés ont le droit de procéder à l'inscription ou à la consultation de données.
Le projet de décret élargit en outre les catégories de personnes pouvant être habilitées à accéder au traitement en y intégrant :
- les agents des services centraux du ministère de l'intérieur et des préfectures et sous-préfectures chargés de l'application de la réglementation relative aux visas, aux armes et munitions, de la mise en œuvre des mesures prises en application du 3° de l'article 5 et de l'article 6 de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 modifiée relative à l'état d'urgence et de la mise en œuvre des mesures prises en application des articles L. 225-1 à L. 225-3 du CSI ;
- les agents du ministère des affaires étrangères chargés de l'instruction des demandes de visa ;
- les agents du SNEAS et du CoSSeN, ces agents étant en charge de la réalisation des enquêtes administratives prévues aux articles L. 114-4 L. 114-2 et L. 211-11-1 du CSI.
Cet élargissement des catégories de personnes pouvant accéder aux données à caractère personnel enregistrées dans le FPR apparaît justifié à la commission au regard de l'évolution des finalités du traitement et des motifs d'enregistrement précédemment évoquée.
Elle rappelle toutefois, comme elle l'a souligné dans sa délibération n° 2017-047 du 9 mars 2017 susvisée, que cet accès doit être limité aux sous-fichiers du traitement pertinents au regard des missions particulières des agents habilités et relève, s'agissant des agents du SNEAS, qu'elle n'a reçu aucune des précisions relatives aux restrictions d'accès que le ministère s'est engagé à mettre en œuvre et au sujet desquelles il devait l'informer.
Elle souligne, en tout état de cause, que l'accès des agents en charge des enquêtes administratives doit être restreint aux sous-fichiers dont les motifs d'inscription sont en lien avec l'objectif de prévention des atteintes à la sécurité des personnes, à la sécurité publique ou à la sûreté de l'Etat.
Enfin, le projet de décret complète la liste des personnes susceptibles d'être destinataires de données en ajoutant « les agents des services de renseignement du ministère de la défense, individuellement désignés et spécialement habilités par les directeurs de ces services, aux seules fins de prévention des actes de terrorisme et dans la limite du besoin d'en connaître ». La commission prend acte que la modification ainsi envisagée vise uniquement à tirer les conséquences de l'accès déjà prévu de ces agents à la mention « connu » ou « inconnu au FPR », via la consultation du traitement SETRADER, en application de l'arrêté du 11 avril 2013 susvisé, au sujet duquel la commission s'est prononcée dans sa délibération n° 2013-016 du 17 janvier 2013 susvisée.
Les autres modifications prévues par le projet de décret n'appellent pas d'observation de la part de la commission.