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Article AUTONOME (Délibération n° 2016-387 du 8 décembre 2016 portant avis sur un projet de décret en Conseil d'Etat portant application de l'article L. 2251-4-1 du code des transports et relatif aux conditions de l'expérimentation de l'usage de caméras individuelles par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP (saisine n° AV 16025730))

Article AUTONOME (Délibération n° 2016-387 du 8 décembre 2016 portant avis sur un projet de décret en Conseil d'Etat portant application de l'article L. 2251-4-1 du code des transports et relatif aux conditions de l'expérimentation de l'usage de caméras individuelles par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP (saisine n° AV 16025730))


Après avoir entendu M. Philippe GOSSELIN, commissaire, en son rapport et Mme Nacima BELKACEM, commissaire du Gouvernement, en ses observations,
Emet l'avis suivant :
La Commission nationale de l'informatique et des libertés a été saisie par le ministre de l'intérieur d'un projet de décret en Conseil d'Etat portant application de l'article L. 2251-4-1 du code des transports et relatif aux conditions de l'expérimentation de l'usage de caméras individuelles par les agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP.
Cette expérimentation, d'une durée de trois, est prévue par l'article 2 de la loi du 22 mars 2016 susvisée, qui a créé un article L. 2251-4-1 au sein du code des transports ouvrant la possibilité aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP d'utiliser des caméras individuelles dans le cadre de leurs interventions. Les conditions de cette expérimentation, qui doit entrer en vigueur à compter du 1er janvier 2017, doivent être fixées par décret en Conseil d'Etat pris après avis de la CNIL. C'est dès lors sur ce fondement que la commission est saisie du présent projet de décret, qui appelle de sa part les observations suivantes.
L'article L. 2251-4-1 du code des transports prévoit que les enregistrements audiovisuels issus de ces caméras sont soumis aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. A cet égard, le ministère de l'intérieur considère que ces enregistrements sont susceptibles de contenir des données sensibles au sens de l'article 8 de la loi précitée. Dans la mesure où les traitements projetés sont justifiés par l'intérêt public et portent notamment sur des données relatives à des infractions, ils doivent faire l'objet d'une demande d'autorisation auprès de la commission, conformément aux dispositions de l'article 25 de cette même loi.
Le projet de décret prévoit que, à l'issue de l'expérimentation, la SNCF et la RATP adressent au ministre de l'intérieur et au ministre chargé des transports un bilan sur l'emploi des caméras individuelles des agents de leurs services internes de sécurité comprenant une évaluation d'impact de l'emploi de ces caméras sur le déroulement des interventions et le nombre de procédures judiciaires, administratives et disciplinaires pour les besoins desquelles il a été procédé à la consultation et à l'extraction de données provenant des caméras individuelles. Il conviendrait que la commission soit également rendue destinataire de ces éléments afin de pouvoir se prononcer en pleine connaissance de cause si ce type de dispositif devait être pérennisé.
Sur les finalités des traitements et le périmètre des dispositifs :
A titre général, le déploiement de ces dispositifs entend répondre à un besoin de sécurisation physique et juridique des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP dans le cadre de leurs interventions. Ainsi, l'article L. 2251-4-1 du code des transports prévoit que les enregistrements audiovisuels réalisés via les caméras individuelles ont pour finalités :


- la prévention des incidents au cours des interventions des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP ;
- le constat des infractions et la poursuite de leurs auteurs par la collecte de preuves ;
- la formation et la pédagogie des agents.


L'article 2 du projet de décret rappelle dans des termes identiques les finalités de ces traitements de données personnelles.
Or, la commission relève que le projet de décret semble également prévoir l'utilisation des enregistrements dans le cadre de procédures administratives ou disciplinaires. Cette possibilité est évoquée tant dans les dispositions législatives s'agissant de la durée de conservation des données, que dans les dispositions réglementaires notamment en ce qui concerne les destinataires et les personnes habilitées à accéder aux données et informations collectées.
Si la commission ne voit pas d'objection à l'utilisation d'enregistrements issus de tels dispositifs dans le cadre d'une procédure administrative ou disciplinaire engagée à l'encontre d'un agent à l'origine d'un incident au cours de l'exécution d'une mission de sécurité, elle considère que le projet de décret devrait faire expressément mention de cette finalité.
L'article L. 2251-4-1 du code des transports fait expressément apparaître l'utilisation des enregistrements à des fins pédagogiques et de formation au titre des finalités des dispositifs. Le projet de décret précise que les enregistrements utilisés à cet effet sont anonymisés. A cet égard, la commission rappelle que l'anonymisation implique d'empêcher toute ré-identification individuelle des agents concernés par les enregistrements et qu'elle devra donc porter sur les éléments visuels et sonores de ces enregistrements.
En ce qui concerne le périmètre de mise en œuvre des dispositifs de caméras individuelles, la commission relève que l'article L. 2251-4-1 du code des transports prévoit expressément que « les enregistrements ne peuvent avoir lieu hors des emprises immobilières nécessaires à l'exploitation des services de transport ou des véhicules de transport public de personnes qui y sont affectés », ce qui exclut les domiciles de particuliers.
Par ailleurs, elle observe que le projet de décret prévoit certaines garanties de nature à limiter l'atteinte portée à la vie privée des personnes. Ainsi, seules sont autorisées les caméras qui sont fournies aux agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, ce qui exclut le recours à tout autre dispositif permettant la captation d'images, et notamment à des caméras personnelles.
En revanche, il reste silencieux sur les situations dans lesquelles les agents sont autorisés à activer ces caméras. Si l'article L. 2251-4-1 du code des transports dispose que les caméras individuelles peuvent être utilisées « lorsque se produit ou est susceptible de se produire un incident, eu égard aux circonstances de l'intervention ou au comportement des personnes concernées », la commission considère que le ministère devrait définir plus précisément les conditions d'utilisation de ces caméras afin d'éviter toute collecte disproportionnée de données à caractère personnel.
A cet égard, elle prend acte que la RATP et la SNCF envisagent d'élaborer une doctrine d'emploi de ces caméras. Elle estime néanmoins que le projet de décret d'application desdites dispositions doit comporter des précisions à cet égard et doit en particulier prévoir des critères objectifs commandant l'utilisation de ces dispositifs, à défaut pour le ministère de pouvoir dresser une liste exhaustive des circonstances de nature à justifier le déclenchement de ces caméras. Ces éléments pourraient ensuite être précisés dans la doctrine d'emploi précitée.
Sur la nature des données traitées :
A titre liminaire, la commission relève que ces dispositifs offrent la possibilité de capter des données sensibles ainsi que des conversations privées. Ils appellent dès lors la mise en œuvre de garanties strictes.
L'article 3 du projet de décret énumère les catégories de données à caractère personnel et informations enregistrées dans les traitements mis en œuvre.
Il s'agit des images et des sons captés par les caméras mobiles, du jour et des plages horaires d'enregistrement, de l'identification de l'agent porteur de la caméra lors de l'enregistrement des données ainsi que du lieu où sont collectées les données.
Si l'utilisation de dispositifs d'enregistrement sonore couplés avec des dispositifs vidéo peut poser des difficultés au regard de l'exigence de proportionnalité résultant de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, la commission reconnaît la pertinence de recourir à de tels dispositifs en l'espèce, compte tenu des finalités poursuivies.
Les dispositifs projetés pourront, par la captation des images et des enregistrements sonores, enregistrer de manière incidente des données sensibles au sens de l'article 8 de la loi précitée, ce que le projet de décret prévoit expressément. La commission prend acte que ce dernier interdit de sélectionner dans le traitement une catégorie particulière de personnes à partir de ces seules données.
La commission considère que les données collectées sont adéquates, pertinentes et non excessives au regard des finalités pour lesquelles elles sont collectées, conformément aux dispositions de l'article 6-3° de la loi « informatique et libertés ».
Sur la durée de conservation des données :
L'article 6 du projet de décret dispose que les données sont « conservées pendant un délai de six mois à compter du jour de leur enregistrement. Au terme de ce délai, les enregistrements qui ne sont pas utilisés dans le cadre d'une procédure judiciaire, administrative ou disciplinaire sont effacés automatiquement. »
La durée de conservation de six mois, qui constitue une durée supérieure aux durées retenues dans le cadre de la mise en œuvre des dispositifs de vidéoprotection et de vidéosurveillance fixes, doit permettre de tenir compte des délais moyens de traitement des procédures judiciaire, administrative ou disciplinaire.
Sous réserve que cette dernière finalité soit expressément mentionnée dans le projet de décret, la commission considère que les données collectées sont conservées pendant une durée qui n'excède pas la durée nécessaire aux finalités pour lesquelles elles sont collectées et traitées, conformément à l'article 6-5° de la loi précitée.
Sur les destinataires des données :
L'article L. 2251-4-1 du code des transports prévoit expressément que les personnels auxquels les caméras individuelles sont fournies ne peuvent avoir accès directement aux enregistrements auxquels ils procèdent.
A cet égard, l'article 4 du projet de décret précise que les enregistrements sont transférés sur un support informatique sécurisé dès le retour des agents des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP. Il prévoit que les enregistrements ne doivent être consultés qu'à l'issue de l'intervention et après leur transfert sur le support informatique sécurisé.
Néanmoins, la commission estime que cette interdiction de principe doit être accompagnée de mesures techniques de nature à garantir cette absence de consultation par les agents des enregistrements à l'issue de l'intervention. En outre, il pourrait être envisagé des mesures opérationnelles garantissant que les enregistrements, une fois transférés sur un serveur dédié, ne soient visionnés que dans un cadre légal précis (procédure judiciaire, disciplinaire ou administrative ouverte).
L'article 5 du projet de décret énumère les catégories de personnes habilitées à accéder aux données et informations enregistrées au moyen de caméras individuelles, ainsi que les catégories de destinataires de ces données.
Ainsi, peuvent accéder aux données, dans la limite de leurs attributions respectives, les responsables des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP, d'une part, et les agents individuellement désignés et spécialement habilités par eux, d'autre part. Seules ces mêmes personnes sont habilitées à procéder à des extractions de données, dans un cadre légal précis (procédure judiciaire, disciplinaire ou administrative ouverte) ou pour les besoins d'une action de formation ou de pédagogie des agents.
Peuvent être destinataires de tout ou partie des données enregistrées dans le traitement les officiers et agents de la police judiciaire nationale et de la gendarmerie nationale, les agents de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale qui assurent le contrôle des agents des services internes de la SNCF et de la RATP, les agents chargés de la formation des personnels des services internes de la SNCF et de la RATP ainsi que les agents participant à l'exercice du pouvoir disciplinaire à l'égard des personnels concernés, chacun dans la limite de leurs attributions respectives et sous réserve du besoin d'en connaître.
La commission relève que le projet de décret ne fait pas mention de l'hypothèse dans laquelle l'exploitation des vidéos donnerait lieu à la constatation d'une infraction autre que celle pour laquelle il procède à des investigations. Néanmoins, elle rappelle à cet égard que les données collectées ne doivent pas être traitées ultérieurement de manière incompatible avec les finalités poursuivies par les traitements projetés, conformément à l'article 6-2° de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
La liste des personnes habilitées et destinataires n'appelle pas d'observation de la part de la commission.
Sur les droits des personnes concernées :
S'agissant de l'information des personnes concernées, l'article L. 2251-4-1 du code des transports prévoit que les caméras sont portées de façon apparente par les agents et qu'un signal visuel spécifique indique si la caméra enregistre. Il prévoit également que le déclenchement de l'enregistrement fait l'objet d'une information des personnes filmées, « sauf si les circonstances l'interdisent ».
Cependant, la commission demande que le ministère limite expressément les hypothèses dans lesquelles l'enregistrement est réalisé à l'insu de la personne concernée aux seuls cas strictement nécessaires. Elle considère que le décret devrait comporter des critères en ce sens, qui pourraient être précisés dans la doctrine d'emploi élaborée par la RATP et la SNCF.
L'article susmentionné prévoit également une information générale du public sur l'emploi des caméras individuelles, organisée par le ministre chargé des transports. Le projet de décret précise que cette information est délivrée sur le site internet du ministère chargé des transports et sur les sites internet de la SNCF et de la RATP.
Les droits d'accès et de rectification prévus aux articles 39 et 40 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée s'exercent auprès du responsable de traitement. Ce point n'appelle pas d'observation de la commission.
S'agissant du droit d'opposition des personnes filmées, la commission relève que le ministère entend l'exclure, conformément aux dispositions de l'article 38 de cette même loi.
Sur la sécurité des données et la traçabilité des actions :
La commission observe que tant les dispositions législatives que le projet de décret prévoient certaines garanties concernant l'aspect organisationnel de la sécurité (déchargement des enregistrements sur un transfert sécurisé dès le retour au poste, pas de consultation avant ce déchargement, consultations limités aux procédures et tracées, purge…).
Ainsi, l'article 7 du projet de décret prévoit que chaque opération de consultation et d'extraction de données fait l'objet d'un enregistrement dans le traitement ou, à défaut, d'une consignation dans un registre spécialement ouvert à cet effet qui comporte les matricule, nom, prénom et grade de l'agent procédant à l'opération, la date et l'heure de l'opération, ainsi que le motif judiciaire, administratif, disciplinaire ou pédagogique, le service ou l'unité destinataire des données et l'identification des enregistrements audiovisuels extraits et de la caméras dont ils sont issus. Ces données et informations sont conservées trois ans.
En l'absence de plus de précisions concernant les mesures de sécurité envisagées, la commission n'est pas en mesure de se prononcer sur le respect des dispositions de l'article 34 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. Toutefois, les traitements concernés devront faire l'objet d'une demande d'autorisation préalablement à leur mise en œuvre. A cette occasion, la commission aura la possibilité d'examiner les mesures de sécurité envisagées par chacun des responsables de traitement.