Après avoir entendu M. Jean-François CARREZ, commissaire, en son rapport et M. Jean-Alexandre SILVY, commissaire du Gouvernement, en ses observations,
Emet l'avis suivant :
La commission a été saisie par le ministre de l'intérieur d'une demande d'avis concernant un projet de décret modifiant l'article R. 40-29 du code de procédure pénale (CPP) et relatif au traitement d'antécédents judiciaires (TAJ).
Conformément aux dispositions de l'article 230-6 du CPP, le TAJ a pour finalité de faciliter la constatation d'infractions, le rassemblement de preuves et la recherche des auteurs d'infractions. Il est consulté dans le cadre d'enquêtes judiciaires, mais également dans le cadre d'enquêtes administratives, notamment pour l'accès à certains emplois. Ses conditions de mise en œuvre sont fixées aux articles R. 40-23 à R. 40-34 du CPP.
La modification envisagée vise à modifier l'article R. 40-29 du CPP afin de permettre la communication de données enregistrées dans le TAJ aux organismes de coopération internationale et aux services de police étrangers pour des finalités administratives, les dispositions actuelles du CPP ne permettant de tels échanges d'informations que pour les besoins d'enquêtes judiciaires.
En application des dispositions des articles 230-11 du CPP et 26-11 et 30 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ces modifications nécessitent un décret en Conseil d'Etat pris après motivé et publié de la commission.
Les modalités d'échanges de données enregistrées dans des traitements mis en œuvre par les services de police et de gendarmerie nationales à des organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire ou à des services de police étrangers sont prévues à l'article L. 235-1 du code de la sécurité intérieure (CSI).
Ledit article prévoit ainsi deux conditions pour mettre en œuvre de tels échanges : d'une part, l'existence d'un engagement international régulièrement introduit dans l'ordre juridique interne et, d'autre part, l'assurance, par l'Etat concerné, d'un niveau de protection suffisant de la vie privée, des libertés et des droits fondamentaux des personnes à l'égard du traitement dont ces données font l'objet ou peuvent faire l'objet.
La consultation des fichiers d'antécédents dans le cadre d'enquêtes administratives fait également l'objet d'un encadrement spécifique, prévu par les articles 230-8 et R. 40-29 du CPP. La commission est particulièrement vigilante quant au respect de ces modalités de consultation, eu égard aux dysfonctionnements persistants qu'elle a constatés, lors de missions de contrôle, concernant la mise à jour des données enregistrées dans le TAJ et aux conséquences potentielles de cette absence de mise à jour des données sur l'emploi des personnes concernées.
Elle estime dès lors que, au-delà des deux conditions préalables prévues par le CSI, qui doivent en tout état de cause être satisfaites, des garanties équivalentes à celles mises en œuvre actuellement pour les enquêtes administratives nationales doivent être prévues dans le cadre des échanges projetés par le projet de décret, non seulement au regard des dysfonctionnements rappelés mais également du champ d'application très large des dispositions projetées. Ces échanges doivent en effet s'inscrire dans un cadre permettant de garantir que cette communication de données est conforme, d'une part, aux conditions fixées par le droit national et, d'autre part, à la législation de l'Etat requérant.
La commission demande dès lors que les garanties complémentaires suivantes soient prévues dans le projet de décret, afin d'assurer un haut niveau de protection des données traitées dans le cadre de ces nouveaux échanges d'informations.
La commission relève en premier lieu que la transmission d'informations provenant du TAJ à des « organismes de coopération internationale en matière de police judiciaire » est sans lien avec la finalité du dispositif, la modification envisagée visant à encadrer les seuls échanges intervenant dans le cadre d'enquêtes administratives. Elle estime dès lors que le projet de décret devrait définir plus strictement les services destinataires en les limitant aux seuls services de police étrangers.
En deuxième lieu, elle considère que les demandes formulées par les services de police étrangers devraient respecter certaines conditions.
Tout d'abord, il importe que la législation de l'Etat requérant prévoie la réalisation d'une enquête administrative pour que les services étrangers puissent solliciter, dans ce cadre, les services français. En outre, la commission estime, s'agissant des services pouvant demander communication de données enregistrées dans le TAJ, que seuls les services habilités, dans l'Etat requérant, à effectuer de telles enquêtes devraient pouvoir solliciter les services français.
Enfin, ces échanges d'informations doivent nécessairement intervenir suivant la procédure définie par l'engagement international concerné et des mesures de sécurité adéquates doivent être prévues. Il importe ainsi que des canaux d'information sécurisés soient utilisés. Des mesures de traçabilité, qui permettront de s'assurer a posteriori que les données ont été transmises selon les règles applicables, doivent par ailleurs être mises en œuvre, portant notamment sur la communication des données, le destinataire, l'objet de la demande de l'Etat requérant, le motif, le contenu et la date des échanges.
Si le projet de décret ne peut lister de manière exhaustive des mesures qui, en pratique, seront mises en œuvre de manière différenciée par les Etats, la commission estime cependant qu'il devrait être complété des garanties précédemment rappelées.
En troisième lieu, la commission estime que le traitement de ces demandes par les services français devrait également être entouré de garanties complémentaires.
Ainsi, avant même de procéder à la consultation du TAJ, les services français devraient procéder à des contrôles préalables permettant de s'assurer que les services demandeurs sont habilités à solliciter des informations (contrôle des habilitations) et qu'ils formulent la demande dans le cadre d'une enquête administrative réglementée par la législation de cet Etat (contrôle des motifs). Ces vérifications devraient permettre de s'assurer que les services demandeurs interviennent conformément à leur droit national.
La commission prend acte des précisions apportées par le ministère selon lesquelles certaines de ces garanties sont, en pratique, mises en œuvre, notamment dans le cadre des échanges intervenant par l'intermédiaire des centres de coopération policière et douanière (CCPD). Toutefois, les échanges concernés par le projet de décret ne se limitent pas, en théorie, aux seuls échanges transfrontaliers et il importe dès lors que ces types contrôles mis en œuvre par les CCPD soient systématiquement appliqués à l'ensemble des échanges intervenant en application du présent projet de texte. Dès lors, si le projet de décret ne peut lister l'ensemble des modalités concrètes de contrôle qui peuvent être mises en œuvre, la commission estime toutefois qu'il devrait mentionner l'existence de tels contrôles.
En outre, la commission rappelle que les services français devront transmettre les informations dans les conditions prévues par les dispositions du code de procédure pénale.
A cet égard, elle rappelle que les services français qui consulteront le TAJ devront le faire uniquement par l'intermédiaire du profil administratif, et en aucun cas avec le profil judiciaire.
De même, les données transmises devront être conformes aux dispositions de l'article 40-29 du CPP. Ainsi, le service de police étranger ne devra être destinataire que de la seule information relative à l'enregistrement dans le TAJ de la personne concernée en tant que mise en cause (« inconnue » ou « connue ») et, le cas échéant, de la qualification de l'infraction pour laquelle cette personne est inscrite dans le traitement. S'il envisage, sur la base de ces informations, de prendre une décision défavorable, il devra, dans un second temps, se rapprocher des services français pour un complément d'information auprès des services de police français et du procureur de la République pour les suites judiciaires. Il appartiendra au ministère de l'intérieur, en collaboration avec les Etats partenaires, de définir éventuellement des procédures permettant un échange optimisé de ces dernières données et des mesures de sécurité adéquates entourant ces transmissions.