La Commission nationale de l'informatique et des libertés,
Saisie par la ministre des outre-mer d'une demande d'avis concernant un projet de décret relatif aux opérations de croisement de fichiers destinées à améliorer l'exhaustivité des listes électorales de Nouvelle-Calédonie ;
Vu la convention n° 108 du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ;
Vu la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
Vu la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 modifiée relative à la Nouvelle-Calédonie, notamment ses articles 218, 218-2 et 219 ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment son article 11 (4°, a) ;
Vu le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 modifié pris pour l'application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu le dossier et ses compléments ;
Sur la proposition de Mme Marie-France MAZARS, commissaire, et après avoir entendu les observations de Mme Nacima BELKACEM, commissaire du Gouvernement,
Emet l'avis suivant :
La Commission nationale de l'informatique et des libertés a été saisie pour avis, par la ministre des outre-mer, d'un projet de décret relatif aux opérations de croisement de fichiers destinées à améliorer l'exhaustivité des listes électorales de Nouvelle-Calédonie.
Dans la mesure où ce projet de décret a pour objet de fixer les conditions de mise en oeuvre de traitements de données à caractère personnel relatives aux électeurs et résidents de Nouvelle-Calédonie, il relève des dispositions de l'article 11 (4°, a) et doit dès lors être pris après avis de la commission.
Sur la finalité et le champ d'application du dispositif :
Depuis l'accord de Nouméa du 5 mai 1998, la Nouvelle-Calédonie n'est plus un territoire d'outre-mer mais une collectivité spécifique de la République française, dotée d'une autonomie s'élargissant au fur et à mesure des transferts de compétences de l'Etat vers cette nouvelle collectivité. La loi organique du 19 mars 1999 susvisée définit les institutions et les compétences de la Nouvelle-Calédonie, les différentes entités qui la composent, ainsi que les modalités liées aux transferts de compétences de l'Etat.
Ces deux textes ont prévu, au terme d'une période de vingt ans (soit avant la fin de l'année 2018), la réalisation d'un scrutin d'autodétermination portant sur le transfert à la Nouvelle-Calédonie des compétences régaliennes de l'Etat, sur l'accès à un statut international de pleine responsabilité et sur l'organisation d'une citoyenneté en nationalité.
Ce scrutin repose sur un corps électoral spécial de personnes admises à participer à la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté. Les conditions d'inscription dans ce corps électoral sont définies à l'article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 modifiée, qui prévoit notamment un critère d'inscription sur la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie.
L'article 218-2 de cette même loi organique prévoit que plusieurs catégories d'électeurs font l'objet d'une inscription d'office sur la liste électorale spéciale à la consultation, c'est-à-dire d'une dispense de formalités pour s'y inscrire. Ce mécanisme dérogatoire aux principes du droit électoral tend à simplifier le plus possible les démarches des électeurs appelés à se prononcer sur l'enjeu de l'accession à la pleine souveraineté.
A l'issue des premiers travaux menés par les commissions administratives spéciales chargées de l'établissement de la liste électorale spéciale à la consultation, celle-ci compte plus de 153 000 inscrits, dont 95 % ont fait l'objet d'une inscription d'office.
Cependant, ces travaux ont été l'occasion de s'interroger sur l'exhaustivité de la liste électorale générale de Nouvelle-Calédonie, dans la mesure où, selon le ministère, des personnes relevant du statut civil coutumier et des personnes relevant du statut civil de droit commun, qui remplissent les conditions exigées pour être inscrites sur la liste électorale spéciale, ne figureraient pas sur cette liste.
Dans ce contexte, le présent projet de décret a pour objet de procéder au croisement de fichiers en vue d'améliorer l'exhaustivité des listes électorales de Nouvelle-Calédonie.
Plus précisément, l'article 1er dudit projet prévoit la création d'un traitement de données à caractère personnel ayant pour finalité d'identifier les personnes correspondant aux différentes catégories suivantes :
- les personnes majeures, qui relèvent du statut civil coutumier, ne sont pas inscrites sur la liste électorale générale de l'année 2016 et résident en Nouvelle-Calédonie en 2016 ;
- les personnes majeures, nées en Nouvelle-Calédonie, qui relèvent du statut civil de droit commun, ne sont pas inscrites sur la liste électorale générale de l'année 2016 et résident en Nouvelle-Calédonie en 2016.
Pour identifier ces catégories de personnes, il est prévu de consulter plusieurs fichiers, en particulier les fichiers d'état civil, tenus par les communes, des personnes majeures de statut civil coutumier et de statut civil de droit commun, ainsi que des fichiers détenus par des administrations et organismes de la Nouvelle-Calédonie.
Les opérations de croisement de fichiers qui constituent une interconnexion, au sens de l'article 25-1-5° de la loi « Informatique et Libertés », font ainsi l'objet d'une demande d'autorisation distincte et d'une seconde délibération de la commission.
Les personnes ainsi identifiées seront ensuite informées par tout moyen de la nécessité, si elles souhaitent se voir inscrire sur la liste électorale spéciale à la consultation, de procéder à leur inscription sur la liste électorale générale.
Au regard de ces éléments, la commission estime que la finalité du traitement projeté est déterminée, explicite et légitime, conformément aux dispositions de l'article 6-2° de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
Le dernier alinéa de l'article 1er du projet de décret prévoit en outre que les résultats des opérations de croisements ainsi que des démarches effectuées pour informer les personnes identifiées comme étant susceptibles de remplir les conditions pour être inscrites sur la liste électorale spéciale à la consultation feront l'objet d'une présentation lors de la première réunion du comité des signataires de l'accord de Nouméa à compter de la publication du présent décret.
A cet égard, la commission rappelle que cette présentation ne doit pas conduire à la communication des données à caractère personnel traitées.
Sur les caractéristiques du dispositif :
Les articles 2 et 3 du projet de décret prévoient que l'Institut de la statistique et des études économiques (ISEE) de la Nouvelle-Calédonie est chargé, pour le compte de l'Etat, du traitement mis en oeuvre à cet effet et qu'il dispose, en tant que de besoin, du concours des agents du haut-commissariat en Nouvelle-Calédonie nominativement désignés par le haut-commissaire, ainsi que des agents du ministère des outre-mer nominativement désignés par décision de la ministre chargée de l'outre-mer, le cas échéant sur les aspects techniques.
A cet égard, la commission rappelle que le ministère des outre-mer revêt la qualité de responsable de traitement, au sens des dispositions de l'article 3-1 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, dans la mesure où il détermine la finalité et les moyens du traitement, l'ISEE et les agents du haut-commissariat et du ministère des outre-mer doivent dès lors être considérés comme des services chargés de la mise en oeuvre du traitement.
L'article 2 du projet de décret prévoit que, pour identifier les personnes susmentionnées, l'ISEE a accès aux données de la liste électorale générale ainsi qu'à des extractions de fichiers détenus par les administrations ou organismes suivants :
- la direction de la gestion et de la réglementation des affaires coutumières ;
- les provinces de la Nouvelle-Calédonie ;
- les communes de la Nouvelle-Calédonie ;
- la caisse de compensation des prestations familiales, des accidents du travail et de prévoyance des travailleurs de la Nouvelle-Calédonie (CAFAT).
Plus précisément, la commission relève que seuls les registres d'état civil coutumier et d'état civil de droit commun seront consultés s'agissant des fichiers détenus par les communes de la Nouvelle-Calédonie afin d'identifier les personnes qui ne sont pas inscrites sur la liste électorale générale de l'année 2016. Les fichiers des provinces de la Nouvelle-Calédonie concernés par les extractions sont uniquement ceux mis en oeuvre aux fins de gestion de l'aide médicale, dans la mesure où ils permettront, tout comme les traitements mis en oeuvre par les deux autres responsables de traitement mentionnés, de vérifier les conditions de résidence des personnes ainsi identifiées.
A cet égard, elle estime que les traitements consultés devraient être expressément mentionnés à l'article 2 du projet de décret, et non seulement les organismes responsables de leur mise en oeuvre, à l'instar de la mention expresse de la liste électorale générale.
L'article 4 du projet de décret précise que les extractions de fichiers comportent uniquement les données utiles aux opérations de croisement, soit « l'identifiant », le nom patronymique, le nom d'usage, les prénoms, le sexe, la date de naissance, le lieu de naissance et l'adresse en 2016. Les données dont le traitement n'apparaît pas nécessaire au regard des finalités du dispositif, et en particulier les données de santé susceptibles d'être contenues dans les traitements mis en oeuvre par les provinces de la Nouvelle-Calédonie et par la CAFAT, ne seront donc pas contenues dans les extractions de fichiers envisagées.
L'« identifiant » est un numéro d'identification attribué par la CAFAT qui, contrairement au numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques tenu par l'INSEE, ne dévoile aucune information sur la personne concernée. Néanmoins, dans la mesure où ce numéro manquerait, selon le ministère, de fiabilité, la commission s'interroge sur la pertinence de collecter une telle donnée.
Sous cette réserve, la commission considère que les catégories de données ainsi traitées, qui permettront notamment de prévenir toute difficulté engendrée par d'éventuelles homonymies, sont pertinentes, adéquates et non excessives au regard de la finalité poursuivie par le traitement, conformément à l'article 6-3° de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
L'article 8 du projet de décret prévoit que le fichier collectant les données à caractère personnel issues de ces opérations sera conservé, « dans des conditions sécurisées », par les services du haut-commissariat en Nouvelle-Calédonie jusqu'à l'expiration d'un délai de six mois à compter de la date de la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté. La commission prend acte que cette conservation a pour seul objet de garantir la conservation des éléments d'information nécessaires à justifier de la transparence et de la sincérité de l'Etat dans l'élaboration de la liste électorale spéciale, dans l'hypothèse d'une contestation portant sur la sincérité des opérations électorales. Elle relève que ce même article 8 prévoit également la destruction des données, à l'issue de ce délai, dans des conditions permettant d'assurer la traçabilité de cette opération.
Ces dispositions n'appellent pas d'observation particulière de la commission.
En ce qui concerne l'information des personnes concernées, la commission appelle l'attention du ministère des outre-mer sur la nécessité de prendre toute mesure nécessaire à l'information des personnes dans des conditions conformes à l'article 32 de la loi « Informatique et Libertés », par tout moyen à sa disposition.
Les droits d'accès et de rectification prévus aux articles 39 et 40 de la loi précitée pourront s'exercer auprès des services du haut-commissariat, ce qui n'appelle pas d'observation de la commission.
Le droit d'opposition des personnes au traitement de leurs données à caractère personnel est en outre écarté, conformément aux dispositions de l'article 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. Le traitement étant en effet mis en oeuvre afin de répondre à l'obligation légale d'inscrire sur la liste électorale spéciale à la consultation tout électeur remplissant les conditions fixées à l'article 218 de la loi organique du 19 mars 1999 modifiée, conformément à l'article 219 de cette même loi organique, il n'est pas nécessaire de mentionner expressément cette exclusion dans le projet de décret.
L'article 5 du projet de décret dispose que seuls les agents du haut-commissariat, du ministère des outre-mer nominativement désignés et de l'ISEE peuvent consulter, traiter et enregistrer les données personnelles qui font l'objet des opérations de croisement de fichiers.
Le premier alinéa de l'article 6 du projet de décret indique que les services du haut-commissariat prennent toutes les précautions utiles pour préserver la sécurité et l'intégrité des données. Si la commission prend acte de ces dispositions, elle rappelle qu'il incombe au ministère des outre-mer, en tant que responsable du traitement, de prendre toutes précautions utiles pour préserver la sécurité des données, conformément à l'article 34 de la loi « Informatique et Libertés ».
En particulier, il lui revient de s'assurer que les conventions conclues entre le représentant de l'Etat en Nouvelle-Calédonie, l'ISEE et les différents organismes intervenant dans la consultation et l'extraction des fichiers, mentionnées à l'article 5 du projet de décret et ayant pour objet de préciser les modalités de ces opérations, comportent les mesures nécessaires au respect de cette obligation de sécurité.
La confidentialité des données transmises, leur intégrité tout au long de leur traitement ainsi que la traçabilité des actions menées sur ces données devront ainsi faire l'objet d'une vigilance particulière.