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Article AUTONOME (Avis n° 2015-1316 du 12 novembre 2015 relatif au projet de loi pour une République numérique)

Article AUTONOME (Avis n° 2015-1316 du 12 novembre 2015 relatif au projet de loi pour une République numérique)


Après en avoir délibéré le 12 novembre 2015,
L'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques (« CPCE ») prévoit que l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (« l'Autorité » ou « l'ARCEP ») est consultée sur les projets de loi, de décret ou de règlement relatifs au secteur des communications électroniques, et participe à leur mise en œuvre.
Par un courrier en date du 6 octobre 2015, la secrétaire d'Etat chargée du numérique a sollicité l'avis de l'Autorité sur un projet de loi pour une République numérique.
De façon inédite, ce projet a été mis en consultation publique, du 26 septembre au 18 octobre 2015, afin de recueillir les avis et propositions des internautes - qu'ils soient professionnels, représentants d'associations ou citoyens - et ainsi d'enrichir et de perfectionner le projet de loi. Le 6 novembre 2015, un projet de loi modifié a ainsi été publié sur le site internet mis en place pour la consultation publique.
Il comporte des mesures visant à favoriser la circulation des données et du savoir, à œuvrer pour la protection des individus dans la société numérique et à garantir l'accès au numérique pour tous.
L'Autorité, qui salue l'exercice d'élaboration participative du projet, souhaite formuler les observations suivantes. Le présent avis porte sur la version du projet de loi mise en ligne le 6 novembre 2015.


I. -Tirer toutes les conséquences de la réorientation importante que constitue pour l'ARCEP sa nouvelle mission de gardien de la neutralité de l'internet


L'ARCEP, qui s'est saisie très tôt de la question de la neutralité de l'internet, a développé jusqu'à présent une approche progressive, essentiellement basée sur le droit souple au travers de préconisations adressées aux acteurs en 2010 (1) et 2012 (2).
A l'occasion de la transposition du troisième « paquet télécom » par l'ordonnance n° 2011-1012 du 24 août 2011 (3), le cadre a été complété en matière de neutralité de l'internet en vue de renforcer les obligations pesant sur les opérateurs en matière de transparence et de qualité de service (4). En outre, les compétences de l'ARCEP en matière d'enquête et de recueil d'information, d'une part, et de règlement de différend, d'autre part, ont été étendues aux conditions techniques et tarifaires d'acheminement du trafic appliquées aux fournisseurs de services de communication au public en ligne (5).
Jusqu'à présent, c'est donc une logique d'autorégulation par la transparence et de règlement a posteriori des éventuels litiges entre acteurs qui avait prévalu en matière de neutralité de l'internet.
Néanmoins, compte tenu de l'importance sociale et économique d'internet, devenu un véritable bien commun, le législateur européen a estimé indispensable de définir un cadre a priori, en consacrant un droit d'accès à l'internet ouvert et en encadrant les pratiques susceptibles d'être mises en œuvre par les opérateurs dans la gestion de leurs réseaux (voir le document « Neutralité de l'internet - Etat des lieux du cadre de régulation » publié par l'Autorité en septembre 2015 pour une présentation des dispositions du règlement) (6).
Si le règlement européen établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE concernant le service universel et les droits des utilisateurs au regard des réseaux et services de communications électroniques et le règlement (UE) n° 531/2012 concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l'intérieur de l'Union (ci-après « règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert »), qui a été adopté par le Parlement européen le 27 octobre 2015, est d'application directe, l'intervention du législateur est nécessaire pour permettre à l'ARCEP de contrôler le respect par les opérateurs des dispositions du règlement.
A cette fin, l'article 16 du projet de loi, dans sa version issue de la consultation publique, prévoit, tout d'abord, de compléter l'article L. 33-1 du CPCE en ajoutant une obligation pour les opérateurs de respecter « p) la neutralité de l'Internet, garantie, conformément au règlement n° … du Parlement européen et du Conseil du ... établissant des mesures relatives à l'internet ouvert et modifiant la directive 2002/22/CE sur le service universel et les droits de l'utilisateur concernant les réseaux de communication et les services et le règlement (UE) n° 531/2012 concernant l'itinérance sur les réseaux publics de communications mobiles à l'intérieur de l'Union, par :


- le traitement de façon égale et sans discrimination de tout trafic par les opérateurs dans la fourniture des services d'accès à Internet sans restriction ou interférence, quels que soient l'expéditeur et le destinataire, les contenus consultés ou diffusés, les applications ou les services utilisés ou fournis ou les équipements terminaux utilisés ;
- ainsi que par le droit des utilisateurs finals, y compris les personnes fournissant des services de communication au public en ligne d'accéder et de contribuer à Internet.


Des services autres que des services d'accès à internet optimisés pour des contenus, applications ou services spécifiques ou une combinaison de ceux-ci, peuvent également être fournis dans les conditions prévues par le même règlement. »
Le projet de loi complète également les articles L. 36-7 et L. 36-11 pour confier à l'ARCEP le pouvoir de sanctionner les manquements des opérateurs à leurs obligations au titre du règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert.
Afin d'assurer l'effectivité des dispositions du CPCE relatives aux pouvoirs de règlement de différend (7) et de recueil d'information (8) de l'ARCEP à l'égard des fournisseurs de services de communication au public en ligne, le projet de loi prévoit en outre que les manquements de ces acteurs aux dispositions du CPCE peuvent, à l'instar de ceux imputables aux opérateurs de communications électroniques, donner lieu à des sanctions pécuniaires.
Si les modifications du CPCE prévues par l'article 16 du projet de loi sont de nature à contribuer à la mise en œuvre effective du règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert, l'ARCEP invite le Gouvernement et le Parlement à envisager d'autres adaptations pour tirer toutes les conséquences de la réorientation importante de la régulation des communications électroniques que constitue pour l'ARCEP sa nouvelle mission de gardien de la neutralité de l'internet.
La régulation des communications électroniques a été pensée, il y a bientôt vingt ans, avec pour objectif principal l'ouverture du secteur à la concurrence et le maintien des garanties attachées alors au service public. Ces missions restent bien évidemment au cœur des travaux du Gouvernement et de l'ARCEP, qui mettent tous deux en œuvre la fonction de régulation au niveau national. Pour autant, avec les nouveaux principes et outils définis au niveau européen en matière de neutralité de l'internet, c'est bien une nouvelle orientation de la régulation qui se dessine : assurer, au-delà du caractère concurrentiel des marchés et de la mise en œuvre du service universel des communications électroniques, le droit de tout utilisateur (consommateur ou acteur de l'internet) de diffuser et d'accéder aux informations et contenus de son choix et le plein et entier respect de la neutralité dans l'acheminement du trafic correspondant.
En premier lieu, si le projet de loi prévoit de consacrer, à l'article L. 33-1 du CPCE, une obligation pour les opérateurs de respecter « la neutralité de l'internet », il serait cohérent que cette évolution se traduise dans les objectifs assignés au régulateur dans l'exercice de ses missions. Il pourrait ainsi être ajouté, au II de l'article L. 32-1 du CPCE, que, parmi les objectifs poursuivis, dans le cadre de leurs attributions respectives, par le ministre chargé des communications électroniques et l'ARCEP, figure : « 6° bis Le caractère ouvert et neutre d'internet […] ».
En deuxième lieu, l'ARCEP note que les règles en matière de neutralité de l'internet marquent le passage à une régulation plus « horizontale » ou « symétrique », dans laquelle l'ensemble des fournisseurs d'accès à internet sont soumis aux mêmes règles. Dans une telle situation, il existe un risque accru d'asymétrie d'information du régulateur vis-à-vis des opérateurs. Face à ce risque, au-delà des informations qui pourraient être recueillies auprès des personnes fournissant des services de communication au public en ligne concernant les conditions d'acheminement du trafic appliquées à leur service (cf. supra), il est nécessaire de veiller à l'effectivité du pouvoir d'enquête de l'ARCEP et du ministre chargé des communications électroniques. A cet égard, l'ARCEP estime que la rédaction actuelle des articles L. 32-4 et L. 32-5 du CPCE devrait être adaptée afin de préciser les conditions dans lesquelles les enquêteurs peuvent intervenir dans les locaux professionnels des opérateurs, à l'instar des dispositions applicables à d'autres autorités administratives indépendantes (CNIL, Autorité de la concurrence). Il conviendrait également de clarifier les cas dans lesquels une autorisation préalable du juge des libertés et de la détention est obligatoire, notamment lorsque les lieux sont affectés au domicile privé ou lorsqu'il est procédé à une saisie de documents. Une proposition de rédaction figure en annexe au présent avis.
En troisième lieu, l'Autorité invite le législateur et le Gouvernement à étudier un élargissement du champ de compétence de la Commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques aux questions relatives à la neutralité de l'internet. Cette commission parlementaire est en effet amenée à se prononcer largement sur le bon fonctionnement des secteurs des communications électroniques et des postes, ainsi que sur l'action de l'ARCEP, et il serait cohérent d'adapter son champ d'intervention pour tenir compte des nouveaux enjeux attachés à la neutralité de l'internet.
L'ARCEP souhaite également formuler les observations complémentaires suivantes :
Il convient tout d'abord de souligner que, s'il peut être opportun que le législateur national consacre à l'article 16 du projet de loi un principe de neutralité de l'internet, celui-ci ne pourra être interprété qu'en cohérence avec les dispositions du règlement européen.
De même, l'ARCEP relève que l'article 17 du projet de loi issu de la consultation publique prévoit d'introduire à l'article L. 33-1 du CPCE de nouvelles dispositions destinées, selon l'exposé des motifs, à permettre à tout utilisateur d'héberger ses propres données. L'ARCEP s'interroge sur la rédaction de cet article, dont la portée paraît dépasser la question de l'auto-hébergement, et note que le règlement européen consacre précisément le droit de tout utilisateur « d'accéder aux informations et aux contenus et de les diffuser, d'utiliser et de fournir des applications et des services et d'utiliser les équipements terminaux de leur choix ». S'il peut paraître peu opportun d'introduire des dispositions spécifiques en ce qui concerne l'auto-hébergement, il pourrait en revanche être souhaitable de préciser, au p) du I de l'article L. 33-1 ajouté par le projet de loi, que le droit des utilisateurs d'accéder aux informations et d'utiliser les terminaux de leurs choix se traduit notamment par le droit reconnu à tout utilisateur d'héberger ses propres données et de permettre aux tiers d'y accéder.
L'article 22 du projet de loi vise à modifier l'article L. 121-83 du code de la consommation (qui régit le contenu des contrats conclus par les opérateurs de communications électroniques avec les consommateurs) en vue de reprendre une partie des dispositions de l'article 4 du règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert. Dans le prolongement des dispositions du troisième « paquet télécom » (9), le règlement vient en effet renforcer les obligations de transparence pesant sur les opérateurs (en particulier en ce qui concerne la qualité des services fournis et l'impact des mesures de gestion de trafic éventuellement mises en œuvre).
A cet égard, l'Autorité relève que, conformément au troisième paragraphe de l'article 4 du règlement, les Etats membres restent libres « de maintenir ou d'instaurer des exigences supplémentaires en matière de surveillance, d'information et de transparence, y compris celles qui concernent le contenu, la forme et la méthode de publication des informations », dès lors que ces exigences respectent les dispositions communautaires. Si le droit national peut venir préciser, sur ce point, la portée des obligations prévues par le règlement, il convient là encore de veiller à la pleine cohérence des dispositions du code de la consommation avec celles du règlement.
Par ailleurs, l'article 16 du projet de loi vise à clarifier que les dispositions du CPCE relatives aux pouvoirs d'enquête et de règlement de différend de l'ARCEP en ce qui concerne les conditions d'acheminement appliquées aux services de communication au public en ligne (cf. supra) s'étendent notamment aux pratiques de gestion de trafic susceptibles d'être mises en œuvre par les opérateurs sur leurs réseaux. A cet égard, l'ARCEP note que la modification proposée en ce qui concerne l'article L. 32-4 du CPCE paraît distinguer « acheminement du trafic » et « gestion de trafic », au contraire de celle prévue pour l'article L. 36-8, qui vise les « conditions techniques et tarifaires d'acheminement, notamment de gestion, du trafic » (soulignement ajouté). L'ARCEP invite donc le Gouvernement à retenir pour ces deux articles la rédaction prévue pour l'article L. 36-8 du CPCE, afin de clarifier le fait que les pratiques de gestion de trafic sont d'ores et déjà inclues dans les « conditions d'acheminement du trafic » (v. annexe).
Enfin, le projet de loi insère par ailleurs au I de l'article L. 36-11 du CPCE un nouvel alinéa prévoyant que l'Autorité peut prononcer une mise en demeure « anticipée », c'est-à-dire mettre en demeure un opérateur de se conformer à une obligation s'il existe un risque caractérisé que celle-ci soit méconnue à l'échéance initialement fixée. Une telle faculté est nécessaire pour permettre d'assurer l'effectivité d'obligations s'inscrivant dans la durée et assorties d'échéances, notamment en matière de respect par les opérateurs mobiles de leurs obligations de couverture du territoire. Comme l'Autorité l'avait souligné dans son avis n° 2014-0191, « Une telle mise en demeure semblait déjà pouvoir être prononcée en vertu de la jurisprudence du Conseil d'Etat, de telle sorte que l'ajout de cet alinéa, en prévoyant de façon expresse cette faculté́, contribue à sécuriser le pouvoir de sanction de l'ARCEP » (CE, 10 juillet 1995, Sté TF1, n° 141726).
L'Autorité accueille favorablement une telle clarification et invite le Gouvernement et le Parlement à en prévoir par cohérence le pendant à l'article L. 5-9 du CPCE, qui régit le pouvoir de sanction de l'ARCEP en matière postale.


II. - Favoriser l'accès du public à l'information dans le secteur des communications électroniques


L'article 3 du projet de loi prévoit de modifier les dispositions de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 qui seront codifiées, au 1er janvier 2016, à l'article L. 312-1 du nouveau code des relations entre le public et l'administration (10), afin de substituer à une simple faculté l'obligation pour les administrations de publier en ligne, lorsqu'ils sont disponibles sous forme électronique et sous réserve notamment des secrets protégés par l'article L. 311-6 (dont le secret en matière commerciale et industrielle), qui codifie en partie l'article 6 de la loi du 17 juillet 1978, plusieurs catégories de documents administratifs, en particulier les documents communiqués en application du droit de communication prévu par cette loi, les bases de données qu'elles produisent ou reçoivent ainsi que les données dont la publication présente un intérêt économique, social ou environnemental.
L'Autorité, dont certaines bases de données sont d'ores et déjà publiées en ligne, salue l'instauration, prévue par cet article, du principe d'ouverture et de publication des données publiques (« open data »).
L'Autorité estime souhaitable d'aller plus loin, dans une démarche d'Etat-plateforme, en favorisant la mise à disposition d'informations par des tiers concernant le secteur des communications électroniques.
En complément des dispositions prévues par le projet de loi et de l'article 12 de la loi du 17 juillet 1978, relatif aux conditions de réutilisation des informations publiques, et afin de favoriser l'accès du public à des informations claires, comparables et actualisées dans les secteurs des communications électroniques et des postes, l'Autorité propose ainsi d'introduire dans le CPCE des dispositions permettant à des tiers qui le souhaiteraient de se prévaloir, sous certaines conditions, de son approbation lorsqu'ils élaborent et publient des études et informations présentant un intérêt particulier pour les utilisateurs (v. proposition en annexe du présent avis). Les initiatives approuvées par l'Autorité, qu'elles recourent à des données publiques ou issues de la production participative (« crowdsourcing »), bénéficieraient ainsi d'une visibilité accrue permettant de les distinguer au sein de l'ensemble des informations disponibles sur internet et représenteraient un gage de qualité pour les utilisateurs.
Par ailleurs, l'article 33 prévoit que l'ARCEP mette à disposition du public, par voie électronique, sous un standard ouvert aisément réutilisable et sous réserve d'en mentionner la source, les cartes numériques de couverture en services fixe et mobile que les opérateurs doivent publier sur leur site internet, ainsi que les données servant à établir ces cartes. La disposition en cause vise à mettre à disposition, sur le site de l'ARCEP, notamment dans le cadre de son observatoire sur la couverture et la qualité des services mobiles, des informations enrichies, réutilisables et comparables quant à la réalité de la couverture des services dont les utilisateurs bénéficient. Ce dispositif permettra, d'une part, aux utilisateurs de s'assurer que les cartes correspondent au mieux à la réalité de leur expérience et, d'autre part, à d'éventuels tiers, de développer des applications innovantes en réutilisant les données publiées. L'ARCEP accueille ainsi avec grande satisfaction ce dispositif, qui apparaît pertinent pour enrichir l'information des utilisateurs qu'ils soient, par exemple, particuliers ou collectivités territoriales.
L'ARCEP souhaite également formuler les observations complémentaires suivantes :
L'Autorité relève que les dispositions de l'article 3 du projet de loi prévoient l'obligation de publier les bases de données et leur contenu ainsi que les données dont la publication présente un intérêt économique, social ou environnemental. En pratique, compte tenu de la difficulté inhérente à la manipulation et à l'interprétation de données brutes, il apparaît que la publication d'avertissements méthodologiques, précisant par exemple les modalités d'élaboration des données et les éventuelles réserves d'interprétation liées à ces modalités, pourrait utilement accompagner la publication de ces informations, afin de conserver l'intérêt économique, social ou environnemental qu'elles présentent et de favoriser leur appropriation et leur compréhension par les acteurs.


III. - Accompagner la réussite de la République numérique


Le projet de loi propose d'introduire des règles nouvelles s'appliquant aux acteurs du numérique, destinées à protéger les utilisateurs et à favoriser leur confiance. L'Autorité souscrit pleinement à la volonté du Gouvernement de se situer en anticipation par rapport à la révolution numérique et à ses conséquences pour notre économie et nos concitoyens. Pour autant, le numérique étant un phénomène par nature innovant, pervasif et international, il apparaît primordial de définir des textes de portée suffisamment générale afin d'assurer leur cohérence avec les règles qui pourraient être fixées au niveau européen et d'éviter une rigidité ou une obsolescence prématurée des textes nationaux. Au regard de son expertise de régulateur sectoriel des réseaux du numérique, l'Autorité soumet les observations suivantes.


1. Loyauté des plateformes


Le projet de loi, dans sa version issue de la consultation publique, prévoit d'introduire une définition des « plateformes en ligne » et de préciser les obligations qui s'imposent à elles en matière de loyauté, de clarté et de transparence de l'information vis-à-vis des consommateurs. Les « plateformes en ligne » sont définies par référence à leur rôle de mise en relation de tiers mais également par leur fonction de classement et de référencement des contenus, biens ou services proposés par des tiers. En outre, il est confié aux ministres chargés de l'économie et du numérique la faculté notamment de procéder à des enquêtes auprès des plateformes en ligne et de publier la liste des plateformes ne respectant par leurs obligations.
A l'heure où le principe du caractère ouvert d'internet vient d'être consacré en droit européen, l'Autorité estime qu'il est légitime de s'intéresser à la question de la transparence et de la loyauté des plateformes en ligne, dont certaines ont acquis un rôle majeur dans le fonctionnement de l'économie et de la société numériques. En effet, comme l'Autorité l'avait noté dès 2010, « l'exercice effectif par les utilisateurs de leur liberté de choix entre les prestations (services/applications/contenus) rendues disponibles par les PSI via l'internet implique que ces derniers respectent […] des principes d'objectivité et de transparence vis-à-vis de l'utilisateur en ce qui concerne les règles utilisées, dans le cas où les [prestataires de la société de l'information] exercent un rôle de sélection ou de classement de contenus tiers, ce qui est notamment le cas des moteurs de recherche » (11). En ce sens, l'Autorité avait indiqué, dans le cadre de la concertation numérique menée par le Conseil national du numérique, qu'elle était favorable à l'introduction dans le droit positif d'un principe de loyauté des plateformes (12).
Toutefois, l'Autorité considère qu'une solution pérenne, pertinente et globale aux questions posées par le rôle et l'importance des plateformes en ligne dans leurs relations tant avec les consommateurs qu'avec les professionnels doit être d'abord recherchée au niveau européen.
Comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans son étude annuelle de 2014 portant sur « Le numérique et les droits fondamentaux », l'introduction de dispositions nationales visant à définir un régime juridique applicable aux plateformes est de nature à soulever des difficultés juridiques, au regard du cadre communautaire, et pratiques (13). A cet égard, si la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique n'interdit pas d'imposer aux acteurs proposant un service de la société de l'information, dont les plateformes en ligne, des obligations nécessaires et proportionnées pour assurer la protection des consommateurs, l'extension de ces obligations à la protection des professionnels impliquerait un examen plus approfondi vis-à-vis du cadre communautaire.
Or, compte tenu du rôle d'intermédiaire joué par les plateformes et du caractère biface des marchés sur lesquels elles interviennent, il est indispensable d'aborder la question de la loyauté des plateformes de manière globale, en garantissant cette loyauté tant vis-à-vis des consommateurs que des professionnels, dont les contenus ou services sont susceptibles d'être référencés par les plateformes et à l'égard desquels les pratiques mises en œuvre par les plateformes peuvent avoir des conséquences très importantes. De manière très concrète, de nombreuses startups et PME souhaitant accéder aux marchés numériques via des magasins d'applications, des liens sponsorisés ou encore des interfaces de programmation sont aujourd'hui soumises aux comportements, parfois unilatéraux, des grandes plateformes en ligne. Cet enjeu, essentiel pour la compétitivité de l'économie française, ne saurait être omis.
En outre, l'adoption de mesures contraignantes au seul niveau national soulèvera des difficultés de mise en œuvre à l'égard des principaux acteurs internationaux, et risque d'affecter principalement les acteurs établis en France.
Si l'adoption de dispositions nationales prévoyant des obligations contraignantes apparaît prématurée, il apparaît cependant souhaitable de mener dès à présent un travail de recueil et de diffusion de l'information nécessaire pour recenser, analyser et comparer les pratiques des plateformes en ligne, y compris à l'égard des utilisateurs professionnels. Cette information, dont les éléments devraient être déterminés après concertation avec le secteur, pourrait notamment concerner les principales caractéristiques des algorithmes de classement ou encore les questions d'ouverture des interfaces de programmation (« API ») de ces services.
A cet égard, l'Autorité a noté avec intérêt la proposition du Conseil national du numérique dans son rapport remis au Premier ministre en juin 2015 (14), consistant à promouvoir un système de notation des plateformes s'appuyant sur un réseau ouvert de contributeurs. Un tel système permettrait d'enrichir et de rendre aisément accessibles et comparables les informations rassemblées par les observateurs et outils d'ores et déjà existants et de proposer un espace permettant aux utilisateurs de signaler les pratiques qui leur semblent contraires à la loyauté des plateformes. En outre, comme le souligne le Conseil, la France pourrait avoir un rôle moteur dans la mise en place d'un tel dispositif de notation en l'instaurant d'ores et déjà dans un cadre national tout en portant des initiatives plus larges au niveau européen.


2. Secret des correspondances


L'article 30 du projet de loi prévoit d'introduire à l'article L. 32-3 du CPCE des dispositions imposant aux « éditeurs de services de communication au public en ligne » le respect du secret des correspondances, à l'instar de l'obligation déjà prévue pour les opérateurs de communications électroniques (15).
Le secret des correspondances fait en effet partie intégrante du cadre actuel de régulation des postes et des communications électroniques.
Compte tenu de l'évolution massive des usages, l'Autorité estime qu'il peut être légitime et utile de compléter les obligations en matière de secret des correspondances opposables à ce jour aux échanges par téléphone et par SMS afin qu'elles concernent plus largement les échanges sur les réseaux numériques.
Dans ce cadre, l'Autorité invite le Gouvernement à veiller à la définition d'un cadre juridique solide et cohérent, permettant une prévention et une répression effectives des atteintes au secret des correspondances.
En effet, les dispositions de l'article 30 du projet de loi font peser les nouvelles obligations sur les « éditeurs de services de communication au public en ligne permettant aux utilisateurs de ces services d'échanger des correspondances ». Or, la définition de la communication au public en ligne au sens des dispositions de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (« LCEN ») exclut toute communication ayant le caractère d'une correspondance privée (16). Il semble nécessaire de lever cette contradiction afin de conférer à l'article 30 sa pleine portée utile.
Si l'appréhension cohérente de ces diverses notions nécessite une analyse approfondie, il apparaît en revanche qu'une partie des services en ligne permettant l'échange de communications ayant le caractère de correspondance privée est susceptible de relever de la catégorie des services de communications électroniques. Il s'agit en particulier des services de courrier électronique (17) qui, au regard notamment du cadre communautaire, semblent pouvoir être considérés comme des services de communications électroniques (18).
Si les implications d'une telle qualification des services de courrier électronique sont jusqu'ici apparus limitées, le projet de loi montre qu'il pourrait désormais exister un réel enjeu, pouvant justifier de clarifier le statut de ces acteurs.
Par ailleurs, s'agissant des services permettant l'échange de correspondances autres que ceux susceptibles d'être qualifiés de services de communications électroniques, l'Autorité note que la question de l'inclusion des services numériques permettant l'échange de correspondances dans le champ de la régulation des communications électroniques constitue précisément l'un des principaux enjeux de la révision du cadre qui s'engage (19).
L'ARCEP souhaite également formuler les observations complémentaires suivantes :
L'article 30 du projet de loi, dans sa rédaction issue de la consultation publique, modifie la rédaction de l'article L. 32-3 du CPCE en vigueur pour préciser que l'obligation de respecter le secret des correspondances s'applique, non plus aux « opérateurs » mais aux « opérateurs de réseaux et fournisseurs de services de communications électroniques ». Compte tenu de la définition de la notion d'opérateur prévue au 15° de l'article L. 32 du CPCE, qui inclut les exploitants de réseaux ouverts au public et les fournisseurs de services de communications électroniques au public (20), l'Autorité suggère de conserver la rédaction en vigueur.


3. Portabilité des courriers électroniques et des données


L'article 18 du projet de loi prévoit l'introduction d'une nouvelle section relative à la récupération et à la portabilité des données et des courriers électroniques au sein du code de la consommation. Comme le préciserait le nouvel article L. 121-123 de ce code, les dispositions ainsi introduites auraient toutefois vocation à s'appliquer au bénéfice tant des consommateurs que des professionnels.
Plus précisément, un nouvel article L. 121-121 du code de la consommation viendrait imposer l'obligation à tout fournisseur d'un service de courrier électronique comprenant la mise à disposition d'une adresse de courrier électronique de proposer gratuitement à son utilisateur une fonctionnalité permettant de transférer les messages de sa boîte ainsi que sa liste de contacts vers un autre fournisseur de service de courrier électronique, sous réserve de la capacité de stockage du service fourni par ce dernier. A cet effet, les dispositions de cet article prévoient l'obligation pour le fournisseur de transmettre à tout autre fournisseur les informations nécessaires à la mise en place de la fonctionnalité gratuite et notamment celles relatives aux règles techniques et standards applicables. Cet article prévoit en outre d'introduire une obligation similaire à celle que l'article L. 44-1 du CPCE impose aux fournisseurs d'accès à internet, à savoir l'obligation pour le fournisseur de service de courrier électronique de permettre à ses utilisateurs de consulter gratuitement leurs courriers électroniques pendant une durée de six mois à compter de la résiliation ou de la désactivation du service.
Par ailleurs, un nouvel article L. 121-122 du code de la consommation imposerait aux fournisseurs de services de communication au public en ligne, d'une part, de proposer aux utilisateurs une fonctionnalité gratuite permettant la récupération des fichiers mis en ligne ainsi que les données associées au compte utilisateur et, d'autre part, de fournir aux utilisateurs une information précontractuelle et contractuelle concernant la possibilité ou l'impossibilité de récupérer les données ayant fait l'objet d'un traitement et, le cas échéant, des modalités de récupération des données.
L'Autorité note que les difficultés à transférer leurs messages et leurs données peuvent constituer un frein au changement de fournisseur de services pour les consommateurs et les professionnels. Aussi l'Autorité accueille-t-elle favorablement l'objectif poursuivi par ces dispositions, qui visent à réduire la viscosité du marché des services numériques, notamment de courrier électronique ou de cloud computing.
Au-delà des questions d'articulation avec le cadre communautaire - et tout particulièrement des dispositions relatives à la récupération des données stockées en ligne avec la proposition de règlement européen sur les données personnelles (21) - l'Autorité estime qu'il convient de ne pas sous-estimer la complexité technique et opérationnelle liée à la mise en œuvre des dispositifs de récupération et de portabilité des données prévus par le projet de loi.
A cet égard, s'agissant notamment de la récupération des courriers électroniques, l'exemple tiré de la mise en œuvre de l'obligation de portabilité des numéros fixes et mobiles imposée aux opérateurs de communications électroniques peut permettre de tirer certains enseignements et points d'attention.
Initiés il y a plus de dix ans, les travaux de mise en œuvre de la portabilité des numéros mobiles et fixes ont nécessité :


- la définition de processus opérationnels communs décrivant les différentes étapes nécessaires à la conservation d'un numéro avec, pour chacune d'elles, les rôles et responsabilités des opérateurs impliqués, et des impacts parfois structurants sur la relation client (ex. notion de « simple guichet » dans laquelle le client peut mettre en œuvre l'ensemble du processus de portabilité en sollicitant uniquement l'opérateur cible, par opposition à un système de « double guichet » nécessitant une première étape auprès de l'opérateur initial) ;
- l'élaboration de protocoles informatiques communs permettant les échanges d'informations nécessaires entre opérateurs et leur traitement efficace ;
- le développement d'outils informatiques par chaque opérateur pour intégrer ces protocoles aux spécificités de leurs systèmes d'information.


Bien qu'il existe des différences, en termes de périmètres et de contraintes opérationnelles, avec le dispositif prévu par le projet de loi (22), l'exemple de la portabilité des numéros montre que la mise en place de telles mesures, s'appliquant à l'ensemble d'un secteur, doit s'appuyer tant sur la co-régulation (le développement d'outils communs et leur exploitation ont été rendus possibles grâce au regroupement des opérateurs au sein de structures dédiées (23), sous l'égide de l'ARCEP) que sur l'utilisation d'outils contraignants (les protocoles de portabilité sont élaborés sur la base de décisions de l'ARCEP (24), qui veille à leur respect au travers des pouvoirs de contrôle prévus par le CPCE).
En particulier, en ce qui concerne la fonctionnalité de transfert s'imposant aux fournisseurs de courrier électronique, les dispositions du deuxième alinéa de l'article L. 121-121 font référence aux informations relatives « aux règles techniques et aux standards applicables » qui doivent être fournies à tout autre fournisseur de courrier électronique. L'expérience de la portabilité des numéros montre que l'harmonisation de ces règles et standards constitue un facteur clé de succès et réduit les coûts de mise en œuvre. En lien avec les observations précédemment formulées dans la partie relative au secret des correspondances, l'Autorité souligne que les obligations qui seraient imposées aux fournisseurs de courrier électronique en matière de portabilité, pourraient logiquement être incluses dans le champ de la régulation des communications électroniques.
Enfin, il conviendra, en tout état de cause, de veiller à ce que le dispositif ne créée pas de barrière à l'entrée pour les petits acteurs, pour lesquels la gestion de la complexité administrative d'une portabilité généralisée pourrait créer une charge disproportionnée.
L'ARCEP souhaite également formuler les observations complémentaires suivantes :
Si les dispositions du premier alinéa de l'article L. 121-121 précisent que la fonctionnalité proposée est gratuite pour son utilisateur, il pourrait être utile que la loi encadre expressément les conditions tarifaires dans lesquelles un fournisseur de service de courrier électronique peut accéder aux informations mentionnées au deuxième alinéa de l'article (en précisant si cette mise à disposition d'information doit être gratuite ou en encadrant le niveau tarifaire de cette prestation [25]).
En outre, concernant les caractéristiques de cette fonctionnalité, l'Autorité remarque que la possibilité de transférer individuellement chaque message émis ou reçu vers l'adresse de courrier électronique d'un autre fournisseur fait partie des fonctionnalités de base proposées par tout service de courrier électronique. Afin d'éviter toute ambigüité, il conviendrait de préciser que cette fonctionnalité doit permettre de transférer « directement et simplement » l'ensemble des messages émis ou reçus « dans leur globalité » et non pas individuellement comme pourrait le laisser penser la rédaction actuelle.


4. Dispositions relatives à l'entretien des réseaux de communications électroniques et de leurs abords


L'article 35 du projet de loi porte sur l'entretien des réseaux fixes et reprend en grande partie les dispositions de la proposition de loi relative à l'entretien et au renouvellement du réseau des lignes téléphoniques, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 7 mai 2015.
Le projet de loi prévoit d'imposer à l'opérateur chargé de fournir la composante relative à l'accès et au service téléphonique fixe du service universel l'obligation de remettre à l'ARCEP un rapport présentant un état des lieux détaillé de son réseau fixe, ce rapport pouvant le cas échéant être complété par une analyse à l'échelle de l'arrondissement en cas de méconnaissance par l'opérateur des obligations prévues par le cahier des charges.
Il est par ailleurs prévu de modifier l'article L. 36-11 du CPCE relatif au pouvoir de sanction de l'ARCEP afin, d'une part, de prévoir que les maires peuvent saisir l'ARCEP d'une demande de sanction et, d'autre part, d'alourdir la sanction pécuniaire maximum pouvant être prononcée à l'encontre d'un opérateur lorsque ce dernier est prestataire de service universel et a méconnu les obligations pesant sur lui à ce titre.
L'Autorité relève que le réseau de cuivre demeurera, à court et moyen termes, le principal réseau de communications électroniques pour de nombreux territoires. A cet égard, elle estime que la qualité de ce réseau doit faire l'objet d'une attention particulière afin de ne pas aggraver la fracture numérique sur certains territoires.
Le cadre en vigueur prévoit des obligations générales en matière de permanence, de continuité et de qualité du service (articles L. 33-1 et D. 98-4 du CPCE). Des obligations spécifiques, définies par le ministre chargé des communications électroniques, pèsent par ailleurs sur l'opérateur chargé de la fourniture de la composante relative à l'accès et au service téléphonique fixe. A ce titre, le cahier des charges annexé à l'arrêté du 31 octobre 2013 définit les objectifs de qualité de service qu'Orange doit respecter.
Le cadre réglementaire privilégie ainsi une approche fondée sur l'atteinte d'objectifs et confie à l'ARCEP la mission de contrôler le respect de ces obligations. Ce contrôle s'effectue au travers de l'obligation pour le prestataire du service universel de lui transmettre des informations de manière périodique ou ponctuelle, mais peut aussi être mené dans le cadre d'enquêtes administratives.
Ainsi, l'ARCEP, alertée sur la dégradation de la qualité constatée dans plusieurs territoires, a lancé deux enquêtes administratives sur ce sujet dans le courant de l'année 2014, en application du cadre réglementaire rappelé ci-dessus. Des engagements ont été pris par Orange et l'Autorité s'attache actuellement à en évaluer le respect et la portée.
L'Autorité estime qu'il convient de maintenir une approche fondée sur les objectifs à atteindre et leur contrôle. A cet égard, devrait être examiné en priorité un éventuel renforcement des obligations de service universel par voie réglementaire, compte tenu de l'importance des enjeux attachés à la qualité du service universel. Au niveau législatif, les modifications apportées en ce qui concerne le pouvoir de sanction de l'Autorité peuvent également contribuer à un meilleur respect du cahier des charges.
L'ARCEP souhaite également formuler les observations complémentaires suivantes :
En ce qui concerne l'élaboration par le prestataire du service universel d'un rapport présentant un état des lieux détaillé de son réseau fixe, l'ARCEP s'interroge sur la proportionnalité de l'obligation qui pèserait sur ce prestataire de mener une analyse, à l'échelle de l'arrondissement, de l'état du réseau lorsque les obligations prévues par le cahier des charges ne sont pas respectées. En effet, eu égard notamment à la maille retenue, cette obligation est susceptible de faire peser sur l'opérateur une charge très importante qui risque d'être in fine répercutée sur les usagers.
Le projet de loi prévoit par ailleurs de qualifier d'utilité publique les travaux d'entretien des réseaux fixes de communications électroniques et de leurs abords (article L. 35 du CPCE) et de préciser les règles applicables à l'entretien des abords des réseaux fixes de communications électroniques (article L. 50 du CPCE).
Sur ce point, l'ARCEP invite le Gouvernement et le Parlement à clarifier le régime applicable aux opérations d'entretien des abords des réseaux mentionnées au I de l'article L. 50 du CPCE lorsqu'elles sont menées sur le domaine public (routier et non routier).


5. Lettre recommandée électronique


L'article 36 du projet de loi porte sur la lettre recommandée électronique.
D'une part, cet article crée dans le CPCE un article L. 5-11 régissant ce service et prévoyant qu'il a les mêmes effets juridiques que la lettre recommandée papier ou hybride ; il modifie également l'article L. 5-1 relatif aux modalités d'attribution des autorisations des prestataires de services postaux.
Le projet d'article L. 5-11 dispose ainsi que « la lettre recommandée électronique est distribuée par un prestataire postal disposant d'une autorisation de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en vertu de l'article L. 5-1 » (soulignement ajouté). A cet effet, une disposition est insérée dans l'article L. 5-1 du CPCE prévoyant que l'Autorité délivre une autorisation aux prestataires de lettre recommandée électronique, pour une durée de trois ans, dans les mêmes conditions que l'autorisation postale.
L'article L. 5-11 prévoit également que « la lettre recommandée électronique est distribuée par un prestataire dûment reconnu comme prestataire de service de confiance qualifié pour les services d'envoi recommandé électronique au sens du Règlement (UE) n° 910/2014 du Parlement européen et du Conseil du 23 juillet 2014 » sur l'identification électronique et les services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché intérieur (eIDAS).
D'autre part, l'article 36 du projet de loi complète l'article L. 5-3 du CPCE en prévoyant que l'Autorité est compétente pour prononcer des sanctions à l'encontre des prestataires de lettre recommandée électronique en cas de manquement aux obligations législatives et réglementaires afférentes à leur activité.
La lettre recommandée électronique constitue un outil essentiel pour l'économie numérique en contribuant à la sécurité des échanges dématérialisés et un vecteur de modernisation des relations entre l'Etat et les citoyens. Un cadre juridique sécurisé garantissant la même valeur juridique à la lettre recommandée électronique qu'à la lettre recommandée traditionnelle favoriserait l'essor de ce service.
A cet égard, l'adoption du règlement européen eIDAS a permis de poser les bases d'une mise en œuvre sécurisée du service de lettre recommandée électronique en Europe, en précisant les exigences techniques applicables afin de garantir la sécurité des échanges par voie électronique. Il convient désormais, au niveau national, de veiller à la mise en place d'une législation claire, adaptée et harmonisée pour accompagner le développement du service de recommandé électronique.
Toutefois, en l'état actuel, le dispositif proposé par l'article 36 du projet de loi n'apparaît pas suffisamment abouti pour permettre l'atteinte d'un tel objectif. A cet égard l'Autorité souhaite formuler les observations suivantes.
En premier lieu, la lettre recommandée électronique se voit appliquer une partie du régime applicable aux envois postaux du fait de l'inscription des dispositions y relatives dans la partie postale du CPCE et des modalités d'autorisation prévues, identiques à celles des prestataires de service postaux, et ce, alors même qu'elle n'entre pas dans le champ des envois postaux tels que définis par l'article L. 1 du CPCE : « Constitue un envoi postal tout objet destiné à être remis à l'adresse indiquée par l'expéditeur sur l'objet lui-même ou sur son conditionnement, y compris sous forme de coordonnées géographiques codées, et présenté dans la forme définitive dans laquelle il doit être acheminé. Sont notamment considérés comme des envois postaux les livres, les catalogues, les journaux, les périodiques et les colis postaux contenant des marchandises avec ou sans valeur commerciale. »
Le texte prévoit également que la lettre recommandée soit distribuée par un « prestataire postal » disposant d'une autorisation de l'ARCEP. La formulation retenue pourrait laisser penser que seuls les prestataires autorisés par l'Autorité à fournir des services postaux pourraient prétendre offrir un service de lettre recommandée électronique, ce qui serait une restriction considérable à l'exercice de cette activité et n'apparaît pas justifié. La référence au statut postal des prestataires concernés ne paraît pas pertinente.
En deuxième lieu, on peut s'interroger sur l'articulation entre la procédure visant à la qualification de « prestataire de service de confiance qualifié » au sens du règlement européen susmentionné et celle correspondant à l'autorisation qui serait délivrée par l'ARCEP ainsi que sur la valeur ajoutée de cette dernière. Cette contrainte supplémentaire d'autorisation pour les prestataires souhaitant offrir un service de lettre recommandée électronique présente le risque d'être considérée, au regard du cadre communautaire, comme une restriction aux libertés d'établissement et de prestation de services garanties par les articles 49 et 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (« TFUE ») et par l'article 4 du règlement eIDAS (26).
En troisième lieu, la lettre recommandée électronique fait déjà l'objet de dispositions juridiques en droit national. La possibilité d'utiliser le service de lettre recommandée électronique en lieu et place de la Lettre recommandée traditionnelle est ainsi prévue en France par :


- l'article 1369-8 du le code civil pour la conclusion et de l'exécution des contrats : les caractéristiques et conditions d'utilisation de ce service sont encadrées par le décret n° 2011-144 du 2 février 2011 ;
- l'ordonnance n° 2014-1330 du 6 novembre 2014, relative au droit des usagers de saisir l'administration par voie électronique (modifiant l'ordonnance du 8 décembre 2005) dans le cadre des relations entre l'administration et ses usagers.


Les dispositions de l'article 36 du projet de loi ne permettent pas d'harmoniser les règles applicables à la lettre recommandée électronique mais viennent créer un régime distinct, ce qui vient complexifier le paysage juridique existant et pourrait au final être source de confusion à la fois pour les utilisateurs et pour les prestataires.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit de reconnaître à la lettre recommandée électronique les mêmes effets juridique que ceux de la lettre recommandée papier ou hybride. Or, cette dernière se voit attacher des caractéristiques obligatoires prévues par la directive postale (27) et par le droit interne (remise d'une preuve de dépôt et de distribution, indemnisation forfaitaire en cas de « perte », avis de réception, délai de mise en instance de quinze jours) qui ne sont pas retranscrites par l'article 36 du projet de loi pour la lettre recommandée électronique.
En conclusion, l'Autorité émet un avis très réservé sur les dispositions de l'article 36 du projet de loi. Elle suggère la constitution d'une mission pour mener les travaux techniques et juridiques nécessaires préalablement à la rédaction d'un texte législatif relatif à la lettre recommandée électronique. L'Autorité est prête à y apporter toute contribution utile.


6. Accessibilité des personnes handicapées


L'article 28 du projet de loi comporte des dispositions destinées à renforcer de manière significative l'accessibilité des services téléphoniques pour les personnes handicapées et ce au travers de trois axes :


- en premier lieu, une obligation pour les services publics et les associations reconnues d'utilité publique de rendre gratuitement accessibles leurs « services d'accueil téléphonique destinés à recevoir les appels des usagers » ;
- en deuxième lieu, une obligation pour les entreprises de rendre accessibles les « numéro(s) de téléphone destiné(s) à recueillir l'appel d'un consommateur en vue d'obtenir la bonne exécution d'un contrat conclu avec un professionnel ou le traitement d'une réclamation » et ce « dans les mêmes conditions » qu'elles le fournissent aux autre consommateurs ;
- en troisième lieu, une obligation pour les opérateurs de communications électroniques de proposer aux utilisateurs handicapés « une offre de services de communications électroniques, incluant la fourniture, à un tarif abordable, d'un service de traduction écrite simultanée et visuelle ».


Cette évolution permet de renforcer les actions déjà mises en place (28) pour faciliter l'accès des personnes sourdes et malentendantes aux communications électroniques et constitue ainsi une avancée importante pour l'accès de l'ensemble des utilisateurs aux services numériques.
Les modalités de mise en œuvre de ces obligations seront précisées par décret. A cet égard, il conviendra notamment de veiller à ce que les conditions de mise en œuvre assurent la proportionnalité de l'obligation reposant sur les opérateurs de communications électroniques. En particulier, compte tenu des coûts de mise en place de telles solutions, il est important que les décrets d'application offrent la possibilité pour les services publics, les entreprises et les opérateurs de communications électroniques de mutualiser leurs solutions ou de recourir à des prestataires externes. Il semble par ailleurs nécessaire que la nouvelle obligation pesant sur les opérateurs de communications électroniques soit dans un premier temps applicable uniquement aux principaux opérateurs présents sur les marchés résidentiels.
L'Autorité note enfin que la mise en œuvre des dispositifs prévus par le projet de loi impliquera de former au cours des prochaines années un nombre important de personnes à la transcription et à l'interprétation. A cet égard, et au-delà des actions d'accompagnement de cette filière qui devraient être mises en œuvre par les pouvoirs publics, il conviendra de s'assurer que les délais de mise en œuvre de ces obligations soient compatibles avec ces nécessités.


IV. - Autres pistes d'évolution


L'ARCEP souhaite enfin soumettre au Gouvernement deux autres pistes d'évolution législative qui pourraient être insérées dans le projet de loi.


1. IPv6


L'adressage sur internet repose aujourd'hui sur deux formats d'adresses IP : IPv4 et IPv6. Ces adresses sont attribuées en pratique par l'ICANN via 5 registres régionaux (le RIPE pour l'Europe).
Il existe un peu plus de 4 milliards d'adresses IPv4 différentes, ce qui était largement suffisant aux débuts de l'internet. Aujourd'hui, néanmoins, la quasi-totalité des blocs d'adresses IPv4 ont déjà été attribués par les registres régionaux.
IPv6 est une version plus avancée du protocole IP développée par l'IETF et finalisée en 1998, qui utilise des adresses d'une longueur de 128 bits au lieu de 32 bits (pour IPv4). Le nombre d'adresses disponibles est donc considérablement plus important (



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JOnº 0235 du 08/10/2016, texte nº 56


soit environ



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fois plus d'adresses) et de nature à couvrir l'ensemble des besoins futurs.
Or, le déploiement d'IPv6 est plus lent que ce qui avait été espéré. Au début de l'année 2015, la proportion d'utilisateurs en IPv6 était estimée à environ 5 % par Google, l'un des promoteurs d'IPv6. Certains considèrent que les difficultés et les coûts de la migration ont été sous-estimés, notamment avec la nécessité de changer un certain nombre d'équipements anciens ; l'indifférence des utilisateurs et l'absence de bénéfices clairs liés à la migration sont d'autres freins fréquemment cités.
En outre, les adresses IPv4 et IPv6 ne sont pas compatibles, la communication entre un équipement ne supportant qu'IPv4 et un équipement ne supportant qu'IPv6 pose donc des difficultés. Deux approches sont possibles pour permettre la communication : mettre en place des systèmes de « traduction » ou un double adressage IPv4/IPv6.
L'Autorité propose que des dispositions du projet de loi incluent dans le champ de la régulation des communications électroniques assurée par le ministre et l'Autorité la mission de suivre et d'inciter les acteurs du secteur à la transition vers l'IPv6.


2. Parité


L'ordonnance n° 2015-948 du 31 juillet 2015 a introduit de nouvelles règles de désignation des membres des autorités administratives indépendantes (« AAI ») et autorités publiques indépendantes (« API ») de manière à favoriser l'égal accès des femmes et des hommes au sein du collège de ces instances. Ces règles concernent les AAI et API qualifiées comme telles par le législateur à la date d'examen de la loi d'habilitation par le Conseil constitutionnel.
L'Autorité n'étant pas qualifiée d'AAI par la loi, bien que le Conseil constitutionnel lui ait reconnu ce statut (29), elle n'est pas au nombre des AAI et API concernées par l'ordonnance du 31 juillet 2015.
L'Autorité, dont la composition actuelle respecte en pratique le principe de parité, propose ainsi d'introduire dans le projet de loi des dispositions garantissant de façon pérenne la parité en son sein.


3. Favoriser l'inter-régulation entre l'ARCEP et la CNIL


Dans son rapport au Gouvernement de juin 2015, le Conseil national du numérique (30) relevait que les problématiques liées aux enjeux numériques étaient de plus en plus susceptibles de relever de la compétence et/ou de l'expertise de plusieurs régulateurs, ce qui pourrait appeler à décloisonner les approches et à favoriser l'inter-régulation entre ces autorités.
A cet égard, l'ARCEP note qu'un nombre croissant de problématiques se pose quant aux enjeux de respect de la vie privée dans le secteur des communications électroniques. Ainsi, l'article 3 du règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert, qui encadre les exceptions au principe selon lequel les fournisseurs d'accès à internet doivent traiter l'ensemble du trafic de manière égale et non discriminatoire, prévoit que les mesures de gestion de trafic susceptibles d'être mises en œuvre ne « peuvent donner lieu au traitement de données à caractère personnel que si ce traitement est nécessaire et proportionné à la réalisation des objectifs fixés [par le règlement] », et dans le respect des dispositions du droit de l'Union protégeant la vie privée et les données personnelles. Dans un autre registre, les questions de respect du secret des correspondances peuvent, tout en relevant de la régulation des communications électroniques, soulever des questions dépassant le strict cadre technico-économique habituel.
Afin d'assurer le contrôle effectif de ces dispositions et, plus généralement, de favoriser la coopération entre la CNIL et l'ARCEP, il serait pertinent que le projet de loi introduise des dispositions permettant à chacune de ces autorités de saisir l'autre pour avis dans son domaine de compétence.


Conclusion


Le projet de loi pour une République numérique comporte des mesures ambitieuses en vue de renforcer la protection des personnes et de développer leur confiance dans l'économie et la société numériques.
Concernant la neutralité de l'internet, l'Autorité accueille favorablement les mesures du projet de loi permettant la mise en œuvre du règlement établissant des mesures relatives à l'accès à un internet ouvert. Elle invite néanmoins le Gouvernement à tirer toutes les conséquences de la réorientation importante que constitue pour l'ARCEP sa nouvelle mission de gardien du principe de neutralité de l'internet, notamment en consacrant le caractère ouvert et neutre d'internet parmi les objectifs auxquels l'ARCEP et le ministre chargé des communications électroniques doivent veiller et en renforçant l'effectivité de leurs pouvoirs d'enquête et d'investigation à cette fin.
Le projet de loi vise par ailleurs à définir des règles relatives à certaines activités numériques. Si l'ARCEP souscrit pleinement aux objectifs visés, elle appelle l'attention du Gouvernement sur le caractère fortement innovant et la dimension internationale de ces activités. A l'heure où s'engage la révision du cadre européen (quatrième « paquet télécom », marché unique numérique, règlement général sur la protection des données personnelles), il convient de ne pas affaiblir la capacité d'innovation des acteurs du marché, ni d'isoler la France au plan européen. Aussi l'Autorité invite-t-elle le Gouvernement à privilégier, autant que possible, les solutions fondées sur le droit souple et la régulation, plutôt que sur la définition de nouvelles réglementations sectorielles, lesquelles risquent, face aux évolutions permanentes du marché, de s'avérer trop rigides et rapidement obsolètes.
S'agissant des services de lettre recommandée électronique, l'Autorité émet un avis très réservé sur les dispositions de l'article 36 du projet de loi et estime que des travaux techniques et juridiques préalables sont indispensables afin de définir un cadre cohérent pour ces services. L'ARCEP suggère que ces travaux soient menés dans le cadre d'une mission, à laquelle elle pourra apporter toute contribution utile. En tout état de cause, si ces dispositions du projet de loi devaient être adoptées, l'ARCEP souligne que, faute de concertation avec le Gouvernement, elle n'a pas été en mesure d'anticiper les nouvelles missions qui pourraient lui échoir et ne pourra assurer leur pleine mise en œuvre sans moyens supplémentaires.
Enfin, l'Autorité salue l'introduction de mesures, tant générales que sectorielles, en faveur de l'ouverture des données publiques. Elle propose, selon la logique d'Etat-plateforme promue par le Gouvernement dans le cadre de sa stratégie numérique, de mettre en place un dispositif facultatif d'approbation par l'Autorité favorisant la diffusion d'informations claires et comparables concernant les secteurs dont l'autorité a la charge.