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Article AUTONOME (Délibération n° 2016-218 du 21 juillet 2016 portant avis sur un projet d'arrêté autorisant la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DOCVERIF » (saisine n° 1969985))

Article AUTONOME (Délibération n° 2016-218 du 21 juillet 2016 portant avis sur un projet d'arrêté autorisant la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DOCVERIF » (saisine n° 1969985))


La Commission nationale de l'informatique et des libertés,
Saisie par le ministre de l'intérieur d'une demande d'avis concernant un projet d'arrêté autorisant la création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DOCVERIF » ;
Vu la convention n° 108 du Conseil de l'Europe pour la protection des personnes à l'égard du traitement automatisé des données à caractère personnel ;
Vu la directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données ;
Vu la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, notamment son article 26-I ;
Vu le décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 modifié instituant la carte nationale d'identité ;
Vu le décret n° 2005-1309 du 20 octobre 2005 modifié pris pour l'application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés ;
Vu le décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 modifié relatif aux passeports ;
Vu le décret n° 2010-569 du 28 mai 2010 modifié relatif au fichier des personnes recherchées ;
Vu l'arrêté du 17 mars 2014 modifié portant autorisation à titre expérimental d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « Fichier des objets et des véhicules signalés » (FOVeS) ;
Après avoir entendu M. Jean-François CARREZ, commissaire, en son rapport, et M. Jean-Alexandre SILVY, commissaire du Gouvernement, en ses observations,
Emet l'avis suivant :
La Commission nationale de l'informatique et des libertés a été saisie pour avis d'un projet d'arrêté autorisant la création, par le ministre de l'intérieur, d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « DOCVERIF ».
Ce traitement vise à renforcer l'efficacité de la lutte contre la fraude documentaire et l'usurpation d'identité en facilitant le contrôle, par les services de la police nationale et de la gendarmerie nationale, de la validité de titres d'identité émis par les autorités françaises.
Il relève dès lors des dispositions de l'article 26-I de la loi du 6 janvier 1978 modifiée et doit être autorisé par un arrêté ministériel pris après avis motivé et publié de la commission.
Sur la finalité du traitement :
L'article 1er du projet d'arrêté prévoit que la finalité du traitement DOCVERlF, mis en œuvre par l'Agence nationale des titres sécurisés, est « de faciliter le contrôle de la validité des documents émis par les autorités françaises afin de lutter contre la fraude documentaire ».
Dans un premier temps, seuls les cartes nationales d'identité et les passeports seront concernés, comme le prévoit expressément l'article 2 du projet d'arrêté. Le ministère de l'intérieur a cependant indiqué que le traitement avait vocation à s'étendre à d'autres documents, en particulier aux permis de conduire et aux titres de séjour.
Le traitement DOCVERIF, alimenté par les données provenant du fichier des titres électroniques sécurisés pour les passeports (TES) et du système de gestion informatisée des cartes nationales d'identité ou « fichier national de gestion » (FNG), a pour unique objet le contrôle de la validité des documents. Sa finalité se distingue ainsi de celles prévues par les dispositions relatives au TES et au FNG.
La finalité du traitement DOCVERIF est également plus restreinte que celles définies par les dispositions relatives au fichier des personnes recherchées (FPR) et au fichier des objets et véhicules signalés (FOVeS), dans la mesure où elle ne concerne que des documents et ne permet pas d'effectuer des recherches relatives à des personnes.
Ainsi, l'article 5 du projet d'arrêté prévoit que l'interrogation du traitement DOCVERIF ne peut être effectuée que par la saisie du type et du numéro du document, ce qui exclut notamment toute recherche nominative.
La consultation de DOCVERIF s'effectuera toutefois sans préjudice de l'interrogation complémentaire du FPR et du FOVeS.
En outre, le traitement DOCVERIF doit apporter une aide aux agents procédant aux contrôles en définissant, pour chaque titre invalidé et au regard des circonstances particulières de l'invalidation, des éléments sur la conduite à tenir. Ces éléments portent essentiellement sur les mesures à prendre à l'égard du document invalide et les investigations complémentaires à diligenter.
Enfin, il permettra de transmettre au Système d'information Schengen (fichier européen N-SIS) et au fichier international SLTD (Stolen and Lost Travel Documents) géré par Interpol, les informations relatives aux cartes nationales d'identité perdues ou volées.
Dès lors, la commission considère que les finalités du traitement DOCVERIF sont déterminées, explicites et légitimes, conformément à l'article 6 (2°) de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
Néanmoins, elle estime que la mention « émis par les autorités françaises », utilisée à l'article 1er du projet d'arrêté pour qualifier les documents concernés par le traitement, est trop restrictive. En effet, si cette expression est pertinente pour les documents perdus, volés ou ayant notamment fait l'objet d'une décision de retrait, elle ne recouvre pas l'hypothèse de faux documents fabriqués par des autorités incompétentes.
La commission prend acte que, pour remédier à cette difficulté, le ministère de l'intérieur s'engage à modifier l'article 1er du projet d'arrêté autorisant la création de DOCVERIF, en ajoutant que le traitement vise également à lutter contre la falsification et la contrefaçon des documents.
La commission relève enfin que les finalités de DOCVERIF recouvrent partiellement celles des traitements précités.
Elle souligne par conséquent que, si le ministère de l'intérieur devait élargir ultérieurement le champ d'application du dispositif à de nouveaux destinataires ou à de nouveaux documents, la définition des personnels spécifiquement concernés par cette extension et l'articulation des conditions de consultation des différents traitements devraient être précisément explicitées. Le ministère de l'intérieur devrait également veiller à procéder aux modifications requises des textes en vigueur relatifs aux traitements alimentant DOCVERIF, afin de mentionner la mise en relation avec ce dernier traitement ou l'élargissement éventuel des destinataires.
En tout état de cause, la commission prend acte que, dans l'hypothèse d'une extension du dispositif, elle sera saisie d'une nouvelle demande d'avis du ministère de l'intérieur.
Sur les données traitées :
Le traitement DOCVERIF doit être alimenté par les données provenant du TES et du FNG.
L'article 4 du projet d'arrêté prévoit que les données enregistrées sont les suivantes :


- le type et le numéro du document ;
- la mention du caractère valide ou non valide du document ;
- pour les seuls documents invalides, le motif avec la date de l'invalidité du document, les nom, prénom(s), date et lieu de naissance mentionnés sur le document, ainsi que sa date de délivrance ;
- des éléments relatifs à la conduite que doivent adopter les agents en cas de découverte d'un document invalide.


Ainsi, pour les documents valides, seule doit apparaître, en cas de consultation par un agent, la confirmation de la validité du titre.
Concernant les documents invalides, les données accessibles sont plus nombreuses et apportent des éléments utiles aux agents sur l'identité du titulaire authentique ou les circonstances de l'invalidation, notamment pour qu'ils s'assurent que les mentions figurant sur le document n'ont pas été falsifiées et qu'ils adaptent leur comportement aux particularités de la situation.
Les données enregistrées dans DOCVERIF sont ainsi strictement limitées aux informations nécessaires à la réalisation du contrôle, conformément à l'article 6 (3°) de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
La commission estime qu'une vigilance particulière s'impose toutefois en matière de mise à jour des données, compte tenu des conséquences importantes qu'emporteraient, pour les personnes contrôlées, d'éventuelles erreurs sur le statut du document présenté à l'occasion d'un contrôle.
A cet égard, les informations concernant la validité des titres seront envoyées tous les jours par les applications de gestion FNG et TES. Cette fréquence est de nature à éviter que le traitement DOCVERIF ne contienne des données erronées ou inexactes, conformément aux dispositions de l'article 6 (4°) de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
En revanche, la commission considère que la notion de validité, autour de laquelle s'articule l'ensemble du dispositif et qui conditionne notamment l'étendue des données accessibles, devrait faire l'objet d'une définition plus rigoureuse.
En effet, l'article 3 du projet d'arrêté prévoit que « sont considérés comme valides […] les documents [...] qui n'ont pas fait l'objet d'une invalidation dans les bases de gestion informatiques utilisées dans le cadre de la délivrance desdits documents, à la suite notamment d'une perte, d'un vol ou d'une décision de retrait ». Le deuxième alinéa du même article précise que la seule péremption du document ne constitue pas un motif d'invalidité.
Eu égard à l'importance que revêt la notion de validité dans le cadre du dispositif projeté, la commission demande que les dispositions de l'article 3 comportent un renvoi aux différentes dispositions permettant de fonder une décision d'invalidation ou une liste limitative des hypothèses d'invalidation susceptibles de fonder une inscription dans le traitement.
Sur la durée de conservation des données :
L'article 9 du projet d'arrêté prévoit que la durée de conservation des données enregistrées dans le traitement DOCVERIF correspond, pour chaque document, à la durée de conservation des données enregistrées dans la base de gestion informatique utilisée pour la délivrance de ce titre.
Ces durées sont de quinze ou dix ans pour le fichier TES, conformément à l'article 24 du décret n° 2005-1726 du 30 décembre 2005 précité, et de vingt ou quinze ans pour le FNG, aux termes de l'article 9 du décret n° 55-1397 du 22 octobre 1955 modifié, étant précisé que les durées les plus courtes concernent, dans les deux cas, les personnes mineures.
La commission considère que ces durées sont adaptées aux finalités pour lesquelles les données sont collectées et traitées, conformément à l'article 6 (5°) de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
Sur les destinataires des données :
Le projet d'arrêté distingue les personnels pouvant accéder directement aux données contenues dans DOCVERIF des personnes pouvant être destinataires de données.
L'article 6 du projet d'arrêté prévoit ainsi que seuls peuvent accéder aux données et informations contenues dans DOCVERIF, « à raison de leurs attributions légales et dans la limite du besoin d'en connaître » :


- les agents de la police nationale individuellement désignés et habilités ;
- les militaires de la gendarmerie nationale individuellement désignés et habilités ;
- les agents du ministère de l'intérieur (secrétariat général) en charge de l'application de la réglementation relative aux cartes nationales d'identité et aux passeports ;
- les agents de l'Agence nationale des titres sécurisés chargés de la mise en œuvre du traitement.


Concernant les agents de la police et de la gendarmerie nationales, la commission demande qu'il soit précisé que seuls sont concernés les agents ayant des missions de contrôle de l'identité des personnes et de vérification de la validité des documents, à l'instar de ce qui a été prévu par l'article 21 du décret du 30 décembre 2005 modifié relatif aux passeports précité.
Sous ces réserves, la commission estime qu'un intérêt légitime justifie l'accès de ces agents aux données, conformément à l'article 6 (2°) de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
L'article 7 du projet d'arrêté prévoit en outre que, pour les besoins exclusifs de leurs missions, peuvent être destinataires des données du traitement les agents chargés de l'application de la réglementation relative aux documents concernés au sein des services déconcentrés du ministère de l'intérieur et des services du ministère des affaires étrangères ainsi que « les autorités judiciaires ».
S'agissant des premiers, le ministère de l'intérieur a relevé que les agents en cause bénéficient actuellement d'un accès aux bases sources relatives aux cartes nationales d'identité et aux passeports et que les services de la police ou de la gendarmerie nationale pourront être amenés à restituer des documents invalidés à la préfecture territorialement compétente.
La commission rappelle toutefois que ces traitements sources poursuivent des finalités distinctes du traitement DOCVERIF, qui vise uniquement à faciliter le contrôle de la validité des cartes nationales d'identité et des passeports par la police nationale et la gendarmerie nationale. Quant à l'éventuelle restitution de documents invalidés à la préfecture, elle ne justifie pas en elle-même que les agents des services déconcentrés aient un accès au traitement DOCVERIF dans la mesure où, précisément, ces agents bénéficient déjà d'un accès aux bases sources.
Elle considère dès lors que l'accès des agents mentionnés au 1° de l'article 7 du projet d'arrêté n'est pas justifié au regard des finalités spécifiques de DOCVERIF.
En outre, la commission estime que la seule mention de l'expression « autorités judiciaires » ne permet pas de déterminer suffisamment les circonstances dans lesquelles cet accès est autorisé. Elle demande qu'une définition plus circonscrite de ces destinataires, par exemple par une référence aux types de procédures ou aux catégories de magistrats concernés, soit prévue.
L'article 8 du projet d'arrêté prévoit enfin, conformément aux engagements internationaux, que le traitement transmet à Interpol et au Système d'information Schengen les informations relatives aux cartes nationales d'identité perdues ou volées et permet la transmission de données aux autorités compétentes des Etats appliquant la décision 2007/533/JAI du Conseil du 12 juin 2007 sur le Système d'information Schengen de deuxième génération (SIS II) ou aux Etats membres d'Interpol, aux seules fins de confirmer l'exactitude et la pertinence d'un signalement.
Sur les droits des personnes :
L'article 11 du projet d'arrêté prévoit que les droits d'information et d'opposition prévus aux articles 32 et 38 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée ne s'appliquent pas au traitement DOCVERIF, ce qui n'appelle pas d'observation de la part de la commission.
Il en va de même des dispositions relatives aux droits d'accès et de rectification des données, qui s'exercent directement auprès du Secrétaire général du ministère de l'intérieur.
Sur la sécurité des données et la traçabilité des actions :
Des profils d'habilitation sont prévus afin de gérer les accès aux données du traitement DOCVERIF.
Pour la consultation, une authentification unique (SSO : Single Sign On) via les portails métiers de la police nationale et de la gendarmerie nationale est prévue.
L'authentification des agents de l'Agence nationale des titres sécurisés, administrateurs du traitement, se fait à l'aide d'une carte à puce.
Les échanges de données sont réalisés via des canaux de communication chiffrés et assurant l'authentification de la source et de la destination. L'accès aux données est sécurisé au moyen du protocole https.
La commission rappelle la nécessité de mettre en œuvre des conditions de sécurité effective, de haut niveau et de nature à garantir la confidentialité des données pour la mise à disposition de fichiers vers des destinataires extérieurs en ce qui concerne le Système d'information Schengen et le fichier international SLTD géré par Interpol.
Un algorithme conforme à l'état de l'art est utilisé pour le chiffrement des données en base active ainsi que pour les données sauvegardées.
Une journalisation des opérations de consultation du traitement est réalisée, étant précisé que la durée de conservation des traces de consultations, définie à l'article 10 du projet d'arrêté, est d'un an.
L'accès aux journaux est restreint aux seuls administrateurs du traitement. Afin de détecter tout usage abusif ou frauduleux, la commission recommande de réaliser des contrôles réguliers des traces de manière automatique, afin de détecter les comportements anormaux et lever des alertes.
Un système de purge automatique et quotidienne est mis en œuvre.
Le réseau sur lequel repose le traitement fait l'objet de mesures de filtrage. Les accès distants sont sécurisés via un VPN chiffré.
Des sauvegardes quotidiennes sont réalisées et sont stockées dans un endroit garantissant leur sécurité et leur disponibilité.
Dans ces conditions, la commission estime que les mesures de sécurité décrites par le responsable de traitement sont conformes à l'exigence de sécurité prévue par l'article 34 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée. La commission rappelle toutefois que l'obligation résultant de l'article 34 susmentionné nécessite la mise à jour des mesures de sécurité au regard de la réévaluation régulière des risques.