Après en avoir délibéré le 3 décembre 2015,
Par un courrier en date du 13 octobre 2015, l'ARCEP a été saisie pour avis par le directeur de l'habitat et de l'urbanisme sur les projets de décret en Conseil d'Etat modifiant l'article R. 111-14 du code de la construction et de l'habitation et d'arrêté modifiant l'arrêté du 16 décembre 2011 relatif à l'application de l'article R. 111-14 du code de la construction et de l'habitation (ci-après « CCH »).
Ces projets de texte visent à clarifier les exigences techniques minimales des réseaux de communication dans les logements. La direction de l'habitat, de l'urbanisme et du paysage (DHUP) du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie rappelle dans son courrier que les obligations relatives aux installations intérieures de communication des logements sont aujourd'hui inscrites dans la norme NF C. 15-100, dont l'application est rendue obligatoire par l'arrêté du 22 octobre 1969 relatif à la sécurité électrique des bâtiments d'habitation.
L'Autorité accueille favorablement la démarche poursuivie par les projets de textes qui lui sont soumis, qui visent à clarifier, en les simplifiant là où cela est pertinent, les exigences techniques minimales applicables à la desserte des logements neufs en matière de réseaux de communications électroniques. Les modifications proposées appellent de la part de l'Autorité les observations suivantes.
I. - Sur les modalités techniques applicables aux logements neufs
1° La qualité de l'installation intérieure des logements représente un enjeu important pour les usages permis par les réseaux à très haut débit
Le projet de décret précise notamment que chaque logement neuf devra posséder une installation intérieure de communication permettant de délivrer les services dans les différentes pièces du logement, dont les modalités sont précisés par le projet d'arrêté également soumis pour avis à l'Autorité.
L'obligation d'équipement des logements neufs d'une installation intérieure de communication permettant de délivrer les services dans les différentes pièces du logement permet de s'affranchir des difficultés techniques que les opérateurs peuvent rencontrer dans les logements anciens non équipés de câblage interne et nécessitant dès lors la réalisation d'un « raccordement final » par l'opérateur, c'est à dire le déploiement d'un câble en fibre optique ainsi qu'une prise optique (DTIO) à l'intérieur du logement. Cette opération représente environ un tiers des coûts du déploiement complet d'une ligne à très haut débit en fibre optique et peut faire l'objet d'un taux d'échec significatif en raison des éventuelles difficultés liées à l'intervention (rendez-vous avec le client) et aux conséquences visuelles de l'installation (percement de cloisons, passage de câbles en apparent le long des murs…).
L'Autorité relève que les modalités de réalisation de l'installation intérieure, qui étaient jusqu'à présent décrites dans la norme NF C. 15-100 (« installations électriques à basse tension »), laquelle était rendue obligatoire par l'arrêté du 22 octobre 1969 relatif à la sécurité électrique des bâtiments d'habitation sont retranscrites, partiellement, dans le projet de modification de l'arrêté du 16 décembre 2011. Cette modification, qui vise à séparer la partie réseaux de communication d'une part, et la partie sécurité électrique d'autre part, s'inscrit dans une démarche de simplification des normes utilisées dans le domaine de la construction destinée à favoriser la relance de ce secteur.
Dans ce cadre, et dès lors que les spécifications de la norme NC 15-100 ne seront plus d'application obligatoire, l'Autorité estime nécessaire que les dispositions règlementaires définissent de manière suffisamment précise les exigences techniques applicables en terme de communications électroniques.
L'installation intérieure prévue par le projet d'arrêté du 16 décembre 2011 modifié est constituée d'un tableau de communication comprenant les points de terminaison de la ligne téléphonique (DTI) et de la ligne en fibre optique (DTIO) ainsi que de quatre socles RJ45 permettant de desservir différentes pièces où sont également installées des prises terminales. Il s'agit d'un câblage « en étoile », ce qui signifie que la liaison entre le tableau de communication et la prise terminale d'une des pièces du logement est directe. Il semble important de remarquer que le câblage interne d'un logement neuf est réalisé avec un support métallique dont la qualité (1) aura une influence sur le débit constaté en pratique par l'utilisateur final, contrairement au support en fibre optique utilisé pour le raccordement final des logements anciens.
Les précisions concernant l'installation intérieure ajoutées dans l'annexe II du projet d'arrêté du 16 décembre 2011 modifié semblent répondre au niveau de description fonctionnelle dont auront besoin les acteurs amenés à réaliser ces installations. En revanche, il semble important pour l'Autorité que soit précisée une exigence minimale de qualité des câbles en termes de débits supportés, afin de s'assurer que ces derniers permettront de répondre, de manière pérenne, aux besoins en termes de débit.
En effet, l'Autorité rappelle que le câblage à l'intérieur des logements, qui fait partie intégrante de l'infrastructure, permettra à l'utilisateur final de bénéficier d'un accès à très haut débit de qualité et de services innovants. Il est donc essentiel que ce câblage soit d'un niveau de qualité suffisant.
Le câblage décrit dans le projet d'annexe semble correspondre à un câblage dit « universel (2) », puisque le câble utilisé doit être « adapté à la distribution du téléphone, des services de communication audiovisuelle (télévision terrestre, satellite et réseaux câblés) et des données numériques (internet) ». Le support sur un même câble des services de téléphonie et de données numérique (internet) d'une part, et de télévision terrestres, câblés et satellites d'autre part, semble en pratique impliquer l'utilisation de câbles particuliers (3) présentant un niveau de qualité élevé (4). Cependant, le texte ne renvoie pas à une norme précise de câble et il est ainsi difficile d'en déduire les exigences minimales attendues en termes de débit. Par ailleurs, il est dorénavant courant dans les offres des opérateurs que les services de télévision soient intégrés au trafic internet (et non pas transmis sur des fréquences distinctes), ceux-ci consommant alors une part importante du trafic internet.
Il convient de veiller à ce que les spécifications techniques garantissent à long terme la performance et la pérennité des installations, qui seront le support des offres actuelles et à venir. En outre, l'utilisation d'équipements non-évolutifs ou insuffisamment robustes conduirait à des interventions ultérieures de mise à niveau ou de reconstruction à l'intérieur d'un logement pré-équipé, qui seraient lourdes et coûteuses.
Dès lors, l'Autorité invite le Gouvernement à préciser, dès à présent, dans l'annexe II du projet d'arrêté que les câbles utilisés pour l'installation intérieure devront supporter un débit de données internet de 1 Gbit/s entre le tableau de communication et chacune des prises du logement. Cette valeur correspond aux débits descendants maximaux d'ores et déjà proposés dans certaines offres des opérateurs, il semble donc nécessaire que l'installation intérieure des logements construits actuellement permettent de bénéficier pleinement de ces débits.
2° Sur les zones dans lesquelles il est nécessaire d'installer quatre fibres par logement
L'arrêté du 16 décembre 2011 prévoit que chaque logement ou local à usage professionnel est desservi par au moins une fibre et précise que « Ce nombre est porté à quatre pour les immeubles d'au moins douze logement ou locaux à usage professionnel situés dans une des communes définies en annexe I ». Cette annexe reprend la liste des communes des zones très denses définies par l'ARCEP dans sa décision n° 2009-1106 du 22 décembre 2009.
Le projet d'arrêté prévoit d'adapter cette liste afin de tenir compte des modifications apportées à la liste des communes de zone très dense par la décision n° 2013-1475 de l'Autorité, qui comporte désormais 106 communes.
Il convient à cet égard de rappeler que l'article 5 de la décision n° 2009-1106, susmentionnée impose à l'opérateur d'immeuble, pour les communes relevant des zones très denses, de faire droit aux demandes raisonnables de bénéficier d'une fibre optique dédiée permettant de desservir l'utilisateur final depuis le point de mutualisation, lorsque de telles demandes ont été formulées antérieurement à l'établissement des lignes.
Suite à cette décision, dans les communes des zones très denses (5) les opérateurs déploient en pratique quatre fibres par logement dans les immeubles d'au moins 12 logements ou locaux à usage professionnel.
Dans le cadre de sa recommandation du 14 juin 2011 sur les modalités de l'accès aux lignes à très haut débit en fibre optique pour certains immeubles des zones très denses, notamment ceux de moins de 12 logements, l'Autorité a divisé en poches de basses densité et poches de haute densité les zones très denses, afin de tenir compte de leurs spécificités et a publié sur son site internet (6) la répartition des IRIS de zone très dense entre les poches de haute densité et les poches de basse densité.
Dans les poches de basse densité, l'Autorité a considéré que « l'opérateur d'immeuble pourrait ne pas faire droit aux demandes de fibre dédiée dans la mesure où celles-ci apparaissent a priori peu raisonnables ». L'ingénierie mise en œuvre par les opérateurs pour traduire cette recommandation de l'ARCEP s'apparente à l'ingénierie déployée en dehors des zones très denses. Ainsi, les opérateurs ne déploient en pratique qu'une seule fibre par logement dans les poches de basse densité, quelle que soit la taille de l'immeuble.
Dès lors, par cohérence avec l'ingénierie retenue par les opérateurs dans les immeubles existants, l'Autorité estime qu'il serait possible d'imposer la pose d'une seule fibre par logement dans les immeubles neufs situés dans les poches de basse densité des zones très denses, le promoteur demeurant toutefois libre de poser un nombre plus important de fibres. En effet, si l'économie qui serait réalisée semble à ce stade difficile à évaluer, un tel dispositif est susceptible de contribuer à une réduction des coûts de l'installation de réseaux en fibre optique dans ces immeubles.
II. - Sur la prise en compte de l'extension de l'obligation d'équipement en fibre optique aux maisons individuelles et aux lotissements
La loi de modernisation de l'économie du 4 août 2008 a introduit à l'article L. 111-5-1 du CCH une obligation de fibrage des immeubles collectifs neufs. La loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, en vue de favoriser un déploiement plus rapide et efficace de la fibre optique, a étendu cette obligation aux maisons individuelles et aux lotissements.
La loi du 6 août 2015, a introduit en outre le fibrage pour les immeubles collectifs existants, faisant l'objet d'une réhabilitation lourde soumise à l'obtention d'un permis de construire (article L. 111-5-1-2 du code de la construction et de l'habitation).
Le législateur a prévu qu'un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application de ces dispositions, qui s'appliqueront aux immeubles, maisons et lotissements dont le permis de construire ou le permis d'aménager est délivré après le 1er juillet 2016.
Or, l'Autorité constate que si le projet de décret étend l'obligation d'équipement en cuivre des maisons individuelles, il ne tire pas les conséquences des évolutions législatives concernant l'équipement en fibre des maisons et lotissements neufs ou faisant l'objet d'une réhabilitation lourde. L'Autorité invite le Gouvernement à inclure dans la modification règlementaire les évolutions nécessaires afin de préciser au plus tôt les modalités applicables, en vue de permettre aux acteurs du secteur de les mettre en œuvre dans les délais prévus par la loi.
III. - Autres pistes d'amélioration de la réglementation en vigueur
1° Des économies pourraient être réalisées en levant l'obligation d'installer du cuivre dans les logements construits dans les futures « zones fibrées »
Le rapport remis le 19 février 2015 par Paul Champsaur, président de l'Autorité de la statistique publique, au ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique et à la secrétaire d'Etat au numérique, dans le cadre de la mission qu'il a menée sur la transition vers les réseaux à très haut débit et l'extinction du réseau cuivre recommande la création d'un statut spécifique « zone fibrée » permettant de reconnaitre que le réseau de nouvelle génération a atteint les prérequis pour devenir le réseau de référence.
Cette recommandation a été prise en compte dans la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, qui a introduit dans le code des postes et des communications électroniques un article L. 33-11 ainsi rédigé :
« Il est institué un statut de « zone fibrée », qui peut être obtenu dès lors que l'établissement et l'exploitation d'un réseau en fibre optique ouvert à la mutualisation sont suffisamment avancés pour déclencher des mesures facilitant la transition vers le très haut débit. La demande d'obtention du statut est formulée par l'opérateur chargé de ce réseau ou par la collectivité l'ayant établi au titre de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales. Le ministre chargé des communications électroniques attribue ce statut après avis de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
Les modalités d'application du présent article sont définies par décret. »
Ces dispositions ont pour objet de favoriser l'investissement dans les réseaux en fibre optique, ouverts à la mutualisation entre les opérateurs, en vue de diminuer les coûts d'exploitation par rapport à la coexistence de deux boucles locales, en particulier dans les territoires non rentables où des subventions publiques sont nécessaires. Le rapport précité préconise par ailleurs que « que soit levée, dans les zones ayant obtenu le statut « zone fibrée », l'obligation d'installer du cuivre dans les immeubles neufs ».
Dans le cadre de la modification de l'article R. 111-14 du CCH, l'Autorité estime qu'il pourrait être souhaitable de prendre en compte la création du statut de zone fibrée, afin de permettre au pouvoir règlementaire de préciser, dans l'arrêté d'application de cet article, les modalités particulières qui pourraient s'appliquer à ces futures zones en matière de desserte des immeubles neufs par les réseaux de communications électroniques, notamment, le cas échéant, en vue de lever l'obligation d'équiper ces immeubles de lignes téléphoniques en cuivre.
2° Suggestion de l'Autorité sur la conduite d'une réflexion similaire à celles menée dans le cadre du présent avis pour les bâtiments groupant uniquement des locaux à usage professionnel
Dans le prolongement du travail mené sur les projets de textes qui lui sont soumis, l'Autorité suggère qu'une réflexion à plus long terme soit également menée sur les bâtiments groupant uniquement des locaux à usage professionnel, qui sont équipés de lignes de communications électroniques à très haut débit en fibre optique en application de l'article R. 111-1 du CCH, ces derniers n'étant pas visés par les projets de décret et d'arrêté.
Or, et comme l'avait indiqué l'Autorité à l'occasion de l'avis sur le projet de décret relatif au nombre de fibres à déployer dans les immeubles neufs, modifiant l'article R. 111-14 du code de la construction et de l'habitation et le projet d'arrêté d'application de cet article (7), il est important « de ne pas singulariser les bâtiments à usage purement professionnel ce qui risquerait de rendre plus difficile leur raccordement, - et donc de le retarder ».
L'installation intérieure d'un local professionnel est un sujet complexe relevant généralement de choix de l'entreprise occupant les locaux. En revanche les modalités de câblage dans les parties communes des bâtiments groupant plusieurs locaux professionnels pourraient être précisées, d'une part, s'agissant du nombre de fibres devant être déployées par local professionnel ou par lot (avec distinction des communes des zones très denses) et, d'autre part, s'agissant des caractéristiques du point de raccordement, de manière à s'assurer que le réseau sera utilisable par les opérateurs.
L'Autorité invite donc à ce que des travaux soient menés concernant l'article R. 111-1 du CCH afin de préciser les caractéristiques du raccordement à l'intérieur des bâtiments construis pour abriter uniquement des locaux à usage professionnel.
IV. - Conclusion
Si l'ARCEP accueille favorablement les évolutions prévues par les projets de textes qui lui ont été soumis pour avis, elle estime néanmoins souhaitable que ces projets soient précisés et complétés à plusieurs égards.
Tout d'abord, l'Autorité suggère qu'il soit précisé une exigence minimale de qualité en termes de débits supportés pour les câbles installés à l'intérieur des logements neufs, et propose que l'annexe II du projet d'arrêté qui lui est soumis précise que les câbles utilisés pour l'installation intérieure devront supporter un débit de données internet de 1 Gbit/s entre le tableau de communication et chacune des prises du logement.
Par ailleurs, le cadre en vigueur impose la pose de quatre fibres par logement dans les immeubles neufs d'au moins 12 logements situés en zone très dense. A cet égard, l'Autorité souligne qu'il pourrait être pertinent, si le Gouvernement l'estime souhaitable dans une démarche de réduction des coûts de construction, de n'imposer la pose que d'une seule fibre dans les immeubles situés dans les poches de basse densité des zones très denses.
Ensuite, l'Autorité invite le Gouvernement à tirer toutes les conséquences des évolutions issues de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques. D'une part, l'Autorité estime nécessaire de prévoir, dans le cadre de la modification du CCH, les dispositions nécessaires à la prise en compte de l'équipement des maisons individuelles neuves et lotissements neufs d'une ligne de communications électroniques à très haut débit en fibre optique. D'autre part, il pourrait être souhaitable de prendre en compte dans ces textes la création du statut de « zone fibrée », en vue de permettre au pouvoir règlementaire de lever l'obligation d'installer du cuivre dans les logements construits dans les futures « zones fibrées », ainsi que le préconisait le rapport de la mission présidée par Paul Champsaur.
Enfin à plus long terme, l'Autorité suggère que des travaux soient menés concernant l'article R. 111-1 du CCH afin de préciser les caractéristiques du raccordement à l'intérieur des bâtiments construits pour abriter uniquement des locaux à usage professionnel, afin que cette catégorie de bâtiments bénéficie de la dynamique d'investissement pour le fibrage des logements neufs.
Le présent avis sera transmis au directeur de l'habitat, de l'urbanisme et du paysage du ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et sera publié au Journal officiel de la République française.