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Article AUTONOME (Avis n° 2016-AC-7 du 20 juin 2016 relatif au transfert au secteur privé par Areva du groupe Canberra)

Article AUTONOME (Avis n° 2016-AC-7 du 20 juin 2016 relatif au transfert au secteur privé par Areva du groupe Canberra)


Après avoir entendu :


- le 9 décembre 2016 conjointement :
- 1. La société Areva, représentée par MM. Cyril MOULIN, directeur des fusions et acquisitions, Florian de BEAUCHAINE et Mme Myriam GAUTHIER et assistée de ses banques-conseils, Deutsche Bank, représentée par M. Julien FABRE, managing director, et Société générale, représentée par M. Hubert PRESCHEZ, managing director ;
2. L'Agence des participations de l'Etat, représentée par M. François ENGEL, directeur adjoint de participations ;


- le 23 décembre 2015 conjointement :
- 1. La société Areva, représentée par MM. Cyril MOULIN, directeur des fusions et acquisitions, et Florian de BEAUCHAINE et assistée de ses banques-conseils, Deutsche Bank, représentée par M. Julien FABRE, managing director, et Société générale, représentée par M. Hubert PRESCHEZ, managing director ;
2. L'Agence des participations de l'Etat, représentée par MM. Alexis ZAJDENWEBER, directeur de participations « Energie », et François ENGEL ;


- le 31 mai 2016 conjointement :
- 1. Le ministre chargé de l'économie, représenté par M. Alexis ZAJDENWEBER, directeur de participations à l'Agence des participations de l'Etat, et M. Charles CLEMENT-FROMENTEL ;
2. La société Areva, représentée par M. Cyril MOULIN, directeur des fusions et acquisitions, et Mme Myriam GAUTHIER et assistée de ses banques-conseils, Deutsche Bank, représentée par MM. Julien FABRE, managing director, et Cyril NIBOYET, et Société générale, représentée par MM. Alexandre COURBON, managing director, et Nicolas SANBON,


Emet l'avis suivant :
I. - Par lettre en date du 30 mai 2016, le ministre chargé de l'économie a saisi la commission en vue d'autoriser le transfert au secteur privé par Areva des sociétés Canberra France SAS et Canberra Industries Inc.
La société Canberra France SAS est intégralement détenue par AREVA NC (SA), filiale à 100 % d'AREVA (SA), et la société Canberra Industries Inc est intégralement détenue par AREVA Inc., société elle-même intégralement détenue par AREVA NP (SA), filiale à 100 % d'AREVA (SA).
Canberra France SAS et Canberra Industries Inc. et leurs filiales constituent le groupe Canberra, qui emploie environ 950 salariés et a réalisé en 2015 un chiffre d'affaires consolidé de 186,5 millions d'euros. La cession projetée entre donc dans le champ d'application de l'article 22 (IV) de l'ordonnance n° 2014-948 du 20 août 2014 susvisée et doit faire l'objet d'une autorisation préalable par arrêté du ministre chargé de l'économie sur avis conforme de la commission.
La cession étant réalisée en dehors des procédures des marchés financiers, le ministre a saisi la commission sur la base de l'article 26 (II) de l'ordonnance. Conformément à l'article 27 (I et II) de l'ordonnance, la commission :


- détermine la valeur de la société ;
- émet un avis sur les modalités de la procédure, qui doit respecter les intérêts du secteur public ;
- émet un avis sur le choix du ou des acquéreurs et les conditions de la cession.


La cession doit par ailleurs recueillir l'autorisation des autorités compétentes dans plusieurs pays, notamment au titre de la politique de la concurrence. La commission a été informée que presque toutes ces autorisations ont été obtenues à la présente date. En France, l'acquisition du contrôle de Canberra France SAS est soumise à autorisation préalable du ministre chargé de l'économie, s'agissant d'un investissement étranger touchant les secteurs de la Défense nationale et de la sécurité (articles L. 151-3 et R. 153-1 du code monétaire et financier).
II. - Le groupe Canberra a été constitué à partir de 1965 par une suite de fusions et acquisitions, notamment de sociétés nord-américaines. En 2001, Canberra est entré dans le groupe COGEMA. Canberra est aujourd'hui un des principaux acteurs mondiaux des solutions de mesure nucléaire avec environ 20 % du marché. Les principaux clients du groupe sont les opérateurs de centrales nucléaires ou d'installation du cycle du combustible nucléaire, les entreprises en charge du démantèlement des sites nucléaires, les laboratoires et les organisations militaires et de sécurité. Les principaux pays clients sont les Etats-Unis et la France.
Le siège du groupe est aux Etats-Unis et les sites de production se situent en Europe (France et Belgique), aux Etats-Unis et au Canada.
Après une forte hausse en 2011 et 2012 consécutive au renforcement des mesures de sécurité dans l'industrie nucléaire suite à l'incident de Fukushima, le chiffre d'affaires a eu depuis tendance à reprendre sa trajectoire antérieure et les soldes de gestion (EBITDA, EBIT) en ont été affectés. Des mesures de réduction des coûts ont été prises.
Une croissance du chiffre d'affaires est attendue pour les prochaines années avec le développement des marchés du démantèlement et des services de mesure nucléaire. Il devrait en résulter une augmentation des résultats grâce notamment à une meilleure couverture des coûts.
La commission a eu communication des comptes du « groupe Canberra » pour l'exercice 2015 et du plan d'affaires 2015-2019. Ces informations ne sont pas publiques.
III. - Areva est un des plus grands groupes mondiaux de l'industrie nucléaire, présent sur l'ensemble du cycle nucléaire :


- l'amont : extraction et enrichissement du minerai d'uranium ;
- la construction de réacteurs, les équipements et services liés ;
- l'aval : traitement et recyclage du combustible usé, logistique et ingénierie.


A la suite des difficultés rencontrées par le groupe, qui se sont notamment traduites par les pertes importantes enregistrées depuis 2011 (près de 10 milliards d'euros au total), une restructuration s'est imposée. Ses grandes lignes ont été confirmées et explicitées dans le communiqué diffusé par le groupe le 15 juin 2016 :


- recentrage stratégique sur le cycle du combustible nucléaire (activités qui vont être regroupées dans une nouvelle société filiale) avec les cessions d'actifs envisagées (dont Canberra dès 2016 puis en particulier Areva TA et Areva NP) et les projets de désengagement d'activités ;
- projets d'augmentations de capital d'un montant global de 5 milliards d'euros (sous réserve de l'accord de la Commission européenne).


IV. - Canberra n'étant pas identifié par Areva comme un actif stratégique du groupe, la cession de la société a été décidée dans le cadre du recentrage d'Areva sur son cœur de métier.
Après un premier projet de cession initié en 2012 mais non finalisé, l'opération a été relancée au printemps 2015 (décision du comité exécutif d'Areva du 16 février 2015). De nombreux candidats potentiels ont été informés et 73 d'entre eux ont reçu le document de présentation (Information Memorandum). Le 22 juillet 2015, 22 offres indicatives ont été reçues. Areva a décidé de retenir les six meilleures offres pour la suite du processus de cession.
La date de remise des offres fermes, initialement prévue au 30 octobre 2015, ayant été décalée au 10 février 2016, l'un des six candidats a remis le 6 décembre 2015 à Areva une offre ferme non sollicitée (« l'offre préemptive »).
En vue de maintenir un processus concurrentiel, et après en avoir informé la commission, Areva a prévenu les autres candidats de la réception d'une offre préemptive et les a invités à remettre une offre engageante pour le 18 décembre 2015.
A cette date, Areva a reçu, d'une part, confirmation de son offre par le candidat qui avait remis l'offre non sollicitée et, d'autre part, une offre ferme d'un des autres candidats, Mirion. Les autres candidats ont indiqué ne pas être en mesure de remettre à ce stade une offre ferme.
Après en avoir informé la commission et lui avoir communiqué la teneur des deux offres, Areva décidait de retenir, comme étant la mieux-disante, l'offre de Mirion, qui signait le 24 décembre 2015 une promesse unilatérale d'achat.
Le contrat a été signé le 4 avril 2016 sous conditions suspensives.
Le contrat de cession prévoit l'acquisition des deux sociétés Canberra France SAS et Canberra Industries Inc. par Mirion sur la base d'une valeur d'entreprise fixée dans le contrat. La cession intervient après une remontée de trésorerie vers Areva, notamment via le versement de dividendes. Le prix de cession sera déterminé précisément lors de la réalisation de la transaction (closing), en fonction à cette date de la dette nette et du besoin en fonds de roulement des sociétés cédées. Ce prix est à ce jour estimé par Areva à 333,5 millions d'euros
Après le closing interviendra éventuellement un ajustement complémentaire en fonction de la dette nette et du besoin en fonds de roulement résultant des comptes audités. Areva a indiqué à la commission avoir une connaissance fine des pratiques comptables de Canberra, un accès total au management jusqu'au closing et une bonne visibilité sur l'activité du premier semestre 2016 ; en conséquence, Areva considère que le risque lié à cet ajustement est limité (une expertise indépendante est au surplus prévue en cas de désaccord entre les parties).
Areva accorde à l'acquéreur des garanties usuelles avec un seuil de déclenchement et un montant global maximal. Areva a déclaré à la commission que les enjeux de ces garanties sont financièrement limités.
V. - Mirion Technologies a été constitué en 2005 par la fusion de sociétés nord-américaines et française, à la suite d'un long processus d'acquisitions et d'intégration débuté dans les années 50. Le groupe est spécialisé dans les systèmes de détection, de mesure et de contrôle des rayonnements. Présent tout au long du cycle nucléaire, le groupe a pour principaux clients l'industrie nucléaire, les secteurs de la défense et de la sécurité ainsi que de la santé. Le groupe, dont le siège est à San Francisco, est présent industriellement en Amérique du Nord et en Europe. Il rassemble un effectif d'environ 1 000 salariés, dont 40 % sont situés en France.
Mirion Technologies a été acquis en 2015 par le fonds d'investissement britannique Charterhouse Capital Partners, qui soutient activement Mirion pour la présente opération.
VI. - La commission a disposé du rapport d'évaluation du groupe Canberra établi par Deutsche Bank et Société générale, banques-conseils mandatées par Areva, rapport mis à jour en mai 2016.
Les banques-conseils ont recouru à quatre méthodes d'évaluation :


- l'actualisation des flux de trésorerie (DCF) : les banques ont utilisé le plan d'affaires établi par le management de Canberra et couvrant la période jusqu'en 2019. Elles ont également pris en considération l'impact des initiatives de croissance et de réduction des coûts ;
- la méthode LBO : une fourchette d'évaluation est établie en fonction d'hypothèses de sortie de l'investissement et de taux de rendement interne (TRI) ;
- les transactions comparables : le multiple implicite de valeur d'entreprise sur excédent brut d'exploitation (EBITDA) est appliqué aux agrégats correspondants de Canberra ;
- les comparables boursiers : les banques ont étudié les multiples de valeur d'entreprise sur EBITDA et de valeur d'entreprise sur résultat d'exploitation (EBIT) pour l'année 2015 et les ont appliqués aux agrégats correspondants de Canberra. Les banques soulignent toutefois le peu de pertinence de cette méthode en l'espèce en raison de la faible comparabilité des sociétés étudiées.


Sur ces bases, les banques-conseils ont présenté une fourchette d'évaluation de la valeur d'entreprise de Canberra.
La commission a par ailleurs eu communication de l'évaluation prévisionnelle au 30 juin 2016 par le cabinet Ernst & Young de la dette nette de Canberra et du besoin en fonds de roulement.
VII. - Conformément à l'article 27 (I), deuxième alinéa, de l'ordonnance du 20 août 2014 susvisée, la commission est appelée à fixer la valeur de la société cédée. Le troisième alinéa dudit article précise que les « évaluations sont conduites selon les méthodes objectives couramment pratiquées en matière de cession totale ou partielle d'actifs de sociétés, en tenant compte des conditions de marché à la date de l'opération et, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de l'existence des filiales et des perspectives d'avenir et, le cas échéant, de la valeur boursière des titres et des éléments optionnels qui y sont attachés ».
La commission a observé une convergence suffisante des résultats des méthodes d'évaluation intrinsèques de la valeur de Canberra. Les calculs se fondent sur un plan d'affaires ambitieux qui est susceptible d'être conforté par les synergies possibles avec l'acquéreur. S'agissant des méthodes extrinsèques, il convient de prendre en considération les résultats prévisionnels des toutes prochaines années du plan d'affaires et non uniquement l'année 2015, affectée par des éléments en partie non récurrents.
Sur ces bases, la commission estime que la valeur des sociétés Canberra France SAS et Canberra Industries Inc. (valeur des fonds propres) ne saurait être globalement inférieure à 310 millions d'euros.
La commission constate que la procédure de cession a donné lieu à une approche préliminaire d'un large ensemble de candidats potentiels. Areva a ensuite décidé de retenir six candidats ayant remis une offre indicative afin de les inviter à remettre une offre ferme. Ayant reçu d'un des candidats une offre ferme non sollicitée, selon une pratique fréquente des affaires, Areva a maintenu le caractère concurrentiel de la procédure en donnant la possibilité aux six candidats retenus d'émettre une offre engageante. La mieux-disante des deux offres reçues a été retenue. La commission estime que la procédure suivie a été objective et respecte les intérêts du groupe Areva.
Canberra est fournisseur du ministère de la défense et du CEA. La protection des intérêts nationaux (continuité de l'approvisionnement) est assurée par les engagements unilatéraux pris par Mirion et qui sont appréciés dans le cadre de l'autorisation préalable du ministre chargé de l'économie, mentionnée au point I ci-dessus, s'agissant d'un investissement étranger touchant les secteurs de la Défense nationale et de la sécurité.
Comme il a été exposé au point IV ci-dessus, le prix de cession est fixé aux alentours de 330 millions d'euros, sous réserve des ajustements pré et post-closing, dont l'ampleur devrait être limitée. Les garanties accordées par le vendeur apparaissent de nature usuelle et d'enjeu réduit. Le projet industriel de Mirion s'appuie sur la complémentarité des deux groupes et vise à une diversification de l'offre. Des engagements sont pris sur le plan social par l'acquéreur.
VIII. - Pour ces motifs, et au vu de l'ensemble des éléments qui lui ont été transmis, la commission est d'avis que :


- la valeur totale des sociétés Canberra France SAS et Canberra Industries Inc. ne saurait être inférieure à 310 millions d'euros ;
- les modalités de la procédure respectent les intérêts du secteur public ;
- le choix de l'acquéreur a été opéré sur une base objective ;
- les conditions de la cession, et en particulier son prix, qui est supérieur à la valeur ci-dessus fixée, respectent les intérêts du secteur public.


La commission émet en conséquence un avis favorable au projet d'arrêté dont le texte est annexé au présent avis et visant à autoriser le transfert au secteur privé des sociétés Canberra France SAS et Canberra Industries Inc.
Adopté dans la séance du 20 juin 2016, où siégeaient M. Bertrand SCHNEITER, président, Mme Dominique DEMANGEL, M. Marc-André FEFFER, M. Philippe MARTIN, Mme Inès-Claire MERCEREAU et M. Yvon RAAK, membres de la commission.