Après en avoir délibéré le 29 mars 2016,
1. Contexte de la saisine
Partant du constat que le coût des travaux de génie civil représente une part importante du coût de déploiement des réseaux à très haut débit fixes et mobiles, la Commission a proposé, au mois de mars 2013, un projet de règlement prévoyant des mesures visant à faciliter l'accès aux infrastructures de génie civil et à créer des synergies entre les différentes industries de réseau susceptibles de mobiliser des infrastructures, notamment de génie civil.
La directive 2014/61/UE du 15 mai 2014 octroie ainsi de nouveaux droits aux opérateurs de communications électroniques déployant des réseaux à très haut débit, c'est-à-dire pouvant fournir des débits d'au moins 30 Mbit/s, afin de faciliter l'utilisation des infrastructures de génie civil mobilisables pour le déploiement de ces réseaux. En particulier, la directive prévoit que les opérateurs de réseaux à très haut débit disposeront d'un droit d'accès aux infrastructures de génie civil des opérateurs de réseaux, y compris des réseaux autres que de communications électroniques. L'approche retenue dans cette directive confirme ainsi la pertinence de la régulation symétrique pour certaines problématiques d'accès, en complément de la régulation asymétrique.
L'article 115 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques a habilité le Gouvernement à prendre par ordonnance, dans un délai de neuf mois, les mesures relevant du domaine de la loi nécessaires à la transposition de cette directive.
L'Autorité note avec satisfaction que le projet d'ordonnance a fait l'objet d'une consultation publique, qui s'est clôturée le 17 février 2016.
Par un courrier enregistré le 14 mars 2015, conformément aux dispositions de l'article L. 36-5 du code des postes et des communications électroniques (« CPCE »), le directeur de cabinet de la secrétaire d'Etat chargée du numérique a sollicité l'avis de l'Autorité sur le projet d'ordonnance.
Les principales observations et propositions de l'Autorité figurent dans les développements suivants. Les propositions de modification de moindre importance sont quant à elles précisées uniquement en annexe au présent avis.
2. Observations de l'autorité
2.1. Sur les personnes et infrastructures visées par le projet d'ordonnance
L'article 1er du projet d'ordonnance transpose à l'article L. 32 du CPCE les notions d'« opérateur de réseau » et d'« infrastructure physique » figurant à l'article 2 de la directive.
2.1.1. Sur la définition de « gestionnaire d'infrastructure d'accueil »
La première de ces notions est transposée par celle de « gestionnaire d'infrastructure d'accueil », dont il est prévu de donner la définition au 21° de l'article L. 32 du CPCE. Cette définition vise les activités de mise à disposition et d'exploitation d'infrastructures des réseaux de communications électroniques ouverts au public et des réseaux relevant des secteurs de l'électricité, du gaz, du chauffage, de l'eau et des transports (1).
Toutefois, l'Autorité estime utile de préciser, comme cela est prévu par l'article 2§1 de la directive, que la notion de gestionnaire d'infrastructure d'accueil vise notamment les personnes mettant à disposition ou exploitant un réseau destiné à fournir un service de production, de transport ou de distribution d'électricité, « y compris pour l'éclairage public ».
2.1.2. Sur la définition d'« infrastructure d'accueil »
La définition d'« infrastructure d'accueil », que le projet d'ordonnance prévoit d'introduire au 22° de l'article L. 32 du CPCE, transpose la notion d'« infrastructure physique » prévue par l'article 2§2 de la directive.
Selon le projet d'ordonnance, « on entend par infrastructure d'accueil tout élément d'un réseau destiné à accueillir des éléments d'un réseau ouvert au public à très haut débit sans devenir lui-même un élément actif du réseau […] ». L'Autorité considère qu'il est nécessaire de supprimer l'expression « ouvert au public à très haut débit ». En effet, l'article 2 de la directive définit la notion d'« infrastructure physique » comme « tout élément d'un réseau qui est destiné à accueillir d'autres éléments d'un réseau sans devenir lui-même un élément actif du réseau ». Il vise ainsi l'ensemble des infrastructures physiques sans préciser le type de réseau qu'elles sont destinées à accueillir. En précisant que l'infrastructure est destinée à accueillir des éléments d'un réseau ouvert au public à très haut débit, un gestionnaire d'infrastructures d'accueil pourrait considérer que ses infrastructures ne peuvent être qualifiées d'« infrastructure d'accueil » au sens du 22° de l'article L. 32 du CPCE si elles sont en premier lieu destinées à accueillir, par exemple, un réseau électrique. Ce faisant, la définition envisagée par le projet d'ordonnance risque de réduire le champ d'application de l'obligation d'accès, ce qui méconnaîtrait la directive.
2.2. Sur le droit d'accès aux infrastructures d'accueil et aux informations y relatives
L'article 3 du projet d'ordonnance prévoit la création des articles L. 34-8-2-1 et L. 34-8-2-2 du CPCE, qui transposent respectivement les articles 3 et 4 de la directive.
2.2.1. Sur l'articulation entre le champ d'application de l'ordonnance et celui de la régulation ex ante de l'Autorité
Conformément à l'article 1er§4 de la directive, éclairé par le considérant 12 et la dernière phrase du considérant 17, lorsque des décisions, notamment de régulation ex ante (régulation symétrique ou asymétrique), sont adoptées par le régulateur national en application des dispositions transposant les directives du « paquet télécoms » et prévoient des obligations plus spécifiques, ces décisions priment les droits et obligations résultant de la transposition de la directive 2014/61/UE.
C'est pourquoi le IV de l'article L. 34-8-2-1 et le VI de l'article L. 34-8-2-2 du CPCE prévus par le projet d'ordonnance précisent que le gestionnaire d'infrastructures d'accueil n'est pas soumis aux obligations fixées par ces articles lorsqu'il est soumis à une obligation similaire résultant d'une décision de régulation ex ante de l'Autorité.
Par exemple, la décision d'analyse de marché de l'Autorité n° 2014-0733 en date du 26 juin 2014 impose à Orange des obligations spécifiques et détaillées concernant l'accès à ses infrastructures de génie civil de boucle locale en vue du déploiement de boucles locales en fibre optique : les demandes d'accès à ces infrastructures devront ainsi être formulées sur le fondement de cette dernière décision. En revanche, en ce qui concerne les infrastructures de génie civil du réseau d'Orange qui ne sont pas soumises à une obligation générale d'accès en application d'une décision de régulation ex ante de l'Autorité, un opérateur pourra formuler des demandes d'accès à ces infrastructures et aux informations y relatives sur le fondement des articles L. 34-8-2-1 et L. 34-8-2-2 du CPCE.
Par ailleurs, l'Autorité souligne que les dispositions auxquelles font référence le IV de l'article L. 34-8-2-1 et le VI de l'article L. 34-8-2-2 ne seront inapplicables que dans le cas où le gestionnaire d'infrastructures d'accueil est soumis à l'obligation, imposée par une décision de l'Autorité, de faire droit aux demandes raisonnables d'accès à ses infrastructures formulées en vue du déploiement d'un réseau ouvert au public permettant la fourniture de services d'accès à très haut débit (2).
A titre d'illustration, en application de la décision d'analyse de marché de l'Autorité n° 2015-1583 en date du 15 décembre 2015, TDF est soumis à des obligations d'accès à ses pylônes formulées en vue de proposer des services de télédiffusion. En revanche, un opérateur de réseau ouvert au public à très haut débit pourra se prévaloir des dispositions des articles L. 34-8-2-1 et L. 34-8-2-2 du CPCE pour demander l'accès aux pylônes de TDF et l'accès aux informations relatives à ces derniers.
L'Autorité considère que les dispositions des articles L. 34-8-2-1 et L. 34-8-2-2 prévues par le projet d'ordonnance et transposant l'article 1er de la directive précisent utilement l'articulation entre cette dernière et la régulation ex ante de l'Autorité.
2.2.2. Sur le droit d'accès aux infrastructures d'accueil
L'article L. 34-8-2-1 du CPCE impose aux gestionnaires d'infrastructures d'accueil de faire droit aux demandes raisonnables d'accès (3) à leurs infrastructures d'accueil émanant d'un opérateur de réseau ouvert au public à très haut débit (4) et fournit une liste non exhaustive de motifs de refus, lesquels doivent en tout état de cause être fondés sur des critères objectifs, transparents et proportionnés.
Afin de garantir l'effectivité de ce droit d'accès aux infrastructures d'accueil, le projet d'ordonnance prévoit en outre d'attribuer à l'Autorité une compétence d'intervention ex post en règlement des différends. Dans ce cadre, le projet d'article L. 34-8-2-1 du CPCE précise que l'Autorité devra saisir pour avis la Commission de régulation de l'énergie ou l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières lorsque l'activité de l'une des parties au différend relève de la compétence de ces autorités. Compte tenu des contraintes techniques et règlementaires spécifiques aux réseaux de gaz, d'électricité et de transports, un tel mécanisme de saisine pour avis semble particulièrement utile.
L'Autorité estime cependant que le délai de deux mois laissé à ces autorités de régulation sectorielle pour rendre leur avis est difficilement compatible avec la nécessité d'assurer le caractère contradictoire de la procédure. Aussi, l'Autorité propose de retenir un délai de six semaines, identique à celui dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel lorsqu'il est saisi pour avis par l'Autorité dans le cadre d'un règlement de différends (5).
2.2.3. Sur le droit d'accès aux informations relatives aux infrastructures d'accueil
L'article L. 34-8-2-2 du CPCE du projet d'ordonnance prévoit que les opérateurs disposent d'un droit d'accès à une série minimale d'informations concernant les infrastructures d'accueil mobilisables pour le déploiement de réseaux ouverts au public à très haut débit. Il met ainsi à la charge des gestionnaires d'infrastructures d'accueil et des personnes publiques l'obligation de transmettre, lorsqu'elles ne sont pas disponibles via le guichet unique prévu à l'article L. 554-2 du code de l'environnement (6), ces informations en réponse à une demande d'un opérateur de réseau ouvert au public à très haut débit. Il met en outre à la charge des gestionnaires d'infrastructures d'accueil l'obligation de faire droit aux demandes raisonnables de visite technique sur place des infrastructures d'accueil concernées émanant d'un tel opérateur. Il prévoit également de confier à l'Autorité un pouvoir de règlement des différends relatifs à l'accès aux informations relatives aux infrastructures d'accueil et l'obligation pour cette dernière de recueillir, lorsque l'activité de l'une des parties relève de leur compétence, l'avis de la Commission de régulation de l'énergie et de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières.
Concernant l'obligation, figurant au III de cet article, de communiquer les informations mentionnées au I, l'Autorité estime souhaitable de préciser, comme le prévoit le paragraphe 4 de l'article 4 de la directive, que les informations doivent être transmises « selon des modalités proportionnées, non discriminatoires et transparentes ».
Par ailleurs, l'Autorité relève que le deuxième alinéa du III de cet article prévoit que la communication de ces informations peut être « refusée » pour certains motifs. De même, selon le V, l'Autorité pourra être saisie d'une demande de règlement des différends en cas de « refus de communication des informations mentionnées au I ». La notion de refus semble cependant plus restrictive que celle de « limitation » prévue par le dernier alinéa de l'article 4§1 de la directive. En effet, il n'est pas certain que la communication limitée d'informations (ex : communication d'informations partielles, filtrées, agrégées ou anonymisées), qui peut être justifiée par des raisons liées à la sécurité des réseaux, à la sécurité nationale, à la santé publique ou à la protection du secret des affaires, puisse être qualifiée de « refus ». En outre, même en l'absence de refus, les modalités de communication des informations pourraient faire l'objet d'un différend.
Enfin, concernant le V de cet article relatif à la compétence de règlement des différends de l'Autorité, il semble nécessaire que la loi précise, à l'instar de ce qui est prévu au III de l'article L. 34-8-2-1 du CPCE, que le délai dans lequel la décision doit être rendue sera précisé par décret en Conseil d'Etat. La directive prévoit en effet un délai de deux mois, différent du délai de quatre mois prévu par l'article R. 11-1 du CPCE. En outre, concernant le mécanisme de saisine pour avis de la Commission de régulation de l'énergie et de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, l'Autorité propose, pour les raisons évoquées ci-dessus, de retenir un délai de trois semaines.
2.3. Sur les pouvoirs de l'ARCEP
Les articles 2, 4 et 5 du projet d'ordonnance prévoient de modifier les articles L. 32-4, L. 36-8 et L. 36-11 du CPCE relatifs, respectivement, aux pouvoirs de recueil d'information, de règlement des différends et de sanction de l'Autorité, afin de tirer les conséquences des nouvelles compétences qui lui sont confiées.
Le 1° de l'article 4 prévoit la possibilité pour l'Autorité, comme le permet l'article 10§2 de la directive, de mettre les frais d'expertises à la charge de la partie perdante, sauf si les circonstances particulières du différend justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties.
L'Autorité estime qu'une telle disposition peut utilement contribuer à l'exercice des nouvelles missions qui lui sont dévolues en matière de règlement de différends relatifs à l'accès à des infrastructures accueillant des réseaux autres que de communications électroniques, pour lesquels elle ne dispose pas nécessairement des compétences requises.
2.4. Sur la coordination des travaux de génie civil et l'accès aux informations relatives aux travaux prévus
L'article 6 du projet d'ordonnance modifie l'article L. 49 du CPCE afin de transposer les articles 5 et 6 de la directive relatifs à la coordination des travaux de génie civil ainsi qu'à la transparence relative aux travaux de génie civil prévus.
De façon générale, l'Autorité souligne que le droit interne actuellement en vigueur prévoit déjà des mesures relatives à la coordination des travaux de génie civil et à l'information des opérateurs de communications électroniques sur les travaux de génie civil prévus. Cela explique que les principales modifications apportées à l'article L. 49 du CPCE portent sur l'introduction d'un mécanisme de règlement des différends concernant ces travaux et l'information relative à ces travaux.
Ainsi, les III, IV et V de l'article L. 49 du CPCE prévoient que le préfet de région est saisi des différends. Ce dernier tranche le litige, sauf dans le cas où l'une des parties est un service de l'Etat ou est placée sous la tutelle de l'Etat. En effet, dans cette hypothèse, afin d'éviter le risque de conflit d'intérêts, le préfet renvoie l'affaire à l'Autorité.
L'Autorité considère que ce dispositif, qui confie à titre principal l'exercice de la mission de règlement des litiges au préfet de région, est pertinent. En effet, les services de l'Etat en région disposent de l'expertise et de la connaissance des territoires nécessaires pour régler ces différends relatifs à la coordination des travaux de génie civil et aux informations y relatives. L'Autorité relève par ailleurs que le préfet de région dispose déjà de compétences relevant des modes alternatifs de règlement des conflits (7). L'Autorité note enfin que le représentant de l'Etat en région pourra la saisir pour avis d'une question présentant une difficulté sérieuse et susceptible de se présenter dans plusieurs litiges. Une telle disposition s'avérera utile en particulier lorsque le litige posera des questions de principe et récurrentes concernant les droits et obligations résultant de la régulation des communications électroniques.
2.5. Sur le guichet unique d'information
L'article 7 du projet d'ordonnance transpose les dispositions de l'article 4§2 de la directive, en confiant à l'Institut national de l'environnement industriel et des risques (INERIS) l'exercice d'une mission de « guichet unique » pour l'accès aux informations nécessaires à la connaissance des infrastructures d'accueil des gestionnaires d'infrastructures. Il prévoit en outre que les personnes publiques, lorsqu'elles les détiennent sous forme électronique dans le cadre de leurs missions, ainsi que les gestionnaires d'infrastructures d'accueil doivent communiquer à l'INERIS ces informations suivant des modalités définies par décret en Conseil d'Etat.
Afin de transposer pleinement les dispositions des articles 4§2 et 4§3 de la directive, l'Autorité estime souhaitable d'apporter certaines précisions à l'article 7 du projet d'ordonnance (v. annexe). En particulier, l'Autorité considère qu'il serait utile, en vue de garantir une information exploitable par les opérateurs de communications électroniques, de mieux encadrer la structure et le format des données qui seront communiquées par les gestionnaires d'infrastructures. A cette fin, il convient de préciser à l'article 7 que le décret en Conseil d'Etat pourra notamment fixer le format et la structure selon laquelle ces informations doivent être transmises : une telle précision apparaît nécessaire pour donner compétence au pouvoir règlementaire, ainsi que l'a déjà jugé le Conseil d'Etat (8).
3. Conclusion
Dans le contexte de la transition vers les réseaux à très haut débit fixe et mobile, il importe de permettre aux opérateurs de mobiliser l'ensemble des infrastructures disponibles afin de favoriser les déploiements et, ainsi, de contribuer à l'aménagement numérique du territoire. Aussi, et sous réserve de la prise en compte de ses observations, l'Autorité émet un avis favorable sur le projet d'ordonnance.
L'Autorité relève à cet égard que, avant même l'adoption et la transposition de la directive 2014/61/UE, le droit interne prévoyait certaines dispositions compatibles avec la directive, notamment en matière de coordination des travaux de génie civil, d'équipement des immeubles neufs ou encore d'accès aux infrastructures d'accueil et réseaux déployés à l'intérieur des immeubles. Néanmoins, un certain nombre d'adaptations sont nécessaires pour transposer pleinement la directive, afin notamment de renforcer les dispositifs existants et d'offrir des garanties supplémentaires aux opérateurs de réseaux.
Dans ce cadre, l'Autorité se voit attribuer de nouvelles compétences de règlement des différends, de recueil d'information et de sanction en matière d'accès, y compris pour l'accès à des infrastructures accueillant des réseaux ne relevant pas du secteur des communications électroniques.
Ainsi, l'Autorité se félicite de l'introduction d'un mécanisme de saisine pour avis de la Commission de régulation de l'énergie et de l'Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières, qui participe de la logique d'inter-régulation qu'elle appelle de ses vœux.
Enfin, s'il est difficile d'évaluer a priori le nombre de différends relatifs aux droits et obligations prévus par le projet d'ordonnance que l'Autorité pourrait être amenée à régler, dans l'hypothèse où le volume d'affaires serait significatif, il importera de veiller à ce que l'Autorité dispose des ressources humaines et financières adéquates pour être en mesure d'exercer pleinement l'ensemble de ses missions.