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Article AUTONOME (Décision n° 2015-049 du 16 décembre 2015 portant règlement du différend entre la société ECR et SNCF Réseau relatif à l'indemnisation de la suppression et de la modification de sillons par le gestionnaire de l'infrastructure)

Article AUTONOME (Décision n° 2015-049 du 16 décembre 2015 portant règlement du différend entre la société ECR et SNCF Réseau relatif à l'indemnisation de la suppression et de la modification de sillons par le gestionnaire de l'infrastructure)


Après avoir entendu lors de l'audience publique du 9 décembre 2015 :


- les conclusions du rapporteur ;
- les observations de Me Pascal Cuche et des représentants de la société Euro Cargo Rail ;
- les observations de Me Philippe Hansen et des représentants de SNCF Réseau ;


Vu les notes en délibéré présentées :


- pour la société Euro Cargo Rail, enregistrée le 11 décembre 2015 ;
- pour SNCF Réseau, enregistrée le 14 décembre 2015 ;


Après en avoir délibéré le 16 décembre 2015,


1. Faits et procédure
1.1. Contexte
1.1.1. Le demandeur


1. La société par actions simplifiées Euro Cargo Rail (ci-après « ECR ») est une entreprise ferroviaire au sens du 2° du II de l'article préliminaire du décret n° 2003-194 du 7 mars 2003 modifié relatif à l'utilisation du réseau ferroviaire. A ce titre, elle acquiert des capacités d'infrastructure afin de proposer des services de fret ferroviaire en Europe, et notamment en France.


1.1.2. Cadre juridique du litige


2. Le présent litige oppose la société ECR à SNCF Réseau et porte sur les conditions et modalités d'indemnisation fixées par SNCF Réseau en cas de suppression ou de modification d'un sillon-jour ferme.
3. Ces conditions et modalités d'indemnisation sont précisées à l'annexe 3.1 des documents de référence du réseau (ci-après « DRR ») de 2012, 2013 et 2014 relative aux « conditions générales du contrat d'utilisation de l'infrastructure du réseau ferré national et du contrat d'attribution de sillons sur le réseau ferré national » (ci-après « CG CUI »). Son article 20 traite en particulier des conséquences indemnitaires des suppressions de sillons jours fermes. Il prévoit notamment, au point 20.3 pour l'horaire de service 2012 et au point 20.4 pour les horaires de service 2013 et 2014, que toute réclamation doit, à peine de forclusion, être transmise dans un délai d'un an à compter de la fin du mois pour lequel les sillons-jours concernés auraient dû être utilisés. L'article 14 décrit parallèlement les motifs de suppression de sillons pouvant conduire à une indemnisation par SNCF Réseau.
4. L'annexe 13.2 du DRR, créée par le DRR 2014 modifié, publié le 6 décembre 2013, concerne quant à elle la « procédure de réclamation relative aux demandes d'indemnisation ». Elle indique la composition du dossier de demande d'indemnisation exigée et le processus de traitement des demandes d'indemnisation.


1.2. Echanges préalables entre les parties
1.2.1. Sur la demande d'indemnisation portant sur l'horaire de service 2012


5. Par courrier du 13 mars 2014, la société ECR a demandé à RFF de lui verser la somme totale de 5 733 288,48 € en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la suppression et de la modification de sillons pour l'horaire de service 2012.
6. Dans sa réponse du 13 mai 2014, RFF a rejeté cette demande comme tardive sur le fondement des dispositions de l'annexe 3.1 du DRR qui prévoient qu'une telle demande d'indemnisation doit être transmise « dans un délai d'un an à compter de la fin du mois pour lequel le sillon-jour concerné aurait dû être utilisé ». RFF a précisé que la demande devait, pour être recevable, être adressée au plus tard le 31 décembre 2013.


1.2.2. Sur la demande d'indemnisation portant sur l'horaire de service 2013


7. Par courrier du 1er octobre 2014, la société ECR a transmis à RFF une autre demande indemnitaire pour un montant total de 5 873 024,44 € en réparation du préjudice qu'elle estime avoir subi du fait de la suppression et de la modification de sillons pour l'horaire de service 2013.
8. Dans sa réponse du 1er décembre 2014, RFF a estimé, de même, que la demande était tardive au titre de la période de janvier à octobre 2013. Pour les sillons supprimés ou modifiés au titre de la période d'octobre à décembre 2013, RFF a opposé le fait que la demande était incomplète, faute de justificatifs suffisants.


1.3. Procédure devant l'Autorité


9. Le 4 mars 2015, la société ECR a saisi l'Autorité d'une demande de règlement de différend, dont l'instruction a été clôturée le 5 juin 2015. Après une audience publique qui s'est tenue le 1er juillet 2015, le collège a demandé la réouverture de l'instruction, telle que prévue par l'article 19 du règlement intérieur alors applicable. Par deux courriers du 8 juillet 2015, les parties ont été informées de la réouverture de l'instruction.


1.4. Demandes d'ECR dans le cadre du présent règlement de différend


10. La société ECR demande à l'Autorité :


1. De constater le caractère infondé du rejet par SNCF Réseau de la réclamation présentée par ECR relative aux sillons modifiés ou supprimés pendant l'horaire de service 2012.
2. De constater le caractère infondé du rejet par SNCF Réseau d'une partie de la réclamation formée par ECR au titre de l'horaire de service 2013.
3. De constater le caractère infondé de la clôture du dossier relatif à la réclamation formée par ECR au titre de l'horaire de service 2013.
4. De dire que le délai de réclamation relatif à la réclamation 2013 a été interrompu le 1er octobre 2014 suite à la transmission de ladite réclamation par SNCF Réseau.
5. D'ordonner le paiement à ECR des sommes de 5 733 288,48 euros au titre de l'année 2012 et de 5 873 024,44 euros au titre de l'année 2013 en réparation de ses préjudices.
6. D'enjoindre à SNCF Réseau de réexaminer les réclamations 2012 et 2013 dans un délai de deux mois en assortissant les conditions d'exécution de ladite décision d'une astreinte, conformément aux dispositions de l'article L. 2134-2 du code des transports.
7. D'enjoindre à SNCF Réseau de modifier les règles procédurales relatives à la constitution des dossiers de réclamation visant à l'indemnisation de la modification ou la suppression de sillons.


11. SNCF Réseau conclut au rejet de l'ensemble de ces demandes.


2. Désistement partiel (demande n° 5)


12. Alors que la société ECR demandait initialement à être indemnisée de ses préjudices, elle indique, dans le dernier état de ses conclusions transmises à l'Autorité le 30 octobre 2015, qu'elle renonce à toute demande visant à ordonner le paiement par SNCF Réseau d'une somme d'argent dans la mesure où elle a saisi le tribunal de commerce d'un recours indemnitaire. La société doit ainsi être regardée comme ayant entendu se désister de cette demande.
13. L'Autorité considère que ce désistement partiel est pur et simple et que rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.


3. Sur la compétence de l'Autorité
3.1. Sur la compétence de l'Autorité pour constater le caractère infondé du rejet des réclamations, pour « dire que le délai de la réclamation relatif à la réclamation 2013 a été interrompu » et pour enjoindre à SNCF Réseau de réexaminer les réclamations 2012 et 2013 (demandes nos 1, 2, 3, 4 et 6)
3.1.1. Moyens des parties
a) S'agissant des demandes de constat


14. La société ECR soutient que l'Autorité a le pouvoir de constater une irrégularité de nature à justifier un préjudice lié à l'accès au réseau ferroviaire. SNCF Réseau réplique que les mesures susceptibles d'être adoptées au titre de l'article L. 2134-2 du code des transports ne peuvent pas consister en de simples constats autonomes, dépourvus de caractère décisoire.


b) S'agissant des délais


15. La société ECR prétend que RFF ne pouvait pas rejeter ses demandes présentées au titre des années 2012 et 2013 en se fondant sur leur caractère tardif dès lors que l'article 2224 du code civil institue une prescription quinquennale. La requérante soutient en outre que le délai d'un an doit être regardé comme interrompu par l'envoi de la réclamation pour l'horaire de service 2013, soit le 1er octobre 2014.


c) S'agissant du DRR applicable


16. La société ECR affirme avoir fourni tous les éléments nécessaires au traitement de ses réclamations 2012 et 2013 et fait valoir que le caractère complet de la demande doit être apprécié selon les règles précisées en la matière par le DRR en vigueur à la date des sillons modifiés ou annulés.


3.1.2. Appréciation de l'Autorité


17. Le litige relatif à l'indemnisation du préjudice subi par une entreprise ferroviaire du fait des modifications et suppressions de sillons précédemment attribués, qui conduit, d'une part, à rechercher la responsabilité de SNCF Réseau dans ces agissements et, d'autre part, à apprécier le caractère direct et certain du préjudice allégué, s'analyse en un litige entre un usager d'un service public industriel et commercial et ce service public. Un tel litige indemnitaire relève d'une compétence juridictionnelle, et ne saurait être tranché dans le cadre du pouvoir de règlement de différend que l'Autorité tient de l'article L. 2134-2 du code des transports.
18. Or, l'examen du bien-fondé des conclusions indemnitaires suppose que soit préalablement analysée la recevabilité des réclamations préalables formées devant SNCF Réseau, en fonction des règles de délai et de présentation mentionnées aux annexes du DRR relatives aux « conditions générales du contrat d'utilisation de l'infrastructure du réseau ferré national et du contrat d'attribution de sillons sur le réseau ferré national » et à la « procédure de réclamation relative aux demandes d'indemnisation ».
19. Dans ces conditions, les questions relatives à la recevabilité des réclamations formées devant SNCF Réseau, que la société ECR demande à l'Autorité de trancher, ne peuvent être examinées indépendamment de l'appréciation du bien-fondé des demandes d'indemnisation elles-mêmes, dont elles ne sont pas séparables. Ces questions ne sauraient en conséquence être réglées par une autorité distincte de celle qui a compétence pour connaître du litige indemnitaire.
20. L'Autorité déduit de ce qui précède que, n'ayant pas compétence pour se prononcer sur le litige indemnitaire, elle n'a pas davantage compétence pour se prononcer sur le bien-fondé des motifs de rejet des réclamations formées devant SNCF Réseau, pas plus que sur l'interruption du délai de réclamation qui résulterait du dépôt d'une réclamation incomplète.
21. Par suite, les conclusions tendant à ce que l'Autorité constate le caractère infondé du rejet des réclamations formées, dise que le délai de réclamation relatif à la réclamation de l'année 2013 a été interrompu et enjoigne à SNCF Réseau de réexaminer les réclamations 2012 et 2013 dans un délai de deux mois sous astreinte ne peuvent qu'être rejetées.


3.2. Sur la compétence de l'Autorité pour enjoindre à SNCF Réseau de modifier le document de référence du réseau (demande n° 7)
3.2.1. Moyens des parties


22. SNCF Réseau soutient que l'Autorité n'est pas compétente pour lui enjoindre de modifier le DRR, acte réglementaire, sur le fondement de l'article L. 2134-2 du code des transports et pour modifier elle-même le DRR.


3.2.2. Appréciation de l'Autorité


23. En application de l'article L. 2134-2 du code des transports, l'Autorité peut être saisie par un candidat dès lors qu'il s'estime victime d'un traitement inéquitable, d'une discrimination ou de tout autre préjudice lié à l'accès au réseau ferroviaire, « en particulier […] au contenu du document de référence du réseau ».
24. Les conclusions à fin d'injonction de modification du DRR entrent dans le champ de compétence de l'Autorité au titre de la procédure de règlement des différends dès lors qu'elles portent sur le contenu du DRR (annexe 13.2), et plus particulièrement sur les règles procédurales relatives à la constitution des dossiers de réclamation.
25. S'agissant de l'étendue et de la portée de ses pouvoirs en matière de règlement des différends, il résulte de l'article L. 2134-2 du code des transports, interprété à la lumière de l'article 56 paragraphe 9 de la directive 2012/34/UE, que le législateur a notamment entendu permettre à l'Autorité de réformer une décision ou d'enjoindre aux parties de modifier un acte dans un sens qu'elle détermine. Par conséquent, l'Autorité est nécessairement investie, à l'occasion du règlement d'un différend, du pouvoir d'enjoindre au gestionnaire d'infrastructure de modifier le document de référence du réseau.
26. Dès lors, si l'Autorité n'a pas le pouvoir de modifier elle-même le DRR, elle est compétente pour prononcer des injonctions aux fins de modifier le DRR. La fin de non-recevoir opposée par SNCF Réseau doit, par suite, être rejetée.


4. Sur la demande relative à la modification des règles contenues dans l'annexe 13.2 du DRR (demande n° 7)
4.1. Moyens des parties


27. La société ECR reprend à son compte les critiques émises par l'Autorité dans ses avis n° 2014-001 (1) et 2015-003 (2) relatifs, respectivement, aux DRR 2015 et 2016. Celle-ci y demandait à SNCF Réseau de se doter d'un outil de suivi des réclamations et de revoir les règles de constitution d'un dossier de réclamation en concertation avec les entreprises ferroviaires. Elle demandait également à SNCF Réseau de rendre tous les « délais cibles » de traitement contraignants.
28. La société ECR soutient par ailleurs que le cours du délai d'un an prévu à l'article 20.4 des CG CUI devrait être suspendu lorsqu'une réclamation, bien qu'incomplète, a été présentée avant l'échéance prévue.
29. SNCF Réseau considère que ces conclusions sont devenues sans objet, dès lors qu'il a modifié ses procédures pour tenir compte des recommandations émises par l'Autorité dans ses avis nos 2014-001 et 2015-003.


4.2. Appréciation de l'Autorité


30. Dans son avis n° 2015-003, l'Autorité avait demandé, afin de responsabiliser le gestionnaire d'infrastructure face à ses clients, que les délais de traitement des réclamations soient contraignants (point II.88). Or, les délais de réponse à une demande d'indemnisation sont toujours des délais cibles, y compris dans la version 3 du DRR 2017 du 8 décembre 2015. Il suit de là que les conclusions de la société ECR ne peuvent être regardées comme étant devenues sans objet sur ce point.
31. Toutefois, sans préjudice des avis que l'Autorité pourra être amenée à rendre sur le document de référence du réseau, la demande de la société ECR tendant à ce que l'Autorité enjoigne à SNCF Réseau de modifier pour l'avenir les règles procédurales précisées à l'annexe 13.2 n'est ni nécessaire ni utile au règlement du présent différend. La modification sollicitée, qui serait uniquement applicable aux réclamations formées à compter de son entrée en vigueur, n'aurait en effet aucune incidence sur le sort des réclamations objets du présent différend, qui portent sur les horaires de service 2012 et 2013.
32. En outre, la demande de la société ECR, qui vise à ce que toute réclamation incomplète introduite dans le délai d'un an suspende le cours de ce délai, aboutirait à des conséquences disproportionnées en permettant à une entreprise ferroviaire de saisir SNCF Réseau d'une réclamation incomplète à laquelle il ne pourrait apporter de réponse, sans pour autant que le demandeur ne soit astreint à la régulariser dans un délai donné.
33. L'Autorité rappelle à cet égard que, si elle a invité le gestionnaire d'infrastructure, dans son avis n° 2015-003, à laisser la possibilité aux entreprises ferroviaires de compléter leurs réclamations lorsqu'elles ne comportaient pas tous les éléments utiles à leur instruction, elle a précisé qu'il convenait de veiller à ce qu'un tel assouplissement des règles applicables n'amène pas les entreprises ferroviaires à introduire systématiquement des réclamations afin de suspendre le délai de prescription (point II.81).
34. Au demeurant, l'Autorité observe qu'une réforme significative de la procédure d'indemnisation des entreprises ferroviaires en cas de suppression ou de modification d'un sillon-jour ferme a été entreprise en 2014 et poursuivie en 2015, dans le sens des préconisations des avis n° 2013-002, 2014-001 et 2015-003 relatifs aux DRR 2014, 2015 et 2016.
35. Ainsi, SNCF Réseau a mis en place l'outil de suivi des réclamations « I-Récla » en avril 2014, qui permet d'automatiser les réclamations des usagers du réseau ferré national, de les suivre et de connaître leur état d'avancement. Cette évolution a permis aux entreprises ferroviaires de se conformer plus facilement aux attentes de SNCF Réseau comme à ce dernier d'accélérer le traitement des réclamations. L'Autorité a déjà pris acte de ces évolutions positives, en soulignant « l'avancée notable » que constituait la mise en place de cet outil dans son avis n° 2015-00o3.
36. De même, la mise en place, à la fin de l'année 2014, des outils de suivi « Etat courant sillon » et « Deltha » a permis aux entreprises ferroviaires d'avoir accès à un suivi quotidien de chaque sillon attribué et d'éviter les comparaisons manuelles qui devaient être effectuées jusqu'alors pour identifier ceux ayant été modifiés ou annulés par le gestionnaire d'infrastructure.
37. En outre, la tenue d'une concertation le 19 juin 2015, à laquelle l'Autorité avait invité SNCF Réseau dans ses avis n° 2014-001 et n° 2015-003, a permis aux entreprises ferroviaires, dont ECR, et au gestionnaire d'infrastructure de s'accorder sur les règles de constitution des dossiers de réclamation. L'Autorité relève ainsi que les « éléments justificatifs » (3) à fournir ont été simplifiés, offrant aux entreprises ferroviaires une plus grande facilité pour apporter la preuve de leur préjudice. De même, les réclamations incomplètes peuvent désormais être régularisées par la production des éléments manquants sans qu'elles soient rejetées (4), sous réserve que cette régularisation intervienne dans le délai d'un an prévu par les CG CUI.
38. Enfin, les délais d'indemnisation sont respectés dans la presque totalité des cas (97 %) par SNCF Réseau depuis la mise en service de l'outil de suivi des réclamations. Le délai d'une année ouvert aux opérateurs pour former une réclamation complète ne présente pas en soi de caractère inéquitable ou discriminatoire, pas plus qu'il n'est préjudiciable à l'accès au réseau au sens de l'article L. 2134-2 du code des transports.
39. Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les conclusions de la société ECR tendant à ce que l'Autorité enjoigne à SNCF Réseau de modifier les règles contenues dans l'annexe 13.2 du DRR doivent être rejetées.
Décide :