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Article AUTONOME (Délibération n° 2015-415 du 19 novembre 2015 portant avis sur un projet de décret relatif aux dispositions concernant le contenu et la délivrance des extraits de casier judiciaire (demande d'avis n° AV 15027531))

Article AUTONOME (Délibération n° 2015-415 du 19 novembre 2015 portant avis sur un projet de décret relatif aux dispositions concernant le contenu et la délivrance des extraits de casier judiciaire (demande d'avis n° AV 15027531))


Après avoir entendu M. Gaétan GORCE, commissaire, en son rapport, et M. Jean-Alexandre SILVY, commissaire du Gouvernement, en ses observations,
Emet l'avis suivant :
La Commission a été saisie par le ministre de la justice d'une demande d'avis portant sur un projet de décret relatif aux dispositions concernant le contenu et la délivrance des extraits de casier judicaire.
Les modifications projetées concernent le casier judiciaire national (ci-après « CJN »), dont les conditions de mise en œuvre sont prévues aux articles 768 à 781 et R. 62 à R. 90 du code de procédure pénale (CPP). Plus précisément, ces modifications portent sur les hypothèses d'effacement des fiches du casier judiciaire national (article 2 du projet de décret), sur la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire (article 3 du projet de décret), ainsi que sur la délivrance du bulletin n° 3 du casier judiciaire (articles 4 et 5).
La modification principale, qui porte sur la délivrance du bulletin n° 2 (ci-après B2) aux administrations dans le cadre du contrôle de l'exercice de certains emplois, intervient dans un contexte où ont été constatés des dysfonctionnements dans le contrôle des professions impliquant un contact avec des mineurs. Le ministère de la justice a souhaité dès lors renforcer le contrôle de l'exercice de certaines professions impliquant un contact habituel avec les mineurs.
Conformément aux dispositions de l'article 779 du CPP et des articles 26 et 30 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ce décret doit être pris après avis motivé et publié de la Commission.
Sur l'effacement des fiches du casier judiciaire :
L'article R. 70 du CPP énumère les cas dans lesquels les fiches du casier judiciaire national automatisé sont effacées. Le 4° de cet article en prévoit l'effacement « lorsque le condamné fait opposition ou lorsque la Cour de cassation annule la décision par application des articles 620 ou 625 », ce dernier article étant relatif au traitement des demandes en révision.
Or, la loi susvisée du 20 juin 2014 a modifié de façon substantielle la procédure de révision et de réexamen d'une condamnation pénale définitive. La modification envisagée, qui vise à tenir compte de ces évolutions et a pour unique objet de remplacer la référence à l'article 625 par celle de l'article 624-7, n'appelle pas d'observation particulière de la part de la Commission.
Sur la délivrance du bulletin n° 2 aux administrations pour le contrôle de l'exercice d'emplois impliquant un contact habituel avec des mineurs :
La Commission rappelle que la délivrance du 132 du casier judiciaire constitue la principale vérification préalable réalisée dans le cadre de l'accès à certains emplois. L'accès à la fonction publique, ainsi qu'a de nombreuses professions régies par des textes spéciaux, est en effet soumis à une demande de B2 par l'employeur.
S'agissant plus précisément des emplois publics, l'article 776-1° du CPP prévoit que le B2 peut être délivré aux « préfets et aux administrations publiques de l'Etat saisis de demandes d'emplois publics », tandis que le 3° de ce même article permet ta délivrance de ce même B2 « aux administrations et personnes morales », sans autre précision sur les services concernés et les motifs pour lesquels le B2 peut être demandé.
Afin de s'assurer que les administrations concernées puissent prendre une décision éclairée, le législateur s'est assuré que certaines infractions apparaissent bien au 62, notamment dans le cadre d'emplois en contact avec des mineurs. Ainsi, la procédure prévue par l'article 775-1 du CPP, qui permet à la juridiction de jugement d'exclure la mention d'une condamnation au B2, ne s'applique pas aux infractions de nature sexuelle sur un mineur mentionnées aux articles 706-47 du CPP.
Néanmoins, la procédure prévue à l'article 775-1 du CPP illustre également la volonté du législateur de marquer le principe du droit â l'oubli et de ne pas faire du casier judiciaire un obstacle à la réinsertion professionnelle. En effet, la possibilité d'exclure certaines condamnations du B2 a pour objet de permettre à toute personne condamnée, sous le contrôle du juge, d'exercer des activités ou d'occuper des emplois pour lesquels l'absence de toute mention au bulletin n° 2 du casier judiciaire est exigée.
En outre, la Commission rappelle que le bulletin n° 2 peut comporter des infractions sans lien avec l'emploi exercé ou visé par la personne concernée, ainsi que des condamnations très anciennes, dont la prise de connaissance par l'administration concernée peut ne pas s'avérer utile. Enfin, elle rappelle que l'extrait du casier judiciaire a, par définition, une durée de validité réduite, compte tenu du fait qu'il fait état du casier judiciaire de la personne à un instant donné.
Au regard de ces éléments, et sans remettre en cause la nécessité évidente d'assurer une protection effective des mineurs, la Commission estime que la délivrance du B2 à des fins de contrôle de l'exercice de certains emplois publics doit intervenir dans des conditions et selon des modalités strictement définies, de nature à assurer un juste équilibre entre les intérêts publics en cause et la protection de la vie privée et des données personnelles.
Dans ce cadre, la modification envisagée vise à permettre la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire « aux administrations de l'Etat, aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics, ainsi qu'aux établissements de santé, sociaux et médico-sociaux mentionnés à l'article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 (…) pour le contrôle de l'exercice d'emplois dans leurs services impliquant un contact habituel avec des mineurs ».
Il est prévu de modifier l'article R. 79 du CPP, qui liste les « administrations et personnes morales » habilitées, en application de l'article 776-3° du CPP, à se voir délivrer le B2.
La Commission relève que le fondement législatif de la modification envisagée est donc l'article 776-3° dudit code et non le 1° de ce même article, qui concerne pourtant au premier chef le contrôle des emplois publics.
Elle observe néanmoins que, si le législateur a défini le cadre générai de la transmission du B2, il a laissé au pouvoir réglementaire le soin de déterminer plus précisément, par décret en Conseil d'Etat, non seulement les organismes appartenant aux « administrations et personnes morales » pouvant solliciter le B2, mais aussi les fins auxquelles le B2 peut être demandé par lesdits organismes.
Si la modification envisagée peut dès lors trouver une base légale dans les dispositions de l'article 776 du code de procédure pénale, la Commission estime néanmoins que des garanties appropriées doivent être mises en œuvre, aussi bien concernant la délimitation des professionnels concernés que sur les conséquences pour les personnes dont le casier sera consulté.
A cet égard, la Commission relève que les professionnels visés par la modification envisagée sont définis sur la base de trois critères.
Seront ainsi concernés les agents publics titulaires (fonctionnaires et autres catégories) et non titulaires (auxiliaires, agents contractuels et vacataires de droit public ou privé) de l'administration de l'Etat, des collectivités territoriales et des établissements de santé.
Le B2 ne pourra être demandé qu'a des fins de contrôle de l'exercice de certains emplois. Ainsi, cette délivrance du 82 est indépendante des éventuels contrôles déjà mis en œuvre pour le recrutement des fonctionnaires, puisqu'elle interviendra au cours de la carrière des agents publics et non uniquement lors de leur recrutement.
Enfin, seuls les emplois impliquant un « contact habituel » avec les mineurs pourront justifier la délivrance du B2. La Commission relève que cette terminologie est plus restrictive que celle employée. par exemple, pour la consultation du Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes (FIJAIS), qui concerne, aux termes de l'article 706-53-7 du CPP, les activités ou professions « impliquant un contact avec des mineurs ». Elle estime dès lors que ce critère doit permettre de mieux circonscrire le champ des professions concernées.
S'il est difficile d'établir une liste exhaustive des professions concernées, qui ne semblent pas pouvoir être réduites aux seuls professionnels exerçant une mission éducative, les administrations devront ainsi nécessairement tenir compte du caractère « habituel » des contacts avec les mineurs qu'implique chaque profession. La Commission appelle donc l'attention du Gouvernement sur la nécessité de définir limitativement les professions qui pourront donner lieu à la consultation du casier judiciaire.
En outre, elle estime nécessaire que soient définies des modalités précises d'appréciation, par les administrations demanderesses, des données mentionnées aux B2 de leurs agents. Des critères conformes à la jurisprudence administrative en la matière et concernant, par exemple, les condamnations incompatibles avec l'exercice des professions concernées ou l'ancienneté des condamnations à prendre en compte, doivent ainsi être fixés. La formalisation de telles règles constitue en effet, pour la Commission, une condition essentielle de nature à garantir le droit à l'oubli et la réinsertion des personnes condamnées pour d'autres infractions que celles commises à l'encontre de mineurs, conformément à l'un des objectifs du casier judiciaire.
De même, la Commission rappelle que, si l'administration envisage de prendre à l'encontre de la personne concernée une décision produisant des effets juridiques en se fondant sur le 82, il lui appartient de mettre en œuvre une procédure garantissant le respect des dispositions de l'article 10 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée.
En outre, conformément aux dispositions des 3° et 4° de l'article 6 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, la Commission rappelle que les B2 qui ne donneraient pas lieu à une procédure, soit parce qu'ils ne comportent aucune condamnation, soit parce que les condamnations ne sont pas jugées incompatibles avec la profession exercée, ne doivent pas être conservés par l'administration. Les bulletins qui seraient utilisés dans le cadre d'une procédure disciplinaire ne doivent quant à eux être conservés que pour les nécessités et la durée de ladite procédure.
Si ces exigences ne relèvent pas directement de la compétence du ministère de la Justice, la Commission estime toutefois que le service du casier judiciaire pourrait utilement les rappeler dans le cadre des outils qu'il met à la disposition des administrations pour solliciter le B2.
S'agissant enfin des modalités de délivrance du B2, la Commission relève qu'il sera demandé par les administrations concernées par l'intermédiaire des dispositifs déjà existants, le dispositif de « transfert de fichier », qui permet à l'administration demanderesse d'interroger le casier par listes d'identités, ou l'application dénommée WebB2D, qui permet à l'administration ou à la collectivité territoriale habilitée de prendre connaissance du B2 de manière dématérialisée.
Ces dispositifs ne nécessitent qu'une authentification des services demandeurs par le service du casier judiciaire et non une authentification individuelle, chaque administration étant par la suite responsable de la délivrance, au sein de ses services, de ces habilitations individuelles.
La Commission appelle dès lors l'attention de ce service sur la nécessité d'exercer un contrôle strict sur la délivrance de ces habilitations, au regard des finalités assignées à ce nouveau motif de consultation du casier judiciaire.
Sur les autres administrations et personnes morales habilitées à se voir délivrer le B2 :
Le projet de décret procède â d'autres modifications de l'article R. 79 du CPP.
En premier lieu, il prévoit d'ajouter, au titre des « administrations publiques de l'Etat chargées de la police des étrangers » habilitées à se voir délivrer le B2, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) ainsi que la Cour nationale du droit d'asile (CNDA).
Le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) prévoit en effet certaines restrictions s'agissant des conditions d'octroi de l'asile. Ainsi, le statut de réfugié et la protection subsidiaire peuvent être refuses au demandeur s'il constitue une menace ou s'il a commis des infractions d'une particulière gravité (articles L. 711-6 et L. 712-2).
Le B2 étant, en pratique, déjà délivré à ces organismes, le ministère a souhaité faire apparaître expressément cette possibilité à l'article R. 79, ce dont la Commission prend acte.
En second lieu, le projet de décret procède à des ajustements rédactionnels s'agissant des organismes mentionnés au 8' de l'article R. 79 et supprime deux catégories de destinataires, ce qui n'appelle pas d'observation particulière de la part de la Commission.
Sur les modifications des conditions de délivrance du bulletin n° 3 du casier judiciaire :
L'article 4 du projet de décret vise à modifier l'article R. 83 du CPP, qui prévoit que « la vérification d'identité prévue par l'article R. 77 doit être effectuée avant l'établissement du bulletin n0 3 des personnes nées en France. Si le résultat de cet examen s'avère négatif, le service du casier judiciaire national automatisé ne délivrera le bulletin n° 3 qu'au vu d'une fiche d'état civil ».
Or, la fiche individuelle d'état civil et de nationalité française et la fiche familiale d'état civil ont été supprimées par le décret n° 2000-1277 du 26 décembre 2000 portant simplification des formalités administratives. La modification envisagée vise donc à substituer à cette formulation celle d'« acte de naissance », ce qui n'appelle pas d'observation particulière de la part de la Commission.
L'article 5 du projet de décret modifie l'article R. 84 du CPP relatif à la délivrance du B3. Actuellement, les B3 qui ne comportent aucune mention sont adressés à la personne sous lettre simple. En revanche, si le bulletin compte des mentions, il est délivré soit en main propre, soit par lettre recommandée avec accusé de réception.
La modification envisagée vise à permettre la délivrance par voie électronique des B3 qui ne comportent aucune condamnation. L'objectif de cette dématérialisation est de permettre une amélioration du service rendu aux demandeurs (simplification, accélération de la transmission des réponses), une rationalisation de l'organisation du service grâce à l'automatisation des processus de traitement des bulletins et une réduction substantielle des frais de justice du CJN.
Si cette dématérialisation ne suscite aucune réserve de principe de la part de la Commission, elle relève néanmoins que ce projet est en cours de conception et que les éléments techniques qui lui ont été communiqués ne sont qu'informatifs.
Dès lors, la Commission rappelle que la documentation technique définitive devra fui être communiquée préalablement à la mise en œuvre de cette nouvelle fonctionnalité, afin de lui permettre de l'examiner en toute connaissance de cause.
A cet égard, elle rappelle qu'il incombe au responsable de traitement de veiller au respect de certaines exigences, notamment, en l'espèce, quant à la confidentialité des données, à l'authentification du demandeur du B3 et à l'authenticité du bulletin n° 3 ainsi délivré.