ACCORD
ENTRE LE GOUVERNEMENT DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE ET LE GOUVERNEMENT DES ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE SUR L'INDEMNISATION DE CERTAINES VICTIMES DE LA SHOAH DÉPORTÉES DEPUIS LA FRANCE, NON COUVERTES PAR DES PROGRAMMES FRANÇAIS (ENSEMBLE UNE ANNEXE), SIGNÉ À WASHINGTON LE 8 DÉCEMBRE 2014
Le Gouvernement de la République française,
et
Le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique,
ci-après dénommés conjointement « les Parties »,
Désireux de développer davantage les relations entre leurs deux pays dans un esprit d'amitié et de coopération et de résoudre certaines difficultés du passé,
Reconnaissant et condamnant les horreurs de la Shoah, notamment la tragique déportation de Juifs depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale,
Notant que depuis 1946, le Gouvernement de la République française a mis en œuvre des mesures substantielles en vue de restituer les biens ou d'indemniser des victimes des persécutions antisémites perpétrées pendant la Seconde Guerre mondiale par les autorités allemandes d'Occupation ou l'autorité de fait se disant « gouvernement de l'Etat français », notamment un programme de pensions destiné à réparer les torts subis par les victimes de la Shoah déportées depuis la France et un programme spécifique pour les orphelins,
Notant que le Gouvernement de la République française reste engagé à verser, par de telles mesures au bénéfice des personnes éligibles au titre des programmes français, une indemnisation pour les torts subis par les victimes de la Shoah déportées depuis la France,
Rappelant que le 16 juillet 1995, le Président de la République française a solennellement reconnu la responsabilité de l'Etat dans le processus de déportation de ces victimes et une dette imprescriptible à leur égard,
Reconnaissant que certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France, leur conjoint survivant et leurs ayants droit, n'ont pu avoir accès au programme de pensions établi par le Gouvernement de la République française pour les ressortissants français, ou par des accords internationaux conclus par le Gouvernement de la République française dans ce domaine,
Ayant mené des discussions dans un esprit d'amitié et de coopération avec l'objectif partagé de résoudre par le dialogue des questions liées à la non-couverture de ces personnes,
Résolus d'un commun accord et en adoptant une démarche amiable, extrajudiciaire et non contentieuse, à traiter la question de l'indemnisation de ces personnes,
Convaincus qu'il est de l'intérêt des deux Parties de garantir l'immunité d'Etat souverain étranger de la France s'agissant des demandes relatives à la déportation liée à la Shoah et de fournir par le présent Accord un mécanisme d'indemnisation pour toutes les demandes présentées par ces personnes,
Reconnaissant qu'il ne peut être demandé à la France, ayant accepté d'indemniser justement et équitablement ces personnes au titre du présent Accord, ni attendu de celle-ci de satisfaire toute autre demande liée à la déportation depuis la France pendant la Seconde Guerre mondiale présentées devant toute juridiction ou toute autre instance, aux Etats-Unis d'Amérique ou ailleurs,
Notant que le présent Accord constitue l'instrument exclusif et définitif permettant de répondre à ces demandes, entre les Etats-Unis d'Amérique et la France,
Notant l'intention des Parties que le présent Accord garantisse à la France, dans toute la mesure du possible, une paix juridique durable concernant toutes demandes ou initiatives portant sur la déportation de victimes de la Shoah depuis la France,
Ayant tous deux consulté différentes parties prenantes au sujet de la déportation liée à la Shoah, notamment des représentants des communautés juives, des demandeurs et des parlementaires,
Convaincus que le présent Accord fournira, dans les meilleurs délais possibles, le mécanisme permettant d'indemniser de manière juste et rapide les victimes de la déportation désormais âgées,
Ont convenu ce qui suit :
Article 1er
Aux fins du présent Accord, et sauf indication contraire spécifiée par l'utilisation d'un terme spécifique :
1. Le terme « France » désigne la République française, le Gouvernement de la République française, toute agence ou entité publique actuelle ou passée du Gouvernement français (qu'elle appartienne en totalité ou majoritairement à la République française), les entités qui leur succèdent quel que soit leur statut, et tout fonctionnaire, employé ou agent de la République française agissant dans l'exercice de ses fonctions, de son emploi ou de son mandat.
2. Les termes « ressortissants français » désignent toutes personnes physiques qui, à la date de l'entrée en vigueur du présent Accord, sont des nationaux de la République française.
3. Les termes « déportation liée à la Shoah » désignent le transfert d'un individu depuis la France vers une destination située hors de France dans le cadre des persécutions antisémites exercées par les autorités allemandes d'Occupation ou l'autorité de fait se disant « gouvernement de l'Etat français », pendant la Seconde Guerre mondiale.
4. Les termes « demande au titre de la déportation liée à la Shoah » désignent une demande d'indemnisation ou toute autre réparation concernant la déportation liée à la Shoah.
Article 2
Le présent Accord a pour objectifs :
1. De fournir un mécanisme exclusif d'indemnisation des personnes ayant survécu à la déportation depuis la France, leur conjoint survivant ou leurs ayants droit, qui n'ont pu avoir accès au programme de pensions établi par le Gouvernement de la République française pour les ressortissants français, ou par des accords internationaux conclus par le Gouvernement de la République française traitant de la déportation liée à la Shoah ;
2. D'instaurer une obligation internationale contraignante pour les Etats-Unis d'Amérique visant à reconnaître et à protéger activement l'immunité d'Etat souverain étranger de la France au sein du système juridique des Etats-Unis d'Amérique s'agissant des demandes au titre de la déportation liée à la Shoah et, conformément à leur système constitutionnel, d'entreprendre toutes actions nécessaires pour garantir une paix juridique durable au niveau fédéral, celui des Etats et celui des autorités locales du Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique.
Article 3
1. Le présent Accord ne s'applique pas aux demandes au titre de la déportation liée à la Shoah présentées par des ressortissants français.
2. Le présent Accord ne s'applique pas aux demandes au titre de la déportation liée à la Shoah présentées par des ressortissants d'autres pays qui ont reçu ou sont éligibles à une indemnisation au titre d'un accord international conclu par le Gouvernement de la République française traitant de la déportation liée à la Shoah.
3. Le présent Accord ne s'applique pas aux personnes qui ont reçu ou sont éligibles à une indemnisation au titre du programme d'indemnisation français instituant des réparations pour les orphelins dont les parents sont morts en déportation (décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000).
4. Le présent Accord ne s'applique pas aux demandes au titre de la déportation liée à la Shoah présentées par des personnes qui ont reçu une indemnisation au titre du programme d'un autre Etat accordant une indemnisation spécifique pour la déportation liée à la Shoah, ou qui ont reçu une indemnisation au titre de tout programme de toute institution accordant une indemnisation spécifique pour la déportation liée à la Shoah.
Article 4
1. Dans un délai de trente (30) jours à compter de la date d'entrée en vigueur du présent Accord, le Gouvernement de la République française transfère au Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique une somme de 60 millions de dollars américains, au bénéfice du Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique pour effectuer des indemnisations au titre du présent Accord, dans les conditions prévues à l'article 6.
2. Les Parties conviennent que ce paiement constitue, entre la France et les Etats-Unis d'Amérique, le moyen définitif, global et exclusif de répondre à toutes demandes au titre de la déportation liée à la Shoah non couvertes par les programmes d'indemnisation existants, qui ont été ou pourraient être formulées à l'encontre de la France aux Etats-Unis d'Amérique ou en France.
3. Les Parties conviennent en outre que tout paiement à une personne physique au titre du présent Accord constitue un moyen définitif, global et exclusif de répondre à toutes les demandes de cette personne physique au titre de la déportation liée à la Shoah, non couvertes par les programmes de compensation existants, qui ont été ou pourraient être formulées à l'encontre de la France dans quelque instance que ce soit.
4. Conformément aux procédures nationales en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique dépose les montants reçus du Gouvernement de la République française sur un compte portant intérêt au Département du Trésor des Etats-Unis d'Amérique en attendant qu'ils soient répartis, conformément à une décision du Secrétaire d'Etat des Etats-Unis d'Amérique ou de son mandataire.
Article 5
Lors du paiement de la somme visée à l'article 4 du présent Accord, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique :
1. Confirme, par le présent Accord, pour toute demande au titre d'une déportation liée à la Shoah, qu'il reconnaît :
(i) l'immunité d'Etat souverain étranger de la France et des biens appartenant à la France ; et
(ii) l'immunité diplomatique, consulaire ou officielle des fonctionnaires, employés et agents français et des biens de chacun d'eux,
en tant que ces immunités souveraines, diplomatiques, consulaires et officielles sont normalement reconnues par le système juridique des Etats-Unis aux Etats étrangers, leurs agences ou entités publiques, fonctionnaires, employés et agents ainsi que pour les biens de chacun d'eux.
2. S'assure, au besoin avec l'aide du Gouvernement de la République française, dans les plus brefs délais possibles, de la clôture de toute procédure pendante ou future pouvant être engagée, devant tout tribunal à tout niveau du système juridique des Etats-Unis, à l'encontre de la France en ce qui concerne toute demande au titre d'une déportation liée à la Shoah.
3. Entreprend, dans les meilleurs délais et conformément à son système constitutionnel, toutes les actions nécessaires pour atteindre les objectifs du présent Accord, notamment une paix juridique durable au niveau fédéral, celui des Etats et celui des autorités locales du Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique, et évite toute mesure :
a. qui contredise les termes de l'Accord en particulier remette en cause l'immunité souveraine de la France en ce qui concerne toute demande au titre d'une déportation liée à la Shoah ; ou
b. qui font obstacle à l'application et l'exécution de l'Accord.
4. Demande, avant qu'il soit procédé à tout versement de répartition à un bénéficiaire éligible en vertu du présent Accord, que ce dernier signe un document conforme à l'Annexe jointe au présent Accord, comportant (i) une renonciation du bénéficiaire à tous ses droits à faire valoir des demandes d'indemnisation ou d'autres demandes de réparation à l'encontre de la France, dans quelque instance que ce soit, concernant la déportation liée à la Shoah ou des régimes de pensions y afférents ; (ii) une déclaration attestant que le bénéficiaire n'a perçu et ne demandera aucun paiement au titre de programmes français ou d'un accord international conclu par le Gouvernement de la République française en ce qui concerne la déportation liée à la Shoah ; et (iii) une déclaration attestant que le bénéficiaire n'a perçu aucun paiement au titre du programme d'indemnisation d'un autre Etat ou du programme d'indemnisation de toute institution étrangère portant spécifiquement sur la déportation liée à la Shoah.
Article 6
1. Le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique répartit la somme visée à l'article 4 (1) du présent Accord selon des critères qu'il définit unilatéralement, discrétionnairement, et dont il est seul responsable.
2. Nonobstant le paragraphe précédent :
a. En définissant les critères de répartition de la somme visée à l'article 4 (1), les Etats-Unis tiennent compte des objectifs du présent Accord énoncés à l'article 2.
b. Les demandes au titre d'une déportation liée à la Shoah émanant d'une personne relevant du champ d'application des articles 3 (1), 3 (2), 3 (3) ou 3 (4) du présent Accord ne sont pas éligibles à une indemnisation au titre du présent Accord et après avoir établi qu'une demande relève des articles 3 (1), 3 (2), 3 (3) ou 3 (4), les Etats-Unis doivent déclarer cette demande irrecevable et la rejeter.
c. Pour établir si une demande relève du champ d'application de l'article 3 (1), aux fins de gestion de la répartition des indemnisations, les Etats-Unis d'Amérique s'appuient sur les déclarations sur l'honneur de nationalité figurant au premier paragraphe du document constituant l'Annexe au présent Accord. Pour établir si une demande relève de l'article 3 (2), 3 (3) ou 3 (4), aux fins de gestion de la répartition des indemnisations, les Etats-Unis s'appuient sur les points 5 et 6 des déclarations sur l'honneur figurant dans le document constituant l'Annexe au présent Accord, ainsi que sur toute éventuelle information pertinente obtenue en vertu de l'article 6 (6) du présent Accord.
3. Le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique ou une entité désignée par lui jouit d'une compétence exclusive pour répartir la somme visée à l'article 4 (1) du présent Accord, et la France n'a aucun droit en ce qui concerne cette répartition.
4. Le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique prend des mesures raisonnables pour notifier, suffisamment à l'avance, des informations sur la répartition des fonds en vertu du présent Accord aux personnes susceptibles de répondre aux critères établis par le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique en vertu de l'article 6 (1) du présent Accord.
5. Conformément aux procédures nationales en vigueur aux Etats-Unis d'Amérique, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique prévoit un délai approprié pour la présentation des demandes d'indemnisation au titre du présent Accord.
6. Sous réserve de leur législation respective, les Parties échangent des informations utiles à la mise en œuvre du présent Accord, notamment des informations requises pour garantir qu'aucun demandeur ne reçoive de paiement indu en application de l'article 6 (2) (b) du présent Accord.
7. A la demande du Gouvernement de la République française, le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique fournit chaque année un rapport sur la mise en œuvre du présent Accord comportant au minimum des données statistiques relatives aux versements et aux catégories de bénéficiaires. Cette obligation expire dans un délai d'un an à compter de la date à laquelle les Etats-Unis ont achevé la répartition de la somme visée à l'article 4 (1) du présent Accord, ainsi que prévu à l'article 6 (1) du présent Accord.
Article 7
L'Annexe ci-jointe fait partie intégrante du présent Accord.
Article 8
Tout différend lié à l'interprétation ou l'application du présent Accord est réglé exclusivement par voie de consultations entre les Parties.
Article 9
Chaque Partie notifie à l'autre l'accomplissement des formalités nationales nécessaires pour l'entrée en vigueur du présent Accord, qui intervient le premier jour du deuxième mois suivant la date de réception de la dernière notification. Les Parties prennent acte du fait qu'à son entrée en vigueur, le présent Accord impose des obligations internationales contraignantes.
Fait à Washington, D.C., le 8 décembre 2014, en double exemplaire, en langues française et anglaise, les deux textes faisant également foi.
Pour le Gouvernement de la République française : Patrizianna Sparacino-Thiellay
Ambassadrice pour les droits de l'Homme, en charge de la dimension internationale de la Shoah
Pour le Gouvernement des Etats-Unis d'Amérique : Stuart E. Eizenstat
Conseiller spécial pour la Shoah