3. La méconnaissance du principe d'égalité, du principe d'égal accès aux soins et de l'objectif constitutionnel du droit à la protection de la santé.
3.1. L'atteinte au principe d'égalité, d'égal accès aux soins et à l'objectif constitutionnel du droit à la protection de la santé.
En premier lieu, l'article contesté méconnaît le principe d'égalité et l'objectif du droit à la protection de la santé dont votre Conseil a reconnu la valeur constitutionnelle sur le fondement du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (11).
D'une part, cette pénalité forfaitaire créerait des inégalités entre les établissements de santé spécialisés dans les pathologies traitées par les spécialités pharmaceutiques inscrites sur la liste en sus. Cet article aurait ainsi un impact important sur les centres de lutte contre le cancer, qui sont spécialisés dans la recherche de traitements innovants.
En effet, ces établissements ne traitent que des patients atteints du cancer et seront largement impactés financièrement si jamais ils décidaient de continuer à prescrire des spécialités innovantes inscrites sur la liste en sus. Or, ce sont ceux-là même qui ont l'expérience la plus forte les conduisant à prescrire, à bon escient, les médicaments inscrits sur la liste en sus.
Par ailleurs, en tant qu'établissements spécialisés, ces centres n'ont aucune marge de manœuvre face à l'impact de cette minoration forfaitaire qui concerne essentiellement les traitements oncologiques. Ils ne peuvent espérer aucune dilution et " amortissement " de l'impact financier de la mesure dans un budget plus vaste, à l'inverse d'autres établissements de santé généralistes.
A cet égard, la fédération UNICANCER a souligné l'iniquité de cette disposition pour les établissements spécialisés dans le traitement des cancers :
" Le Gouvernement est en train de transférer vers les établissements de santé la responsabilité de délivrer ou non aux patients un traitement coûteux et innovant. Des établissements tels que les centres de lutte contre le cancer, qui pratiquent des activités de recours et d'innovation, pourraient se retrouver face à une situation très difficile : le simple fait de proposer aux patients atteints d'un cancer les meilleurs traitements, selon les protocoles internationaux et le contrat de bon usage du médicament, pourrait entraîner des problèmes budgétaires croissants " (12).
En conséquence, le rapporteur Olivier Véran à l'Assemblée nationale a souhaité, en vain, que " quelques garanties puissent être mises en place. Par exemple, nous pourrions garantir aux centres de sortir du dispositif tous les traitements innovants développés dans le cadre de protocoles thérapeutiques. Il ne faut surtout pas qu'un centre de lutte contre le cancer testant une nouvelle molécule dans le cadre d'un protocole expérimental puisse se voir reprocher de trop prescrire par rapport à ses voisins ou aux centres de même taille en France, et donc de subir des pénalités financières. Cela poserait non seulement un problème sanitaire mais également un problème politique. " (13).
D'autre part, il ne saurait être raisonnablement soutenu que la liberté de prescription des praticiens serait préservée dès lors qu'il leur faudra prendre en compte une contrainte financière lors du choix du traitement du patient. Les exigences budgétaires et la pression des administrateurs influeront nécessairement sur leur choix.
Les établissements de santé, et notamment les centres spécialisés dans la lutte contre le cancer, seront ainsi entravés dans leur liberté de prescription et ne pourront, en toute hypothèse, faire bénéficier leurs patients des spécialités pharmaceutiques les plus innovantes sous peine d'alourdir les finances de leurs établissements.
A l'inverse, les établissements de santé qui traitent beaucoup moins de patients atteints du cancer pourront, plus aisément, prescrire des spécialités de la liste en sus dans la mesure où cela grèvera moins en proportion leurs comptes.
La liberté de prescription découlant de l'objectif constitutionnel de protection de la santé est donc également méconnue du fait de cette disposition.
En second lieu, cette disposition crée une inégalité entre les assurés sociaux pour l'accès aux soins (14).
A titre liminaire, les requérants souhaitent rappeler que la tarification à l'activité mise en œuvre en 2004 devait faciliter le développement de l'innovation et l'accès aux soins des malades tout en maîtrisant les dépenses de santé.
Ainsi, l'exposé des motifs de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2004, créant l'article sur la liste en sus, précisait que " l'article L. 162-22-7 prévoit, afin d'assurer un meilleur accès des patients aux innovations thérapeutiques, que certaines spécialités pharmaceutiques et produits et prestations (principalement les dispositions médicaux implantables) figurant sur des listes fixées par l'Etat bénéficient d'une prise en charge par les organismes d'assurance maladie en sus des tarifs des prestations ".
En outre, dans le rapport fait au nom de la commission des affaires sociales déposé devant le Sénat, M. Vasselle précisait bien que " cette possibilité d'une facturation supplémentaire est l'une des nouveautés importantes introduites dans le traitement des pathologies et elle doit permettre la diffusion des médicaments innovants dans les établissements privés qui n'avalent pas, jusqu'à présent, les moyens de prendre en charge ces dépenses " (15).
Le ministère de la santé reconnaît d'ailleurs sur son site internet que " cette modalité est un facilitateur de diffusion de l'innovation et garantit aux patients un égal accès aux soins et aux technologies médicales innovantes " (16).
En inscrivant sur la liste en sus les médicaments innovants particulièrement coûteux et non dans les GHS, le législateur a permis de garantir à chaque patient, où qu'il soit hospitalisé, un égal accès aux traitements et innovations prescrits, car intégralement remboursés par l'assurance maladie.
Or, en mettant en place le système de minoration, l'article 63 met en cause le principe même de la liste en sus et conduit à privilégier des produits moins innovants, inscrits sur la liste GHS, au détriment de produits innovants inscrits sur la liste en sus et permettant une meilleure condition de vie et/ou un prolongement de la vie.
Cette mesure conduit donc à revenir sur les acquis et les droits accordés aux malades par la liste en sus.
Certains assurés sociaux n'auront plus accès aux spécialités pharmaceutiques innovantes s'ils sont traités dans un établissement de santé qui déciderait de ne prescrire que des spécialités de la liste GHS afin de ne pas subir la minoration forfaitaire mise en place par l'article 63 déféré.
En revanche, d'autres patients atteints de la même maladie pourraient bénéficier de traitements de la liste en sus s'ils se font soigner dans un établissement pouvant ou décidant, malgré tout, de supporter financièrement de telles pénalités.
En application de la disposition contestée, le choix de l'établissement de santé par les patients deviendrait donc un critère d'accès aux produits innovants en méconnaissance du principe d'égalité devant le service public et de l'objectif constitutionnel du droit à la protection de la santé.