Le Conseil constitutionnel a été saisi, par plus de soixante députés, d'un recours dirigé contre la loi portant création des emplois d'avenir. Sont spécifiquement contestées les dispositions des articles L. 5134-120 et L. 5143-125 du code du travail que l'article 4 de la loi déférée introduit.
Ce recours appelle, de la part du Gouvernement, les observations suivantes.
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I. ― Sur l'article L. 5134-120 du code du travail :
A. ― Les députés requérants soutiennent que cet article, qui crée des « emplois d'avenir professeur », méconnaît l'article 6 de la Déclaration des droits et de l'homme et du citoyen ― et le principe d'égal accès aux fonctions publiques que garantirait le dix-huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 (1) ― car il conférerait aux étudiants titulaires de bourses de l'enseignement supérieur un « monopole d'accès » à des emplois qui doivent être regardés comme des « emplois publics » au sens de l'article 6. L'accès devrait, en conséquence, résulter d'une sélection fondée sur les « capacités, (...) sans autre distinction que celle de leurs vertus et leurs talents ».
Auraient également été méconnus le principe d'égalité et celui de la liberté contractuelle.
B. ― Le Gouvernement considère qu'aucun de ces griefs n'est fondé.
1. En premier lieu, les emplois d'avenir professeur ne peuvent être regardés comme des emplois, a fortiori comme des emplois publics au sens de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le législateur a mis en place un dispositif social d'aide à l'emploi, dont le but est d'accompagner vers la profession d'enseignant des étudiants titulaires de bourses de l'enseignement supérieur inscrits en deuxième année de licence ― ou, le cas échéant, en troisième année de licence ou en première année de master ― âgés de 25 ans au plus. Le contrat est destiné à ces étudiants qui se préparent à devenir enseignants mais qui n'ont pas encore les compétences ou les titres nécessaires pour exercer cette profession. Ce dispositif tient compte de la récente réforme de la « mastérisation » qui, en élevant le niveau du diplôme requis pour se présenter aux concours de recrutement des enseignants de la licence au master, crée un risque d'éviction au détriment des étudiants issus des familles les plus modestes.
Il convient également de souligner que, durant la durée de leur activité sous contrat, le statut d'étudiant leur est conservé et leur activité limitée au maximum à un mi-temps. Ainsi, ce contrat contribue au financement de la poursuite de leurs études tout en leur permettant d'acquérir des compétences utiles pour exercer le métier auquel ils se destinent. Pour devenir enseignant, aucun concours spécial ou aménagement d'épreuves n'est prévu. Il faudra que les étudiants concernés réussissent un concours d'accès à la fonction publique dans les conditions du droit commun. Et s'ils réussissent, la loi ne prévoit pas de prise en compte de la période passée sur un contrat d'emploi d'avenir professeur. Il ne s'agit donc pas d'un dispositif de pré-recrutement.
Par ailleurs, les étudiants recrutés ne seront pas nommés sur un emploi vacant. Ils n'occuperont donc pas un poste au sens de l'article 12 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires.
Eu égard tant à la finalité sociale du dispositif qu'au fait que les emplois d'avenir professeur ne sont pas destinés à répondre à des besoins de recrutement de l'administration, la situation des étudiants sous contrat d'emploi d'avenir professeur se distingue du cas des assistants d'éducation qui ont pu être qualifiés d'« emplois publics » (voir Conseil constitutionnel, 24 avril 2003, décision n° 2003-471 DC, loi relative aux assistants d'éducation, considérant 10). En effet, un assistant d'éducation, selon l'article L. 916-1 du code de l'éducation, participe à l'action éducative et, en vertu de la dérogation prévue par le 6° de l'article 3 de la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat, occupe un emploi permanent de l'Etat et de ses établissements publics.
Par conséquent, les principes de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ainsi qu'en tout état de cause du dix-huitième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ― lequel, en réalité, n'a plus d'objet depuis la disparition de l'Union française ― n'ont pas été méconnus.
2. Le dispositif, en deuxième lieu, ne porte pas atteinte au principe d'égalité.
Le principe d'égalité, selon une jurisprudence constante, ne s'oppose pas à que ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ou qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général, pourvu que dans les deux cas la différence de traitement soit en rapport avec l'objet de la loi.
Or la situation des étudiants titulaires de bourses de l'enseignement supérieur ayant résidé dans une zone urbaine sensible, une zone de revitalisation rurale, un département d'outre-mer (2) ― ou ayant effectué une partie de leur scolarité dans un établissement situé dans cette zone ou relevant de l'éducation prioritaire ― est spécifique, eu égard aux réalités sociologiques et professionnelles qui sont la justification même de l'existence de ces zones. Les possibilités d'accès à l'emploi, notamment dans le secteur éducatif, sont statistiquement moins importantes que celles dont disposent les autres publics et les limitations et obstacles à la réussite sont plus nombreux. Des mesures incitatives réservées à ces étudiants résultent directement de cette différence de situation.
Dans tous les cas, un intérêt général particulièrement fort justifie l'ouverture d'un dispositif spécifique à l'égard du public visé par le législateur. Il s'agit de lutter contre le chômage et l'exclusion (voir, sur la qualification d'objectif d'intérêt général : Conseil constitutionnel, 18 décembre 2003, loi portant décentralisation en matière de revenu minimum d'insertion et créant un revenu minimum d'activité, considérant 26) et de permettre une meilleure insertion professionnelle de personnes jeunes connaissant des difficultés d'accès à l'emploi. Le droit d'accéder à un emploi, d'ailleurs, fait partie des règles et principes à valeur constitutionnelle (voir Conseil constitutionnel, 10 juin 1998, décision n° 98-401 DC, loi d'orientation et d'incitation relative à la réduction du temps de travail) et il incombe au législateur « de poser des règles propres à assurer, conformément aux dispositions du Préambule de 1946, le droit pour chacun d'obtenir un emploi tout en permettant l'exercice de ce droit par le plus grand nombre » (Conseil constitutionnel, 4 février 2011, décision n° 2010-98 QPC, considérant 3).
C'est selon une logique comparable que des mesures de compensation ont été admises pour prendre en compte et combattre des inégalités, qu'elles soient territoriales (voir, pour des avantages fiscaux : Conseil constitutionnel, 26 janvier 1995, décision n° 94-358 DC, loi relative à l'aménagement et au développement du territoire), liées à des difficultés sociales ou, précisément, d'accès à l'emploi (Conseil constitutionnel, 26 juillet 2005, décision n° 2005-846 DC). Ont notamment été jugés conformes au principe d'égalité des dispositifs réservés aux jeunes (voir, entre autres, Conseil constitutionnel, 30 mars 2006, décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, loi pour l'égalité des chances), aux salariés âgés (Conseil constitutionnel, 25 juillet 1989, décision n° 89-257 DC, loi modifiant le code du travail et relative à la prévention du licenciement économique et au droit à la conversion) ou encore l'embauche préférentielle de chômeurs rencontrant des difficultés particulières d'insertion (Conseil constitutionnel, 25 janvier 1995, décision n° 94-357 DC, loi portant diverses dispositions d'ordre social).
Par conséquent, dès lors que le législateur s'est fondé sur des critères rationnels et objectifs en rapport direct avec l'objet de la loi et qu'il existe tant une différence de situation qu'un intérêt général suffisant, le principe d'égalité n'a pas été méconnu.
3. En troisième lieu, le fait d'ouvrir à certaines catégories de personnes un type de contrat n'est en lui-même pas de nature à porter atteinte à la liberté contractuelle (voir Conseil constitutionnel, 19 décembre 2000, décision n° 2000-437 DC, loi de financement de la sécurité sociale pour 2001), l'établissement employeur restant libre du choix de recourir à ce type de contrat plutôt qu'à un autre et libre du choix de l'étudiant qu'il pourrait recruter.
Pour toutes ces raisons, les griefs invoqués contre l'article L. 5134-120 devraient être écartés.