I. ― Sur la compétence du Conseil supérieur de l'audiovisuel
pour connaître de la demande de règlement de différend
La société Equidia et le GIE PMU contestent la compétence du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour connaître des demandes de la société Parabole Réunion. Ils soutiennent que, dès lors que le différend dont il est saisi ne porte pas sur les conditions d'un contrat ou d'une offre de contrat, le Conseil supérieur de l'audiovisuel ne serait compétent que lorsqu'il constate une atteinte manifeste aux principes de la loi du 30 septembre 1986 tels qu'énumérés à l'article 17-1.
Aux termes de l'article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 : « Le Conseil supérieur de l'audiovisuel peut être saisi par un éditeur ou par un distributeur de services, par une des personnes mentionnées à l'article 95 ou par un prestataire auquel ces personnes recourent, de tout différend relatif à la distribution d'un service de radio ou de télévision, y compris aux conditions techniques et financières de mise à disposition du public de ce service, lorsque ce différend est susceptible de porter atteinte au caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, à la sauvegarde de l'ordre public, aux exigences de service public, à la protection du jeune public, à la dignité de la personne humaine et à la qualité et à la diversité des programmes, ou lorsque ce différend porte sur le caractère objectif, équitable et non discriminatoire des conditions de la mise à disposition du public de l'offre de programmes ou des relations contractuelles entre un éditeur et un distributeur de services ».
Si la décision du Conseil d'Etat du 7 décembre 2011 (Société Métropole Télévision) encadre le pouvoir d'injonction dont dispose le Conseil supérieur de l'audiovisuel, elle ne conditionne nullement sa compétence pour connaître d'un différend entre un éditeur et un distributeur à l'existence de relations contractuelles entre les intéressés. Au contraire, le Conseil d'Etat a constaté que les dispositions précitées permettaient de saisir d'une demande de règlement de différend l'autorité de régulation, même en l'absence de relation contractuelle ou de toute offre de contrat.
En conséquence, et contrairement à ce que soutiennent la société Equidia et le GIE PMU, la compétence du Conseil supérieur de l'audiovisuel pour connaître d'un règlement de différend n'est pas conditionnée à l'existence de relations contractuelles.
Le conseil considère par suite que l'exception d'incompétence soulevée par la société Equidia et le GIE PMU doit être écartée.
Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir soulevées par la société Equidia et le GIE PMU.
II. ― Au fond
a) Sur le moyen tiré du caractère équitable et non discriminatoire des conditions de mise en œuvre de la rupture de la relation commerciale :
La société Parabole Réunion soutient que la société Equidia aurait agi de manière discriminatoire et fait preuve de mauvaise foi dans la mise en œuvre de la rupture de leur relation commerciale.
Cependant, il n'est pas contesté que la société Equidia a respecté les délais contractuels de dénonciation du contrat la liant à la société Parabole Réunion.
En outre, il résulte de l'instruction que la société Parabole Réunion devait nécessairement être informée dès le mois de juillet 2011 que les négociations en cours avec la société Equidia et le GIE PMU dépassaient le cadre de la simple renégociation tarifaire. En effet, une mise en demeure de cesser tout acte de piratage à l'île Maurice lui avait été adressée le 21 juillet 2011 par la société Equidia et le GIE PMU et ces derniers n'ont pas répondu à son courrier du 4 août 2011 niant tout fait de piratage.
Par ailleurs, la société Parabole Réunion n'était nullement empêchée de proposer des conditions plus favorables malgré le silence de la société Equidia et du GIE PMU. Enfin, dans la mesure où la proposition commerciale qu'elle a adressée à la société Equidia et au GIE PMU excluait explicitement la possibilité de conclure un contrat d'exclusivité, la société Parabole Réunion n'est pas fondée à soutenir que, dès lors qu'elle n'a pas été informée de la possibilité d'une distribution exclusive de la chaîne Equidia Live, les conditions de mise en œuvre de la rupture de la relation commerciale auraient revêtu un caractère discriminatoire.
Par suite, le conseil considère que ce moyen doit être écarté.
b) Sur le moyen tiré du caractère objectif et équitable de la rupture de la relation commerciale :
S'agissant des faits de piratage allégués par la société Equidia et le PMU à l'encontre de la société Parabole Réunion
La société Equidia et le GIE PMU reprochent à la société Parabole Réunion d'avoir diffusé sans autorisation le signal de la chaîne Equidia sur le territoire de l'île Maurice par l'intermédiaire de sa filiale Mediacom Ltd, qui propose l'offre commerciale Parabole Maurice. Ces circonstances constitueraient un motif objectif de rupture de leur relation commerciale avec la société Parabole Réunion. Cette dernière dément fermement ces accusations. Les défendeurs reprochent également à la société Parabole Réunion de s'être abstenue de faire cesser la diffusion de la chaîne Equidia Live pendant neuf jours après l'échéance de leur contrat, soit le 21 octobre 2011, à minuit.
Il n'appartient pas au conseil de qualifier pénalement ces faits, qui font l'objet d'une plainte déposée le 25 octobre 2011 par la société Equidia et le GIE PMU devant le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris. Cependant, le conseil peut déterminer, dans le cadre de son office et au vu de l'instruction, si de tels faits ont pu justifier objectivement le refus de renouvellement.
En l'espèce, toutefois, il résulte de l'instruction que chacune des parties conteste fermement les arguments de fait et de droit qui leur sont opposés. Le conseil considère qu'au vu des pièces du dossier, ce motif ne permet pas, compte tenu du degré d'incertitude qui subsiste et de l'absence de caractère probant des pièces fournies par les défendeurs, de justifier objectivement le refus de renouvellement du contrat.
S'agissant du contrat d'exclusivité satellitaire conclu entre la société Equidia et le PMU et la société Canal+ Réunion
Le contrat d'exclusivité satellitaire liant la société Equidia et le GIE PMU, d'une part, et la société Canal+ Réunion, d'autre part, qui a pris effet rétroactivement le 1er novembre 2011, a été signé le 22 novembre 2011, soit près d'un mois et demi après la saisine du conseil.
En premier lieu, et contrairement à ce que semble soutenir la société Parabole Réunion, le Conseil supérieur de l'audiovisuel n'a pas à se déterminer en fonction des circonstances de fait et de droit existant à la date de sa saisine ; il lui appartient de se prononcer au regard des circonstances qui prévalent à la date de sa propre décision.
En second lieu, et en tout état de cause, il résulte de l'instruction que l'accord d'exclusivité était antérieur à la date de la saisine. En effet, le contrat du 22 novembre 2011 reprend les termes d'une proposition commerciale adressée par la société Canal+ Réunion à la société Equidia le 18 juillet 2011, dont il n'est pas contesté qu'elle a donné lieu à un accord verbal, avant que les discussions entre les parties ne soient engagées en septembre sur la base d'un projet de contrat envoyé par la société Canal+ Réunion le 5 septembre 2011.
Par suite, et contrairement à ce que peut soutenir la société Parabole Réunion, il appartient nécessairement au Conseil supérieur de l'audiovisuel dans le cadre de son office de tenir compte de la conclusion d'un tel contrat.
En outre, la société Parabole Réunion soutient que le contrat octroyant à la société Canal+ Réunion une exclusivité satellitaire pour la chaîne Equidia Live aurait été imaginé « pour les besoins de la cause » et serait économiquement défavorable à la société Equidia.
Cependant, d'une part, et ainsi qu'il vient d'être relevé, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que le contrat d'exclusivité en cause aurait été imaginé « pour les besoins de la cause », dès lors que l'accord entre la société Equidia, le GIE PMU et la société Canal+ Réunion doit être regardé comme étant intervenu avant la saisine du conseil.
D'autre part, le conseil considère que la société Equidia et le GIE PMU retirent un avantage économique du contrat d'exclusivité satellitaire conclu avec Canal+ Réunion et que cet avantage constitue une justification objective à la rupture de leur relation commerciale avec la société Parabole Réunion.
En effet, si la diminution de l'exposition de la chaîne Equidia sur le territoire de La Réunion consécutive à son retrait du bouquet Parabole Réunion est susceptible d'entraîner une baisse de ses recettes publicitaires, ces dernières pèsent peu dans les revenus de la chaîne Equidia Live, qui sont essentiellement constitués de redevances versées par les distributeurs. Or, le contrat d'exclusivité satellitaire permet à la société Equidia et au GIE PMU de bénéficier d'une redevance supérieure à celle qu'ils auraient perçue dans l'hypothèse d'une distribution satellitaire non exclusive.
La société Parabole Réunion soutient, en outre, que le contrat d'exclusivité satellitaire conclu avec la société Canal+ Réunion serait moins favorable à la société Equidia et au GIE PMU que la proposition commerciale qu'elle leur a adressée le 21 juin 2011. Au titre du contrat d'exclusivité du 22 novembre 2011, la société Equidia et le GIE PMU perçoivent [... euros] (1) de redevance annuelle de la part de Canal+ Réunion mais lui versent également ... euros au titre du transport du signal. La société Parabole Réunion y voit donc un déficit net de [... euros] qu'elle compare à sa proposition de rémunération annuelle, que l'on peut estimer à environ [... euros] (2) et qui ne prévoyait aucun frais de transport. A l'inverse, la société Equidia, qui ne prend en compte que les rémunérations nettes, hors frais de transport, soutient que l'offre de la société Canal+ Réunion offre un avantage de [... euros] par rapport à celle de la société Parabole Réunion.
Cependant la mise en évidence du caractère économiquement avantageux ou désavantageux du contrat d'exclusivité satellitaire conclu entre la société Equidia, le GIE PMU et la société Canal+ Réunion impose de comparer la proposition exclusive de la société Canal+ Réunion à la somme des rémunérations non exclusives des sociétés Canal+ Réunion et Parabole Réunion, et non à la seule rémunération non exclusive de la société Parabole Réunion, comme le font la société Equidia et le GIE PMU. Par ailleurs, dès lors que la société Equidia et le GIE PMU considèrent que la prestation de transport bénéficie à ses autres distributeurs dans l'océan Indien, auxquels le signal de la chaîne est redistribué, et que les frais liés à cette prestation, qu'ils soient payés à la société Canal+ Réunion ou à la société Parabole Réunion, sont de toutes les façons à leur charge, cette comparaison ne doit pas tenir compte du coût de cette prestation. Enfin, il convient de comparer ces redevances sur la même base géographique et non sur l'ensemble de l'océan Indien pour la redevance versée par Canal+ Réunion et sur les territoires de La Réunion, de Mayotte et de Madagascar pour la société Parabole Réunion.
La base géographique commune aux déclarations de redevances des parties regroupe les territoires de La Réunion, de Mayotte et de Madagascar. Sur ces territoires, le précédent contrat liant la société Equidia et le GIE PMU à la société Canal+ Réunion prévoyait une redevance maximale annuelle d'environ [... euros], alors que le nouveau contrat d'exclusivité prévoit une rémunération de ... euros. Sur ces mêmes territoires, la proposition commerciale faite par la société Parabole Réunion le 21 juin 2011 correspondrait à une redevance d'environ [... euros]. L'avantage économique minimal que la société Equidia retire du contrat d'exclusivité satellitaire conclu avec la société Canal+ Réunion sur les territoires de La Réunion, de Mayotte et de Madagascar peut donc être estimé à [... euros], soit la différence entre la nouvelle rémunération versée par la société Canal+ Réunion au titre de son contrat exclusif sur ces territoires ([... euros]) et la somme de la redevance maximale versée auparavant par la société Canal+ Réunion au titre de son précédent contrat non exclusif et de la nouvelle proposition non exclusive de la société Parabole Réunion ([...] + [...] = [...] euros).
Par conséquent, et contrairement à ce que soutient la société Parabole Réunion, la rémunération issue du contrat d'exclusivité conclu par la société Equidia et le GIE PMU constitue un avantage objectif justifiant la rupture de la relation contractuelle.