La Commission nationale de l'informatique et des libertés a été saisie pour avis le 15 novembre 2011 par le ministère de la justice d'un complément au projet de décret en Conseil d'Etat renforçant l'efficacité et la sécurité du bureau d'ordre national automatisé des procédures judiciaire dénommé « Cassiopée » (Chaîne Applicative Supportant le Système d'Information Oriente Procédure Pénale Et Enfants).
L'article R. 15-33-66-8 du code de procédure pénale dresse la liste des personnes pouvant accéder directement au traitement Cassiopée. La commission s'est prononcée le 21 juillet dernier sur, entre autres, un premier élargissement de cette liste (délégués du procureur et représentant national auprès d'Eurojust).
Le complément au projet de décret dont est saisie la commission vise cette fois à élargir l'accès direct au traitement Cassiopée aux éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), aux associations conventionnées d'aide aux victimes ainsi qu'aux agents d'autres administrations de l'Etat ou des collectivités territoriales. En l'état actuel des textes, ces personnes sont destinataires des informations contenues dans Cassiopée, en application de l'article R. 15-33-66-9 du code de procédure pénale. La situation n'est néanmoins pas satisfaisante pour le ministère, tant en termes de temps de traitement des dossiers que de rapidité de la transmission des informations. Il est également prévu un accès direct au traitement Cassiopée pour les magistrats, greffiers en chef et greffiers des réserves judicaires, créées par la loi de finances n° 2010-1657 du 29 décembre 2010. Enfin, et dans le cadre de l'expérimentation prévue par la loi du 10 août 2011 susvisée, il est prévu un accès direct au traitement Cassiopée pour les magistrats membres des commissions départementales chargées de réviser les listes de citoyens assesseurs.
Pour mémoire, le traitement Cassiopée est mis en œuvre dans les tribunaux de grande instance et enregistre les informations à caractère personnel relatives aux plaintes et dénonciations reçues par les procureurs de la République ou les juges d'instruction, ainsi que les suites qui leur ont été réservées. L'un des objectifs de ce traitement est de constituer une chaîne pénale complète, des poursuites jusqu'à l'exécution des peines, de sorte que les mêmes informations n'aient plus à être reportées manuellement d'une application à l'autre.
A titre liminaire, la Commission attire l'attention du ministère sur les dangers d'une extension excessive des catégories de personnes ayant directement accès aux données à caractère personnel contenues dans Cassiopée, et invite le ministère à faire preuve de la plus grande vigilance à cet égard.
Sur l'élargissement de la liste des personnes pouvant accéder directement au traitement Cassiopée prévu par le complément au projet de décret :
Sur l'accès à Cassiopée par les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) :
Les éducateurs de la PJJ sont appelés à intervenir directement dans les tribunaux, par l'intermédiaire des unités éducatives auprès des tribunaux (UEAT), des services éducatifs auprès des tribunaux (SEAT) ou des unités éducatives de milieu ouvert (UEMO). Ces éducateurs ont notamment pour mission de rédiger des rapports écrits contenant tous renseignements utiles sur la situation du mineur ainsi qu'une proposition éducative. Ils ont donc vocation à connaître le parcours pénal d'un mineur, afin de disposer d'une approche globale d'une situation et d'élaborer une proposition éducative pertinente. Or, à l'heure actuelle, les éducateurs se déplacent dans les unités de permanence des parquets et sollicitent un greffier ayant accès à l'application pour obtenir les informations nécessaires à l'élaboration de leur rapport.
La commission relève que cet accès direct doit leur permettre d'avoir une information en temps réel, donc exacte et mise à jour, et de gagner du temps sur la construction de propositions éducatives.
La commission note que la consultation ne s'effectuera que pour les seuls dossiers suivis par l'unité de permanence de la PLI, et dans un cadre local. Les recherches d'antécédents seront ainsi restreintes au seul ressort du tribunal d'exercice de l'éducateur.
Sur l'accès à Cassiopée par les responsables des associations conventionnées d'aide aux victimes :
Implantés dans les tribunaux de grande instance, les bureaux d'aide aux victimes doivent permettre de mieux renseigner, orienter et accompagner les victimes d'infractions pénales. Ils sont animés par des représentants d'associations d'aide aux victimes, auxquelles peut recourir le procureur de la République en application du dernier alinéa de l'article 41 du code de procédure pénale.
La commission observe que cet accès direct permettra de garantir une information rapide et fiable des justiciables, mais aussi de dispenser les agents de greffe de ces tâches et d'accélérer ainsi le temps de traitement des procédures pénales.
La commission souligne le bien-fondé de la mise en œuvre d'une politique d'habilitation spécifique et plus stricte que pour les éducateurs de la PJJ, ces membres d'association n'étant pas des agents relevant du ministère de la justice. Ainsi, les membres de l'association consultant l'application seront désignés individuellement et recevront une habilitation du procureur de la République, pour une durée de six mois renouvelable, après engagement écrit de confidentialité et prestation de serment. La commission insiste sur la vigilance et la rigueur avec lesquelles les procureurs de la République devront délivrer ces habilitations, préoccupation qu'elle a déjà formulée dans sa délibération du 21 juillet susvisée. Au surplus, le ministère a précisé que la consultation ne devra s'effectuer que pour les seuls dossiers suivis par l'association.
Dans le silence du projet de décret à cet égard, la commission estime en outre que les membres des associations d'aides aux victimes habilités à consulter le traitement Cassiopée ne devraient avoir accès qu'aux données de la victime, et non aux données concernant les témoins, les personnes mises en examen ou témoins assistés, les prévenus, les accusés, etc. En outre, elle considère qu'ils ne devraient avoir accès qu'aux données liées à la seule procédure pour laquelle la victime consulte l'association (et non pas aux données liées aux éventuelles procédures judiciaires, closes, engagées antérieurement par cette victime).
Sur l'accès à Cassiopée par les agents de l'Etat ou des collectivités territoriales :
Les procureurs de la République sont susceptibles de mettre en œuvre dans le ressort du tribunal de grande instance des politiques partenariales avec d'autres administrations de l'Etat ou des collectivités territoriales.
Le code de procédure pénale ainsi que le code général des collectivités territoriales prévoient des relations entre le parquet et les collectivités territoriales. Ainsi, des conventions ont été mises en place entre certaines collectivités territoriales et les parquets du ressort, créant des correspondants « Justice/Ville ». Interface entre la justice et les collectivités locales, ils ont pour rôle d'améliorer la transmission de l'information entre la justice et les maires, et de communiquer au maire une information régulière relative au traitement judiciaire des infractions constatées sur sa commune et aux orientations du parquet.
De la même manière, certaines juridictions ont noué des partenariats avec l'éducation nationale, afin de permettre une information plus rapide et exhaustive des situations pénales signalées et une amélioration de la qualité du contenu des signalements.
Afin de permettre à ces agents de l'Etat ou des collectivités territoriales de remplir leurs missions, qu'ils exercent sous le contrôle du procureur de la République, dans les meilleures conditions possibles, le ministère prévoit donc de leur donner un accès direct à Cassiopée, sous conditions : tout comme pour les associations d'aide aux victimes, et pour les mêmes raisons, la procédure d'habilitation est spécifique et plus stricte (désignation et habilitation individuelle effectuée par le procureur de la République pour une durée de six mois renouvelable, après engagement écrit de confidentialité et prestation de serment des intéressés). En outre, le champ des recherches sera restreint au seul tribunal d'affectation.
Sur l'accès à Cassiopée par les magistrats, greffiers en chef et greffiers des réserves judicaires :
L'article 164 de la loi de finances pour 2011 n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 a créé les réserves judiciaires, composées de magistrats et de fonctionnaires des services judiciaires à la retraite, âgés de 75 ans au plus, et reposant sur le volontariat.
Ce nouveau dispositif offre ainsi la possibilité aux magistrats, greffiers en chef et greffiers des services judiciaires, désireux de continuer à servir l'institution judiciaire, de mettre leur savoir-faire et leur expérience au service de la justice.
S'agissant des missions des magistrats réservistes, il convient de noter qu'aucune activité de nature juridictionnelle ne saurait leur être dévolue ; ils ont vocation à apporter leur concours à la décision des magistrats et à les assister dans l'accomplissement d'activités de nature administrative. Les missions des greffiers en chef et greffiers des services judiciaires sont des missions d'assistance, de formation des personnels et d'études pour l'accomplissement d'activités non juridictionnelles. Ainsi, le ministère explique que ces personnels ne sauraient exercer leurs missions sans avoir accès aux applications métiers, et notamment Cassiopée.
Comme garantie, le ministère a précisé que les magistrats réservistes sont tenus au secret professionnel sous les peines prévues à l'article 226-13 du code pénal. Les greffiers en chef et greffiers réservistes sont quant à eux soumis aux dispositions générales de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires. Ils sont en outre tenus à une obligation générale de discrétion qui perdure après la cessation de leurs fonctions au sein de la réserve judiciaire.
La commission rappelle que les chefs de juridiction devront définir et délimiter strictement les habilitations, tant au regard des missions qui seront confiées aux réservistes que de leur durée. En outre, elle considère que les magistrats, greffiers en chef et greffiers des réserves judicaires ne devront être habilités à consulter le traitement Cassiopée que dans les seuls cas où cette consultation est indispensable à l'exercice de leurs missions.
Plus généralement, le traitement Cassiopée n'est pas le seul traitement auquel les magistrats, greffiers en chef et greffiers des réserves judicaires devront avoir accès. Ainsi, la commission prend acte de l'engagement du ministère de la justice de mettre à jour les actes réglementaires concernés, et de la saisir à cet effet.
Sur les règles communes concernant l'accès des éducateurs de la PJJ, des responsables des associations conventionnées d'aide aux victimes, des agents de l'Etat ou des collectivités territoriales et des magistrats, greffiers en chef et greffiers des réserves judicaires :
La commission estime qu'au regard de la qualité de certaines de ces nouvelles personnes pouvant accéder au traitement, qui ne relèvent pas directement du ministère de la justice, et des données consultées, leurs modalités d'accès à Cassiopée doivent être particulièrement encadrées. A cet égard, elle note les garanties mises en avant par le ministère de la justice pour sécuriser les accès et restreindre leurs possibilités de consultation.
En premier lieu, elle observe qu'il ne leur sera accordé qu'un simple droit de consultation, sans aucune possibilité de modifier ou supprimer les données.
En outre, la commission prend acte que cette consultation sera restreinte aux affaires du tribunal dans lequel ils exercent leur activité, dans la limite du besoin d'en connaître. Ces consultations seront tracées ; en outre, les traces des agents ne relevant pas du ministère de la justice seront adressées au moins une fois par mois aux procureurs ayant délivré l'habilitation et aux présidents des juridictions concernées. La commission rappelle qu'en l'absence d'un outil de détection des usages anormaux, il est indispensable d'exploiter ces traces, afin de prévenir toute utilisation abusive du traitement Cassiopée.
La commission note par ailleurs que les données concernant des procédures en cours couvertes par le secret de l'enquête et de l'instruction ne seront pas accessibles, sauf aux éducateurs de la PJJ (ils sont en effet susceptibles d'exercer un suivi des mesures présentencielles), ce qui garantit une plus grande confidentialité de ces données.
Enfin, la commission relève que l'ensemble de ces personnels exerceront dans les locaux même des tribunaux de grande instance, à partir de postes connectés au Réseau privé virtuel justice (RPVJ), ce qui constitue une garantie supplémentaire contre des intrusions externes au ministère de la justice. En outre, la commission prend acte de ce qu'il ne leur sera accordé aucune possibilité d'accès nomade.
La commission rappelle, au regard de la diversité de ces nouveaux personnels bénéficiant d'un accès direct à Cassiopée, que cette extension des personnes habilitées à accéder directement à ce traitement ne peut être envisageable que si de très sérieuses garanties sont apportées, tant en termes de procédures d'habilitation que de mise en œuvre d'une traçabilité effective et efficace. A ce sujet, elle ne manquera pas de faire usage de ses pouvoirs de contrôle, en application de l'article 44 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, afin de vérifier que de telles mesures sont bien mises en œuvre.
Sur l'accès à Cassiopée par les commissions chargées de réviser les listes de citoyens assesseurs :
Cette modification s'inscrit dans le cadre de l'expérimentation prévue par la loi du 10 août 2001 susvisée, laquelle a introduit la participation de citoyens assesseurs devant les juridictions correctionnelles mais également en matière d'application des peines. Le dispositif sera expérimenté à compter du 1er janvier 2012 jusqu'au 1er janvier 2014, dans les ressorts des cours d'appel de Dijon et Toulouse.
La désignation des citoyens assesseurs sera faite par la commission départementale actuellement compétente pour établir la liste des jurés des cours d'assises, qui est composée de cinq magistrats, de cinq conseillers généraux et d'un avocat.
En application de l'article 1er de la loi du 10 août 2011, la commission doit exclure de cette liste « les personnes qui, au vu des éléments figurant dans le recueil d'informations ou résultant d'une consultation des traitements automatisés prévus aux articles 48-1 [traitement Cassiopée] et 230-6 [fichiers d'antécédents], ne paraissent manifestement pas être en mesure d'exercer les fonctions de citoyen assesseur ; il en va notamment ainsi si ces éléments font apparaître des raisons de contester leur impartialité, leur honorabilité ou leur probité ».
Le ministère explique ainsi que la consultation de Cassiopée permettra d'avoir accès aux condamnations en cours d'inscription au bulletin n° 1 du casier judiciaire, et de pallier ainsi le retard de l'inscription des condamnations au casier judiciaire.
Dans ce cas, la commission estime que le résultat de la recherche effectuée sur l'identité des potentiels citoyens assesseurs devrait donc techniquement être limité aux informations nécessaires à l'examen des condamnations en cours d'inscription au BI, c'est-à-dire à la rubrique « infractions, condamnations et mesures de sûreté » du traitement Cassiopée.
La commission prend acte que cet accès direct à Cassiopée est réservé aux magistrats membres de la commission, aux agents des greffes participant à cette commission, et à leurs assistants. Les autres membres de la commission n'ont vocation qu'à être destinataires des informations issues de Cassiopée.
Enfin, la commission estime que les habilitations ne devraient être délivrées que pour la seule durée de l'expérimentation.
Sur l'accès direct au traitement Cassiopée par les délégués du procureur de la République et le représentant national auprès d'Eurojust, l'extension des destinataires aux personnels chargés d'étude statistique au ministère de la justice, la mise en œuvre d'interconnexions de Cassiopée avec le casier judiciaire national et le logiciel de gestion de l'application des peines et l'introduction de mesures de traçabilité, la commission renvoie à sa délibération précédemment adoptée (n° 2011-233 du 21 juillet 2011).
Conformément à l'article 26 de la loi du 6 janvier 1978 modifiée, ces deux avis de la commission devront être publiés avec le décret.